C’est possible que nos lecteurs soient au courant de l’adoption récente de la loi canadienne C-7 qui crée un élargissement important des critères d’éligibilité pour l’euthanasie volontaire (dite « aide médicale à mourir »).
En contestant ces innovations il fut surtout question des plaintes habituellement entendues parmi les médecins et les personnes handicapées.
Mais, le contexte canadien comporte aussi des particularités qui dépassent, et de loin, ces considérations. Car les soins-santé relèvent, au Canada, d’un quasi-monopole d’État. Il s’ensuit alors, qu’en permettant et en rémunérant la pratique de l’euthanasie, que ce soit effectivement l’État, lui-même, qui effectue ces interventions mortelles, et en conséquence, qui s’en porte garant de leur statut – non seulement légal – mais éthique aussi. Or, pour mater pro-activement toute accusation de malfaisance, cet État épousa énergiquement – par voie de l’administration médicale – une vision radicale de l’euthanasie en bien positif.
L’opposition à l’euthanasie ne se restreigne plus, alors, à sympathiser avec les seuls médecins dissidents, ni avec les personnes « vulnérables ». Car cette définition politique de l’euthanasie en soin médical prioritaire (pratiqué partout ; par tout le monde ; et dont tous les patients éligibles seront informés), se traduit progressivement par une « normalisation » complète à travers tout le système médical ; par une menace qui plane, désormais, sur chaque patient\contribuable qui pose le pied dans une quelconque établissement de soins-santé.
Pour les citoyens d’autres pays, ainsi, il serait fortement utile de comprendre (et d’éviter) cet engrenage politique, de conception et de langage sophiste – illustré si pernicieusement par l’expérience canadienne — qui confond ce qui est seulement « légal » avec ce qui soit généralement « désirable », et donc, au niveau médical : avec ce qui mérite la normalisation en traitement standard.
Voici une courte lettre à ce sujet, offerte tout dernièrement pour publication dans La Presse à Montréal.
Après C-7 : À quoi ressembleront les soins aux malades ?
Agonisant sur le champ de bataille devant les murs de Québec, le 13 septembre 1759, James Wolfe se disait content, sachant que ses troupes avaient remporté la victoire. « Pourtant », rajouta-t-il, « ce serait bien de pouvoir rester, encore, un peu ».
Voilà, un sentiment qui demeure presque universellement partagé par l’être humain devant la mort, quelles que soient les circonstances atténuantes.
Voilà, aussi, ce qui explique l’opposition massive (si étonnante aux yeux de certains) manifestée à l’endroit du projet de loi C-7, par nuls autres que les bénéficiaires présumés de cette législation!
En effet, la quasi-totalité des intellectuels et des organismes issus de la communauté des personnes « affectées de problèmes de santé graves et irrémédiables » se sont objectés vigoureusement à cet élargissement des critères d’admissibilité à « l’aide médicale à mourir ». Ils (nous) n’accueillons aucunement le retrait du critère de mort « raisonnablement prévisible » comme une amélioration dans les conditions d’accès vers cette intervention terminale ; nous en craignons, au contraire, la promotion abusive auprès des nôtres. Car au-delà de cette expansion de l’euthanasie, se dessine, aussi, le prospect de sa normalisation.
Au départ, certes, l’euthanasie fut présentée uniquement comme un recours ultime à l’approche de la mort. Mais de cette intention originale, la volonté politique s’est rapidement affirmée pour avancer un nouveau standard de « soins », beaucoup plus efficace (et beaucoup moins dispendieux). La question se pose, déjà, d’ailleurs — de plus en plus souvent chez les familles, et chez les malades — dans quelle mesure nous pouvons faire confiance à nos médecins? À quel point ces derniers tenteront-ils, réellement, de soutenir la vie? Et quand, au contraire, en conseilleront-ils l’écourtement ?
Or, quoique ces ambiguïtés furent limitées, préalablement, au seul contexte de fin de vie, ce danger de normalisation s’étend, maintenant, à toute l’industrie médicale. Et très ironiquement, les personnes handicapées — celles qui tentent depuis des années d’exposer les dangers inhérents de la médicalisation du suicide — ne figurent plus qu’en « canaris » dans la mine proverbiale de charbon. Car grâce à la loi C-7, n’importe quel patient avec un diagnostic sérieux peut s’attendre, désormais, à ce que des professionnels bien intentionnés l’informe, aussi, de son « droit » de mourir.
Et quoique que ce procédé préserve toujours une apparence de volonté autonome, l’état de dépendance presque complet, du patient devant l’autorité du médecin, dément fatalement cette illusion. Ainsi se pose, franchement, la question de « normalité » dans notre vision future des soins médicaux ; de l’intention, par défaut, de toute interaction clinique.
Est-ce que cette normalité serait celle des nouveaux discours idéalisés, de mort volontaire? Des discours plus courants dans l’imaginaire de personnes craignant la maladie, que parmi les malades eux-mêmes? Des discours secondés par les attentes des tiers, et par les intérêts pécuniaires de l’État ?
Ou la normalité, tout au contraire (que ce soit pour une heure, pour un mois, ou pour des années), n’appartient-elle pas, plutôt, à ceux qui veulent rester toujours — selon nos souhaits communs, et tel le feu Général … « un peu encore » ?
Gordon Friesen, Montréal, le 13 avril, 2021
Quelques textes, par le même auteur, au sujet du projet de loi C-7, ainsi que le procès Truchon-Gladu qui l’ait donné naissance :
Le procès Truchon-Gladu : Truchon-Gladu et le Capybara ; Trop c’est trop !
Lettre ouverte à l’Honorable Chantal Petitclerc, Sénatrice : Étant la communication d’une personne handicapée à l’intention d’une autre, à l’occasion de la révision sénatoriale du projet de loi C-7, modifiant les conditions d’accès à l’euthanasie volontaire (aide médicale à mourir)