– la nature particulière du suicide assisté
Il
existait, certes, — et il existe toujours — une distinction de taille qui
sépare le suicide, simple, du suicide assisté : car selon le code criminel
du Canada …
« 241 (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un
emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, que le suicide s’ensuive ou
non, selon le cas :
a) conseille à une personne de se donner la mort ou l’encourage à se
donner la mort;
b) aide quelqu’un à se donner la mort. »
Dans ces statuts, nous pouvons déceler, clairement, une désapprobation fondamentale, ou à tout le moins un regret aigu, à l’égard du suicide. De plus, nous constatons un désir, évident, de limiter le phénomène, et un compréhension que les activités des facilitateurs de suicide — ceux qui « conseille » et « encourage » ; ceux qui « aide (sic) à donner la mort » — résulteraient, certainement, dans un plus grand volume de suicides réussis, à la fois puisque la personne suicidaire serait renforcie dans son désire, par une validation extérieure (possiblement de nature émotive très significative) et parce que la présence d’une autre personne, activement engagée, garantirait, à tout fin pratique, l’aboutissement du geste.
Surtout, la situation éthique serait altérée dans son essence : car, tel que nous l’avions précisé, le fait de légaliser le suicide n’implique aucunement son cautionnement, ni de la part de la collectivité, ni des individus qui la compose ; tandis que le suicide assisté implique, lui, une complice moralement responsable, et une société au moins passivement approbatrice.
Bref, la distinction éthique (entre le suicide simple et le suicide
assisté), qui soit reflété dans cette clause de loi – toujours en vigueur au
moment d’écrire ces lignes — s’apparent à la différence entre accepter, sans
plus, l’action de l’alcoolique qui décide soudainement de « prendre un
verre », et le fait, pour un tiers, de lui verser ce verre et de
l’encourager à le boire. Aussi, combien plus pointue serait cette distinction
morale face au suicide assisté, là où la complicité implique une participation
dans la prise volontaire d’une vie humaine !
Tel fut, donc, la situation après 1972, avec le suicide simple
décriminalisé, mais l’assistance au suicide toujours sévèrement réprimé.
Mais, comme je tenterais de convaincre le lecteur au cours des chapitres
subséquents, il ne faut absolument pas sous-estimer la force de la mouvance,
séculaire, sociale et philosophique, vers la liberté personnelle subjective. Et
il ne faut pas, non plus, sous-estimer la créativité avec laquelle ses
partisans auront su avancer leur cause.
Dans l’occurrence, la preuve était abondamment faite que la logique
subjective pure ne pouvait pas remporter cette bataille (ou au moins pas dans
l’immédiat). Mais par contre, les apôtres du droit à mourir s’en sont persuadés
qu’une première brèche pouvait être pratiquée dans l’interdit, à condition que certains suicides (seulement) puissent
être identifiés en bien objectif. Il serait, alors, de notre
devoir collectif de permettre l’accès à ce bien, pour tout le monde, y incluant
ceux qui ne pouvait pas y accéder tout seule, c’est-à-dire : de permettre,
dans ces circonstances spéciales, le
recours non seulement au suicide, mais au suicide assisté. Et c’est ainsi, que
les ténors de la liberté subjective auraient trouvé suffisamment de fluidité,
dans leur démarche stratégique, pour embrasser, de nouveau, le langage de la
moralité objective : pour
adopter, dans une certaine mesure, les armes de leurs adversaires ; pour
chercher une exception objective à l’interdit.
Or, fait tant significative mais pas, je soutiendrais, suffisamment
remarqué : grâce à l’introduction de prétendus critères médicaux objectifs,
cette manœuvre fut pratiquée avec un appel aux caractéristiques propres, non
plus au suicide pur, mais à cet autre phénomène — que nous considérons d’encore
beaucoup plus néfaste, c’est à dire : l’euthanasie.
Chapitre A-4 : l’euthanasie volontaire ou « aide médicale à
mourir »
– distinguer l’euthanasie, avec sa tradition empoisonnée, de
l’assistance au suicide
L’euthanasie, proprement dit, sera traitée en plus de détail dans la
deuxième partie de ce livre. Pour l’instant, disons seulement que l’euthanasie
(qui soit la mise à mort directe du patient par son médecin) se pratique, en
tout temps, sous la prétention théorique, que, dans tel ou tel cas particulier,
elle représente la meilleure réponse médicale
à la souffrance du patient. Il s’ensuit que la justification de la mise à mort n’en
est plus uniquement subjective, mais bien objective. Et de ce fait,
l’euthanasie n’est pas nécessairement volontaire.
Or, le rejet à répétition des différents régimes d’euthanasie, qui
furent proposés pendant la première moitié du vingtième siècle, fut surtout le
rejet de cette idée de tuer des gens dépendants, contre leur gré, ou dans
l’incapacité de comprendre ce qui les arriva (suite au jugement objectif des médecins
que leurs vies ne méritaient pas d’être vécu). Et nous nous devons de réaliser,
ainsi, devant la trame historique des discussions à ce sujet, que l’utilisation
des justifications, propres à l’euthanasie, introduit un bagage tout autre —
lourd, et pénible — dans notre démarche actuelle.
Alors, même si « l’aide médicale à mourir » peut se confondre
très facilement, dans l’esprit populaire, avec le « suicide assisté par
médecin », il ne reste pas moins que la différence soit profonde : le
suicide assisté demeure un geste non seulement volontaire, mais subjectivement
arbitraire, tandis que l’euthanasie volontaire se veut, aussi, scientifiquement et médicalement
— c’est-à-dire, objectivement – indiquée dans les circonstances définis.
Cette distinction se reflète, encore, dans les détails techniques de l’accomplissement
du geste. L’assistance au suicide classique implique, le plus souvent, la
présentation au suicidaire d’une potion létale, qui serait ingéré par ce
dernier d’un geste autonome. Et dans tel cas, il existerait, sinon la preuve,
au moins un fort indice à priori, que la mort résultante soit volontaire ;
aussi, personne d’autre ne pouvait être accusée d’avoir directement produit cette mort. Mais avec l’euthanasie, les faits
se présentent sous un jour entièrement différent, car, dans ce cas, ce serait
le médecin (ou autre technicien) qui tuerait le sujet ; ce qui ouvre
immédiatement des questions extrêmement pointues, de consentement et de
responsabilité, qui sont largement absentes face au suicide, qu’il soit assisté
ou non.
De par le passé, la clarté de cette distinction était quelque peu
embrouillée par la possibilité qu’une personne puisse désirer la mort, mais demeurer
physiquement incapable de se l’accorder, même avec l’aide d’autrui. Or, cette
difficulté n’existe plus, car avec les moyens modernes d’automation et de
contrôle des systèmes informatisés, n’importe quelle personne — qui serait
capable de communiquer son désir suicidaire — serait également capable
d’initier une suite d’actions mécaniques qui aboutirait dans sa mort.
Voilà, donc, la possibilité d’un décuplement pratique et complet des
notions, du suicide et de l’euthanasie, qui devrait nous imposer un regard très
critique sur la pratique actuelle ! Car, au cas où le premier concerné ne se montrerait
pas prêt, dans son moment personnel de vérité, à provoquer délibérément sa
propre mort, — ne serait-ce qu’avec le clignotement d’une paupière ou le clic
d’une souris — comment pourrait-on prétendre que le décès soit réellement
volontaire ? Et dans ce cas, comment pouvions-nous permettre que le médecin traitant
puisse évoquer cette justification pour en prendre une telle responsabilité
létale ?
Voilà, crument exposée, ce qui distingue l’euthanasie du suicide, et ce qui expose, aussi, la raison derrière ce fait observé, que le nombre de pays permettant l’euthanasie soit tellement plus restreint que celui de ceux qui autorisent le suicide assisté ; et que tant de médecins (et de corporations de médecins) puissent se montrer prêts, aujourd’hui, à envisager l’un, qui sont, pourtant, toujours catégoriquement opposés à l’autre : car, logiquement, une fois le droit au suicide assisté accordé, l’autorisation de l’euthanasie devient une superfluité complète en ce qui concerne les seules morts volontaires. Dans quel but, alors, demande-t-on, aussi, dans certains pays, un recours à l’euthanasie ?
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