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février 2020 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Prohibition IV : La perception populaire des évènements, et le nouveau paradigme de permissivité sociale

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Prohibition IV : La perception populaire des évènements, et le nouveau paradigme de permissivité sociale)

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« Que le meilleur homme gagne » : le jugement par combat.

Ici, une illustration tirée d’un manuscrit de référence des formes légales du Saint-Empire romain germanique : « Le Miroir Saxon » (Sachsenspiegel) ca 1300. Il s’y trouve précisé que dans un combat juste, les combattants doivent « partager le soleil ».

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— Où la force ne fait plus loi : une répudiation tacite du principe répressif

     Répétons ce constat essentiel pour en favoriser la clarté : la victoire des antiprohibitionnistes, en 1933, ne signifia pas qu’ils eussent eu raison sur le plan moral (ni face aux bienfaits projetés dans la théorie sociale), car la Prohibition avait amené des bénéfices substantiels qui continua, longtemps après sa défaite. De plus, elle ne s’est pas gagnée en fonction de l’importance des forces en présence. Car la puissance répressive de l’état aurait suffi amplement pour continuer cette politique indéfiniment.

     Par contre, sont arrivés : la Grande Guerre, les Années Folles, et la Grande Dépression ; une série d’évènements extraordinaires où des individus tout à fait normaux furent fortement ébranlés dans leurs certitudes ; et se sont révoltés, même, devant le devoir.

     Dans tout autre siècle, cette crise aurait abouti dans une défense inconditionnelle du noyau social survivant, d’une férocité sans limites autre que la nécessité. Mais alors, chose inusitée (et de la plus grande importance) : pour la première fois, l’industrie humaine, secondée par les nouvelles technologies et par les nouveaux savoirs, offrait la possibilité — au moins en Amérique du Nord — pour pallier aux désastres doubles de l’économie, et de la nature.

     Pour une fois, les gens possédaient un choix. Et, dans ces circonstances, l’arrivée de la crise économique, en ’29, produisit une impression inconfortable que l’attaque sur la boisson fut devenue, dans les faits, une attaque sur la misère.

     À la fin, alors, la Prohibition fut battue par les mêmes sentiments, de compassion envers l’être démuni, qui l’eurent fait naitre dans la première instance. Et dans ces circonstances particulières — à contrecœur et dégoûté — il manquait à cette grande coalition progressiste, et la confiance intime et l’appétit vertueux, pour poursuivre une telle orgie de purification.  Alors, elle retenait sa main, et en se retenant, elle abandonna, tout simplement.

— Une perception populaire très différente : de bataille, il en avait manifestement eu ; et un parti vainqueur, également

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La célébration de la ratification du XXIème amendement à la constitution des États Unis d’Amérique (amendement qui abrogea la Prohibition), le 5 décembre, 1933

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     D’une certaine manière, alors, la société n’eut pas été battue par la supériorité de son adversaire, mais par la profondeur, seulement, de son vice : à la fois formidable et pathétique.

     Pourtant, la perception aussi serait importante. Et dans maintes circonstances, la perception serait encore plus importante que la réalité ! Car de la même façon que nous créditons, intuitivement, la réalité d’un bien objectif, il existe depuis toujours une prédisposition dans l’esprit humain, à confondre le « droit » avec la force simple. Et en admettant un ordre moral dans l’univers, comment pourrait-il se présenter autrement aux témoins — le pouvoir victorieux — sinon en bien manifeste ?

     Ainsi, dans leurs origines, les termes utilisés pour décrire les disputes judiciaires, tels, « lutte », « conteste », ou « bataille », doivent être compris dans leur sens exact : que les causes furent épousées par des champions individuels ou par des nations entières, la vérité et la justice furent établies, de part et d’autre, selon la décision des armes — sujet seulement à la volonté divine.

     La meilleure opinion, dans ce monde simple, fut celle du « meilleur homme ». Et si le souhait cérémonial fut fidèlement exaucé — « que le meilleur homme gagne » — la cause juste eut été présumée gagnante, également.

     Dans un deuxième temps, bien-sûr, le tranchant des épées fut remplacé par celui des arguments muris dans les esprits subtils des avocats ; la force de l’intelligence remplaça (au moins en partie) la force des bras. Mais quelles que soient les armes employées — ne nous y trompons guère — le processus politique et judicaire demeure une épreuve de force.

     Or, le propre aux batailles, et surtout à la sorte de bagarre décrite ici, serait de couronner les vainqueurs et de censurer les vaincus. Qu’importe si les positions morales épousées n’admettent pas d’une arbitration rigoureuse ! Qu’importe, si le fond de l’histoire ne devient, à la fin, que l’objet d’un calcul politique, formellement neutre à l’égard des sentiments débattus : la perception publique demanderait qu’il y ait, bel et bien, un gagnant proclamé ; que le bien et le mal se soient départagés ; qu’il y ait des bons et des méchants.

     Évidemment, ce gagnant serait — presque invariablement — celui qui se trouve du côté du jugement politique rendu ; et la perception restante, du bien et du mal, serait tout aussi naturellement associée avec l’opinion exprimée par le parti victorieux. Et c’est ainsi qu’après les treize années abortives de la Prohibition (c’est-à-dire, après treize rondes de combat féroces entre deux pugilistes brutaux et coriaces) : l’un d’eux (la société dans son consensus moral et politique) fut visiblement couché à terre ; tandis que l’autre (ne comprenant que ces fameux dix pourcents irréductiblement délinquants) se tenait encore debout !

     Et par conséquent, non seulement les personnalités dominantes de cette époque, mais aussi les idées, furent réduites au silence ; et cela au prix d’une offuscation générale des réalités évidentes.

— La répudiation des principes se traduit par la répudiation de leurs auteurs : la déconfiture du « Moraliste »

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Les dames progressistes du Minnesota au tournant du siècle : chrétiennes ; prohibitionnistes ; suffragettes

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     Toujours est-il, ainsi couronnés en vainqueurs, les vilipendés, les répudiés, — les pourchassés du vice volontaire — pouvait désormais avancer triomphalement leur vision sociale, alternative, aux dépens de la version majoritaire et officielle. Car les « bons vivants », eux aussi, possèdent une liste d’avantages qu’ils associent à leur style de vie ; et le mépris témoigné par le puritain à l’égard du libertin, ne dépasse en rien l’émotion invétérée ressentie par ce dernier à l’égard du premier.

     Déjà, avec la durée prolongée de ce conflit épique, et avec la montée inexorable, des pertes de vie qui en résultèrent — des initiatives répressives de l’état et des violences intestines des syndicats distributeurs — la colère du public s’est quelque peu estompée à l’égard des ivrognes et des putains caricaturés plus haut, pour céder la place à un mépris, tout aussi profond, à l’égard d’une nouvelle classe de personnes — détestées et vilipendées à leur tour ; une classe qui incluait éventuellement toutes les forces derrière la Prohibition : les Forces de l’Ordre ; les Féministes ; le Klan ; les Croisé(e)s de l’Évangile ; les Syndicalistes Progressistes ; bref, les « Moralistes » de toute souche et de toute persuasion.

     Et de la même manière que soient produits les stéréotypes du vice, il s’est dessiné aussi une image générique pour représenter le « Moraliste » : une image de dérision qui servait, d’abord, de point focal pour véhiculer la haine des « vicieux » à l’égard de leurs tourmenteurs ; et qui fut devenue, par la suite, une image par laquelle ils se seraient éventuellement parvenus à transmettre leur dédaigne à la masse de leurs concitoyens.

     Tout d’un coup, le moraliste d’antan, universellement admiré – projecteur prophétique et courageux du destin humain  —  (tel le Quaker anti-esclavagiste John Woolman, 1720 – 1772, ou encore le transcendentaliste et abolitioniste Ralph Waldo Emerson, 1803 – 1882) serait devenu un petit être minable et malhonnête : celui qui prêche ; celui qui juge ; celui qui s’immisce dans les affaires d’autrui ; celui qui se pense plus fin et plus intelligent ; celui qui s’approprie le droit d’imposer ses ambitions morales sur ses voisins ; celui enfin, qui ne connait pas les joies de la vie ; celui dont la fausse prospérité, materielle, résulterait non d’une attention sincère aux devoirs intergénérationnels, mais d’un manque d’imagination, d’un manque de noblesse, d’un manque de générosité d’esprit — d’un piètre obsession avec l’argent.

     Car, d’après la propagande du libertin incorrigible — aussi improbable que cela puisse nous paraitre — le véritable méchant ne serait pas celui ou celle qui échangerait la nourriture de sa famille contre quelques moments de musique, de danse, de transport psycho-chimique ou de sensualité passagère ; non, le véritable vilain serait celui (ou celle) qui rêverait d’un monde meilleur — où l’ivresse, la violence, l’inceste, et la faim, pouvaient être diminués de façon significative, ou même abolis tout à fait.

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Un bordel à la Nouvelle-Orléans, 1936

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Prohibition IV : La perception populaire des évènements, et le nouveau paradigme de permissivité sociale — La proposition gagnante : « Il n’y a rien de mal … »)

Chapitre : Les racines de l’euthanasie dans les idéologies du dix-neuvième siècle

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Les racines de l’euthanasie dans les idéologies du dix-neuvième siècle)

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La Chanson des Nibelungens (Nibelungenlied) est le mythe-épopée national du peuple Allemand. Réintroduite (et universellement popularisée) au dix-neuvième siècle, il s’agit d’un mélange de Sagas Nordiques, et d’évènements semi-historiques (mais souvent fantastiques), de la Période des Migrations et de la Dynastie Merovingienne (du quatrième au huitième siècle). Elle existe en forme écrite depuis environ 1200 A.D. Sa rediffusion consacra le mouvement post-napoléonien pour affirmer l’allemand en langue littéraire. Présentée ici : Une illustration anonyme du manuscrit « Hundeshagen » (circa 1480), bibliothèque d’état, Berlin.

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— La défaite de Napoléon et la fin de la dominance latine (1815) ; le Réveil National de l’Allemagne ; le Romantisme Néo-primitif

     L’histoire de l’Occident moderne se distingue par un déplacement progressif, du centre de gravité culturel et politique, à partir de l’Italie (qui fut le cœur de l’ancien Empire Romain) vers les provinces plus éloignées : la France, l’Espagne, l’Autriche, et éventuellement, jusqu’aux zones limitrophes, ou le pouvoir Romain ne s’est jamais tout à fait installé, c’est-à-dire vers le nord de l’Europe, les îles Britanniques, et enfin, l’Allemagne. Dans un mot, le pouvoir économique et culturel s’est déplacé de la zone Latine et Catholique du sud, vers la zone Protestante et Teuton/Anglo-saxonne du nord, ; un fait échelonné sur plus d’un millénaire et accompli définitivement, seulement à la fin des Guerres Napoléoniennes (1815).

     Pourtant, la compréhension savante de cette histoire passait encore, universellement à l’époque, par une narration latine de la Civilisation : la Rome envahie et détruite par les Barbares ; un Age Sombre de la Période des Migrations jusqu’au Moyen Âge Tardif, dont L’Europe s’en serait péniblement sortie grâce à la redécouverte des traces tièdes de la civilisation Gréco-Romaine, à la fin du 15ieme siècle (la Renaissance).

     Implicite dans ce portrait méditerranéen, ou même franco-centrique de l’histoire, se trouvait l’espoir implicite que « maintenant » (c’est à dire, avec le Siècle des Lumières 1715 – 1789), et après un détour lamentable de quinze siècles, le train de l’histoire serait, finalement, réinstallé sur les rails du destin. Telle était, d’ailleurs, la signification de toute cette symbologie de la République Romaine qui fut mise en évidence à travers les formes de la Révolution Française (et aussi dans sa transformation Bonapartiste vers le Premier Empire).

     Cependant, avec la défaite de l’impérialisme français, les héritiers pratiques de toute cette évolution historique, n’étaient pas eux-mêmes les descendants des Romains tant adulés — ni mêmes les occupants latinisés du bloc Romain d’antan — mes plutôt, les descendants encore relativement rustres des infâmes Barbares Teutons. Car ce seraient eux, qui géraient maintenant la politique et l’économie mondiale, à partir de leurs territoires d’origine (Londres, Hambourg, Amsterdam, Munich, et Berlin).

     Il ne devrait pas nous surprendre, donc, que ces Allemands du dix-neuvième, tout juste sortis de l’humiliation d’une dominance culturelle millénaire — Italienne, Austro-Espagnol et Française – aient pu vouloir raviser, quelque peu, la perception des faits.  Et c’est ainsi, qu’avec leurs cousins Anglo-Saxons, Outre-manche (et même leur diaspora Américaine, Outre-Mer), ils commencèrent à donner voix à leur nouvelle fierté de suffisance dominante ; à regarder et à représenter l’histoire autrement ; en s’accordant eux-mêmes le beau rôle. C’est-à-dire : en véhiculant une mythologie alternative peuplée d’héros Teutons, naturels, francs, directs, toujours libres, et jamais contraints par le pouvoir cruel du Sud.

     Bref, la consécration de cette dominance, matérielle et militaire, dans le Nord de l’Europe, s’est accompagnée par la montée d’un nouveau mythe identitaire parmi ces peuples, par lequel ils s’efforceraient de s’expliquer à eux-mêmes ; non plus à travers une compréhension servile de récits anciens et étrangers ; mais bien d’après leur propre perspective, et dans leur propre langue ; de s’affranchir, enfin, après vingt siècles pénibles, de la colonisation intellectuelle du Sud.

— Les nouveaux mythes néo-primitifs des origines du Teuton moderne ; la révision historique ; les ambitions futures

     L’essentiel de ce mouvement culturel et politique résidait dans une valorisation des qualités positives — réelles ou imaginaires — des guerriers Teutons de la préhistoire : la liberté, la franchise, la joie immédiate dans la force naturelle de la jeunesse, et surtout le courage : ce courage qui prédisposerait tout homme (digne de ce nom) à courtiser une mort glorieuse dans la force de l’âge ; et à mépriser, d’autant, la mort hanteuse des lâches, marquée par la vieillesse et l’infirmité.

     Bref, au lieu de fuir les charges de barbarie, ils épousaient délibérément les traits : d’une humanité plus jeune, plus naturelle, moins sophistiquée, moins fourbe, et moins soumise. Ils en faisaient une fierté plutôt qu’une honte.

     Pour eux, le Sud ne serait plus un endroit merveilleux ; ni encore peuplé d’êtres supérieurs, tels qu’ils furent décrits dans les éloges des « touristes » intellectuels et artistiques qui parcouraient l’Italie depuis déjà quelques siècles ; qui s’abreuvaient à la fonte romaine ; et qui se flattaient de la sophistication d’écrire leurs impressions en latin, ou en français.

     Peu importe les ironies de passage : qui nous enseignent, par exemple, que le premier parmi les nouveaux disciples de la nature, Jean-Jacques Rousseau, fut en fait un français, déjà mort en 1778 ; ou encore, que celui qui ait le plus contribué à la nouvelle stature littéraire de l’allemand, Johanne Goethe, aurait lui-même fait le « tour » de l’Italie, et se soit trouvé grandement affecté par son influence.

     Peu importe, disais-je, de telles absurdités : l’allemand provincial type du dix-neuvième siècle, tout au contraire, s’estimait en supérieur naturel aux peuplades métissées du Sud, qu’il se contentait de regarder à distance — avec une incrédulité moqueuse —  comme des êtres dégradés par la servitude ; détournés par la corruption ; dégénérés par la civilisation ; mollement destitués de leur saine nature primaire ; et enfin : rudement (et justement) balayés du tapis de l’histoire par une race qui fut, manifestement, destinée à les supplanter.

     Bien sûr, au niveau culturel cette nouvelle interprétation de l’histoire, et des races, fut bien accueillie. Car elle promettait la guérison des cicatrices psychiques qui perduraient depuis deux mille ans sous la présomption humiliante que la civilisation du sud — et par extension les hommes du sud — étaient en tout point meilleurs (ou au moins plus sophistiqués) que ceux du nord. Mais il y avait également une autre raison ponctuelle d’ordre purement politique : car ce nouvel idéal de l’homme naturel, intègre et courageux à l’outrance, se trouvait parfaitement adapté aux besoins nationalistes des grandes puissances, qui se préparaient déjà à cette lutte finale, cette « guerre totale » ou tout homme serait d’abord un soldat au service de la nation.

     Et c’est ainsi qu’au dix-neuvième siècle, nous nous apercevions d’une concordance presque parfaite, entre le romantisme populaire et la propagande belliqueuse d’état ; une concordance qui résulta, sous le signe robuste du « Nationalisme », dans une quasi-unanimité d’opinion publique. Et alors, dans plus d’un grand état, le peuple s’accordait naïvement au sujet de son caractère spécial ; et se félicitait collectivement de tous les bienfaits d’une telle psychologie enivrante. Mais en Allemagne, devant ces mêmes influences, et surtout dans sa nouvelle primauté géopolitique, les ailes de l’esprit battaient d’encore plus forts : car la nation se réveillait ; et s’armait joyeusement — avec confiance — devant un destin qu’elle croyait garant, enfin, de la satisfaction intégrale d’une rancune millénaire.

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« La rencontre de Wellington et de Blücher après la bataille de Waterloo », Un moment possiblement digne de symboliser cette période charnière de l’histoire : ou les Teutons/Anglo-Saxons faisait clairement démonstration de leurs capacités grandissantes ; ou la France perdit sa primauté en Europe ; ou le français perdit son statut de lingua franca ; et ou le Modernisme, dans tous les domaines, se préparait à déplacer le Classicisme.

Gebhard Leberecht von Blücher (Generalfeldmarschal, Prusse, 1742 – 1819) et Arthur Wellesley (premier Duc de Wellington, Royaume Uni, 1769 – 1852) se rencontrent sur le champ de bataille, à La Belle Alliance (Waterloo), le 18 June 1815, réunion qui consomma la défaite de Napoléon Bonaparte (Napoléon I, Empereur des Français, 1769 – 1821) . Tableau commémoratif (1861) par Daniel Maclise (1806 -1870). Ce fut un évènement qui projeta une ombre longue sur l’histoire.

Voir l’encadré : Le croiseur lourd KMS Blücher (Troisième Reich, 1937)

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Les racines de l’euthanasie dans les idéologies du dix-neuvième siècle — Le mépris de la faiblesse)

— Le penchant, essentiellement égoïste, de la morale subjective

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi — Sous-Section II b) : La morale dite « subjective » — Chapitre : Comment la morale subjective – relative, contextuelle et personnelle — se distingue de la morale universelle, catégorique, et objective — Le penchant, essentiellement égoïste, de la morale subjective)

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     Un jour, au cours de ma jeunesse, je disputais du bien-fondé des comportements de quelques amis, avec une personne dont j’avais toujours estimé la perspicacité et la rigueur de la pensée. Mais cette fois, je trouvais ses raisonnements décousus de manière inhabituelle et surprenante. Je m’appliquais, donc, péniblement, paternellement — avec toute la patience exagérée et supérieure, de mes vingt ans — à faire la démonstration de ses absurdités.

     Mais rien n’y faisait. Ce fut un temps perdu. Mon amie, normalement si perspicace, restait obstinément obtuse. Alors, à la fin, je perdis patience en lui reprochant directement son incapacité d’appliquer les mêmes standards aux deux côtés du différend. Et voici la simplicité de sa réponse : « L. est mon amie. Je prends pour elle ! »

     Voilà donc, l’intrusion du subjectif dans l’analyse éthique. Au diable la justice impartiale ! Au diable les implications du cas général ! Dans la pratique courante, la morale subjective commence avec une conclusion, désirée et arbitraire, à laquelle les justifications seront attachées, après le fait, avec la plus grande liberté. Surtout, le fait que ces justifications puissent sembler absurdes aux tierces personnes, ne retient aucun intérêt, car il ne s’agit pas d’avoir raison auprès d’autrui, mais uniquement de propager sa vérité propre.

     Ce fut, je dois l’avouer, une révélation saisissante pour moi. Premièrement d’apercevoir, aussi clairement, la distinction entre les deux formes de jugement ; et deuxièmement, de comprendre la prévalence humaine de l’habitude de mélanger les deux, sans gêne, sans l’admettre, et sans même s’en rendre compte. Car autant que la morale objective soit instinctive dans notre sens de justice, autant la morale subjective se substitue et se travestit à sa place, dans la poursuite de notre intérêt. Et comme les écrits de Rousseau, Goethe ou Nietzche nous enseignerait, la poursuite d’une morale proprement subjective nous permettrait éventuellement – nous obligerait même, selon certains — à faire, et à justifier, à peu près n’importe quoi.

— Une première réplique des champions de la subjectivité

     C’est à remarquer que les théoristes de la morale subjective aurait bien l’habitude de souffrir de telles attaques moqueuses à l’égard de leur idéal. Et ils possèdent aussi des arguments très sérieuses dans leur défense.

     De prime abord, il n’y a absolument aucune justice dans la charge que ce soient des personnes « moins » morales que leurs vis à vis objectifs. Au contraire : ce serait souvent un sens de l’injustice des conventions objectivement admis autour d’eux qui pousserait certains esprits plus exigeants vers une exploration subjective. Et l’objet de cette exploration serait la découverte d’une morale, pas moindre, mais bien supérieure, à celle qui existe dans la place publique.

     (Pourtant, en autant que nous pouvions représenter cette démarche comme la recherche d’une morale supérieure — qui puissent être, éventuellement évidente pour d’autres — il semblerait que ses auteurs soient, en réalité, des non-conformistes minoritaires à l’intérieur du courant objectif, lui-même, et non à l’extérieur de celui-ci.)

     Aussi, si nous stipulons, au départ, qu’il s’agirait véritablement de systèmes aussi nombreux qu’il existe des personnes pour les construire, les théoriciens subjectifs, proposent toujours certains tests pour nous permettre de différencier entre l’application d’un véritable system moral et la simple mouvance capricieuse du libre arbitre. Car au départ, faudrait-il (d’après l’opinion instruite) qu’il s’agisse bel et bien d’un système : claire, défini, et conséquent dans ses relations interne.

     Et, pour être digne du nom faudrait-il, aussi, que ce soit un system auquel l’inventeur serait d’accord pour sacrifier ses instincts, ses désirs, et ses volontés impulsives dans les cas particuliers. Car en voila l’un des conceptions les plus anciennes de la vertu : que l’homme vertueux ferait le bien, par devoir, quels que soient ses intérêts ou ses désirs.

     Et c’est ainsi que nous sommes souvent invités à l’admiration de personnes, manifestement intègres, qui ne fuient aucun sacrifice dans leur détermination de faire ce qu’elles croient être le bien, même quand cette conception morale peut diverger dramatiquement de notre jugement propre. Telles sont, en effet, des thèmes très répandus dans la littérature moderne, qui aurait servi, en quelque sorte, comme une éprouvette pour l’essai conceptuel de ces nouveautés philosophiques.

     Cependant, il existe au moins deux problèmes incontournables pour ceux qui défendent cette distinction, entre la « vraie » moralité subjective et le simple accomplissement des volontés personnelles.

— Des difficultés coriaces qui subsistent

     Premièrement, si quelqu’un fait délibérément exploser un engin de destruction, capable d’éliminer une maison, une foule, un quartier, une ville (ou une planète entière), la distinction entre les ordres conceptuels de sa motivation morale ne nous intéresserait que peu. Pour la plupart, pour être précis (à moins de circonstances extraordinaires dont il serait difficile d’en imaginer les détails) nous serions tous portés à dénoncer ce geste en mal. Il nous serait, je soumets, entièrement indifférent qu’ce personne ait agi rigoureusement en fonctionne d’un système logiquement défini (et même à l’encontre de ses propres désirs et intérêts). Nous ne lui accorderions pas, si facilement, le titre de « vertueux ». À quoi bon, alors, faire une distinction de qualité dans le processus de décision morale, quand la qualité des résultats peut toujours demeurer aussi atroce ?

     Encore (et toujours en relation avec ce premier problème), il n’y a rien pour empêcher à quiconque de proclamer (en system personnel), que le bien consiste seulement à faire exactement ce qu’il veut faire — d’instant en instant — ni plus, ni moins. Et c’est ainsi que nous confrontions, encore, la possibilité désagréable, de créditer en « bien » des actions que nous considérions intuitivement comme « mal » (quel que soit la nature, voir l’énormité, des gestes) simplement parce que quelqu’un nous aurait affirmé qu’il soit ainsi (d’après une interprétation stricte de son propre système).

     En fait, nous rencontrons, ici, de nouveau je soumets, notre préjugé inné en faveur d’un moralité objective, ou le bien se définirait naturellement à l’avantage de la collectivité, et qui éviterait (normalement) des outrages qui nous répugnent intuitivement, instinctivement et même viscéralement. Il apparaitrait, donc, très clairement, que le sérieux théorique d’un system ne garantit aucunement l’acceptabilité (pour nous) des résultats de son application.

     Probablement, cependant, le plus sérieux des deux problèmes relatifs à cette distinction proposée (entre une « vraie » morale subjective, et la simple opération du libre arbitre), se trouve dans l’application pratique de ce principe. Car à qui reviendrait le jugement de ce qui constitue un véritable système moral digne de respect ? Serait-ce un jugement partagé ? C’est à dire : Est-ce que (pour souligner l’absurdité d’une telle prétention) ce serait un jugement objectif ?

     De manière pratique, alors, il semble que nous serions obligés d’admettre que la mise-en-œuvre populaire, du principe de la morale subjective, ne pourrait se faire (et ne se fait pas, actuellement) en fonction des idéaux scrupuleusement contingentés des théoristes, mais bien plutôt, suivant la maxime plus simple : « Serait bon ce qui bon me semble ». Et cette proposition donnerait lieu à toutes sortes de conséquences, résultant des actions de personnes diverses, agissant toutes avec des mobiles plus et moins rationnels, intuitifs ou instinctifs, selon le gout de chacun.

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Le Paradis perdu, John Milton (1608 – 1674), Illustration par John Martin (1789 – 1854), livre 4, ligne 453 : « Ève s’éprend de son image » (1827)

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II: la morale et la loi — Sous-Section II b) : La morale dite « subjective » — Chapitre : Comment affranchir le subjectif du cadre traditionnel ; devions-nous choisir le tort limité du suicide ? ou celui, infiniment plus nocif, de l’euthanasie ?)

— Les opinions des contemporains de la cause Sue Rodriguez : des individus malades et handicapés, ainsi que des organisations vouées à la défense des intérêts de ces derniers

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Rodriguez II : Un regard d’handicapé sur le phénomène Sue Rodriguez — Les opinions des contemporains de la cause Sue Rodriguez : des individus malades et handicapés, ainsi que des organisations vouées à la défense des intérêts de ces derniers)

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Francine Arsenault est l’auteure d’un « Factum d’intervenant » présenté devant la Cour Supreme du Canada à l’occasion d’un appel de la cause célèbre « Rodriguez vs Colombie Britannique » (1993). Mme Arsenault était Présidente de la Coalition des organisations provinciales de personnes handicapées, à l’époque ; elle fut subséquemment Présidente de l’organisation successeur de celle-ci, le Conseil des Canadiens avec déficience (CCD). Francine Arsenault était également active au sein du Centre de la vie indépendant de Kingston (Kingston Independent Living Center), et reçut un doctorat honorifique, de l’Université Queen’s (Kingston, Ontario), en recognition de son travail dans le développement de politiques et de services à l’endroit des personnes handicapées.

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     Le choix subjectif demeure un mystère. Soit. Pourtant, il y a une dimension quantitative dans le phénomène du choix, qui mériterait, aussi, son signalement ; une dimension qui apparait toujours du moment que plusieurs s’y trouvent similairement confrontés : Il y a des choix plus ou moins populaires ; des choix plus ou moins partagés ; des choix plus ou moins validés par autrui. Et ce fut à ce chef que Sue Rodriguez ait vécu, peut-être, sa déception la plus amère. Car dès le début il s’est manifesté une opposition à la démarche de Mme. Rodriguez, très importante, de la part des handicapés et des souffrants de maladies dégénératives.

     Je me souviens avec clarté des rapportages télévisés autour du procès, qui incluaient parfois de brefs entretiens, avec des gens sur place, lourdement handicapés. Ce fut des personnes qui agissaient à titre personnel pour témoigner de leur opposition, non à Sue, mais au projet suicidaire de Sue. J’avoue que ce fut pour moi un spectacle impressionnant ; et j’étais fortement inspiré par l’exemple ainsi proposé. Décidément, en considération de leurs capacités physiques très limitées, ces personnes prodiguaient des efforts herculéens pour accomplir leur dessin. Je m’en souviens, en particulier, d’une femme en chaise roulante électrique, munie d’un respirateur portatif, qui implora Mme Rodriguez de penser, non à elle, mais aux autres, en disant : « Nous avons tant besoin de toi. Nous avons besoin de ta force extraordinaire. »

     Pourtant, tout comme aujourd’hui, les opinions parmi les personnes handicapées furent divisées à l’époque.

     Il existait, surtout, certaines organisations (vouées à la défense des intérêts des personnes handicapées) dont les positions dans cette matière furent scrutées avec le plus grand intérêt, et par les politiciens, et par le public. Or, le plus important de ces groupes fut la Coalition des organisations provinciales des personnes handicapées (Coalition of Provincial Organizations of the Handicapped), le COPOH, qui eut formellement soumit à la Cour un « Factum d’intervenant » sous la signature de sa présidente, Francine Arsenault. Et fait très notable : la COPOH s’est alignée, par voie de cette missive – avec tout le poids présumé de son influence et de sa crédibilité – à l’appui de la demande de Sue Rodriguez.

     Or, étant donnée l’importance capitale de cette intervention — sur le coup et par la suite  — et spécialement chez les bien-portants dans leur compréhension des personnes handicapées — il serait utile, je crois, de considérer, en quelque détail, ce que disait ce Factum ; et les implications de cet avis pour illuminer les questions qui subsistent autour de l’AMM (euthanasie volontaire) telles qu’elles se présentent de nos jours.

– Les conclusions du « Factum » de la Coalition des organisations provinciales des personnes handicapées (devant la Cour Supreme du Canada, Rodriguez vs la Colombie Britannique, 1993)

     En bref, le factum de la COPOH épouse la prétention que Sue Rodriguez ait possédé le même « droit » au suicide que toute autre personne (puisque le suicide eut été légal depuis 1972). Cependant, étant donné que Sue n’avait pas les capacités physiques requises pour se suicider sans assistance, elle aurait eu besoin de l’aide d’autrui pour effectivement jouir de son droit (sans quoi il y aurait situation de discrimination évidente). Et pour corriger cet écart de droit, faudrait-il que la loi criminelle soit modifiée pour permettre l’apport d’assistance au suicide, à l’intention des personnes qui se trouvent, comme Sue, en manque des capacités nécessaires.

     En même temps, l’auteure du Factum exprimait un grand souci de balancer les désirs suicidaires (de ce qui demeure une toute petite minorité parmi les handicapés) avec les besoins vitaux de la majorité non-suicidaire (d’être protéger contre les risques potentiellement létaux de toute exception dans la loi). Il semblerait, aussi, que ce deuxième souci fut plus fort que la première, car le Factum commence avec un long préambule (les alinéas 5 à 11) ou se trouvent détaillée — avec de nombreux exemples à l’appui — la précarité de la vie des handicapés, ainsi que les préjugés préexistants et très répandus, voulant que la vie de ces derniers soit essentiellement sans valeur, et que la mort serait préférable pour eux, à la survie.

     De plus, les alinéas 34 à 44 contiennent une discussion des protections spéciales (« safeguards ») considérées nécessaires pour empêcher l’exercice de pressions négatives sur la décision suicidaire (principalement au sujet de supports sociaux adéquates à l’égard de la personne handicapée). Nous remarquons, donc, que la plupart du Factum soit occupé avec la considération des dangers qui seraient associés à la création d’une exception dans la loi, et des stratégies proposées pour en pallier aux effets de ceux-ci.

     Par contre, dans l’Alinéa 48 (en guise de conclusion) l’auteure confronte directement ce conflit d’intérêt en se disant convaincue que l’autonomie personnelle soit une valeur suffisamment importante pour nous persuader d’accepter les risques inhérents à sa satisfaction intégrale.

     Malheureusement, il peut s’en ressortir, aussi — d’un aperçu rapide des gros titres médiatiques — l’impression désastreuse que l’ensemble des personnes malades-handicapées réclamèrent le droit de mourir (voir désiraient mourir). C’est n’est pas du tout ce qu’écrivait l’auteure, bien sûr, mais ce fut, toutefois, une conclusion facilement validée par des préjugés coriaces.

     Plus sérieusement, toujours : dans ce Factum à l’appui de la demande Rodriguez, nous pouvions possiblement imaginer nous en apercevoir des grandes lignes des compromis qui seraient affirmés vingt ans plus tard dans la décision Carter (qui se trouvent à la base des lois actuelles) : 1) que le respect de l’autonomie personnelle exige que la personne (malade ou handicapée) puisse choisir de terminer sa vie, et 2) que les dangers aux personnes dit « vulnérables » (soit la majorité non-suicidaire des personnes malades et handicapées) puissent être acceptablement atténués grâce à des protections spéciales (sauvegardes).

     Or, au contraire, devant une lecture un tant soit peu plus approfondie du Factum, je prétendrais que les intentions de la Coalition se découvrent, très exactement, aux antipodes de la réalité légale éventuellement imposée. Car entre le Factum, et les lois actuelles, furent changées du tout au tout, et la nature pratique du droit réclamé, et la nature des critères retenus pour y accéder. En fait, loin de favoriser l’égalité des personnes handicapées et malades, les lois actuelles imposent à celles-ci une nouvelle situation de discrimination : extrêmement dangereuse ; inhérente à la médicalisation du suicide ; et contre laquelle Mme Arsenault aurait pris soin de nous prévenir, directement, dans son Factum.

— Les bases conceptuelles du Factum

     1) Premièrement, un droit de suicide, et non d’euthanasie :

     Le Factum insiste vigoureusement (comme principe) qu’il doit s’agir, ici, uniquement de suicide (car seulement le droit d’une assistance au geste souverain de suicide ne pouvait être réclamé, en nécessité, pour éliminer la distinction discriminatoire entre ceux qui sont capables de se tuer seuls, et ceux qui ne le sont pas.). En conséquence, l’euthanasie serait explicitement exclue ; et la personne suicidaire devrait en assumer, seul, la responsabilité de sa mort. (alinéa 13, b) « Le suicide assisté oblige que ce soit la personne assistée qui pose le geste ultime (qui résulterait dans sa mort), et ce, de façon non-équivoque. Autrement, ce ne serait pas un suicide. La COPOH ne cautionne pas l’euthanasie, ou tout autre homicide, quelle que soit la motivation. (nos italiques) »

     2) Deuxièmement, un rejet de la « médicalisation » :

     Le Factum affirme sans ombrage que la permission proposée, d’assistance au suicide, n’a rien à voir avec la condition médicale de la personne suicidaire. La personne malade ou handicapée, affirme-t-on (alinéa 32) « peut vouloir se suicider pour une multitude de raisons, exactement à l’instar de n’importe quelle autre personne ». Il s’agirait, même, d’un « stéréotype grossier » que de présumer que la motivation suicidaire soit rattachée à la maladie ou à l’handicap.

     Ainsi, (encore selon l’alinéa 32) « le suicidaire n’aurait pas l’obligation de se trouver en phase terminale, puisque la permission d’aide au suicide ne serait pas due ni à la maladie, ni à l’handicap (outre l’incapacité de se suicider sans aide) » : au contraire, le suicidaire pouvait être en parfaite santé — sans maladie ou souffrance aucune — et bénéficier toujours de la permission proposée.

     De plus, la nature non-médicale du suicide (assisté ou autre) est explicitement affirmée (alinéa 33) : « il n’y a pas lieu de médicaliser le suicide en stipulant que l’assistance soit offerte par un médecin… »

     Clairement, alors, la seule intention de l’exception réclamée fut de corriger une situation discriminatoire par laquelle l’autonomie personnelle de la personne, incapable de se suicider, seule, fut moindre que celle de toute autre personne. La médicalisation du suicide, elle – et encore plus l’euthanasie – furent rejetées d’emblée comme des phénomènes intrinsèquement discriminatoires.

— Une opposition nette avec la théorie, et avec l’usage, actuels

     Mais toujours est-il : le régime d’euthanasie que nous connaissions aujourd’hui se trouve parfaitement à l’opposé des intentions exprimées par la COPOH en 1993.

     « L’aide médicale à mourir », elle, s’annonce comme un phénomène médical dans son appellation même : l’accès est accordé explicitement (et uniquement) en fonction de la condition médicale ; le geste est accompli par un médecin (qui en prend, ainsi, la responsabilité professionnelle) ; le patient subit passivement la procédure ; et le tout est défini en « soin » médical bénin. De suicide, alors (selon la logique du législateur), il n’y en a point.

     Et pour souligner cette différence dans la pratique médicale : Les médecins sont maintenant tenus « d’informer » tout patient, éligible, de son droit (de bénéficier de l’euthanasie en guise de soin) ; tandis que l’alinéa 31 du Factum stipule, au contraire : que « le fait de suggérer (conseiller) le suicide à quelqu’un resterait un crime … »

     Il serait difficile d’imaginer un aboutissement qui puisse plus abjectement trahir ses origines.

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« … ces personnes prodiguaient des efforts herculéens pour accomplir leur dessin. »

En manifestation devant le Parlement du Canada : à l’extérieur par un froid ennuagé du mois de décembre, le « Marathon de lecture des journaux intimes » fut un évènement (circa 1993) pour promouvoir les intérêts des personnes handicapées. Francine Arsenault, Gerry MacDonald et Laurie Beach.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle —  Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Rodriguez III : Les leçons apprises d’une conteste mal engagée)

La vie, la mort, la magie et la médecine : à la poursuite de l’immortalité

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section I : La santé personnelle et les soins curatifs — Chapitre : La vie, la mort, la magie et la médecine : à la poursuite de l’immortalité)

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Premier parmi les programmes de recherche humaine : La création de la vie. En illustration : 1) le Homunculus (petit homme) de l’alchimiste ; 2) la brebis Dolly (1996 – 2003), premier mammifère cloné d’une cellule somatique adulte ; 3) l’intelligence artificielle

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— Les espoirs et les dépenses, infructueux mais illimités, des personnages princiers d’antan

     À travers toute la période historique, aussi, nous remarquons les récits de gens riches et puissants qui espéraient — contre toute logique et contre toute expérience — s’échapper personnellement à la tyrannie de la mort ; ou à tout le moins, de s’y soustraire le plus longtemps possible.

     Pour obtenir la santé, la jeunesse, l’immortalité (ou à défaut de ceux-là : la simple survie, quelque peu allongée, humaine et souffrante) ces grands personnages s’entouraient de médecins dont la réputation prétendait à la possession de connaissances, franchement, d’une profondeur qui dépasserait les limites du monde naturel.

     Forcément. Car leurs maîtres princiers étaient aussi des personnes rationnelles, sachant fort bien que mourir soit la nature de l’homme.  Mais peu importe ! Qu’à cela ne tienne !  Aveuglés par une crédulité qui semblerait volontairement obtuse, néanmoins, ils investissaient des fortunes incalculables dans l’espoir de tricher, eux-mêmes, ce destin mortel commun ; et cela, en dépit de tous les exemples qui se présentaient, devant leurs yeux et dans la sagesse collective ; d’autres hommes — également riches, également puissants — qui auraient tous échoué dans le même dessin.

     Nous voyons, aussi, également et en contrepartie, des personnages de guérisseurs-culte, tant persuasifs, tant effrontés — tant capables de s’insinuer dans la grâces des potentats ; de se faire entendre ; de se rendre nécessaires — au point, même, qu’ils soient parfois devenus, eux-mêmes, des puissances politiques.

— Les médecins-sorciers, toujours près du trône, et les trois visées essentielles du pouvoir occulte

     Tel fut, par exemple, le célèbre Grigori Raspoutine : un paysan Russe illuminé qui aurait réussi à monnayer une prétendue capacité, de soigner l’hémophilie de l’enfant prince, Alexei, par une ascendance presque religieuse sur l’esprit de la Tzarine Alexandra, dont l’influence exercée à son tour (sur le Tsar Nicholas II, dernier des Romanov) rendait le dit Raspoutine effectivement maître du cour Impériale Russe, et donc, des destins de la nation. Tels en fait (sans exagération et d’après notre récit historique commun) sont les extrémités dans le prix à payer, qui peuvent être jugées acceptables, par une mère désireuse de protéger la vie de son enfant.

     Or, réagissant à ce marché des plus lucratifs, plusieurs des hommes parmi les plus géniaux de chaque génération, se sont dévoués à la maîtrise des forces vitales. Très pertinemment, d’ailleurs : parmi tous les programmes de la recherche humaine, il serait estimé que la plus grande partie du temps et des argents disponibles s’est investie dans trois entreprises seulement : 1. la création d’un être vivant ; 2. La fabrication de l’or à partir de matériaux « basses » ; 3. la découverte du secret de la jeunesse éternelle.

     Voilà, sans pudeur, les désirs premiers de l’être humain. La maitrise de la force vitale. La richesse. L’immortalité.

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La jeunesse éternelle… Soigneusement préservés en attendant une réanimation éventuelle : Ramses II (1279–1213 av. J.C.), réputé Pharaon de l’Exode ; ainsi que quelques « patients » surgelés de la cryonie

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— Les proto-scientifiques de la transition : une quête magique qui s’est transformé, tranquillement, en recherche rigoureuse

     Décidément, telles étaient les préoccupations essentielles des magiciens depuis toujours, et tels furent les buts annoncés, aussi, des alchimistes du monde médiéval (philosophes-empiriques qui occupaient un rôle de transition charnière dans notre histoire des connaissances) à mi-chemin entre la magie pratique et la science proprement dit.

    Il serait possiblement surprenant, d’ailleurs, d’apprendre les noms de quelques-uns de ces hommes, devenus sacrés dans la tradition scientifique, mais qui touchaient aussi, franchement, aux arts arcanes. Et nous serions facilement étonnés, aussi, peut-être, à savoir dans quel degré ces luminaires se seraient donnés aux poursuites ténébreuses de la magie.

     Sachons, ainsi, d’après ses écrits survivants, que Isaac Newton lui-même (cette icone scientifique par excellence) passait le plus gros de son génie dans des études que l’on qualifierait aujourd’hui « d’occultes » ; et beaucoup moins dans les recherches plus humbles — de mathématique et de lois physiques — qui lui aient gagné le titre du premier parmi les fondateurs de la science moderne.

     Mais quel qu’il en soit, et pour revenir au discours présent : pas moins de deux sur trois de ces programmes, si chers à l’esprit humain — c’est à dire la création de la vie, et la conquête du vieillissement — sont toujours à la base des recherches médicales de nos jours ; leur plein accomplissement sous-entendrait une maîtrise parfaite de la maladie, de la vie, et de la mort ; et ils demeurent clairement de nos jours  (autant que dans les brumes occultes du passé) les buts  fondamentaux vers lesquels tous les efforts des scientifiques ouvrants dans les sciences de la vie, sont ultimement dirigés.

     Et encore, pour souligner la signification économique de ce constat : la poursuite de ces projets ne résulte pas seulement (ou même principalement) des caprices nés de la curiosité pure des savants — ni présents ni passés — mais bien de la disponibilité constante des ressources monétaires investies — génération après génération — par une série inépuisable d’êtres humains qui ne veuillent pas souffrir de la maladie, ni du vieillissement, et (surtout) : qui ne veuillent pas mourir.

— Une volonté de vivre qui ne meurt pas, même avec la mort : des Pyramides égyptiennes à la cryonie

     Plus encore, cette volonté de survie se révèle tellement implacable que même devant l’évidence incontournable de la mort, c’est à dire, même dans la présence de cadavres sans vie, la détermination de nier cette évidence, et de prolonger ces vies échoues, puisse persister encore.

     Or, il s’en serait résulté une multitude de tentatives pratiques, magiques et/ou scientifiques – parfois très élaborées et toujours dispendieuses — de réanimation des défunts, ou à tout le moins, de la préservation des corps sans vie. Et c’est ainsi que de nombreux cadavres soient entretenus, de nos jours, sous l’appellation plutôt optimiste de « patients » (par leurs conservateurs cryogéniques), se trouvant, alors, entreposées dans des scaphandres de liquide, à très basse température, dans l’espoir d’une résurrection ultérieure.

     Mais sans contredire, la plus spectaculaire des allocations de ressources, vers une entreprise de préservation et de réanimation de corps humaines – une dépense véritablement sans limite autre que la capacité du peuple à payer —  s’est immortalisée dans les momies et les pyramides des Pharaons égyptiens.

     Car, oui ! Parfaitement. Ces monuments archétypiques de l’ingénuité et de la persévérance de l’humanité antique — encore et toujours aussi majestueux dans la conception et dans l’exécution — ne sont en fait que des monuments à la simple détermination des Pharaons à vivre, sans plus ; et aux efforts sublimes de leurs sujets les plus visionnaires : pour offrir un ensemble convaincant, de théologie et des techniques physiques, de pensée, de littérature, d’architecture et des habiletés apothicaires – incroyablement audacieux dans la conception, et infiniment minutieux dans le détail – fait pour gratifier, au moins en apparence, la volonté de leurs patrons.

— Une comparaison avec les dépenses consacrées, de nos jours, aux soins de santé personnels

     Aussi faudrait-il admettre, avec lucidité et franchise, que l’attrait intense, de ces espoirs d’immortalité, n’affecte pas uniquement les imaginations mégalomanes, ni les gens ultra-riches (et ultrapuissants) en exclusivité.  Car ce sont, au contraire, des éléments presque universels à la psyché humaine ; de sorte que nous assistons, de nos jours aussi, au spectacle imposant d’un octroi de ressources qui soit proprement Égyptienne dans son étendue ; des ressources toujours résolument consenties à cette même fin : d’échapper à notre mortalité commune.

     Il existe une différence importante, cependant, en ce que ce sont, de nos jours, des budgets accordés, demandés — en fait péremptoirement exigés — par une population moderne, composée non de paysans/esclaves sujets aux caprices des Rois-Divinités de l’Antiquité, mais bien, de libres citoyens/consommateurs vivant en démocratie.

     Aussi, tandis que les Pharaons aient dû se contenter des ressources disponibles, d’année en année, les citoyens canadiens auraient accès aux outils formidables de la finance nationale. Et c’est ainsi que, cette fois — en plus d’une négligence imprévoyante à l’égard d’autres impératifs collectifs – l’enthousiasme débridée pour les soins-santé nous confronte aux risques d’une implosion complète des finances publiques ; des risques non seulement pour nous, mais aussi pour les générations futures, suite aux conséquences d’une endettement extrême, contractée en large partie à cette fin.

     Exagération ? Rappelons encore les chiffres américains : 17.5 pour cent du PNB, soit presque un dollar sur cinq ! et non des seules dépenses gouvernementales, mais bien de toute l’activité économique du pays ! Au Canada, peut-être, les couts sont légèrement moindres (et les services aussi) mais toujours est-il que ce cout doit être collectivement assumé par voie de taxation, ou d’endettement.

     Alors, est-ce que même les Égyptiens de l’antiquité nous auraient dépassé dans leur ardeur pour la poursuite de l’immortalité ? Peut-être bien, mais si oui, ce ne serait que de très peu.

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Grigori Yefimovich Rasputin 1869 – 1916 : mystique ; guérisseur ; favori et directeur spirituel de la Tsarine Alexandra Feodorovna ; fut victime de complot factionnel au sein d’une société Russe qui s’écroulait sous le poids de la Première Guerre.

La soirée du 30 décembre 1916 (deux mois avant la révolution de février) Raspoutine fut empoisonné (sans succès) au cours d’un souper intime, tiré par balles à deux reprises (avec constat de décès et réanimation entretemps), poussé, finalement, à travers la glace de la rivière Neva (Saint Pétersbourg).

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : Différencier la santé publique de la santé personnelle : une différence dans les priorités qui découlent des sources, différentes, de financement)

— Les consultations pratiquées auprès des médecins Canadiens (au sujet du suicide assisté et de l’euthanasie)

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : L’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : L’euthanasie : Un vieux débat, confortable et stylisé ; subitement transformé en urgence pratique — Les consultations pratiquées auprès des médecins Canadiens (au sujet du suicide assisté et de l’euthanasie))

— L’intérêt public des résultats obtenus

     Il serait évident, je crois, que tout avis général, portant le gravitas d’une déclaration emmenant des corporations représentant les médecins canadien(ne)s –ou même l’apparence d’un tel avis — serait reçu par la population élargie avec la plus grande déférence. Car, à la manière du patient unique qui se réfère instinctivement à l’opinion de son médecin personnel, la société entière se réfère d’emblée à l’opinion professionnelle collective.

     Malheureusement cependant, nous étions obligés à rester, dans ce cas, largement sur notre faim. Car la médicalisation du suicide, ainsi que la pratique de l’euthanasie, soulèvent des questions fondamentales de société.  Et alors, la simple évocation des opinions « expertes » ne pourrait jamais suffire pour nous en libérer de nos devoirs démocratiques. De plus, les avis qui sortirent des médecins collectivement — de cet entrechoquement complexe de principes philosophiques, d’intérêts particuliers, et de politiques ponctuelles — ne représentaient (tel que nous le verrons sous peu) qu’un compromis particulariste à l’intérieur de la communauté médicale elle-même. Et c’est ainsi, que, malgré les attentes naturelles que nous portions tous à l’époque, les quelques indices prodigués de cette source ne pouvaient, dans aucun cas, nous fournir une réponse adéquate pour planifier la voie future.

     Pourtant, ayant proféré ces quelques mots de caution : les sondages d’opinion (et les autres consultations diverses, pratiquées à l’intérieur des corporations médicales, à ce moment), ainsi que les déclarations de position corporatistes qui en découlèrent, restent toujours d’un grand intérêt.

— La repartition quantitative de l’opinion médicale

     En premier lieu, les praticiens médicaux abordaient ostensiblement cette question en fonction des seuls droits et intérêts du patient ; car selon l’éthique médicale, et ce depuis les jours d’Hippocrate, le bien du patient constitue le premier but du médecin. Pourtant, se serait vite apparue, une difficulté qui soit typique de la médecine dans tant de circonstances (et incluant celle-ci) : qu’il n’existait aucun consensus au sujet du bien du patient ; ni face aux bienfaits d’une mort provoquée ; ni face au droit postulé de choisir la manière de mourir. Les avis, donc, furent très divisés.

     Selon l’Association Médicale Canadienne (AMC) en 2015 (dans la même année qui ait eu lieu la décision Carter, précurseur de la décriminalisation nationale de l’euthanasie en 2016) un peu plus de 40%  des médecins canadiens s’objectaient, absolument et en principe, à toute initiative dans ce sens ; leur position représentait une défense catégorique, et conséquente, de la mission traditionnellement comprise de la médicine, limpide pour tous, et sur laquelle nous n’aurions, donc, pas besoin de nous attarder davantage.

     Par contre, un peu moins du tiers (27%, 2014 ; 29%, 2015 ; 25%, 2016) se disaient favorable à l’euthanasie active, au point de se déclarer prêts à y participer.

     Parmi ce groupe, cependant, ils existaient, aussi, des différences importantes : car en dépit des énoncés de principe, il semblerait y avoir un décalage certain entre les intentions recensées, et les actions véritablement accomplies. Pour être plus précis : au moment d’écrire ces lignes, seulement une fraction infime des « favorables » s’est vraiment portée volontaire pour cette pratique. Alors, nous serions amplement permis, je crois, de soupçonner que la proximité réelle du geste puisse évoquer des réactions personnelles qui sont (selon l’expérience pertinente de nos militaires) autrement plus redoutables que les mêmes gestes considérés dans l’abstrait.

     Finalement, outre les deux minorités précitées, symétriques dans leurs positions, divergentes et catégoriques, de principe — favorables pour l’une et opposée pour l’autre — nous constaterions l’existence d’un troisième contingent important, dont les convictions sont, possiblement, plus intéressantes que celles des deux autres.

     Environ le tiers restant des médecins consultés se serait dit défavorable, en principe, à l’euthanasie active (et aurait annoncé d’emblée son intention de refuser à participer dans cette pratique), mais, ne présumait pas, pour autant, affirmer que cette opinion ait dû s’appliquer à tous. Avec ce que certains pourraient qualifier de maturité admirablement moderne dans le jugement moral, ce groupe charnière aurait choisi d’affirmer le droit, de chaque médecin, à décider individuellement de sa conduite devant ce nouveau pouvoir mortel, à la seule lumière de sa conscience professionnelle.

— L’effet de cette division

    Mais quel paradoxe ! Pratiquement, bien sûr, l’effet décisionnel serait décisif, puisque la balance de l’opinion médicale s’est penchée, dans une proportion de 60 %, vers l’octroi d’une permission générale de pratiquer l’euthanasie active. Mais du même coup, une majorité plus importante encore, annonça son refus d’y participer !

     Or, il serait peut-être difficile à la première vue, de se réconcilier avec — ou même de comprendre — un tel résultat ou les principes philosophiques, scientifiques, et moraux, d’une majorité des médecins – opposée, personnellement, à la pratique de l’euthanasie — pouvait se traduire, dans les faits, par le cautionnement de cette même pratique. Certainement, il y aurait lieu de nous poser des questions plus probantes au sujet des mobiles, réels, de tels avis exprimés.

     En conséquence, il serait opportun, je crois, de signaler deux considérations, ici, qui puissent nous expliquer cette conclusion de manière plus satisfaisante, soient : l’effet de courants sociaux plus larges ; et finalement, certaines caractéristiques inhérentes à la pratique de la médecine, elle-même.

— Un rappel des courants sociaux agissant à l’appui de l’ambiguïté morale ; et une vulnérabilité spécifique de la profession médicale.

     En ce qui concerne les grandes tendances sociales, il existe un rapport très significatif, dans cette matière, avec la répartition des élus Canadiens à l’égard de l’avortement. Car après l’invalidation de la loi-compromis de 1969 — à l’occasion de la cause « Cour Supreme vs Morgentaler » (1988) — et tel que raconté déjà dans la section « Hippocrate bis : l’avortement », les élus étaient divisés en tiers, à la même manière des médecins face à l’euthanasie : un tiers pour l’avortement (« libre sur demande ») ; un tiers catégoriquement opposé ; et un tiers centriste opposé – personnellement — à l’avortement mais prêt, pourtant, à respecter les choix des autres.

     Ce fut, d’ailleurs, exactement la même division d’appuis pragmatique, qui obtenait au cours de la lutte charnière de la Prohibition : un tier militant en faveur ; un tiers opposé ; et toujours, ce tier déterminant du centre, allié initialement à la Prohibition pour assurer son passage en 1920, mais associé plus tard à sa défaite en 1933 (non par principe, mais dans un esprit désabusé de « laissez faire » social).

     Voilà, je soumets, le vrai gabarit socio-légal, et pour l’avortement, et pour l’euthanasie (rencontrées, respectivement, cinquante et quatre-vingts ans après la prohibition) : un tiers de l’opinion — décisif celui-ci — qui penchait naturellement contre le phénomène en cause, mais qui ne présumait pas : ni à imposer son choix ; ni à réprimer le choix des autres. Et dans ces trois exemples – du commerce de la boisson, de l’avortement, et de l’euthanasie – l’effet pragmatique de la position centriste fut déterminant : d’habiliter le comportement visé.

     Mais outre ce vague de fond sociétale, clairement opérant depuis le deuxième quart du vingtième siècle, et en synchronisation fatidique avec celle-ci : la médecine elle-même comporte des caractéristiques intrinsèques (de souche beaucoup plus ancienne) qui se prédisposent vers une pluralité de pratiques, et une pluralité éthique.

     Pendant longtemps, certes, ces influences centrifuges furent contenues par le monopole éthique de la médecine Hippocratique ; mais une fois la digue conceptuelle Hippocratique ait été emportée, fortuitement, devant la marée pratique de l’avortement, ces tendances devenaient plus libres à s’exprimer, et notamment, face à l’euthanasie.

     Car, tel que j’aurais tenté de présenter la thèse rapidement dans ce livre : sans la prohibition anti-homicide (que cette profession s’est imposée d’elle-même pendant deux millénaires et demi), la médecine — et les habiletés médicales — peuvent s’apprêter à des fins (et des politiques) d’une ambiguïté morale qui embrasse tout le spectre des mobiles, clairs ou obscurs, de l’esprit humain.

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La Déclaration de Genève (originale) de l’Association médicale mondial, 1948 : « JE MAINTIENDRAI le plus grand respect pour la vie humaine à partir de la conception ; même sous la menace, je n’utiliserai pas mes connaissances médicales à l’encontre des lois de l’humanité. »

Cette déclaration s’est formulée sous l’effet des souvenirs immédiats d’une époque où les médecins furent instrumentalisés, par le pouvoir politique, dans de nombreuses fonctions terribles. La première phrase précise le tort commun à tous ces crimes, c’est à dire : un manque de respect pour la vie humaine. La prohibition des gestes homicides fut implicitement comprise dans cette phrase, et elle fut explicitement réaffirmée dans les déclarations subséquentes de l’AMM. Car sans cette abjuration de l’homicide, l’éthique médicale se trouve, effectivement, sans principe premier, et alors, infiniment malléable.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : À la défense des traditions du métier médical)