Deprecated: Le crochet jetpack_pre_connection_prompt_helpers est obsolète depuis la version jetpack-13.2.0, sans aucune alternative disponible. in /hermes/bosnacweb01/bosnacweb01an/b2067/nf.euthanasiediscussion/public_html/euthanasiediscussion/wp-includes/functions.php on line 6078
Une lettre ouverte à l’Honorable Chantal Petitclerc, Sénatrice - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Une lettre ouverte à l’Honorable Chantal Petitclerc, Sénatrice

consulter le fichier en format pdf

Étant la communication d’une personne handicapée à l’intention d’une autre, à l’occasion de la révision sénatoriale du projet de loi C-7, modifiant les conditions d’accès à l’euthanasie volontaire (aide médicale à mourir) Le 1 février, 2021

  • Salutations ; et entrée en matière accéder
  • Une proposition égalitaire, avancée, jadis, par la communauté des personnes handicapées accéder
  •  L’euthanasie volontaire (AMM) : une hyper-médicalisation du suicide assisté, en opposition nette avec la théorie non-discriminatoire accéder
  • Quelle différence cela fait-il ? accéder
    • 1)  Le tort conceptuel : la nature double de cet hybride instable qui soit « l’Aide médicale à mourir » accéder
    • 2) Le tort pratique : La mise en œuvre institutionnelle et la transformation des corps professionnels accéder
    • 3) Le tort souffert par ceux qui désirent vivre accéder
  • Ce que nous pouvions faire pour améliorer ces faits accéder
  • Conclusion accéder

.

Salutations ; et entrée en matière   retour

— Une introduction personnelle

     Acceptez, Madame, en autant que cela vous soit agréable, l’expression de ma plus sincère admiration :  pour votre personne, pour votre caractère, et pour vos nombreuses réalisations, tant privées que publiques.

     Je suis normalement gouverné par un respect intense pour la privauté des personnes. Jamais, ainsi, je n’aurais pensé à communiquer avec vous sans la circonstance imposée par la présentation du projet de loi C-7. Cependant, la perception publique de cette loi ne peut que se trouver fortement influencée par vos sentiments et par vos paroles. Je me permets, alors, d’invoquer votre position, et vos devoirs de Sénatrice, en vous priant de bien vouloir porter votre attention à cette lettre, que je prends soin, également, de partager avec un public élargi, dans le but de favoriser un débat des plus larges et des plus fructueux.

     Je prends aussi, cependant, un plaisir personnel dans ces faits, car il n’y a que peu de personnes qui aient connu certaines expériences, extraordinaires et intimes, telles que vous avez eu la générosité d’en partager le souvenir dans votre discours du 3 Juin, 2016 ; discours livré dans des circonstances très similaires, à l‘occasion de la deuxième lecture de la Loi C-14. Or, par les fruits du hasard, je me trouve, également, parmi ce nombre, ayant subi un sectionnement complet de la colonne vertébrale, le premier juillet, 1979.

Je reste particulièrement touché par votre témoignage au sujet des réalités vécues en phase de soins intensifs : l’attente qui se mesure en semaines avant d’être en état de subir une opération réparatrice ; la peur de toute manipulation de notre corps meurtri ; la fixation sur les rares détails changeantes dans l’environnement clinique, telle le mouvement des aiguilles de l’horloge murale — avec les routines de soins, tant redoutés, qui y soient associées — (et j’ajouterais à cela : le mouvent du piston de ventilateur dans son cabinet de plastique transparente, ainsi que la peur constante qu’il puisse se trouver fonctionnellement déficient.) ; la douleur, bien sûr ; la combination surréelle d’hallucination et de netteté de conscience avec laquelle nous percevons ces faits ; le mélange inexprimable d’ennui, de tendresse, de courage et de terreur. Tout cela, je peux en assurer le lecteur, est parfaitement fidèle aux réalités. Je vous remercie, Madame, d’en avoir fait le récit public.

De plus, je crois que mon accident s’est produit à seulement trois années d’intervalle avec le vôtre. Comme blessés de la moelle épinière, alors, et contemporains d’époque, nous partageons nécessairement des références communes, de génération, d’événements et de personnalités – les Rick Hansen et les (feu) André Viger — qui resteront toujours précieuses pour nous, même si ces personnes et ces faits sont progressivement oubliés par les plus jeunes. Je me souviens très clairement, d’ailleurs, de la dernière fois que j’ai parlé avec André Viger, dans sa boutique à Montréal, là où j’ai pu remarquer (et lui faire remarquer) une photo encadrée sur son bureau : de ces trois – Hansen, Viger, et Petitclerc – le grand trio Canadien des exploits en fauteuil roulant.

— L’intention derrière cette lettre retour

     L’opportunité d’écrire cette lettre relève, ainsi, du fait que nous partageons, tous deux, des souvenirs directs et personnellement significatifs d’une phase plus reculée de cette lutte autour de la légalisation de la mort assistée ; des souvenirs qui nous munissent, aujourd’hui je crois, d’un regard privilégié — et d’un devoir particulier — pour évaluer le rapport réel entre les buts originalement visés, et les résultats obtenus.

     Ce serait aussi mon espoir que cette expérience commune nous permette à collaborer dans l’élaboration d’une vision optimale du futur, et à corriger, ensemble, certaines erreurs commises au passé.

— Où je dois constater nos différences, et où je me permets toujours d’espérer trouver une concordance retour

     Ce serait inutile, cependant, de prétendre que nous n’y sommes pas arrivés par des chemins différents. Car tandis que vous vous êtes identifié, en Sénatrice, comme favorablement disposée au droit de mourir (et cela depuis toujours), moi-même, en simple citoyen/handicapé j’eus épousé l’interdit catégorique avec une constance égale.

     Or, c’est manifestement votre faction qui ait eu gain de cause. Je vous en félicite ; et je vous offre mes congratulations dans votre satisfaction à cet égard.

     Je soumets, cependant qu’il y ait toujours eu deux sujets de litige, qui sont parfaitement distincts, l’un de l’autre ; et si l’une de ces questions se trouve largement résolue grâce à la Loi C-14 (et son élargissement probable avec le projet C-7), l’autre demande toujours notre attention.

— L’intention de la Loi, versus les formes (médicales) retenues pour accomplir sa réalisation pratique retour

       En premier lieu, il y eut eu le principe même d’un droit, quelconque, de choisir le moment et la manière de sa propre morte ; un droit auquel et je me rallie, forcément, devant l’évidence de son établissement, de plus en plus certain.

     Reste toujours, pourtant, la question des modalités d’implémentation de ce droit ; et là (pour annoncer la conclusion principale de cette réflexion) : je crois pouvoir affirmer que nous avons fait fausse route avec la médicalisation (excessive) du droit de mourir. Car là-dedans, nous avons déjà rencontré toute une série d’inconvénients des plus sérieux : signalés, d’abord, par les personnes handicapées, en indiquant un retrait discriminatoire des protections garanties (jadis) par le code criminel (un retrait justifié uniquement par leur état médical) ; et signalés, ensuite, par un fort contingent des médecins, qui protestent devant l’obligation présumée de porter leur concours à des gestes homicides (uniquement en fonction de leur appartenance à la profession médicale).

     Ultimement, pourtant, les plaintes de ces deux groupes spécifiques seront reprises, je crois, et fortement amplifiées, même, par celles de la grande majorité de contribuables-patients-types. Car cette majorité, pour le bien ou pour le pire, ne consentira jamais à mourir de manière précoce, et ce, en raison des instincts vitaux inexpugnables qui nous habitent, de force ou de gré, grâce à nos origines biologiques et évolutionnaires. Cette majorité dépend, in fine, du système-santé public, pour la satisfaction de ces besoins ; et cette majorité ne peut que s’en rendre compte, progressivement, du fait que l’environnement clinique devient de moins en moins apte à répondre à leurs attentes (voire : de moins en moins sécuritaire), et ce, dans précisément la même mesure que l’euthanasie s’y soit installée, normalisée, et même privilégiée, en soin routinier.

     Ou pour coucher ces observations dans le vocabulaire du « choix » : Il semblerait que les choix légitimes d’une majorité parmi les personnes handicapées, parmi les médecins, et parmi l’ensemble de la population : soient effectivement brimés dans la même mesure que l’industrie médicale se transforme pour satisfaire aux choix de la minorité qui désire mourir. Et ce, pour répéter la thèse du départ : non en conséquence de la satisfaction des désires suicidaires comme tels, mais bien, de par la médicalisation, artificielle, de la satisfaction de ces désirs.

— Un appel à l’action conséquente retour

     Or, dans le jeux complexe de compromis juridico-légaux que nous ayons connu au cours des trente dernières années, les intérêts de ces majorités furent temporairement occultés par la nécessite, apparente, de valider les choix minoritaires, à tout prix.

     Maintenant, cependant, avec le droit de mourir formellement accordé (en admettant le passage prochain du projet de loi C-7) il nous incomberait de nous pencher — avec le plus grand sérieux — sur les possibilités de pallier aux torts déjà encourus (et à plus forte raison : à ceux qui se préparent pour l’avenir).

     Car, même s’il faut bien casser quelques œufs dans la confection de toute omelette, il s’agit dans cette instance, du bon fonctionnement de notre system public de soins-santé : tant fondamental à notre identité sociale ; tant nécessaire à la sécurité éventuelle de chacun de parmi nous. Et dans ce cas, je soumets, il serait de notre intérêt de n’en casser que le strict minimum !

— Plan des matières retour

     De prime abord, je me trouve dans le besoin, et dans l’embarras, de m’excuser auprès de vous pour la longueur de ce texte. Car même si j’ai l’impression d’avoir simplifié au maximum, la subtilité de ces questions ne peut s’exposer dans les dimensions d’une poste-blogue standard. (Et encore, au cas où votre curiosité demanderait plus de détails, vous trouveriez ces questions approfondies davantage dans le « Livre en devenir » publié sur mon site-web : euthanasiediscussion.net).

     Dans les prochaines pages, alors, je tenterai de résumer le problème incontournable qui surgit d’une tentative (plutôt naïve) de justifier le choix subjectif de suicide avec des balises (ostensiblement objectives) tirées de la science médicale. J’exposerai, d’abord, le problème dans sa dimension conceptuelle, suivi des torts pratiques engendrés, et je terminerai avec des propositions concrètes de palliation de ces inconvénients.

      Mais en premier lieu, je trouverais utile (avec votre permission) de placer le tout en contexte social, avec une description du premier grand test du droit de mourir (après l’octroi du droit de « refus de soins »). De cette manière : nous constaterions ce qui fut réellement demandé en partant ; nous apprécierions comment la communauté des personnes handicapées combinait, à ce moment, une sympathie profonde à l’égard du vécu de la demanderesse, avec une prescience extraordinaire des pièges à venir ; et  nous bénéficierions, à la fin, des recommandations issues de cette communauté à cette époque (des prescriptions très similaires, d’ailleurs, à celles que j’ai l’honneur de vous présenter ici, une génération plus tard).

Une proposition égalitaire, avancée, jadis, par la communauté des personnes handicapées   retour

— Sue Rodriguez devant la Cour Supreme

     Au moment de cette cause célèbre (1993) j’avais passé déjà 14 ans dans ma nouvelle vie accidentelle d’handicapé. Nous nous trouvions, alors, mon épouse et moi, dans l’attente de notre premier enfant, dont j’aurais les responsabilités de premier soignant (puisque mon épouse travaillait). Or, l’un des arguments principaux de Sue Rodriguez, en faveur d’une mort volontaire, concernait justement son horreur à l’idée que ses enfants dussent la voir déficiente.

      Je me souviendrai toujours du moment où je l’ai vu exprimer ces sentiments en entrevue à la télévision. Je me souviens, aussi, de la sympathie émotive et enthousiaste avec laquelle ces sentiments furent reçus par les personnalités télévisées. Et je date, de ce moment précis, mon opposition constante à toute justification médicale de la mort assistée.

      Soyons claire sur ce point : je ne prenais pas cette position en considération des droits de Sue. Qu’elle ait eu, ou non, le droit de se suicider, ou le droit de se faire aider dans son suicide, se sont d’autres questions, entièrement. Et j’en conviens tout à fait que ce sont des considérations qui exigent une sensibilité, et un respect de l’autre, qui rendraient très difficile la confiance requise pour en passer jugement.

     Seulement, dans la mesure où Sue Rodriguez ait pu convaincre un public sympathisant, qu’elle avait objectivement raison d’abandonner son rôle maternel, en raison de ses déficiences, son influence dépassa, de loin, son cas particulier. Car dans cette perspective, l’exemple de Sue constituait une menace terrible (au niveau de la perception publique) pour tous ceux et celles, dans des situations similaires, qui feraient le choix contraire.

    Tout comme le choix de Sue, alors, mon choix de politique répondit à ce que je concevais comme mes intérêts propres. À la grande déception de Mme Rodriguez, d’ailleurs, la Société qui représente les personnes souffrantes, comme elle, de la Sclérose latérale amyotrophique (SLA) a pris parti, comme moi, en opposant sa cause. Et la raison en fut la même : que ses membres craignaient les effets de cette perception positive de la mort volontaire, qui rendrait leurs propres démarches vitales encore plus difficiles.

     Malheureusement, une simple dichotomie semblait se présenter, manifestement insatisfaisant d’un côté comme de l’autre : soit en faveur du choix souverain de la personne exceptionnelle qui veut mourir ; soit en support à la sécurité de la majorité qui désire vivre.

     Votre choix de vous présenter en championne de l’individu seul, et de son droit d’autonomie, envers et malgré tous, vous fait honneur et indique en vous une générosité d’âme admirable. Personnellement, par contre, agissant dans le sens de l’ancien précepte « Laisse les morts ensevelir leurs morts », je prenais pour les intérêts de ceux qui vivraient encore ; et (je l’avoue franchement) pour les miens.

     Ce n’est que quelques ans plus tard, que j’ai commencé à synthétiser une logique non-discriminatoire capable (au moins en théorie) de satisfaire aux uns sans hypothéquer la sécurité des autres. Et à ma grande surprise, j’ai récemment découvert cette théorie pleinement expliquée dans un Factum qui fut présenté à la Cour à l’occasion de Rodriguez, même, par la Coalition des organisations provinciales des personnes handicapées (Coalition of Provincial Organizations of the Handicapped, COPOH) !

     C’était dans un échange privé avec l’ancien Membre du Parlement Svend Robinson (lui-même un acteur central dans cette cause) que j’avais appris l’existence de ce Factum et que la COPOH (à l’encontre des représentations attendues de nos jours) avait appuyé la demande de Mme Rodriguez ! Ce fut, pour être précis, la première, la dernière (la seule et unique) fois qu’une organisation majeure des personnes handicapées a pris une telle position au Canada. Et ce Factum mérite, à cet égard, une attention toute particulière.

     Surtout, il devient facile, à la lecture de ce document, de comprendre le changement des attitudes observé. Car l’orientation politique en devenir, au cours de ces trente ans, s’éloignât de plus en plus définitivement, des principes qui s’y trouvent recommandés.

— La position admirablement nuancée de la COPOH (Coalition des organisations provinciales des personnes handicapées)    retour

     À ce moment-là, il n’était aucunement question d’une situation telle que nous la vivions actuellement, où l’euthanasie se présente en intervention routinière, recommandée avec de plus en plus d’insistance auprès d’une classe de patients qui se trouve toujours en expansion. Au contraire, il s’agissait encore, comme je crois que vous avez vous-même décrit ce dilemme : de répondre de manière socialement responsable devant une demande personnelle, de nature unique.

     La COPOH (organisme précurseur du Conseil des Canadiens avec Déficience, CCD), avait comme premier souci, à cette époque, la défense de l’égalité fonctionnelle de la personne handicapée ; mais elle en était toute aussi préoccupée de la sécurité. Or, le Factum présenté à la Cour, sous la plume de sa Présidente, Francine Arsenault, faisait scrupuleusement la part de ces deux intérêts, en accordant à chacun son dû.

     Je trouve très dommage, d’ailleurs, que cet avis prescient des premiers concernés n’ait pas pu exercer plus d’influence par la suite. Car nos circonstances actuelles auraient pu, possiblement, se montrer de beaucoup plus favorables.

     Cela étant dit, le Factum partait d’un principe qui eut dû paraitre évident pour tout le monde : que personne ne peut expliquer le suicide d’un autre ; que ce ne fut pas le handicap de Sue Rodriguez qui exigea sa mort (car si oui : comment expliquer les souffrants de SLA, encore plus avancée qu’elle, qui se manifestèrent devant la Cour en signalant leur volonté de vivre ?). La justification finale pour la mort de Sue résida, comme votre discours aussi le signale : dans sa seule volonté de personne autonome.

Et la justification, par la COPOH, d’accorder la permission de satisfaire un tel choix, subjectif et souverain, s’expliquait ainsi :

— La raisonnement de la COPOH à l’appui de Sue Rodriguez    retour

     Premièrement, Mme Arsenault indiqua la légalité du suicide, au Canada, depuis 1972. Et de ce fait, elle présuma d’un droit acquis de toute personne, de se suicider, sans autre exigence justificatrice.

     Deuxièmement elle prenait acte de la condition handicapée de Sue, mais seulement dans ce sens que les effets de la maladie la rendaient incapable de se suicider sans assistance.

     En conséquence de quoi, elle conclut que Mme Rodriguez dût avoir le droit de chercher cette assistance, sans quoi : une situation de discrimination évidente existerait à son insu.

     Et c’est ainsi que nous vîmes présentées, les conditions suffisantes pour la satisfaction intégrale des désirs de Sue : il serait légal pour elle de chercher de l’aide dans son désir suicidaire ; et (moyennant des modalités acceptables) il serait légal, aussi, pour des tierces personnes de l’assister dans l’accomplissement de ce désir. Point final.

     Ce qui était tant sagement réclamé, par les représentants des personnes handicapées qui appuyaient cette cause, ce fut la permission sans cautionnement ; c’est à dire : une permission sans la suggestion d’obligation. Ni pour le suicide. Ni pour l’assistant.

     (Et, chose très instructive pour nous :  sans la nécessité de réorienter l’ensemble de notre industrie médicale pour arriver au résultat voulu !)

Tout au contraire ….

— Le souci d’une stricte égalité de protection à l’égard des personnes handicapées    retour

     La plus grande partie du Factum, présenté par la Coalition, était consacrée aux mêmes soucis, pour la sécurité de la personne handicapée, que nous ayons entendu à travers l’étude du projet C-7 ; des soucis souvent fondés dans la crainte (voire : la conviction) : que toute légalité, du suicide assisté, n’augmente la pression préexistante qui s’exerce sur les personnes handicapées (vers une mort précoce) ; tandis que l’euthanasie ne soit qu’une pratique d’homicide simple.

    Alors, tout en affirmant le droit ultime de souveraineté autonome de la personne handicapée (au même titre et en rapport d’égalité stricte avec toute autre personne), la Présidente de la COPOH, Francine Arsenault, fournit une liste d’exigences, calculées pour diminuer (mais non, comme elle admit avec regret, d’éliminer) les risques spécifiques des personnes handicapées ; et surtout, pour favoriser la perception, d’un respect égal pour la vie de chacun.

     Or, la première des prescriptions, ainsi offertes pour réaliser ces buts, consistait dans la démédicalisation complète de toute autorisation de « droit de mourir ». Car au fond, de manière catégorique et incontournable : permettre à certaines personnes de mourir (mais seulement à elles) — grâce à leur condition médicale — renferme la présomption (sinon dans l’intention, très certainement dans la perception) que la mort des personnes malades, ou handicapées, soit officiellement identifiée en bien.

     Car sinon : pourquoi un texte de loi, spécial, pour permettre le suicide assisté (et avec l’euthanasie, l’homicide aussi) uniquement de ces personnes ? Pourquoi cette autorisation ne se restreindrait-t-elle pas aux seuls accommodements nécessaires (pour surmonter les déficits dus à la maladie, ou au handicap) ? Après tout : les personnes malades et handicapées (habilitées à ce faire) possédaient déjà le droit de se suicider (au même chef que n’importe qui).

     Oui ! alors, à l’assistance au suicide (pour pallier à l’incapacité) ; mais, Non ! à toute suggestion que le suicide soit « bien » (exceptionnellement) en fonction d’un handicap ou d’une maladie !

— Les prescriptions détaillées du Factum    retour

     Pour préciser sa pensée, et pour guider toute réflexion législative subséquente (et donc notre réflexion présente au sujet du projet C-7), Mme Arsenault souligna les points suivants:

     Qu’il ne doit pas y avoir exigence de fournir une justification médicale pour la mort assistée (puisque les personnes malades ou handicapées peuvent vouloir mourir pour maintes raisons diverses, exactement comme toute autre personne) ;

     Que (dans l’absence d’un besoin de justification médicale) il n’y a pas d’exigence que la personne se trouve devant une « mort prévisible » (ce qui satisferait, je soumets, à vos hésitations personnelles, jadis, devant la loi C-14) ;

     Que le concours obligé d’un médecin soit inutile ;

     Que le suicide assisté, seul, soit permis, et que le geste final (aussi minimal que ce soit) doit être posé de manière volontaire et consciente, par le suicide lui-même.

     Que l’euthanasie soit explicitement exclue. Car aucun homicide (à l’égard des personnes malades ou handicapées), ne doit JAMAIS se pratiquer au sein d’une société qui se veuille « civilisée ». 

     Que le désir suicidaire doit être le seul fait de la personne suicidaire.

     Que le fait de suggérer, proposer, ou conseiller le suicide, demeure un crime.

     Voila, enfin, une formule de mort assistée, proposée par une personne handicapée, dans le but de satisfaire aux besoins, et aux désirs, tant divers, des personnes qu’elle croyait représenter dans cette occasion. Et en comparant cette proposition avec les jugements juridiques subséquents (Carter, Truchon-Gladu) et la Loi (telle que nous la connaissions aujourd’hui) il serait facile, je soumets, de comprendre le sentiment négatif qui prévaut actuellement dans la communauté des personnes handicapées.

     Car notre régime d’euthanasie se trouve aux antipodes des intentions non-discriminatoires exprimées par la COPOH en 1993. Et pour cette raison : le résultat actuel semble représenter, pour tant de personnes de cette communauté : non une victoire de l’autonomie ; mais une attaque sur la sécurité physique.

— L’euthanasie volontaire (AMM) : une hyper-médicalisation du suicide assisté, en opposition nette avec la théorie non-discriminatoire   retour

— Une description sommaire de la « médicalisation » du droit de mourir

     D’entrée en matière, « l’aide médicale à mourir » s’annonce comme un phénomène exclusivement médical dans son appellation même ; l’accès est accordé explicitement (et uniquement) en fonction de la condition médicale ; le geste est accompli par un médecin (qui en prend, ainsi, la responsabilité professionnelle et morale) ; le patient subit passivement la procédure ; et le tout est défini en « soin » médical bénin. De suicide (selon le législateur), il n’y en a point ; et le rôle de la volonté autonome est ainsi réduit au minimum ; tandis que l’importance discriminatoire de la condition médicale, ou du handicap, se trouve maximisée d’autant.

     Ainsi, serait-il difficile, je soumets, d’imaginer un aboutissement qui puisse plus abjectement trahir ses origines.

— Une hiérarchie dans la valeur accordée aux soins médicaux ; la priorisation de l’euthanasie   retour

     De plus, il se trouve dans la démarche, actuelle, un souci évident de maximiser le « lien médical », même à l’intérieur des options disponibles. Car, décidément, tous les « soins » médicaux ne sont pas de priorité égale. Certaines interventions courantes, même, comme la chirurgie esthétique ou la circoncision, sont plus correctement considérées en simples « services » : des options légales (et disponibles), mais de par la permission seulement, et aucunement garanties (ni cautionnées) par L’État.

    Logiquement, en considération de sa nature — médicale et morale — toujours fortement controversée, l’euthanasie aurait dû (tout au plus) se trouver dans cette catégorie. Et tel est, pour préciser cette détail tant révélatrice, le statut légal de l’euthanasie (et du suicide assisté) dans tous les autres pays du monde où ces pratiques sont actuellement autorisées.

     Étrangement, cependant, le Québec d’abord, et le Canada ensuite (en adoptant tacitement les prémisses de la Loi Québécoise No. 52) ont accordé, à l’euthanasie, le statut médical le plus élevé qui soit. C’est à dire : d’un soin universellement garanti à toute personne qui satisfasse aux conditions d’admissibilité !

     Par souci de comparaison : seulement les plus importants des soins, comme la transfusion sanguine, bénéficient d’une telle priorité absolue. Et à cet effet, la même logique d’impératif vital dans l’octroi, s’est déjà avancée en argument sérieux : que certaines euthanasies doivent s’accomplir (en intervention d’urgence) pour éviter le décès du patient !

     J’en conviens, certes, qu’il s’y trouve un parfum de ridicule, très évident, dans cet exemple (de patients euthanasiés, précipitamment, de peur qu’ils puissent mourir). Seulement, cette absurdité n’est pas une fonction de la description : elle tient plutôt de l’absurdité palpable dans la démarche canadienne.

Quelle différence cela fait-il ?    retour

— Et si le but est atteint… pourquoi s’en plaindre ?

     La médicalisation du « droit de mourir » fut le résultat d’exigences et de compromis politiques qui démentent, de manière très significative, les revendications simples de choix et d’autonomie qui se trouvent, ultimement, à l’origine de cette démarche.

     Ce serait un sujet très intéressant, d’ailleurs, que d’expliquer comment nous en sommes arrivés là. À la présente joncture, cependant, notre intérêt le plus pressant serait de préciser quelle différence cela peut bien y faire.

     Car pourquoi s’en plaindre ? (Dirait certains). Nous sommes finalement arrivés (en admettant le passage prévu du projet C-7) – et bien que par des voies indirectes et tortueuses — dans une situation où presque n’importe qui soit bientôt capable de terminer ses jours avec l’assistance d’un médecin compatissant, et ce, grâce, ultimement, à la seule volonté autonome. N’est-ce pas, précisément cette affirmation simple, qui eut servi de force motrice derrière toute notre démarche ? Ne possédons-nous pas, finalement, la satisfaction intégrale ? Où se trouve, alors, le mal ?

— Le piège de la médicalisation    retour

     Pour simplifier au maximum : il existait, jadis, une interdiction catégorique (d’assistance au suicide) qui fournit, à tout individu, une assurance stricte que la notion de « consentement » ne pouvait jamais lui entrainer (légalement du moins) dans des scenarios homicides : ni en victime, ni en perpétrateur.

     La médicalisation de la mort assistée, cependant, invalide cette protection pour deux groupes spécifiques (mais pour eux, seulement) :

     1) les malades et les handicapés, d’abord : car désormais, il serait devenu possible de tuer ces personnes (mais seulement ces personnes) en toute légalité ;

     2) les médecins (et autres professionnels de la santé) : car en autant qu’un patient en fasse la demande (interprétée maintenant en « droit » universel selon les critères exigés) les médecins — collectivement et individuellement (mais encore une fois : eux et seulement eux) — se trouvent dans l’obligation de participer (ou à tout le moins de collaborer) dans ces faits homicides.

     Nous sommes tellement habitués, d’ailleurs, à voir l’opposition à l’euthanasie articulée dans ces termes (du danger discriminatoire à l’égard des personnes malades-handicapées, et de la participation obligée des professionnels) que nous serions facilement portés à croire que les difficultés de la mort assistée ne concernent que la protection des « vulnérables » et le droit de « conscience » des professionnels de la santé !

     Or, dans ce qui suit, ce serait ma prétention que les personnes malades-chroniques et handicapées, ainsi que les médecins dissidents, ne sont, pour ainsi dire, que les canaris dans la mine de charbon. Ils sont manifestement les premiers atteints, mais ils ne seront pas les seuls. Car grâce à la médicalisation de la mort assistée, notre système-santé se trouve actuellement en proie d’une transformation complète — à la fois conceptuelle et pratique — concernant une nouvelle philosophie de « l’utilité » médicale ; une philosophie qui semble se positionner, d’emblée, en obstacle à la satisfaction des désirs naturels d’une grande majorité des patients (lourdement atteints, possiblement, mais aucunement suicidaires).

     Et puisque ce système de santé publique se présente, typiquement, en ultime ressource de survie pour chacun de parmi nous ; qu’il constitue, en plus, pas moins de 11 pourcents du produit intérieur brut canadien (et qu’il consomme les deux tiers des revenus d’impôt) : l’état du système-santé — et les soins y fournis en priorité — en seront décidément l’affaire non seulement des médecins, et des handicapés/malades-chroniques, mais de tout le monde.

1)  Le tort conceptuel : la nature double de cet hybride instable qui soit « l’Aide Médicale à mourir »   retour

— Subjectif versus objectif : les limites de la volonté, et de la science   retour

     À la racine des différents inconvénients répertoriés, se trouvent les contradictions inhérentes de cette créature, artificielle et complexe, qui se nomme « l’aide médicale à mourir » ; où se juxtapose, irrationnellement, les justifications subjectives du suicide, et les justifications objectives de la science médicale.

     Décidément, le suicide, assisté ou autre, demeure une proposition morale de statut (objectivement) irrésolu, et irrésoluble ; et cela autant pour le principe général que pour chaque cas spécifique. Car, assurément, dans des circonstances apparemment identiques, il se peut que l’un choisisse la mort, tandis que l’autre choisirait de vivre. Et puisque le suicide n’a que son désir subjectif comme justification, le suicide ne peut pas demander au monde qu’il lui donne (objectivement) raison. Ce que nous puissions éthiquement lui accorder, tout au plus, ce serait la permission d’agir, et l’assurance que nous respectons, ainsi, son choix personnel et autonome.

     Dans ces conditions, il en résulte que le rôle du médecin (en admettant l’opportunité d’impliquer des professionnels médicaux dans l’accomplissement des morts assistées) soit essentiellement restreint à celui d’un instrument brut, utilisé par le patient dans la réalisation de son choix souverain.

      Toujours est-il, cependant, que l’aide médicale à mourir se voie définie, aussi, en « soin » médical. Et la médecine se voulant non seulement un Art, mais une Science, également, l’éthique médicale part avec un penchant fortement objectif. Par exemple : le fait de couvrir une plaie ne se justifie aucunement d’après une décision arbitraire du patient (qu’il en serait bien ainsi). Au contraire, les médecins ont décidé, collectivement, que le pansement soit « objectivement » bien, toujours et partout, là où les indices médicaux en exigeraient l’utilisation. Et encore : l’évaluation de l’opportunité de cette utilisation se produit sous la responsabilité du médecin, et de son jugement professionnel.

     De plus (et d’après l’application normale de l’éthique médicale) : quoique le patient peut refuser un soin (pour toute raison, ou pour aucune), il ne peut jamais obliger le médecin à agir à l’encontre des indices cliniques.

     Et c’est ici, malheureusement, que nous rencontrons la contradiction fatale au cœur de cet hybride artificiel de provenance politique : Car l’AMM ne peut être, en même temps : et l’exercice d’un droit souverain (subjectif) de chaque citoyen admissible ; et une intervention médicale dont la prescription dépend du jugement professionnel (objectif) du médecin.

     Voilà, donc, un seul phénomène — l’aide médicale à mourir — qui prétendrait présenter deux justifications à la fois ! Et des justifications, de surcroit, qui sont non seulement différentes, mais de souches éthiques différentes (l’une subjective et arbitraire ; l’autre objective et rigoureuse) dont l’application jumelle (théorique ou pratique) ne peut que produire des conflits fatals quand la volonté du patient, et les actions cliniquement indiquées, se trouvent en contradiction.

     Or, de deux choses l’une : soit, que la volonté du patient prime sur les indices médicaux (ce qui contreviendrait au cadre éthique de la profession médicale) ; soit, que les indices médicaux puissent primer sur la volonté du patient (ce qui invaliderait la prémisse « autonome » de la mort assistée).

     À moins, toujours, qu’il n’existe une dernière interprétation — implicite dans les définitions fournies par le législateur — selon laquelle l’étude « rigoureuse » des indices cliniques s’accorderait invariablement avec les désirs du patient !

— Deux résolutions, possibles, de cette énigme : l’une encore plus sinistre que l’autre   retour

     Premièrement il serait possible que l’intention législative ait simplement voulu valider la volonté du patient, et y subordonner le concours, essentiellement obligé, du médecin.

     Voilà, pour tout dire, l’évocation implicite du scenario de « mort sur demande ». Car dans ce cas, la notion de « soin médical » ne possèderait aucune fonction réelle, outre l’injection d’une peu de « poudre aux yeux », politiquement rassurante, pour faciliter l’instrumentalisation accessoire de la profession médicale.

     Ne craignez rien, pourtant, madame ! Ce n’est aucunement mon intention de vous ennuyer en réouvrant, ici, cette plaie des discours passés. J’accepte volontiers l’évidence que vous (et tant d’autres personnes, également) considèrent le respect des volontés autonomes plus important que les dangers possiblement associés à cet octroi de liberté. Je comprends, aussi, le désir du législateur de vouloir dorer cette pilule conceptuelle. Seulement, je veux signaler que dans ce cas : la définition de la mort assistée, en soin médical, devient parfaitement inutile ; et inutilement nuisible.

     Or, très malheureusement, nous ne sommes pas encore au bout de notre peine, car (tel qu’intimé ci-haut) : il existe un tout dernier piège qui a su se dissimuler au fond de ce panier de gymnastiques conceptuelles — un piège dont je crains des aboutissements infiniment plus douloureux.

— Les critères d’admissibilité à l’AMM : acceptés littéralement en indices cliniques ; et qui servirait à la prescription de l’euthanasie   retour

     Tel que décrit : tout soin médical se prodiguent, sans controverse, seulement en autant que les indices de la médecine concordent avec la volonté du patient. Mais dans le cas de l’AMM (Loi 52, QC), tout patient est assuré, aussi, de pouvoir exiger ce « soin » en autant qu’il satisfasse aux « critères d’admissibilité ».

      Or, la seule façon, je soumets, que l’intégrité théorique du modèle médical peut être respectée dans ces conditions, impliquerait une relation d’identité exacte (imposée dans les articles de loi) entre les « critères d’éligibilité » et les réputés « indices médicaux » (de sorte que le médecin ne soit jamais en désaccord avec le souhait du patient, par définition). Mais tandis que cela pourrait sembler fournir, peut-être, une astuce innocente et efficace pour résoudre le paradoxe exposé, les ramifications d’une telle idée dépasse, aussi, (et de très loin) ce contexte.

     Car, tout médecin serait, désormais, professionnellement tenu de considérer l’euthanasie (de manière objective et sans égard à l’opinion du patient) comme étant médicalement indiquée, du moment que ce patient satisfasse aux autres critères fournis par la loi (de provenance, non médicale, mais bien, juridique et législative) !

— Les implications rigoureuses d’une telle interprétation   retour

    Il serait peut-être utile de nous rappeler, ici, que les définitions des mots, ainsi que la construction des idées, portent conséquences ; et que les fantaisies linguistiques du législateur ne peuvent échapper à la signification de ces mots, et de ces idées, dans l’application pratique. Or, outre l’énormité de la blessure ainsi infligée, par cette ingérence de l’État — sur l’honneur et sur la tradition de la profession médicale — il y a des conséquences pratiques, extrêmement importantes, qui attendent l’application intégrale d’une telle doctrine.

      Selon l’exemple précédent du pansement, le fait d’accepter l’euthanasie en soin médical (répondant aux indices-critères fournis par la loi), imposerait sur tout médecin un devoir simple d’euthanasier tous les patients dans cette catégorie (en autant qu’il puisse obtenir leur consentent).

     De plus, ce médecin aurait, aussi, le stricte devoir conséquent : de tout faire pour amenait le patient, récalcitrant, à accepter ce bienfait médical ! Car en tout cohérence éthique : seulement le refus du patient pourrait empêcher l’octroi d’un soin de cette priorité ; et rien ne pourrait arrêter la pression bienveillante, exercée dans le but de solliciter une collaboration éventuelle. Car encore une fois, telles sont, sans nuances, les conséquences logiques d’affirmer littéralement « l’aide médicale à mourir » en soin médical de haute priorité.

–Quelques exemples illustratifs   retour

      Quand l’application clinique des « indices » décret que certaines personnes « doivent » se faire vacciner, il serait normal que les récalcitrantes subissent les critiques, et possiblement, même, les contraintes, de leurs concitoyens. Pourquoi en serait-il différent de l’euthanasie ?

     Ou encore (au cas où cet exemple paraitrait trop extrême), confinons-nous uniquement à la force de la perception, dans des circonstances parfaitement libres de coercion :

     Imaginons plutôt une personne, aux prises avec le diabète, qui refuse de surveiller ses comportements. N’auraient-ils pas droit (les docteurs, les infirmières, les membres de famille, les amis, et même les connaissances de circonstance) de lui en faire des remontrances ? Ne feraient-ils pas le bien, ces personnes, en lui poussant, le plus fermement possible, vers les solutions thérapeutiques appropriées ? Pourquoi en serait-il différent de l’euthanasie ?

     Convenons-nous, aussi, que le patient-type, le plus souvent, se permet de se faire soigner, tout simplement, dans les règles de l’Art, par des professionnels à l’égard desquels il pense devoir reposer sa confiance entière. Pourquoi en serait-il différent de l’euthanasie ?

     Oui ! J’en conviens : cela pourrait bien nous sembler « absurde », « impossible » — même « impensable » — à première vue. Mais il y aurait un certain avertissement, je me permets aussi à suggérer, dans ce fait que nous avions tant souvent entendu ces mots déjà (et tant d’autres semblables) sans que le trajet envahissant, de ce phénomène de mort assistée, se soit dévié d’un iota des prévisions les plus pessimistes.

     Car lucidement comprise : toute machine conceptuelle, fidèlement implémentée, ne peut que fonctionner selon la manière qu’elle fut construite.

— Une dynamique qui tendent vers l’imposition générale de préférences marginales   retour

     Très généralement, la théorie d’équité juridique nous suggère que le principe de choix, une fois admis pour les uns, ne pourrait être que très difficilement refusé aux autres. Soit.

     L’euthanasie fut décriminalisée, au départ, uniquement pour répondre aux désirs de quelques individus isolés ; et par la suite, les critères d’admissibilité se sont fortement élargis en utilisant des arguments de « l’équité ». (Voire : Truchon- Gladu, et le projet de loi C-7)

     La notion de « soin » médical, cependant, nous amène beaucoup plus loin, même, que cette dynamique juridique ; car l’euthanasie volontaire (normalisée en soin médical prioritaire), se présente, aussi, comme une solution cliniquement avantageuse pour tout personne dans la catégorie admissible. Il s’ensuit, alors, que chaque élargissement des critères d’admissibilité amène, aussi, un élargissement (présumé) du bassin des personnes pour lesquelles l’euthanasie sera définie comme « médicalement indiquée », « bien », ou simplement « désirable ». Et de ce fait, un nombre proportionnellement plus grand de personnes serait exposé aux dangers institutionnels ici répertoriés.

     Et c’est ainsi, que nous sommes éventuellement invités à créditer cette thèse des plus bizarres : que l’expression litigieuse de désirs purement personnels, emmenant d’individus statistiquement marginaux (à la manière que Sue Rodriguez se situait objectivement à l’intérieur d’une petite minorité suicidaire parmi les patients atteintes de SLA) puisse véritablement déterminer ce qui se présente médicalement en« bien », normalisé pour tous, toujours et partout !

— La sécurité physique des patients dits « incapables », maintenant menacée, aussi, par l’application « équitable » des indices/critères qui définissent le « bien » médical    retour

     Comme nous sommes souvent obligés à répéter : toute acceptation publique de la mort « assistée » dépendait (à l’origine) d’un respect pour la volonté autonome. Dans le procès Carter, par exemple, l’un des juges insista même pour dire que le vocable « aide médical à mourir » (tel que présenté au moment du procès) fut identique dans sa signification au terme plus commun de « euthanasie volontaire ». Mais tel que démontré ci-haut : la définition légale de l’AMM en « soin médical » a tout changé dans ce calcul. Et tandis que le patient « capable » (et suffisamment effronté) peut toujours se soustraire aux traitements qui lui sont « indiqués » (de par son droit ultime de « refus de soins ») il n’en serait pas ainsi pour le patient « incapable ».

    Car si l’euthanasie est réellement un soin indiqué, dans telle ou telle circonstance clinique (pour accepter la définition artificielle qui nous est actuellement imposée), il en serait de notre devoir le plus strict de prodiguer ce bienfait médical aux « incapables » dont nous avons le soin et la responsabilité. Il s’ensuit, alors, de manière parfaitement rigoureuse, que tout patient incapable (et autrement admissible) puisse maintenant être euthanasié (admettant les avis juridiques éventuellement favorables à cette interprétation), et par la suite, que l’incapacité elle-même, définie en condition « grave et irrémédiable », puisse éventuellement servir de prétexte pour évacuer toute cette classe de personnes.

     Et même là, ce n’est pas tout, car nous pouvons très raisonnablement prévoir que l’exercice plus ou moins volontaire du « bon » choix (d’euthanasie) par certains patients « capables », ainsi que la normalisation de cette pratique parmi les « incapables », puissent conspirer, à la fin, pour créer une pression quasi-insoutenable à l’endroit des patients capables… mais récalcitrants.

     Est-ce possible que je me suis aventuré trop loin dans ces spéculations ? Eh bien, j’admets, certes, que le futur soit voilé. Mais nous possédons déjà quelques années d’expérience dans cette matière. Et à la fin, nous ne pouvons que juger l’arbre à ces fruits.

Or, de quelle nature sont-ils, au juste, ces fruits ?

2) Le tort pratique : La mise en œuvre institutionnelle et la transformation des corps professionnels    retour

— La disposition institutionnelle   

Selon la « Loi concernant les soins de fin de vie » (Québec, 10 Juin, 2014) :

     Toute personne, dont l’état le requiert, a le droit de recevoir des soins de fin de vie (alinea 4) (incluant, par définition : l’euthanasie volontaire, dite « aide médicale à mourir » – alinea 3.3)

Et :

     Tout « établissement » offre les soins de fin de vie   (alinea 7) (comprenant, par définition : tous les établissements visés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux : centre local de services communautaires (CLSC)… centre hospitalier…centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), etc., etc. —  alinea 3.1)

    Ou (pour traduire le tout dans son intention simple) : l’État garantit l’accès à l’euthanasie volontaire dans tous les établissements sous sa direction (sujet seulement à la satisfaction des critères d’admissibilité) ; et puisque la livraison des « soins-sante » relève d’un quasi-monopole public, cela signifie en pratique : que l’euthanasie soit pratiquée partout.

     En outre, puisque l’euthanasie volontaire soit définie, maintenant, en soin médical bénin (et même essentiel) il s’ensuit de manière parfaitement rigoureuse que tout médecin, en rencontrant tout patient admissible, doive informer ce dernier que l’euthanasie soit un soin objectivement indiqué à son intention (et dont il possède le droit strict de s’en prévaloir).

     Et alors : non seulement le patient-type (possiblement confus, et certainement pris à dépourvu devant un diagnostic des plus sérieux) se trouve, non seulement, dans un lieu où des patients à son image sont couramment euthanasiés, mais, de mise en matière — possiblement à la première rencontre avec un professionnel responsable — cette euthanasie lui serait personnellement proposée en « soin » indiqué !

     Et très malheureusement (je me dois de vous assurer), ce ne sont pas, cette fois, des spéculations oisives au sujet d’une « pente glissante » mythique dont les opérations peuvent se manifester dans un futur hypothétique quelconque. Aucunement. Il s’agit, plutôt, d’une description littérale des conditions présentes, au moment d’écrire ces lignes : au Québec, en Ontario, et en Colombie-Britannique (pour ne nommer que ces trois provinces, comportant ensemble, au-delà de 70 pourcents de la population canadienne) et ailleurs, également, selon la même formule.

     (Et si, par hasard, le patient rencontre un traitement autre que celui décrit, ce ne serait pas la faute des nouvelles guides de pratique fournies par les corporations règlementaires. Au contraire ! Ce serait l’influence, toujours importante, des médecins et des infirmières qui refusent de s’y conformer.)

      Il s’en est résulté, ainsi (pour citer un commentaire plutôt sardonique d’une critique particulièrement lucide) : qu’il serait maintenant très facile pour le consommateur-type d’exiger une chambre d’hôtel sans fumée (ou encore un restaurant purement végétarien), mais qu’il lui serait essentiellement impossible de bénéficier d’un environnement clinique qui soit libre de l’euthanasie (et donc de son influence).

     Et cela même, avec des exceptions presque triviales (et pour la plupart en litige) : à l’intérieur des institutions préexistantes de Soins Palliatifs, qui furent, pourtant, crées dans un esprit de soins totalement incompatible avec la pratique de l’euthanasie, et dont la presque totalité des médecins pratiquants (au moment de la légalisation) y refusèrent leur collaboration.

— L’instrumentalisation des corps professionnels    retour   

     Il serait utile de répéter, ici, cette évidence : que la légalisation de l’euthanasie ne fut pas le résultat d’une évolution dans la mission médicale idéelle, telle qu’appuyée par un consensus parmi ses praticiens. Au contraire : la pratique de l’euthanasie fut imposée par des forces politiques, apparemment irrésistibles. Et tel est, pour être précis, le plus grand tort produit par la médicalisation du « droit de mourir » (avec la seule exception du danger mortel qui plane maintenant sur le patient-type), soit : l’assujettissement de la science médicale aux buts politiques ; la perte, par cette cadre professionnelle de sa tradition millénaire d’autodéfinition et de règlementation autonome ; et enfin, l’instrumentalisation de ses praticiens.

     D’entrée en matière, la définition politique de l’euthanasie volontaire en « soin » médical implique ce fait que tous les professionnels de la santé y soient associés, collectivement d’abord, et individuellement au besoin.

     Mais quelle circonstance des plus étonnantes ! La mise à mort, pratiquée dans quelques circonstances que ce soit, demeure un fait extrêmement grave, dont nous nous attendrions que l’autorisation soit restreinte, et surveillé avec la plus grande acuité.

     Et pourtant ! L’octroi du mandat d’euthanasie, généralement, à tout médecin et aux membres des équipes en support (ainsi qu’à certains autres professionnels autonomes), signifie, pratiquement, l’octroi d’un autorisation homicide (de nature largement discrétionnaire), à l’endroit de pas moins de 500,000 individus canadiens (médecins et infirmières), sans ni choix, ni sélection, ni certification, ni suivi individuel !

     Apparemment, alors (à l’intérieur du jeu complexe d’émotions ressenties par la population élargie à l’endroit des médecins), dans cette seule et unique particularité qui soit l’euthanasie : nous avions décidé d’épouser — sans réserve — une attitude de crédulité invraisemblable, voulant que les caractères, les motivations, et les gestes de ces professionnels puissent être — d’emblée et sans discussion — au-dessus de tout reproche ; et que nous pouvions, ainsi, accorder des pouvoirs inouïs, de vie et de mort, à tous ces individus, sans ni formalité, ni crainte, ni remords.

     (Pourtant, un tel excès de confiance ne serait jamais admis dans aucun autre domaine de l’activité humaine. Et cette évidence, seule, je soumets, suffirait amplement pour en exposer l’irrationnalité.)

     Ensuite, cette définition de l’euthanasie en « soin » médical – ou plutôt : ce décret d’État — occulte toute possibilité d’une définition autre, ou même d’une discussion qui en serait proprement médicale. Car la définition eut clos la discussion.

     Et c’est ainsi que (selon l’interprétation officielle) : aucun médecin ne peut s’objecter à la pratique de l’euthanasie pour des raisons professionnelles qui soient fondées dans sa compréhension médicale !

— Une attrition chez les médecins qui supportent toujours une médecine inconditionnellement orientée vers la préservation de la vie    retour

     Pour cette raison, la forte majorité (70 pourcents) des médecins, qui disent ne pas vouloir pratiquer, personnellement l’euthanasie — et encore plus fortement la minorité substantielle (environ 30 pourcents) qui dispute catégoriquement la légitimité de ce pratique — se trouvent accidentellement, et involontairement (mais pas moins significativement), en désaccord avec les nouvelles réalités de leur profession.

     Pourtant, et sans détours : un environnement propice au support du patient dont le désir de vivre lui pousserait au-delà des limites rationnellement « utiles », dépend avant tout de la présence de ces personnes, maintenant et à l’avenir.

     Or, sans accorder raison à ce groupe, et tout en admettant la nécessite pragmatique de permettre à d’autres, de leurs confrères, de pratiquer autrement : il semblerait toujours évident que la normalisation, artificiellement contrainte, de cette pratique, joue inexorablement vers la marginalisation de tels professionnels ; empêche leur développement ; et réduira leur nombre d’autant.

     D’abord : chez les médecins matures : puisque les Soins Palliatifs et l’euthanasie se pratiquent (désormais) dans les mêmes lieux (et puisque ce sont les tâches d’équipes soignantes qui se complètent et qui se chevauchent), les positions de responsabilité senior ne peuvent que devenir le domaine exclusif des médecins qui se disent « confortables » avec les deux (une dynamique qui se répercutera à travers tout le paysage médical, suite à l’élargissement des critères d’admissibilité contemplée dans le projet C-7).

     Ensuite : chez les médecins et les infirmières en devenir : là où l’attente normale pour l’embauche, pour la certification, et même pour l’entrée aux études, dépendrait, désormais, d’un consentement présumé de participation au besoin.

     Inévitablement, avec cette nouvelle exigence de fonction homicide, le ton et l’esprit de la profession médicale changera en profondeur. Et ce changement se signalera, très certainement, par un changement correspondant dans la caractère-type des personnes qui y seront attirées — ou encore rebutées — par sa pratique.

— Une transformation intégrale de l’industrie, vers une nouvelle mission médicale    retour

      Dans tous ces faits, il s’en dégage le portrait d’une industrie médicale qui se réinvente, et qui se reconfigure intégralement.

     Visiblement, ces dispositions dépassent (et de beaucoup) les besoins d’un simple mécanisme pour permettre la réalisation des choix, personnels, d’une minorité suicidaire. Et pour être plus précis : ces ajustements fondamentaux dépassent toute logique de compromis, parmi des patients désireux de profiter d’un service ou d’un autre, ou parmi des médecins désireux de fournir ceux-ci. Car l’accommodement pragmatique de ces intérêts opposés ne pourra jamais donner naissance à un résultat qui penche aussi nettement d’un bord.

     Avec tout le respect et la délicatesse requis par un tel sujet, alors, il serait impossible d’en traiter loyalement sans considérer, aussi, les intérêts propres à l’État ; qui agit, à la fois, en fournisseur, et en comandataire (essentiellement monopoliste dans les deux cas), de tout service de soins-santé.

— Le côté sombre des intérêts financiers de l’État    retour

     Très évidemment, il en est de l’intérêt le plus fondamental de l’État (dans son rôle de commanditaire) de réduire aux maximum les couts des services achetés. Et puisque la plus grande partie des frais médicaux est le fait d’un petit nombre de personnes, d’abord, et (pour les autres) d’une courte fenêtre de temps en « fin de vie », la suppression de ces personnes — et de ces dernières années — résulterait dans des épargnes plus qu’appréciables. Ce sont, d’ailleurs, des faits indisputables (quoique l’étendue réelle sera longtemps le sujet d’arguments et de méthodologies divergents) ; et, nous en sommes, aussi, tous les bénéficiaires (comme contribuables).

     Il ne doit rien y avoir d’étrange, ou de choquant, alors, dans ce fait qu’il existe une vision médicale — ou plutôt, une vision de la santé publique – aussi influente que discrète : où les souffrants de maladies et de déficits fonctionnelles « graves et irrémédiables » seraient plus « rationnellement » dirigés vers la mort précoce, plutôt que vers l’entretien difficile et dispendieux.

      Or, s’il s’agissait de réparations d’automobiles, ou de l’entretien rentable de bétail productif (comme les chevaux de trait, où les vaches laitières), il serait évident que cette rationalité économique soit désirable.

     Et si nous pouvions, seulement, nous convaincre que notre hésitation instinctive de concevoir la vie humaine dans ces termes, ne relève, à la fin, que de préjugés et de superstitions préscientifiques : nous serions immédiatement capables de jouir, sans scrupule, des bénéfices de l’épargne escomptée.

— Une interprétation plus généreuse    retour

     Je ne veux pas, ici, faire le procès des intentions de nos intendants. (Et si j’aurais choqué vos sensibilités avec ce ton de lévité possiblement mal-à-propos, je m’en excuse sincèrement). Je désire simplement remarquer que les bénéfices potentiels d’une nouvelle « médecine de la mort » sont trop importants pour ignorer ; et que nous ne pouvions plus nous permettre, ainsi, d’esquiver ces questions avec des simples refus d’entendement, ou des plaisanteries de circonstances.

     Surtout, faudrait-il admettre que le « système » possède bel et bien ses intérêts propres ; et que la satisfaction de ces intérêts se poursuivra inlassablement, de manière automatique et largement inconsciente : quoiqu’on en dise, quoi qu’on en fasse. Et à la fin, le seul argument qui puisse conseiller aux partisans de ce modèle, de modérer leur enthousiasme, réside dans un respect de la volonté démocratique.

     Mais voilà, justement, que nous observions un appui, apparemment irrésistible, en faveur d’initiatives législatives de plus en plus permissives à l’égard du « droit de mourir » ; et de surcroit, que des personnes malades et handicapées se présentent, devant la cour, pour réclamer de haute voix la mort miséricordieuse !

     Comment condamner, alors, nos juristes, nos législateurs, et nos administrateurs, s’ils se prononcent avec une certaine confiance, précoce, en faveur d’une tendance qu’ils croient visiblement en croissance ? S’ils procèdent à certains ajustements institutionnels, de manière possiblement hâtive, en agissant selon le fameux dictum : « Construisez-le et ils viendront ! »

     Je ne condamne pas. Je conseille seulement une saine prudence, et un respect égal des choix divers. Car de la même manière que nous nous sommes montrés disposés à honorer les choix suicidaires, nous nous devons tout autant de supporter les survivants, leurs familles (et leurs médecins) : les uns dans leur désir de vivre ; les autres dans leur choix de soutenir ces désirs vitaux.

3) Le tort souffert par ceux qui désirent vivre retour

— Un besoin de spécialisation dans la livraison des soins

     Il existe une présomption étrange, à l’effet que la normalisation de la mort assistée ne change rien dans l’expérience des patients qui refusent cette option.

     Cependant, cela présuppose que les mêmes médecins, et les mêmes infirmières (faces aux patients dans des circonstances essentiellement identiques), peuvent croire, avec une ferveur égale : qu’il faudrait remuer terre et ciel pour prolonger la vie de l’un ; mais délibérément terminer la vie de l’autre. Or, comment serait-ce possible ?

      Intuitivement, je dirais sans hésitation : que la passivité dans l’opinion professionnelle ne pourrait jamais se pousser jusqu’à là ; qu’au premier coup d’œil différents professionnels soignants se feraient des idées très différentes de l’opportunité d’euthanasier tel ou tel patient. Et (détail très importante) ces différences seraient le reflet des expériences passées, et des partialités acquises par l’équipe en présence.

   Voilà, alors, clairement exposée, la tare principale dans notre système actuel : cette notion simpliste qu’il peut exister un seul médecin-type (ou un seul environnement-clinique-type) infiniment polyvalent et véritablement capable de se faire « tout à tous ». Car il existe, bel et bien, différentes sortes de clients (et différentes sortes de médecins).

     Rationnellement, le respect de ces choix opposés nous exige une stratégie de spécialisation dans la livraison des soins, qui répondrait à la force inhérente des marchés distincts dont ils sont l’expression : non seulement celui de la minorité (qui veut accéder à des services d’euthanasie) ; mais plus pertinemment, celui de la majorité qui n’en veuille pas.

     Comment imaginer, en fait, que les clients de l’un puissent se trouver agencés ensembles avec les clients de l’autre ? Entassés pêlemêles dans les mêmes institutions ? Dans les mêmes départements ? Dans les mêmes chambres ? Comment imaginer un patient aucunement suicidaire, et désireux de bien vivre ces derniers instants, obligé à écouter — enfin incapable de ne pas entendre — la famille de son voisin de chambre (ou même sa propre famille), en discussion au sujet des avantages, de la rectitude — de la nature préférable — d’une mort précoce ? Et ça, en tête à tête avec les mêmes infirmières, et avec les mêmes médecins, dans lesquels il doit, lui, reposer sa confiance ultime ? Sur lesquels il doit dépendre, en dernier lieu, pour sa propre survie ?

     Permettez-moi de suggérer respectueusement, que cela ne se peut pas ; que le seul gage de sécurité, pour le patient non-suicidaire, residérait dans les soins de professionnels dont les convictions personnelles excluraient tout recours à la mortalité accélérée.

— Répondre rationnellement à la demande réelle : un regard quantitatif retour

     Manifestement, le tort principal de notre modèle actuel (en devenir), demeure dans ce fait : que les divers choix, exprimés par divers patients, ne sont reçus, ni avec un respect, ni avec un effet, qui soient comparables. Car les nouveaux principes organisationnels répondent parfaitement aux désirs de celui qui veut mourir ; mais ils ne répondent, que très imparfaitement, aux besoins de ceux qui s’obstinent à vivre. Il serait à souhaiter, alors que nos politiques futures soient conçues dans un souci de corriger ce déséquilibre.

     Aussi, tout en acceptant ce cadre d’équité fondamental, faudrait-il tenir compte des proportions relatives dans les choix exprimés. Car seulement, de cette façon, pouvons-nous effectuer un partage rationnel des ressources disponibles, et fournir à chacun les soins appropriés.

     Or, le nombre de patients qui désir vivre est incomparablement plus grand que le nombre qui désir mourir ; et ce, non seulement dans l’ensemble, mais aussi, dans chaque sous-catégorie sans exception.

     Par exemple, il se voit périodiquement réapparaitre une mode, littéraire et cinématographique, voulant que les blessés médullaires soient naturellement portés vers le fait suicidaire (Voire : « Whose Life Is It Anyway », John Badham, Richard Dreyfus, MGM, 1981). Pourtant, le nombre réel, de paraplégiques et de quadraplégiques, qui se suicident (par-dessus le nombre normalement attendu parmi la population générale) s’élève à un pourcent, seulement.

     C’est à dire qu’au contraire de tous les récits dramatiques, de pathos de de larmes : parmi cent personnes blessées à la manière de vous et moi – y incluant aussi celles ayant perdu la fonctionnalité des bras – seulement une personne supplémentaire prendra véritablement sa vie ; tandis que quatre-vingt-dix-neuf ne se montreront aucunement plus disposées à mourir, que ne le serait aucune autre personne.

     Le même phénomène s’est illustré, d’ailleurs, parmi les souffrants du Sida aux pires années de l’épidémie récente. Pour remémorer ces faits : devant les ravages produits par cette maladie atroce, une mode de mort volontaire, transformée en véritable célébration communautaire, gagna (au début des années quatre-vingt-dix) une sympathie et une validation presqu’universelle à l’endroit de sa prémisse essentielle : que mieux valait mourir, d’une mort volontaire précoce, que de souffrir la dégénérescence inévitable. (Voire : « It’s My Party » Eric Roberts, Randal Kleiser, United Artists, 1996)

     Or, en chiffres crus (et exactement à l’image des grands blessés) : pendant toute cette période jusqu’à l’arrivée des thérapies antirétrovirales efficaces, circa 1996 (non pas, alors, dans une seule année, mais pendant toute l’épidémie) : pas plus de deux pourcents des personnes ainsi affligées se sont véritablement suicidées (en sus de la norme). 

    Similairement, aujourd’hui, même dans la catégorie des patients qui sont les plus portés vers un recours à l’euthanasie, c’est à dire, parmi ceux qui se trouvent devant un diagnostic proprement terrifiant de cancer terminal : pas moins de quatre-vingt-dix pourcents des patients refusent cette option ; et cela, au Pays Bas et en Belgique — là où l’euthanasie volontaire se pratique couramment depuis presque vingt ans.

     Visiblement, il en ressorte de ces faits (je dois remarquer avec respect) : que la priorisation de la pratique de l’euthanasie, (et donc de la structuration de l’environnement clinique pour prioritiser les besoins de cette minorité de patients atypiques), fait fie, à la fois : de l’équité dans la distribution des ressources publiques ; et de la toute première règle économique — d’une offre de services qui soit proportionnelle à la demande.

— Un regard nostalgique vers le passé retour

     Au moment de ma guérison et réadaptation personnelles, il y a quarante ans, j’étais conscient que certains membres de l’équipe soignante considéraient mon cas comme perdu, et plus encore, comme indésirable en soi. Mais ce fut, heureusement, des voix isolées, contredites et réprimées par la majorité. Et quoique certains me disaient qu’ils préféreraient mourir à ma place, aucun n’eut conseillé un tel aboutissement.

     (Il apparait, aussi, un constat très significatif dans ces faits : que les professionnels, munis comme ils le sont, d’une plus grande expérience des aboutissements, soient moins facilement déboussolés devant les crises ponctuelles. Et tandis que les amis et les familles auront souvent besoin de preuves, de volonté positive de la part du blessé lui-même (pour croire aux possibilités futures), les professionnels, eux, partent avec une présomption assurée (ou au moins l’apparence d’une telle assurance) : que le patient réussira ultimement une adaptation heureuse. Surtout, ces professionnels parviennent souvent à communiquer cette attitude, de manière très influente, auprès du patient. Or, comme nous l’avions constaté plus haut : non seulement cette stratégie place toutes les chances du côté d’une réussite dans chaque cas particulier, elle concorde, également, avec les faits statistiquement observés.)

     Je profitais, donc, d’une ambiance fortement positive au sein de laquelle j’ai pu guérir. Et je peux affirmer, avec gratitude, que les médecins, et les infirmières, que j’ai eu le privilège de rencontrer (avec quelques exceptions inévitables), faisait tout pour entretenir cette ambiance. Et non ces professionnels seulement, mais tous, jusqu’aux travailleur (es) de cuisine, et d’entretien ménager.

–Une prédisposition positive qui allait, jadis, de soi retour

     Telle était, en fait, l’attente présomptive, même dans les scenarios littéraires du « droit de mourir » : que les équipes médicales fictives — en fidèles réflexions du réel — se montrent prêt à tout faire pour encourager l’instinct vital chez le patient suicidaire ; que le héros soit obligé, pour atteindre son but mortel, à braver cette assistance, inopportune et maladroite, offerte, avec tant d’insistance et de sincérité, quand-même, par tout le monde autour. Un peu à la manière, je dirais, d’un enfant qui se risque impétueusement aux dangers de la vie, et qui outre-passe avec violence les protections proposées, mais pour lequel, néanmoins, nous tiendrions toujours une porte ouverte.  

   Et telle est, je soumets, la seule dynamique qui soit professionnellement acceptable dans tel cas : que l’entourage résiste à cette perte atypique (qui ne se veut inévitable que dans un ou deux pourcents des cas) ; que les soignants n’abandonnent jamais, ni la foi, ni l’espoir ; et que si suicide il doit y avoir malgré tout : que ce soit le suicide lui-même qui ait déterminé la séparation… au regret de tous.

     Tels étaient, pour rappeler encore ces faits, les soins que j’ai moi-même reçu aux premières années de ma blessure, où planait toujours l’influence géant de Terry Fox (1958 – 1981) ; ce symbole tant extraordinaire de persévérance inconditionnelle.  Et tels sont les soins que je souhaiterais prodiguer aux générations futures.

— Aux dépens des intérêts actuels du patient-type : l’ambivalence, l’ambiguïté, et le doute retour

     Pourtant, nous constatons actuellement la normalisation d’un mode contraire : où nous attendons du soignant qu’il maintienne une mine ambivalente face aux désirs vitaux de son patient ; qu’il se retient de lui « faire la morale », de lui exhorter à la lutte (et à défaut de pouvoir instiller une foi dans l’avenir, d’appeler, au moins, à la persévérance, ici présente) ; où, au contraire, la sympathie méritoire consisterait à assurer l’être meurtri que nous le « comprenons » dans son désespoir, et même de signaler proactivement notre disposition, favorable, pour lui soutenir dans toute démarche éventuelle de mort volontaire

     Mais pourquoi ça ? Est-ce pour valider le choix d’un pourcent des grands blessés (ou dix pourcents des cancéreux) ? Il me semble que ce soit une très maigre justification pour manquer à ce point dans notre devoir auprès des quatre-vingt-dix pourcents restants.

      Est-ce l’effet sournois du poids, moralement aveugle, de l’intérêt budgétaire ? Je pense sincèrement, au contraire, que l’intérêt bien considéré du patient/contribuable réside plutôt dans la qualité des soins qu’il recevra, personnellement, dans ses heures de besoin spécifique, lui et sa famille.

     Et pour cette raison : dans la simple défense de nos intérêts à tous — et tout en permettant l’accomplissement légal des désirs contraires d’une minorité autre — je souhaiterais ardemment arrêter ce progrès, si bien engagé, vers la normalisation du recours maximal à l’euthanasie.

Ce que nous pouvions faire pour améliorer ces faits    retour

— La profondeur de la crise ainsi engendrée, et les possibilités de redressement     

     Au début de cette missive, je décrivais une demande d’accès au suicide assisté, appuyée par des regroupements importants de personnes handicapées, qui ait été fondée sur un principe d’égalité simple : où la personne handicapée pouvait choisir de solliciter de  l’aide pour accomplir les gestes suicidaires qu’elle ne pourrait accomplir seule ; où un médecin (où un autre) pouvaient choisir à leur tour, de fournir cette aide ; où les perceptions négatives à l’égard de l’état handicapé ne seraient pas exacerbées par une présomption de raisons médicales pour les souhaits suicidaires ; Où l’évidence fut admise, au contraire, que la personne handicapée puisse vouloir se suicider pour une multitude de raisons, toute comme n’importe quelle autre personne ; où la fragilité de la personne dépendante (et surtout de la personne dépendante « incapable ») serait scrupuleusement protégée par la stipulation que seules seraient permis, les suicides clairement volontaires, scellés à la fin par une geste souverain et autonome ; et dans aucun cas, ne serait permise la mise à mort passive — c’est à dire : l’euthanasie.

      Et pourtant : ce que nous aurions fourni en réponse, trente ans plus tard (en admettant le passage du projet de loi C-7), c’est un cadre légal où la mort assistée est devenue non seulement l’affaire des médecins, (grâce aux connexions contextuelles de l’histoire), mais de la médecine également (grâce à la définition de « l’aide médicale à mourir » en soin universellement disponible, garanti par l’État).

     Devant l’ampleur de cette dérivation, il pourrait sembler difficile, même, d’ébaucher des remèdes.

     Surtout que le constat des difficultés ainsi crées commence à peine à poindre dans la conscience collective.  Mais au contraire : il subsiste une forte satisfaction dans les premières victoires du droit de mourir, et un appétit commensurable pour en élargir la portée.

     Or, cela étant dit : l’essentiel, d’après l’analyse présente, se situe dans une distinction nette, entre le droit de mourir comme tel (appuyé apparemment par un « consensus » inébranlable), et la médicalisation de ce droit, qui se révèle la source de tant d’inconvénients.

     Et quoique nous sommes, actuellement, obligés d’agir sous l’emprise de contraintes importantes, il y aurait toujours possibilité de restreindre l’influence institutionnelle de l’euthanasie, en autant que nous sachions clairement ce que nous désirions accomplir ; et aussi, quoique nous ne sommes pas capables, collectivement, de nous entendre sur l’opportunité de permettre l’euthanasie (de manière absolue), il me semble qu’une majorité pragmatique peut toujours se dégager pour condamner, sans équivoque, toute tendance vers la récupération de la question « euthanasie » pour instaurer une nouvelle vision « utile » de la médecine.

     Très heureusement, enfin, il existe, même, des initiatives pratiques (et de portée très importante) que nous puissions mettre en œuvre, immédiatement, pour nous en assurer de ce résultat.

— 1) Le plus important : Un retour aux premiers principes, enchâssé dans la loi existante    retour

     La première initiative (et la plus simple) que l’autorité législative puisse entreprendre dans ce but, résiderait dans une nouvelle déclaration d’intention : qui évoquerait la distinction exposée ci-haut ; qui réaffirmerait l’intention de valider les choix personnels ; et qui répudierait d’autant, les prétendues justifications « objectives » de dérivation médicale.

    Or, sans abandonner le cadre légal existant (ce qui serait une impossibilité pratique dans l’immédiat) il serait toujours possible, et souhaitable je soumets, en utilisant cette opportunité présentée par l’étude du projet de loi C-7, d’ajouter quelques textes semblables aux suivants :

Que la décriminalisation de la mort assistée vise, en premier lieu, une validation de l’autonomie personnelle

Que nonobstant l’octroi exclusif de ce privilège aux seules professions médicales ; et nonobstant l’emploi de critères médicaux pour en restreindre l’utilisation : le privilège accordé ne concerne qu’une permission d’agir, et non une approbation officielle du geste ;

Et pour plus de certitude :

Qu’aucune inférence ne doit être tirée, concernant l’opportunité (voire : l’éthique) médicale, ni de la mort assistée en général, ni de son utilisation dans tel ou tel cas particulier ; et,

Que la satisfaction des critères d’admissibilité (de dérivation juridico-législative) ne signifie, aucunement, que l’euthanasie (légalement accomplie) soit objectivement indiquée, que ce soit de manière médicale, ou autre.

— 2) Fermer définitivement la voie vers l’euthanasie des incapables    retour

     Ensuite, il serait malheureusement devenu nécessaire de renforcir explicitement le critère de « capacité », en utilisant la clause « nonobstant » (article 32 de la Charte canadienne des droits et libertés), car autrement, la sécurité des personnes « incapables » se trouvera très certainement menacée, par voie d’appels juridiques au principe de « l’équité » dans l’octroi d’un soin médical (bienfait), accessible aux autres.

— 3) Quelques recommandations diverses    retour

     Ce serait l’opinion présente que ces deux initiatives, seulement (d’exprimer une intention de permission, mais non de cautionnement, et d’établir une barrière infranchissable devant l’euthanasie des incapables) nous épargnerait, déjà, beaucoup de douleur sociale à venir. Il y a, cependant, plusieurs des propositions d’amendement actuelles que j’appuie, et en particulier :

    — 3-a) Interdiction de proposer l’euthanasie    retour

    Qu’il soit interdit aux médecins (et à tout autre intervenant, professionnel ou bénévole) de proposer l’euthanasie aux patients : car la demande d’euthanasie doit toujours provenir du patient ; tandis que la suggestion suicidaire non-sollicitée demeure un méfait éthique (et criminel) des plus graves (que ce soit avancée directement, ou sous la couverte d’un quelconque « devoir professionnel d’informer »).

     — 3-b) Une certification volontaire, et individuelle, des praticiens de l’euthanasie    retour

     La prudence nous exigerait de contrôler le cadre de personnes autorisées à pratiquer l’euthanasie.

     Logiquement ce contrôle comprendrait : l’exigence d’une demande de certification volontaire ; une sélection psychologique ; une formation compréhensive ; une suivie active ; et des ressources de support au besoin.

     L’exigence d’une certification volontaire servirait de protection, à la fois : pour les patients désireux de connaitre les orientations philosophiques de leurs médecins ; et pour épargner les médecins non-participants des crises de conscience accidentellement infligées par l’opération involontaire du mandat universel.

     L’expectation d’une telle distinction favoriserait le recrutement d’une relève professionnelle des plus inclusives.

     — 3-c) Une note personnelle relative aux délais de réflexion     retour

     Je subissais, personnellement, une sérieuse dépression trois ans après mon accident, qui combina, dans ses causes : et des frustrations persistantes au sujet de mes déficiences, et un échec important en affaires.

     Sans doute, j’aurais été autorisé à mourir à ce moment-là (selon les nouvelles formalités proposées) ; et ce, très possiblement : pour me soulager d’une perte financière.

     Et voilà un exemple certain, de la nature discriminatoire du retrait de la protection, promise, auprès des personnes qui ne se trouvent pas en « fin de vie » !

     Aussi, en ce qui concerne les périodes de réflexion plus spécifiquement :

    La littérature au sujet des blessures catastrophiques, indique un taux de suicide extrêmement élevé dans la première année suivant la blessure, modérément élevé par la suite, et essentiellement normal après cinq ans. Une lecture stricte de ces données, alors, n’indiquerait aucune raison pour accorder (imposer) un privilège spécifique d’euthanasie pour ces personnes, parce que : il serait irresponsable de faciliter le suicide au cours des cinq premières années ; et statistiquement injustifiable par la suite.

     Mais encore, j’hésite à réouvrir cette question de base, concernant le droit même de recourir à la mort assistée. Je signale seulement que l’octroi de ce droit, artificiellement normalisé en soin médical, s’opère de manière discriminatoire ; et aussi, que l’octroi non-discriminatoire d’un tel droit, contiendrait, en toute logique, une exclusion exceptionnelle pour protéger les grands blessés pendant (au moins) les premiers cinq ans post-trauma.

     Car décidemment, mandater une période de réflexion de 90 jours, seulement, relève de la plaisanterie proprement malicieuse.

— Un regard souple vers l’interprétation future des diverses lois et normes professionnelles qui existent en ce moment    retour

     L’accommodation de l’euthanasie impliquera inévitablement des changements majeurs dans l’industrie médicale et dans toute la société.  Il serait franchement impossible de prévoir l’évolution prochaine de cette accommodation, tout comme notre situation actuelle resta opaque, au moment de la légalisation, il y maintenant cinq ans. Et pour cette raison, il serait improductif, à mon avis, de tenter de planifier en trop de détail. Mieux vaut favoriser, je crois, un environnement d’évolution dynamique sous la guidance de principes directeurs.

     Or, notre system fédéral nous fournit un cadre parfait pour l’opération d’une telle dynamique, car la Santé demeure une compétence provinciale, et nous aurons, alors, autant de laboratoires indépendants, de développement, que nous en ayons de provinces.

     Pour l’instant, l’hyper-médicalisation du droit de mourir, n’est pas franchement établie dans la loi fédérale, car il ne s’agit que d’une décriminalisation, et non d’une déclaration positive de l’euthanasie en soin bénin médical. En conséquence, les provinces possèdent, pour la plupart, beaucoup de latitude dans leur interprétation de l’intention fédérale. Il serait, donc, à chacune de tenter de son mieux à trouver une formule pour accommoder la minorité suicidaire, tout en assurant, pour la majorité, un environnement clinique respectueux de leurs besoins.

      Il serait, à cette enseigne, bénéfique de voir (et le plus vite possible), les provinces légiférer indépendamment sur des enjeux centraux comme le droit de conscience des professionnels (à l’image des engagements déjà pris par la province du Manitoba), et le droit des patients-type d’avoir accès, en premier lieu, à des établissements (et à des professionnels), qui seront libre de toute influence institutionnelle de l’euthanasie.

     Avec le temps, un partage naturel des expériences, et des meilleures pratiques, produira des avantages pour tous.

     Finalement, le Québec, seul à date parmi les provinces (et même parmi tous les États du monde) s’est aventuré jusqu’à fournir une définition politique de l’euthanasie en soin médical universellement garanti. Cependant, même cette définition ne se réfère que (spécifiquement) aux « soins de fin de vie ».

     Or, en toute logique, cette définition devient inopérante (ou au moins sujet à la révision en profondeur) avec l’élargissement de l’admissibilité aux personnes qui ne se trouve pas « en fin de vie » (grâce aux dispositions actuelles du projet de loi C-7).

     Et l’opportunité existe, dans ces conditions, pour reclassifier l’euthanasie, non en soin essentiel, mais en simple service sous supervision médicale.

Conclusion    retour

     En terminant, chère Madame, je tiens encore à vous remercier pour l’apport personnel et influent dont vous avez embelli et approfondi ce débat.

     En particulier, vous en étiez de ceux, des l’adoption de la présente loi C-14, qui nous aient averti du fait que l’appétit populaire, pour affirmer une véritable autonomie personnelle devant la mort, ne pouvait être satisfait avec un quelconque régime de « soins de fin de vie ». Il est plus que possible, d’ailleurs, qu’une meilleure écoute de vos paroles — qu’un constat plus lucide, au départ, de la liberté vraiment demandée — aurait pu nous épargner les inconvénients dont nous nous sommes inutilement chargés, en cause de la stratégie (supposément) limitative de médicalisation.

     Car, à la fin, aucune des définitions (sauvegardes) médicales n’a su résister à l’examen : la « souffrance » porte la signification qui lui soit accordé par le souffrant ; la condition « grave et irrémédiable » toute autant. Très certainement, il ne s’agit (dans les faits) que d’un droit simple, dont l’exercice ne dépendrait que du concours d’un médecin compatissant.

         De plus, grâce aux « indices » ostensiblement objectifs de la science médicale : même la barrière (présumément infranchissable) de la capacité volontaire ne saurait logiquement freiner l’expansion de l’euthanasie en « bienfait » clinique.

     Visiblement, alors, nous n’avons aucunement limité l’accès à la mort volontaire, mais nous nous sommes pourtant accablés, en revanche, avec toute une panoplie de torts accessoires.

    Aussi, sommes-nous loin, ici, des seules descriptions d’usage, concernant la protection des « vulnérables » ou la « conscience » des professionnels. Car il s’agirait, en fait, de l’intégrité de notre système de soins-santé au grand complet. Il s’agirait, manifestement, d’une perception d’insécurité chez le patient/contribuable/type ; il s’agirait d’un doute potentiellement catastrophique : que ce système puisse prioritiser les intérêts utilitaires de l’État, aux dépens des intérêts particuliers des patients/citoyens/contribuables.

— Un souhait final    retour

     Toujours est-il, que la solution à ces problèmes (en autant que solution il peut y en avoir) se trouverait dans une distinction, nette, entre le droit de mourir, et la feuille de vigne médicale avec laquelle nous aurions tenté d’en dissimuler l’octroi.

      Je ne crois pas être, ainsi, en droit de condamner les gestes suicidaires d’aucun de mes semblables (quoique je me réserve, toujours, le privilège de les regretter). Je ne fais que déplorer la présomption nouvelle que la mort soit une solution médicalement indiquée pour alléger la souffrance.

     Or, ce que je recommande, à la fin, c’est simplement de minimiser ce lien, fortuit et contextuel, qui lie actuellement le droit de mourir à la pratique médicale : non radicalement, d’abord, mais dans l’intention ; non catégoriquement, bien sûr, mais dans la mesure du possible pragmatique ; non passivement, surtout, mais avec décision, et avec énergie conséquente. Car seulement de cette manière, je crois, pourrions-nous nous libérer, ensemble, des carcans des litiges passées.

    Avant tout, ce serait mon espoir, ardent, de vous voir (avec d’autres personnes handicapées qui partagent vos convictions de départ) engagée dans cette tâche avec tous les pouvoirs qui vous soient propres : d’individu personnellement interpellée et intimement renseignée ; de personnalité publique, objet d’une grande affection populaire ; et de Sénatrice, non plus néophyte, mais aujourd’hui d’influence considérable.

     Et c’est ainsi que je consigne cette lettre à vos attentions distinguées,

Gordon Friesen

Montréal, 1 février, 2021