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avril 2019 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

– Vivre dans la dignité : la force et la générosité du feu Gerald Godin

Gerald Godin, 13 Novembre 1938 – 12 Octobre 1994

     À partir de ce moment — de son diagnostic de cancer et de sa chirurgie crânienne — nous pouvions délaisser le récit des contributions de Gerald Godin au grand jeu politique (toujours très substantielles, pourtant, dans sa promotion d’une ligne de parti plus « dure » ; du retour de l’intégriste Jacques Parizeau pour balayer le réalisme vacillant du chef Pierre Marc Johnson ; et de la tenue accélérée d’une deuxième referendum décisif). Aussi, il n’y avait plus question de grandes portefeuilles Ministérielles, ni d’ascension vers le pinacle du pouvoir. Pour l’histoire et pour la politique ordinaire, c’est ainsi que finit la carrière de Gerald Godin ; mais pour nous, soucieux de comprendre la psychologie de survie chez les malades chroniques et les handicapés lourds, c’est plutôt à cette époque que l’histoire véritable commença.

     Et c’est aussi ici, je crois, que la grandeur de l’homme s’est démarquée de la manière la plus exceptionnelle. Car il ne s’est pas insurgé contre la maladie à la manière héroïque d’un Terry fox, dont la révolte des âmes similaires, revêtit toujours un fond tragique du fait que cette révolte, inévitablement, soit voué à l’échec. Non. Gerald Godin ne luttait pas pour vaincre ; mais il ne s’est pas abandonné pour autant ; et de ce fait … il ne fut pas vaincue.

    Il refusait calmement cette lutte inégale ; il ne faisait que continuer, tranquillement, à vivre ; il s’appliquait, seulement, à surmonter les pires effets de sa maladie — tel sa difficulté d’expression ; avec pondération et retenu (ponctuée naturellement avec des excès de colère et de frustration) il aborda chaque obstacle, et composa en réaliste avec les résultats obtenus. Jamais, il n’en est venu à penser que la vie consciente puisse perdre sa valeur transcendante dans la déroute progressive de ses fonctions accessoires.

     Or, il y avait une vaste maturité d’esprit qui s’est ainsi révélé, et une maturité parfois difficile à saisir pour les non-initiés. Car auprès des personnes bien-portants, l’intuition craintif semblerait indiquer que la maladie ou la déficience sévère, ne peuvent s’accueillir autrement que dans la résistance ou la désespoir : par la lutte à mort, ou par l’abandon à la mort, tout simplement.

    Pourtant, cette troisième voie — qui consiste à survivre, même avec des facultés amoindries dans une dynamique de perte progressive — est l’accommodement naturellement choisi par la majorité des gens devant le vieillissement. Et même si plusieurs voudraient rejeter cette sagesse d’emblée, pour la plupart – et assez rapidement —  elle devient tout aussi normale chez la personne contrainte de faire connaissance avec la dépérissement de la maladie, ou avec la rupture des accidents traumatiques. Oui, quelques-uns abandonnent tout de suite ; et d’autres, en adoptant le genre héroïque, ne luttent qu’un temps, et devant la force irrésistible de l’adversaire, abandonne, aussi, par la suite ; mais la majorité, fidèles aux pulsions profondes, une fois les deux premières reflexes passées, ne font qu’endurer, le plus souvent dans une vie de retrait, à l’écart du monde.

     La société conspire instinctivement, d’ailleurs, dans cet reflexe de recule, pour la perpétuer — voir l’imposer — bien au-delà de la saine mesure, au nom de la protection, bien sûr, mais aussi au service de l’efficacité utilitaire et de la propreté esthétique, assurant, ainsi, un monde fonctionnel qui soit libre des contraints (et des sensations troublants) de l’infirmité humaine.

      Ce qui fait la force supérieure de l’exemple légué par Gerald Godin, par contre, réside dans le fait qu’il avait, à la fois, l’audace, et la générosité, de vivre sa vie amoindrie dans la sphère du regard publique.

– Le précédent dont nous en héritons les fruits

     Pendant dix années encore il fréquentait la chambre des députés : réélu en 1985, et de nouveau en 1989, Gerald Godin resta Député jusqu’à la toute fin de sa vie ; ne fut remplacé comme candidat du Parti Québécois dans la circonscription de Mercier qu’aux élections du 26 Septembre, 1994 ; et s’est éteint le mois suivant, soit le 12 Octobre, 1994. Tel que raconté par Simon Beaulieu réalisateur du documentaire « Godin »  (au cours d’un entretien avec Catherine Lalonde, Le Devoir, 26 février 2011) «Sa façon de vivre sa maladie, de la vivre dans sa chair comme un désordre, comme l’absurdité même du monde, est une inspiration.» et plus loin de la même source « Il y a des images qu’on a choisi de ne pas mettre. À l’Assemblée, vers la fin, sa cravate croche, il cherche ses mots, parle comme un bébé. On n’a pas voulu aller là.».

    Mais loin de la gêne devant ces faits, j’y ressent, plutôt, une fierté par association, et je regrette, seulement, que le Cinéaste bien-pensant ait cru bien faire en nous cachant ce que le premier concerné, lui, aurait consenti sciemment à nous révéler.

     Au niveau artistique, j’y retrouve le caractère fondamentalement non-conformiste, et le refus des conventions qui fut propre à cet homme. J’y retrouve le même esprit dans ces poèmes de jeunesse délibérément vulgaire qu’il lisait, non pour choquer, mais pour s’affirmer. Car il ne cherchait pas (dans le style provocateur facile) à bousculer l’autre — d’une certaine façon il s’en foutait de l’autre — ; ce qu’il cherchait c’était de s’exprimer fidèlement ; et il avait la générosité d’exposer cette expression publiquement.

     De la même façon, alors, à travers sa décomposition progressive, il ne faisait qu’insister sur son droit de vivre, et de survivre ; de piétiner la terre avec autant d’assurance que n’importe qui. Et ce que d’autres pouvaient qualifier de circonstances tristes et même gênantes, lui acceptait comme les attributs crus de sa vie, et en fait, de toute vie humaine. Il ne consentit pas, alors, à la manière des caractères plus faibles (ou plus orgueilleux), de se tuer, ou de s’isoler dans son désarroi. Comme les textes de ses poèmes, il était prêt à imposer les signes visibles de sa maladie : sur son entourage, sur le publique, et sur le monde entier. Seulement de cette façon pouvait il vivre honnêtement, sachant et affirmant que la franchise d’une vie pleine, ne sied pas avec la peur et la dissimulation.

     Voilà, alors, l’inspiration inestimable qui nous soit léguée à l’intention des personnes dépérissant — malades et handicapées — par les rares individus de la trempe de Gerald Godin : que nous pouvons nous permettre de vivre, tout simplement, sans gêne, sans honte, sans fausse pudeur devant les réalités organiques ; et aussi, à l’égard des personnes non encore touchées à la première personne par ces épreuves physiques : d’embrasser les exigences de la vie civilisée, de soutenir, d’accepter et de côtoyer les gens plus abimés : sans ostraciser, sans limiter, sans infantiliser, sans instrumentaliser.

     Car on peut bien souffrir de la maladie, comme nous enseigne l’Imperator/Philosophe Marc Aurelle, mais il n’y a pas lieu de souffrir du fait d’être malade, étant donné qu’il n’y a rien d’immoral ni de déshonorant dans ce fait.

     En somme, Gerald Godin nous présente l’exemple d’un malade qui eut l’audace de vivre. Et Honni Soit Qui Mal y Pense !

Gerald Godin à domicile, 1993

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Chapitre : Comment encadrer les techniciens de l’aide médicale à mourir ?

– Devoir éthique de bien sélectionner les techniciens de l’euthanasie et les assistants aux suicides

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Bien dépister le candidat idéel

     L’expérience nous montre qu’il existe une grande diversité, dans la capacité humaine de supporter les stresses psychologiques. Nous savons, par exemple, que dans tout groupe tiré au sort, il y aurait des soldats apparemment capables de tuer, et de vivre correctement avec ce fait, aussi bien sur le coup et à la longue, tout comme nous savons, statistiquement, que d’autres ne parviendront pas à ce faire.

    Décidément, alors, dans le but de minimiser les inévitables risques associés à la pratique de l’euthanasie, notre meilleure stratégie (et notre premier devoir), se résumerait à bien choisir les candidats pour cette tâche, à partir d’une recherche scientifique de gens dont la capacité d’y résister soit au plus forte. Car, au minimum, après vingt siècles passés sous l’influence d’un régime, intellectuel et spirituel, qui proscrivait vigoureusement (au moins en théorie) tout geste homicide, nous nous devions d’admettre que le mandat homicide représente une responsabilité solennelle dont l’octroie nous imposent le devoir conséquent d’identifier des personnes aptes à l’exercer judicieusement.

    Surtout, nous avons besoin d’un système d’accréditation individuelle selon lequel les interventions léthales ne pourraient être accompli autrement que par l’entremise de personnelle détenteur(s) de permis valide(s) à cet effet.

    Pourtant, cette conclusion réfléchie se trouve en opposition frappante, et irréconciliable, avec le régime légal/administratif actuel, qui ne nous impose rien de moins que l’octroi du mandat homicide à tous les membres des corporations professionnelles de la santé, sans souci de choisir les candidats individuellement, ni d’en limiter le nombre.

     Or, avec cette problématique présente à l’esprit, continuons maintenant avec ce que je prétendrais être une description plus honnête et plus responsable des conditions pratiques entourant la recognition d’une fonction publique de facilitation du suicide, et (encore plus) d’homicide direct (euthanasie).

– Conditions minimales de sélection et d’encadrement pour techniciens d’euthanasie et de suicide assisté (aide médicale à mourir)

    Il y aurait, à mon avis, au moins quatre conditions essentielles à respecter (outre l’évaluation psychologique approfondie des candidats déjà mentionnée):

    Premièrement, que l’accès à cette fonction soit entièrement volontaire, et délibérément demandée par le candidat.

     Deuxièmement, (pour s’assurer que les candidats puissent être en mesure de profiter pleinement de cette liberté et de prendre réellement une décision éclairée au sujet de leur participation éventuelle) que les candidats postulants soient soigneusement informés des risques psychologiques inhérentes à sa pratique.

    Troisièmement (pour déceler aux plus vite les cas problématiques inévitables) que le suivi individuel se fasse auprès de chaque professionnel ainsi mandaté, à la fois de façon subjective, à l’aide de rapports périodiquement soumis par le sujet, mais objectivement, aussi, avec l’évaluation extérieure de sa pratique.

     Finalement, dans le but de garder l’ensemble des problèmes éventuelles aux dimensions les plus réduites : que le nombre de professionnels, formés et mandatés à cette fin, ne dépasse jamais le nombre minimal qui soit requis pour répondre adéquatement à la demande de service exprimée.

     – Constat de problèmes résiduels importants ; résurgence du questionnement de fond ; retour aux médecins

     Bien sûr, même dans les meilleures des scénarios, nous devrions nous montrer prêts à accepter un taux statistique de dérapage, d’incapacité et de déviance, qu’on ne pourrait précisément quantifier que rétrospectivement, à travers l’analyse future des expériences à venir ; nous savons, seulement, grâce à notre familiarité avec le métier militaire, que ce taux d’échec comprendrait normalement une fraction très significative des individus concernés.

     Certains diraient même, je crois, que nous ne pourrions pas nous échapper, ici, à la nécessité de poser des questions sérieuses relatives à l’à-propos, même, de demander à certains individus de risquer les dangers psychologiques évoqués, en les offrant la possibilité de devenir, essentiellement, des professionnels de la mort.

    En particulier, il est à prévoir que de gens irréconciliablement opposés au phénomène du suicide assisté puissent utiliser ces faits pour argumenter contre l’élargissement de cette pratique, généralement et en principe. Et à ce chef (pour être complètement honnête à l’égard de mes préjugés personnels), j’avoue que l’idée de confier à un être humain — et je veux dire par-là, à qui que ce soit— le pouvoir capricieux et discrétionnaire de tuer ses semblables dans un contexte de normalité institutionnelle (sujet seulement à l’interprétation largement personnelle de certaines balises administratives) me paraîtrait empreinte d’une énormité presque Kafquesque dans la juxtaposition de ce qu’il y a de plus significatif, et de plus trivial, dans l’existence humaine.

     Par contre, ce ne sont que mes sentiments personnels, et le but de ce texte, tel que je l’aurais stipulé au départ, se résume seulement à chercher des pistes pragmatiques pour satisfaire aux désirs politiquement incontournables de la minorité suicidaire, tout en réduisant au maximum les dommages collatéraux qui sont imposés sur la majorité.

    Et pour ce faire, j’aimerais prendre, maintenant, les principes élaborés dans les derniers paragraphes, au sujet des meilleures pratiques de formation et de suivi de techniciens simples d’assistance au suicide (ou d’homicide administrative), pour évaluer les possibilités réelles d’implémenter celles-ci auprès des professionnels de la santé (médecins et infirmières) qui sont actuellement désignées pour assurer ces fonctions.

    Car la question doit toujours se poser, avec franchise et lucidité, à savoir si, oui non, le profil recherché du parfait tueur institutionnel coïnciderait, réellement, avec tant d’exactitude, au profil généralement souhaitable parmi les professionnels guérisseurs, qu’on puisse logiquement imposer le mandat du premier sur les pratiquants du deuxième ? Quelles sont, enfin, les véritables chances que notre société puisse loyalement recruter les uns selon les critères que nous ayons trouvé indispensables pour éthiquement pratiquer la sélection des autres ?

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Chapitre A-5 : Considérations techniques (juridiques et politiques) qui contribuèrent à la forme actuelle de cette innovation sociale, mais qui ne l’expliquent pas pour autant

Le Roi d’Angleterre, Charles I, devant l’Haute Cour de Justice, 4 Janvier, 1649 (anonyme)

— Volonté populaire, Législature et Cour Suprême

     Je désire, d’abord, m’excuser auprès du lecteur non-canadien qui pourrait, possiblement, trouver ennuyeux le récit de certaines particularités spécifique à ce pays. Pourtant, j’ose aussi espérer qu’il puisse s’en dégager de pistes de réflexion généralement applicables, et en particulier, l’identification de certaines définitions légales, couchées dans un vocabulaire artificiel et fortement biaisé vers le projet euthanasiste, qui promettent de se transporter dans d’autre pays.

     Cela étant dit, notre système politique présuppose que la volonté du peuple sera exprimée par voie de législation, élaborée par des députés représentatifs, et interprétée par des juges dont la nomination dépend, aussi, ultimement du peuple.

     Cependant, la nature de cet exercice de pouvoir représentatif implique un décalage substantiel avec l’opinion populaire tel qu’elle pouvait s’affirmer dans un système de démocratie directe. Car, grâce à notre système, il existe des causes soutenues avec constance par une majorité de l’électorat qui ne parviennent pas, pour autant, à franchir le seuil démocratique parmi les membres élus. Un exemple particulièrement célèbre, au Canada, réside dans le refus politique de recourir à la peine de mort, malgré un appuie toujours prépondérant parmi la population (selon la forme dans laquelle la question soit posée). Les Canadiens, d’ailleurs, s’enorgueillissent largement de cet indice de l’état avancé de leur société, protégée, en quelque sorte, contre les passions primaires de ces citoyens. Or, il semblerait qu’auparavant, la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie, eurent également figuré dans cette catégorie.

     Aussi récemment, en effet, que 2009, un projet de loi (Bill C-364, Francine Lalonde, Bloc Québécois) qui contenait des provisions presqu’identiques à celle de la législation actuelle, fut défait à la Chambre de Communs par un marge de 229 voix contre seulement 56. Plus encore, la répartition de ces voix parmi les différents partis fédéraux — récoltés pour l’occasion dans un vote de conscience libre — semblait clairement indiquer que le résultat eut été identique, quel que soit la composition du Parlement. Il semblerait, alors, qu’en ce moment, encore assez récente, la gravitas de la responsabilité législative ait pu suffire pour persuader les élus qu’un examen approfondi des enjeux, tant complexes, exigerait un refus de satisfaire aux demandes radicales réclamées avec des slogans simplistes dans la place publique.

     Mais il existe, aussi, le pouvoir juridique, qui jouit d’une grande indépendance au Canada ; suffisant, à peu de chose près, non seulement pour interpréter, mais aussi pour dicter la forme de législation controversé, soit par invalidation, soit par prescription. Et dans cette instance, ce fut le pouvoir juridique de la Cour Supreme, et non l’autorité législative, qui trancha cette question : d’abord dans la décision Rodriguez (1992), ou la raisonnement objective de « souffrances insupportables » fut rejetée pour des raisons « d’intérêt publique supérieur » (surtout au sujet des risques aux populations dites « vulnérables ») et puis, de manière positive, dans la décision Carter (2015).

      Décidément, il semblerait se manifester une certaine ironie dans ce fait que la loi — et le Parlement qui façonne la loi – aient pu si longtemps protéger la société Canadienne des imprudences implicites dans la satisfaction des passions populaires, seulement pour voir ces passions, simplistes, validées par la Cour Suprême, instance dont le mandat consiste précisément à protéger le citoyen, en dernier lieu, même devant les emportements possibles d’une législature trop enthousiaste ! Ce sont, d’ailleurs, des faits qui soulèvent, en passant, des inquiétudes sérieuses au sujet du rôle actuelle de la Cour Suprême dans notre pays.  

     Précisons, toujours, que la justification offerte par la Cour en 2015, pour abandonner la précédente qu’elle s’était elle-même fixée en 1992, s’exprimait par d’affirmations vagues de « changements sociaux » dans les vingt années écoulées entre les deux procès. Mais, je soumettrais, au contraire, que ces « changements » ne se soient véritablement produits que dans certains secteurs, seulement, (dont la communauté juridique elle-même) tandis que d’autres (comme les organisations et les intellectuels sortis de la communauté des personnes malades et handicapées) présentaient toujours une opposition — presqu’unanime — dont la nature, identique à celle du passé, ne montrait pas le moindre indice d’une quelconque « évolution dans les mentalités ».

     Reste encore la communauté médicale (décrit ailleurs en quelque détail), ou on ait pu effectivement constater une augmentation dans le poids de la minorité des médecins favorable à l’euthanasie — surtout aux instances décisionnelles des corporations professionnelles — suffisant peut-être, dans l’imagination populaire et médiatique, pour produire la fausse impression que « les médecins » appuyaient généralement la légalisation.  

     Pourtant, ce à quoi nous aurions eu intérêt (et peut-être droit aussi) c’est-à-dire une discussion profonde et structurée parmi les médecins, eux-mêmes, sur la nature de la médecine et sur l’opportunité de médicaliser le suicide — une discussion comportant des nuances de distinction compatibles avec la subtilité du sujet — ne s’est jamais produit. Car au lieu de cela, la redéfinition radicale de la pratique médicale, s’est fait, à la fin, par des juristes et des politiciens, avec toutes les limites de compréhension et de cohérence qu’une telle substitution de compétences professionnelles puisse présupposer.

     Mais même avec référence à ces circonstances atténuantes, il demeure difficile de comprendre comment la revendication d’une simple permission, de recourir au « suicide assisté par médecin » (dans l’hypothèse qu’on puisse, soi-même trouver un médecin volontaire) ait pu se transformer, avec autant de prestance, en « aide médicale à mourir ». Pourquoi, en effet, ajouter le poids socialement dangereux, de l’euthanasie universelle, à la simple décriminalisation du suicide assisté, jugée amplement suffisant par d’autre pays de première importance, tels l’Allemagne, le Japon, et les quelques États Américains engagés dans cette voie ?

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Partie B – II Morale et Loi : Chapitre 1 : Confusion dans la forme de la justification morale à la base de l’euthanasie

Exemplaire du code de loi d’Ur-Nammu, Nippur, 3ieme dynastie d’Ur, vers 2112 – 2095 av. J.C.

    Comme le corps de nos lois criminelles fut articulé, en premier lieu, pour donner forme aux dictats du consensus moral, nous devons d’abord, avec la permission du lecteur, nous pencher sur l’état de ce dernier. Beaucoup d’attention sera accordée, par la suite, aux changements de paradigme en cours – le pourquoi et le comment des transformations que nous vivions actuellement – mais pour comprendre le présent et, encore plus, pour prévenir le futur, il faut partir d’une description adéquate du passé.

– la morale universelle et objective, versus la morale contextuelle, qui surgit à l’intérieure de la subjectivité humaine

     De par notre histoire – de par notre nature, diraient certaines (ou par décret Divin, selon d’autres) — nous avons hérité d’une tradition de moralité absolue, qui cherche à diviser catégoriquement le « bien » et le « mal ». Dans les chapitres introductoires à cet ouvrage, nous aurions déjà décrit ces faits en constatant que, pour la plupart, et à l’intérieure de toute société distincte, les gens auront tendance à croire que les choses « bien » soient bien — et que les choses « mal » soient mal — objectivement, de la même façon qu’ils s’accordent pour dire que le ciel soit bleu ou que l’herbe soit verte.

     L’expérience subjective de la faculté morale de l’individu se confond, ainsi, dans le consensus collectif, pour produire une impression naturelle de vérité manifeste. Pour l’ensemble des gens, donc, ce sont des évidences reçues, immuables et universelles ; et au cas où quiconque en douterait du bienfondé des préjugés collectifs, cette personne s’exposerait aux critiques et aux sanctions sévères, soit au sujet de sa raison, soit au sujet de son caractère.

      Pourtant, pour le lecteur moderne, la simplicité de ces certitudes se complique avec l’observation que différentes sociétés aient compris le bien et le mal — c’est-à-dire qu’elles auraient interprété, soit la nature humaine, soit la volonté divine — de manière très différente les unes des autres. En conséquence, au cours des derniers siècles, des voix se sont levées dans la littérature, dans le discours théorique — et finalement dans la politique — pour dire que la moralité ne soit qu’un artifice social, capricieux, et arbitraire.

     Certes, ce doute – cette hérésie – se fait âprement disputé parmi les théoriciens. De manière analogue à l’enquête scientifique, dirait-on, le fait que les gens se trompent et se disputent sur la nature d’une réalité morale profonde, n’impugne pas l’existence réelle de cette dernière. Pourtant, à cette différence avec les lois de Newton (et au grand dam des philosophes et des théologiens), il n’existe aucune démonstration rigoureuse d’un tel ordre moral dans l’univers.

     Voilà donc, deux grands pôles d’attraction dans la pensée éthique et morale : primo, la notion d’un ordre absolu et immuable ; secundo, celle d’un univers sans aucun attribut éthique intrinsèque, où la morale humaine ne soit qu’une construction contextuelle.

     La première hypothèse, de bien catégorique, est soutenue par le penchant intuitivement naturelle de l’être humain, et se trouvent enracinée dans les mœurs de toute société connue, jusqu’au présent, qu’il s’agit des civilisations les plus primitives ou les plus sophistiquées.

     La deuxième, d’un vide moral — dans un univers essentiellement mécanique — que les êtres humains comblent selon leurs besoins changeants, semble pour plusieurs (possiblement partisanes d’un consensus officiel en devenir) se présenter en fait simple et incontournable, soutenu par les conclusions vérifiables de la science.

     Les arguments des deux bords de ce gouffre intellectuel sont d’une extrême subtilité théorique que je préfère éviter pour l’instant, mais du côté pragmatique, il serait toujours utile pour notre discussion présente, de constater certains avantages dans le paradigme de morale relative (voir artificielle), dont bénéficieraient tout partisan de changement macrosociale, ainsi que tout individu non-conformiste, qui pratique des comportements proscrits par l’ordre dominante. Car une fois la porte ouverte à la pluralité de possibilités éthiques, littéralement n’importe quelle proposition peut devenir défensable.

     Plus encore, très souvent, les apologistes de changements radicaux ou de comportements proscrits n’entreprendraient même pas la démonstration de la moralité des innovations proposées, se contentant, plutôt, de souligner la position non-scientifique des « moralistes » auxquels ils s’opposent. Car d’après cette stratégie, les moraux de leurs adversaires sont irrecevables simplement parce que ce sont des moraux (catégoriques), dans un univers que la science prétendrait amoral (sans l’intervention humaine). Et alors, peu importe les détails ou les conséquences des politiques proposées, nous sommes invités d’y adhérer, simplement en foi du fait que leurs apologistes auraient aux moins la franchise et la sophistication de répudier toute prétention à l’universalité morale.

     Dans le domaine des comportements individuels, l’attrait de cette logique serait plutôt évident. Quoi de mieux, en effet, que de comprendre que la morale catégorique n’existe pas, et d’improviser librement l’action personnelle sans le moindre souci éthique, outre les pulsions (désirs) qui nous arrivent naturellement ? Et voilà ! Même si nous ressentions un petit malaise passager, devant une telle notion, la vérité c’est la vérité, non ? La science, c’est la science !

      Reste, donc, la question inévitable au sujet de pourquoi les gens s’obstineraient à créditer, toujours, l’existence d’une véritable morale universelle — d’un partage objectif du « bien » et du « mal » — qui puisse servir de base aux lois humaines. Le lecteur serait même en droit de nous demander pourquoi tant d’espace et d’énergie serait fourni, ici, dans la considération de tels principes archaïques.

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