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mai 2020 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Le suicide assisté et le paysage social après Rodriguez

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Le suicide assisté et le paysage social après Rodriguez)

— Un procès perdu ; une cause gagnante

     Mais quelles sont-elles, au juste, les conclusions utiles que nous pouvions tirer de cette histoire, vielle de trente ans, du feu Sue Rodriguez ?

     De prime abord, je soumettrais, nous sommes appelés à constater l’écart important qui séparait, déjà à ce moment, la théorie légale de la réalité vécue. Car le jugement fut bien rendu contre les aspirations de la plaignante ; mais le décès, assisté, aurait également eu lieu.

     Appuyés massivement, par la tradition légale et par la meilleure opinion des éthiciens d’antan, les juges de la Cour Supreme du Canada affirmèrent que les menaces sociétales d’un jugement positif (particulièrement à l’endroit des personnes vulnérables, malades et handicapées) seraient de beaucoup plus graves que les préjudices possiblement subis personnellement, devant un refus, par Mme Rodriguez. La société refusa, ainsi, de cautionner les gestes de suicide assisté, médicalisé ou autre. Et en particulier : elle défendit à toute personne d’accomplir de tels gestes ou de fournir une telle assistance, sous peine de l’application des prévisions sévères d’un code criminel effectivement réaffirmé.

     Pourtant, le décès de Mme. Rodriguez, ouvertement provoqué à l’encontre de la loi (et largement célébré auprès du public) ne déboucha pas sur la moindre peine, ni même sur une arrestation ; et cela, en dépit du fait que les circonstances de ce décès aient pu paraitre si délibérément calculées pour provoquer la justice.

— Hofsess, Robinson et Considine : À quelques détails de stratégie près : une invitation au litige, déclinée par le pouvoir 

     Imaginons seulement un peu : la mort de Sue Rodriguez fut assistée par un médecin sur place (quoique toujours officiellement non-identifié) ; elle fut accomplie dans la présence d’un membre du parlement canadien ; et le récit détaillé en fut immédiatement fourni aux médias… Sans réponse juridique !

     C’était presqu’exactement le scenario imaginé par l’ancien favori (maintenant exclu) qui fut John Hofsess, avec cette unique exception : que le nom du médecin en fut supprimé. Car le coup de théâtre caressé par Hofsess demanda, finalement, la participation agressivement publique d’un médecin qui eut été personnellement désireux de provoquer une nouvelle « cause célèbre », issue directement de la première. Et il serait même possible (quoique non certain) que l’invalidation du code criminel, tant convoitée, ait pu se faire attendre pendant trente années de plus, grâce à cette dérogation au scenario projeté.

     Mais les différences réelles en sont, pourtant, assez maigres. Tout au plus, pouvions-nous identifier,  à l’image de plusieurs (incluant Hofsess lui-même), une différence d’attitude vis à vis de Sue Rodriguez la personne, et de Sue Rodriguez la symbole, par laquelle certains acteurs à ce drame (vraisemblablement Chris Considine et Sven Robinson) auraient désiré favoriser une interprétation plus personnelle et moins politisée (de la femme qui fut Sue Rodriguez), tandis que d’autres (comme Hofsess) auraient voulu l’instrumentaliser plus franchement dans la lutte engagée.

    Mais bien que le premier group (et Sue, elle-même, apparemment), ne partageaient pas cette idée puriste, (voulant que l’importance primaire de sa mort ait pu résider uniquement dans son utilité politique), il ne faut pas conclure qu’ils fuyaient, pour autant, les opportunités de litige ainsi présentées. Au contraire, Il est indéniable, qu’avec leur assistance au suicide de Sue Rodriguez, c’est à dire, en s’exposant savamment aux risques de poursuite évidentes, que le « médecin mystère » (et l’ensemble des autres conspirateurs également) se montraient parfaitement prêts à entreprendre cette épreuve. Seulement, ils ne l’exigeaient pas positivement.

     Dans l’occurrence, alors, ils laissaient aux autorités le choix final ; et celles-ci (probablement due à leur perception de la faiblesse, populaire, de la position officielle) refusèrent la conteste ; refusèrent, dirai-je, de mordre à cet hameçon — offert si effrontément avec une provocation tant étudiée — préférant, de toute évidence, continuer avec la seule illusion d’un interdit.

— Entre la fiction et la réalité : un gouffre qui s’expose : la triste victoire pratique des suicides et, surtout, de leurs complices

     Manifestement, les actions impunies de Sven Robinson, et de son médecin complice, nous offre un indice puissant concernant l’existence déjà établie d’une pratique clandestine de suicide assisté qui fut massivement élargie, aussi, autour des souffrants du Sida, précisément dans cette période d’apocalypse culminante, de l’épidémie : si bien que le décès volontaire, réédité en mode communautaire, eut devenu tellement répandu, qu’à peu près tout le monde associé à la sous-culture homosexuelle — protagonistes, amis et familles – s’en trouva touché, d’une manière ou d’une autre.

     Surtout, ces gestes ne furent pas principalement le fait d’individus isolés, utilisant les moyens de fortune typique du suicide. Au contraire. Il y avait de nombreux suicides pratiqués avec des produits pharmaceutiques, de provenance illicite peut-être, mais d’origine absolument institutionnelle. C’est à dire, qu’il existait un grand nombre de conspirateurs aux niveaux médicaux et pharmacologiques qui utilisaient leurs privilèges professionnels pour écrire et pour remplir des prescriptions factices, souvent prodiguées pour des fins et pour des individus sans rapport avec l’intention réelle, mais dont l’usage homicide fut délibérément planifié au départ. Dans un mot, : il y avait une implication communautaire : de manière technique et morale, le suicide était assisté.

     Il faudrait, aussi (à mon avis), hésiter ici un instant, pour considérer la véritable identité des « gagnants » de ce bataille. Peut-on vraiment dire que Sue Rodriguez sortit victorieuse ? Si oui, ce fut, très évidemment, une victoire dont elle n’en pouvait pas jouir, étant morte. Aussi, l’engagement du litige juridique ne concernait pas directement les droits de Sue, toute paradoxale que cette affirmation puisse paraitre, car l’enjeu convoité fut la décriminalisation, non du suicide (fait déjà atteint depuis vingt ans) mais de l’homicide (dans certaines circonstances médicales). Et les véritables gagnants, alors, étaient, non les personnes suicidaires, mais bien les assistants aux suicides ; et en particulier, cette petite faction parmi les médecins, qui croyait voir, dans l’homicide, une pratique médicale.

     Ces personnes n’avaient pas, peut-être, gagné ouvertement leur cause, mais ils avaient, à tout le moins, fait la démonstration de pouvoir agir, dans les faits, avec une certaine impunité. Et chose possiblement plus significative encore, ils avaient définitivement réussi à coucher le débat en termes médicaux, à savoir, non plus s’il existe des vies qui demanderaient rationnellement la mort en délivrance, mais plutôt, de quelles vies il s’agit : définies en fonction de critères médicaux. (Ce qui représente précisément l’interprétation rejetée, par le COPOH, au nom des personnes handicapées).

     Il s’est ouvert, donc, à travers ce prétexte du suicide assisté, une voie future clairement indiquée vers la pratique, pure, de l’euthanasie médicalement justifiée ; cette euthanasie, elle, qui avait demeuré l’objectif véritable de cette minorité médicale depuis plus de cent ans déjà. Car pour répondre à notre question précédente : Les vrais gagnants de la cause perdue de Mme Rodriguez furent les euthanasistes en devenir, dont les plus osés entrevoyaient déjà la possibilité d’une pratique poursuivie à la vue de tous ; et qui, à l’opposé de Sue Rodriguez, demeuraient bien vivants pour savourer leur victoire, et donc bien capables de s’en avantager.

— La voie devant : littéraire et politique

     En fait, ces pratiques devenaient tant usitées à cette époque, que les pratiquants, étant fermement imbus d’un sens de la rectitude de leurs gestes, en étaient venus, non seulement à désirer la légitimité légale, mais à la réclamer activement ; à croire, même, qu’un simple travail d’information mené avec détermination dusse produire, inévitablement, le résultat voulu. Et tel avait été, en grande partie, l’espoir logé dans la cause Rodriguez : un désir d’exposer au regard public la considération d’un phénomène encore radical, certes, mais devenu déjà normal à leurs yeux

     Bien avant de passer aux actes, cependant, les révolutionnaires commencent, d’habitude, avec des actions au plan culturel, en proposant par exemple, des représentations fictives destinées à préparer l’imagination collective pour des innovations futures.  Or, le véhicule médiatique, par excellence, des dernières décennies du vingtième siècle, se trouvait dans les productions cinématographiques. Et ce fut, alors, vers celles-ci que soient tournés les idéalistes (et les idéologues) de la mort volontaire : avec des idéalisations romanesques d’abord, mais ensuite par une représentation plus directe de la réalité souterraine qu’ils confectionnaient, sous forme documentaire.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Le suicide assisté et le paysage social après Rodriguez — Un cinéma de la mort volontaire, proposée en affirmation ultime de la liberté personnelle : « Whose Life is it Anyway » (1981))

— Les succès extraordinaires, mais quelque peu récalcitrants, du vingtième siècle

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : La santé personnelle se transforme progressivement en charge publique : comment et pourquoi — Les succès extraordinaires, mais quelque peu récalcitrants, du vingtième siècle)

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RHINEHART F. FRIESEN (1914 – 2009), M.D., F.R.C.S. [C], portrait circa 1975

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     Suivaient alors les grandes guérisons : des découvertes au rythme accéléré dont l’humanité savourait de plus en plus largement le fruit (avec quelque retard inévitable). Alexander Fleming (1881 – 1955), par exemple, est crédité avec la découverte de la pénicilline, en 1928, mais la première production industrielle de ce remède miracle fut réussie, seulement, vers la fin de la Deuxième Guerre Mondiale (1944) ; et une préparation permettant l’administration par voie orale n’est arrivée qu’en 1952. Ce développement, pourtant, accompagné par la découverte parallèle des premiers agents antimicrobiens de synthèse (les sulfamides, 1935 et suivant), permettait, pour la première fois, un traitement efficace de plusieurs infections. Il en résultait, certes, l’épargne d’un nombre incalculable de vies, directement, dans le traitement des infections accidentellement rencontrées ; mais aussi, et peut-être encore plus significativement : toute la science chirurgicale devenait, d’un seul coup, infiniment plus sécuritaire, et donc, plus largement praticable.

     Du côté de l’immunisation, il devint enfin possible, dans les années cinquante, de prévenir les ravages de la polio avec un vaccin administré aux enfants par injection. Je me souviens, d’ailleurs, de ma première expérience de vaccination à cette époque, en compagnie de quatre ou cinq des enfants de nos voisins les plus braves, aux mains de mon père, Rhinehart F. Friesen (1914 – 2009). L’année était 1955. Je me souviens, avec précision, comment il stérilisa la seringue et ses aiguilles dans l’autocuiseur de ma mère, pour les ranger ensuite à l’aide de pincettes, entre deux linges à vaisselle propres, sur la table de notre cuisine.

     La dernière grande épidémie de polio fut arrivée à son apogée, trois ans plus tôt en 1952, avec 58,000 cas, 21,000 infants paralysés et 3000 morts (É.U.). Un programme public de vaccination fut enfin prodigué aux enfants, dans les écoles, en 1958.

     Tout aussi significatif, et même plus, fut l’éradication, au même moment, de la petite vérole, ce tueur massif par excellence, dont nous avions tous l’habitude de ne pas remarquer les cicatrices caractéristiques, imprimés profondément sur les visages des survivants. Du jour au lendemain, elle fut essentiellement éliminée de la terre.

     Face au diabète, Sir Frederick Banting (1891 – 1941) et Charles Best (1899 – 1978) avaient employé l’insuline de façon réussie en 1922, mais conforme à l’exploitation des autres innovations répertoriées ici, la production synthétique permettant un usage universel n’est apparue qu’en 1977. J’avais, pourtant, un camarade de jeunesse qui s’auto-administrait le produit naturel, plus rare et beaucoup plus dispendieuse, des 1968.

     Décidément, encore : force serait de constater qu’une révolution — dans l’hygiène, dans la stérilisation, et dans la compréhension des mécanismes des maladies — s’est bel et bien produite dans le dix-neuvième siècle et dans la première moitié du vingtième ; mais les vrais bénéfices, c’est à dire les vraies guérisons, se sont faits attendre, jusqu’aux années 1940 et suivantes. La psychologie des professionnels médicales, enfin, s’est radicalement transformée, (avec les attentes des patients, également), à partir de cette époque.

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— Prêter un visage humain, unique, à la période des changements décrits

     J’aurais commencé ce chapitre en prétendant que la révolution médicale se soit produite dans l’espace d’une seule génération. Maintenant, en voici le portrait humain :

     En 1932, à l’âge de dix-huit ans, un jeune homme de milieu rural, particulièrement curieux et sérieux, réussit à se qualifier (avec une avance de deux ans sur ses contemporains) comme enseignant d’école publique. Ce fut précisément le début de la pire période de la Dépression Mondiale ; mais malgré une compétition féroce pour tout genre de travail rémunéré, sa réputation d’étudiant exceptionnel lui mérita l’octroi de la première position disponible, soit la poste de professeur d’une classe de sixième année dans un petite ville à quelque distance de sa région natale.

     Le médecin de cette petite ville entretenait, aussi, une maison de chambres qui jouait un rôle de proto-hôpital, et dans laquelle il avait l’habitude d’héberger les fermières, à l’approche de leurs accouchements, dans l’espoir de s’épargner des déplacements difficiles, par nuitée d’hiver, dans les terres éloignées des environs. Le jeune enseignant, lui, en se cherchant un endroit où rester, avait l’heureuse idée de louer une chambre dans cette maison. Et grâce aux gouts partagés pour la culture et le savoir, il s’est rapidement lié d’amitié avec son propriétaire.

     Or, dans un rythme de vie qui n’offrait que très peu d’opportunité de divertissement, les deux hommes prenaient l’habitude, dans leurs heures de liberté, de s’offrir le plaisir, l’un pour enseigner, et l’autre pour apprendre, la théorie et la méthode des enquêtes diagnostiques, particulièrement en ce qui concernait l’observation microscopique, et les épreuves biochimiques, disponibles aux médecins de l’époque. Dans peu de temps, bref, le jeune homme se trouvait dans une position informelle d’assistant auprès de son hôte, et à la suite de ses journées de classe (et de sa préparation des cours à venir), il accomplissait toutes sortes de menues tâches auxiliaires à la pratique médicale, en contrepartie d’une gratuité de loyer et de frais-repas.

     Et c’est ainsi que sous cette tutelle privilégié et généreuse, mon père (car il s’agissait bien de celui-ci), concevait peu à peu la notion qu’il pouvait, lui aussi, aspirer au rang élevé de médecin. Et de fait, ayant comme seules ressources son intelligence et son ambition, il y fut réellement parvenu quelques années plus tard ; au prix de sacrifices, de discipline, et d’exploits méritoires que j’aurais possiblement l’occasion de raconter ailleurs, mais dont la place m’en fait ici défaut.

     Cependant, le bienfaiteur de circonstance tant significatif, celui qui avait propulsé, si adroitement, son jeune émulateur sur ce chemin exigeant, ne lui avait pas seulement communiqué le gout des honneurs, des privilèges et des avantages monétaires associés à sa profession ; il avait, également, pris soin de lui en transmettre les doutes intimes. Car depuis toujours, parmi les médecins de type contemplatif, il existait, jadis, une question incontournable, de signification personnelle et impérative, à savoir : pourquoi fait-on cela ? Ou plus particulièrement : si, oui, ou non, les agissements des médecins (pris dans l’ensemble) avaient prodigué plus de bien, ou bien plus de mal, aux patients sous leur autorité ? Ou encore de façon plus crue : s’agissait-il (la médecine) d’une grande entreprise humanitaire, ou encore, d’une énorme supercherie ?

     Pour comprendre le sens de ce questionnement, située dans le temps, nous pouvions utilement considérer les notes des médecins qui soignaient le roi Louis XIV lors de son agonie finale, et de sa mort de gangrène, en 1715 (Louis présentait de nombreux problèmes de santé et subissait toutes sortes de traitements sous les mains de ses médecins personnels) : « Pendant (sic) quelques jours, nous avons continué à saigner le patient et nous avons administré des purges puissantes… mais sans pouvoir arrêter le mal … ».

     Ce serait, donc, très loin d’être une question idiote, pas plus que la trépidation personnelle qui en résultait. Même que, d’une certaine perspective, nous pouvions affirmer que le mouvement hippocratique lui-même en soit né par réaction ; car cette préoccupation avec une évaluation lucide de la contribution médicale se trouve clairement reflétée dans le principe tant répété : « en premier lieu ne faites pas de tort », qui comprend, aussi, l’admission implicite des limites de la pratique médicale, et de l’humilité qui doit accompagner sa pratique éthique.

     Or, parmi tous les médecins que la vie m’a donné l’occasion de connaître, seulement celui-ci, ayant fait ses études dans les années trente, au tout début de la vraie révolution pratique de la médecine (pour différencier celle-ci de la révolution théorique précurseur) m’en aurait parlé de cette question, et m’ait pu ainsi ouvrir une fenêtre conceptuelle sur la réalité d’un passé encore récent, où toutes les générations des médecins, sans exception, en furent hantées. Et à ce sujet, il m’aurait raconté, aussi, à plus d’une reprise, l’anecdote suivante.

     Ayant arrivé enfin dans la grande ville ; ayant réussi par voie de frugalité et de travail sans compromis à traverser les études scientifiques préalables ; et étant parvenu, finalement, à se tailler l’une des places tant convoitées dans la Faculté de Médecine (dont l’entrée dépendait d’un examen hautement compétitif, et où les places gagnantes furent, en plus, ouvertement contingentées par appartenance ethnique et religieuse) mon père avait l’opportunité d’assister à sa première véritable conférence médicale. Or, fidèle à son habitude de ne jamais gaspiller les chances que le hasard puisse nous présenter, il s’en profita pour solliciter l’occasion formateur et initiatique de parler en tête-à-tête avec l’un des sommités les plus célébrés de cette époque, un homme dont la carrière active s’était faite dans les années frustrantes de la génération précédente, et qui descendait même dans la brume comparative du dix-neuvième siècle.

     Après un repas simple, en coulisse, et après quelques ouvertures exploratoires, cet homme a vite deviné la nature des préoccupations de son jeune interlocuteur ; et a fini par l’interrompre, subitement, avec des paroles que nous serions possiblement portés à prononcer indument sévères, mais qui véhiculait, néanmoins, toujours fidèlement, la perception subjective du premier concerné : « Je vois que ce que tu veux, vraiment, c’est de me poser la question essentielle, à savoir :  si oui, ou non, au cours de ma carrière médicale, je crois avoir fait plus de bien pour mes patients que je ne les ai fait du tort.  Eh bien, je l’avoue franchement : je sais avec certitude que je n’en ai pas fait ! Mais pour toi, peut-être, ce sera différent… Car il y a grand espoir, maintenant, que toi, et ta génération, vous seraient les premiers à réaliser cet exploit. ».

     Tel, donc, est l’histoire personnelle d’un homme qui avait commencé sa carrière, comme tous ses contemporains, avec des questions proprement classiques sur le sens de son activité professionnelle ; et qui a eu la chance, bénie, de survivre et de pratiquer dans un monde nouveau, ou l’ensemble des médecins — formés après la Deuxième Guerre — ne se questionnait plus (et n’avait plus à se questionner), sur la valeur nette de leur travail collectif.

     Tels sont les récits simples, recueillis de la bouche d’un témoin — qui fut aussi l’un des acteurs — dans cette révolution de la science médicale qui a si profondément altéré la vie humaine.

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Une petite contribution canadienne à la révolution médicale du vingtième siècle (1964) : la transfusion fœtale intra-utérine pour combattre l’erythroblastosis fetalis résultant d’une incompatibilité entre mère et fœtus dans le facteur sanguin Rh. Les transfusions furent données entre 22 et 32 semaines de gestation, en espérant délivrer les bébés à 34 semaines.

L’Équipe de transfusion fœtale intra-utérine, de la Laboratoire Rh de l’Université de Manitoba à Winnipeg, fut le deuxième group à pratiquer cette intervention, suite à la première mondiale (1963) du Dr. (Sir) Albert Liley (1929 – 1983) en Australie. De 1964 à 1971 l’équipe Manitobaine produisit : le premier bébé vivant, le premier enfant survivant, le plus grand nombre d’interventions, le meilleur taux de transfusions réussies, le meilleur taux de bébés vivants, et le plus grand nombre d’enfants survivants.

Les membres de l’Équipe furent : Rhinehart F. Friesen, M.D., F.R.C.S. [C], Dr. John M. Bowman, Pédiatre et Directeur Clinique de la Laboratoire Rh, Dr. A. Campbell Macinnis, Obstétricien, et Dr. Chandulal M. Shah, Fellow de la Laboratoire Rh, U. de M.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II: Le régime de santé publique — Chapitre : La santé personnelle se transforme progressivement en charge publique : comment et pourquoi — Médecine et immortalité : une crise, dans la perception de soi, provoquée chez l’être humain)

De la manière dont les médecins canadiens furent servis par l’état

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : De la manière dont les médecins canadiens furent servis par l’état)

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Muhammad Ali, né Cassius Marcellus Clay Jr. (1942 – 2016), refusa le service militaire pour des raisons de conscience en 1967. La même année il fut condamné à une peine de 5 ans de prison, et une amende de 10,000.- $. En conséquence, il perdit sa licence de boxe professionnelle et son titre de Champion mondiale des poids lourds. Dans les mots du célèbre guerrier pacifique « C’était dit que j’avais deux alternatifs : aller en prison, ou rejoindre l’armée. Mais j’aimerais dire qu’il existe un autre alternatif, et cet alternatif, c’est la justice ». Ali avait alors 25 ans.

En 1971, cette condamnation fut nullifiée, par la Cour Supreme, en considération de la récente décision Welsh v. États Unis (1970) qui enleva, désormais, la nécessité traditionnelle de fournir une preuve de credo religieuse pour justifier les objections de conscience.

À l’âge de 29 ans, malgré cet interlude de quatre années fortement controversées, et devant une expectation publique fortement sceptique, Muhammad Ali reprit sa carrière de pugiliste.

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— Un changement radical dans l’éthique médicale, imposé d’autorité extérieure

     De prime abord, avec l’introduction de l’euthanasie en soin universellement garanti, il serait indéniable que le pouvoir politique avait modifié la pratique médicale, unilatéralement, par voie juridique et législative. Tout au plus il y avait une acquiescence passive de l’ensemble de la communauté médicale devant ce fait accompli.

     Alors, loin de confirmer l’idéal reçu, d’une profession autonome, formée organiquement dans la compétition théorique et clinique ; loin de l’idéal d’une confrérie pluraliste de praticiens libres, dont les connaissances les placeraient au-dessus de la critique vulgaire ; et loin encore du métier ancestral qui jouissait effectivement d’un statut quasi-complet d’indépendance scientifique et morale — les circonstances décrites sembleraient nous indiquer une direction plus sombre : ou la réalité politique de la médecine sociale invite (et même, dans l’absence d’une vigilance extrême, aurait tendance à imposer certainement) une définition nouvelle du médecin, en simple mécanicien-fonctionnaire de la technologie médicale, sous la direction de l’État.

     À tout le moins, tel serait le risque inhérent dans tout système ou l’État agit en mandataire unique. Et mu par un tel constat pessimiste, il serait facile de conclure que cette détermination, de la majorité des médecins canadiens, de supporter en parfait neutralité les choix de chacun — de s’accorder seulement pour admettre et pour accepter le désaccord – n’ait pu fournir, dans les faits, qu’ une mince feuille de vigne : pour permettre la conservation d’une prétention creuse à l’indépendance hautaine du médecin d’autrefois, au moment précis où la profession se faisait instrumentalisée, sans façon, par un pouvoir politique dont les priorités était manifestement ailleurs.

— Une trahison des termes originaux de la prise en charge étatique de la médecine canadienne

     Ce coup de main, de la part de l’État — cette usurpation des prérogatives de la profession médicale — se révèle, d’autant plus traitre, à l’examen des circonstances originales de la socialisation de la médecine au Canada (1968).  Car dans ses débuts, le système social était uniquement présenté comme un véhicule pour assurer l’accès universel aux soins médicaux par voie de financement publique. Le but n’était pas de transformer ceux-ci ; au contraire : des protestations effusives de pureté d’intention — précisément au sujet de la liberté professionnelle dans la recherche du bien du patient — furent énergiquement prodiguées par les politiciens d’antan, sans quoi les médecins, et probablement le public aussi, auraient résisté cette innovation avec beaucoup plus de vigueur.

     Mais, n’en déplaise aux idéalistes étatiques, les promesses faites par nos dirigeants, au moment de la socialisation, sont devenues rapidement caduque ; et de nos jours la médecine, au Canada, se trouve radicalement transformée, non seulement dans son aspect administratif, mais aussi grâce à la détermination politique de s’immiscer dans les compétences proprement médicales. Car l’expérience nous aurait tôt appris que la nature de la pratique ne pouvait pas demeurer isolé des intérêts financiers de l’État. Et sont partis pour toujours, alors, les douces illusions que l’État, sous l’égide démocratique de la vigilance du citoyen, se contenterait de respecter les bornes héritées du passé.

— Une définition abusivement restreinte de la notion de « conscience »

     De manière pratique, une fois la loi décriminalisant l’euthanasie fut adoptée  — c’est-à-dire, avant même que les signatures aient figurativement séché sur les documents –  et dès que la véritable stratégie de mise en pratique institutionnelle se serait révélée avec précision, certaines limitations inattendues se sont subitement apparues dans la portée des garanties offertes aux médecins ; et plus particulièrement : en ce qui concerne la garantie principale qu’aucun médecin ne serait contraint à pratiquer l’euthanasie contre la libre opération de sa « conscience ».

     Car il s’est immédiatement manifestée une manipulation significative de cette proposition (dans le vocabulaire et dans l’intention), qui, je prétendrais, en réduirait considérablement l’importance.

     Par voie d’explication, je dirais, d’abord, que la « liberté de conscience » — située dans le contexte modern et professionnel –ne signifie rien d’autre que le droit et le devoir, traditionnellement reconnus au médecin individuel, de poursuivre le bien de son patient : à sa manière ; selon ses connaissances ; selon son expérience ; selon ses opinions professionnelles — et aussi — selon toutes les éléments intangibles de caractère qui contribueraient à la formation d’une stratégie thérapeutique, dans chaque circonstance précise, qui serait informé, experte, spécifique — et très possiblement unique — au praticien particulier.

     Il serait à bien noter, s’il vous plait, que la « conscience », ainsi comprise, ne se positionne, aucunement, en opposition avec l’opération de l’observation objective qui soit propre à la science ; au contraire, elle se trouve parfaitement en complémentarité avec celle-ci. Et avec référence à l’euthanasie, cet usage naturel et traditionnel des mots (quoiqu’également moderne et pragmatique) nous confirmerait lucidement les faits réellement observés : que parmi les praticiens médicaux en présence, il existe, bel et bien, un différend de jugement professionnel, à savoir si, oui ou non, l’euthanasie puisse être bénéfique pour le patient.

     Mais en contradiction avec cette interprétation naturelle — de par je ne sais quelle prestidigitation verbale et discipline dans le message — les promoteurs de l’euthanasie, ainsi que le législateur éventuel, auraient largement réussi à favoriser un sens archaïque du mot « conscience », plus restrictif celui-ci, ou le droit de penser et d’agir en opposition aux dictats de l’État, serait dérivé plus immédiatement de la « liberté de culte », et dont l’exemple classique de son application antérieure était l’usage propre aux « objecteurs de conscience » pour qui le droit de refuser les services militaires universels fut accordé, jadis, par respect aux croyances religieuses.

     Superficiellement, j’avoue, le principe semblerait clair et suffisant : tout médecin dont les principes moraux sont incompatibles avec l’euthanasie ne serait pas contraint à pratiquer celle-ci. Cependant, il y a deux importants problèmes dans cet usage, que j’aimerais signaler.

— La négation du statut primaire de l’individu humain en agent moral

     Le premier de ces problèmes concerne les préjugés défavorables et les imprécisions qui s’attachent, aujourd’hui, à toute discussion de la « moralité », surtout quand cette moralité serait conjuguée à la religion. Car d’après la pensée moderne et laïque, les préceptes religieux — issus d’autorités lointains ; imbibés à l’enfance selon les accidentes de la naissance ; appliqués possiblement, pendant toute une vie sans véritable réflexion critique — ne seraient, dans les faits, que des expressions suspectes de caprice doctrinal, et de la superstition aléatoire. Il n’y aurait, pour y insister, aucune place dans cette analyse présentiste pour une recognition lucide du fait que toute la sagesse préalable de notre race se trouve, de nécessité, articulée dans des formes religieuses. Il en résulterait, ainsi, dans l’esprit de plusieurs, l’impression que de tels « refus de conscience » soient faites pour aucun raison valable, et cela, même si une volonté superficielle d’accommodement nous contraindrait à les recevoir avec délicatesse.

     Derrière cette position, bien sûr, se trouve la présomption que les normes morales ne sont que des constructions sociales ; et que l’individu serait légitimement gouverné, en tout point, par les standards de sa collectivité. Il se peut, tout au plus, qu’au sein de certains états pluralistes, des exemptions soient parfois reconnues par respect à l’appartenance première de l’individu envers d’un culte religieux ou philosophique. Cependant, cette magnanimité de l’État véhicule, en même temps, deux insultes de la plus perfide condescendance : que premièrement, aucune légitimité n’y serait véritablement accordée (étant donné que les normes de la collectivité élargie prennent toujours précédence par définition) ; et surtout, que ce raisonnement, exclusivement collectif, trivialise les facultés morales qui sont propres à l’individu humaine.

     Car le sens moral existe, à l’intérieur, comme à l’extérieure, de la religion. Et les personnes qui s’identifient comme non-religieuse ne sont pas, pour autant, des personnes dépourvues de « conscience » ! Au contraire, la tendance rigoureuse, de tout questionner (pour le religieux comme pour le laïc), ne fait que d’approfondir et de renforcir la faculté morale. Surtout : la sagesse millénaire nous apprend qu’un sens du bien et du mal — qu’il soit rudimentaire ou réfléchi, majoritaire ou éclectique — fait partie inséparable de ce qui définit notre humanité.

     Or, nous nous trouvions, ainsi, à des années lumières du contexte, historique et intellectuel, dans lequel certains individus, appartenant à des cultes religieux bien définis, furent exceptionnellement excusés des services militaires (tout en subissant des pénalités importantes). Car, aujourd’hui, le champ des actions jugées sujet à des « objections de consciences » s’est grandement élargi, et la base des justifications tout autant.

     Nous nous retrouvions, cependant, toujours face aux mêmes questions soulevées par ces précédents (et par les sacrifices personnels qui y furent consentis) ; à savoir : Quelle doit être l’attitude étatique devant notre conviction commune (presqu’universellement partagée de manière intuitive) de l’homme particulier en agent moral, distinct de ses pairs ?

     Aussi récemment que 1970 (Welsh v. États Unis) la Cour Supreme de ce pays aurait jugé que la croyance religieuse n’est aucunement essentielle pour l’affirmation légale des privilèges de conscience : qu’avec ou sans religion tous les hommes sont des êtres imbus de l’agence morale ; que les convictions du laïc, de l’agnostique, ou de l’athée, mérite le même respect que celles du croyant. Ce fut une victoire importante pour la dignité naturelle de l’homme.

     Déplorablement pourtant, devant la redéfinition étatique de l’euthanasie en soin médical bénin, cette égalité serait réduite (pour les consciences dissidentes), vers une simple égalité d’insignifiance impotente ! Car si les réserves morales, de tous et de chacun, recevraient la même considération affectée, leur légitimité admise resterait toujours nul, face au décret de l’État.

      Or, est-ce que nous nous devions réellement d’accepter, aujourd’hui, une nouvelle interprétation de l’homme, considéré comme essentiellement sans morale ? Pour qui les consignes du pouvoir suffiraient, en soi, pour lui ôter toute responsabilité devant ses propres gestes ?  Accepterions-nous, surtout, qu’une telle conception réductrice soit appliquée, spécifiquement, à l’éthique médicale ?

     Pour ma part, la réponse en serait on ne peut plus simple : je soutiendrais, avec énergie, que les expressions de conscience, manifestées aujourd’hui par des médecins individuels, devant les gestes homicides redéfinis en soins médicaux, n’ont rien de trivial, et ne peuvent aucunement être minimisées en fonction du dictat officiel. Au contraire : que ces convictions soient les faits de personnes d’appartenance religieuse ou non ; de toutes souches confondues et quelles que soient leurs origines — étudiées ou intuitives : elles méritent, d’emblée, toute notre attention, et tout notre respect.

— Aussi : la négation législative et règlementaire des éléments rationnels de la « conscience »

Tristement, la trivialisation de l’agence morale n’épuise pas les malheureux effets d’une telle conception du jugement professionnel. Car en autant que le pouvoir législatif ne mentionne explicitement que les objections de « conscience », comme mobile recevable pour justifier un refus de participation au programme d’euthanasie (et ce dans le sens restreint de « conscience morale »), il semblerait aussi (de par le fait même), nier implicitement le sérieux de tout autre genre d’objection ; ce qui comprendrait — pour être absolument clair — tous les éléments, scientifiques et autres, qui sont compris dans la notion plus large de « conscience professionnelle » proposée dans ces pages.

     Ou plus succinctement : nous sommes devant une application de loi qui prévoit des accommodements pour les objections éventuelles — jugées irrationnelles — de la religion, mais qui rejetterait, avec la finalité de la silence, toute contestation fondée dans la raison, ou dans la science. Et la justification en serait des plus catégorique : le législateur aurait déjà statué sur la légitimité de l’euthanasie comme pratique médicale ! Officiellement, cette pratique ne pose plus aucune question – ni théorique, ni clinique, ni scientifique, ni sociale ; son caractère de soin médical bénin étant simplement décidé — par définition de décret — grâce à l’autorité législative.

     Et pour illustrer cette dynamique de manière pratique, considérons seulement la consigne éthique actuellement fournie par les collèges professionnels qui règlementent la pratique médicale en Ontario et au Québec (provinces comprenant, ensemble, 65 % de la population canadienne). Il s’y trouve stipulé : que le médecin traitant doit donner suite à toute demande d’euthanasie, ou, alternativement, expliquer auprès du patient qu’il y soit retenu par des « profondes convictions morales ». Aucun autre mobile de refus serait envisagé.

— Dénaturement, de la liberté de conscience ; Suppression, de l’éthique majoritaire

      Alors, voilà le sort réservé à ceux qui croyaient pouvoir toujours pratiquer et développer la médecine hippocratique, avec sérieux et respect, en parallèle avec les nouveaux soins d’euthanasie : le refus personnel de participer serait reçu favorablement, d’emblée, mais sans aucune considération des raisons derrière ce refus, puisque celles-ci demeurent (au sens du législateur) sans importance. Et c’est ainsi que la meilleure compréhension de l’intérêt du patient — entretenue à l’époque par une majorité des praticiens médicaux – ne soit représentée, du jour au lendemain, dans la même lumière que cette superstition enfantine à l’effet que l’on doit marcher dans les carrés, et non sur les lignes, des pavés de trottoir !

     Voilà une image grotesque, certes, mais ce serait quand même ainsi, je soumets, que la prétention politique se présente : car en considération du fait que les médecins sont des agents rémunérés de l’État ; et considérant aussi, que l’employer définit les tâches de ses mandataires : nos dirigeantes affirmeraient que l’euthanasie doit être reconnue comme soin médicale — bénin et universellement disponible – simplement parce que l’État en aurait décidé ainsi… sans plus.

     Or, dans de telles circonstances, il semblerait que le « droit de conscience » ne soit devenu qu’une plaisanterie cruelle.

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Généralement reconnu comme le meilleur des boxeurs de tous les temps, Muhammad Ali (né Cassius Clay) fut trois fois Champion mondial des poids lourds : 1964 – 1967 ; 1974 – 1978 ; 1978 – 1979. Au cours de sa carrière professionnelle, Ali livra 61 combats, dont 56 victoires, et 37 victoires par K.O.

Sa première défaite, qui est advenue en 1971 (après une absence forcée de quatre ans), semblait signaler une fin de carrière définitive. Pourtant, contre toute attente, il réussit à reprendre le championnat en 1974, pleinement dix ans après le début de son premier règne, ce qui demeure une exploite unique dans les annales de ce sport.

Outre sa présence de sportif hors pair, Muhammad Ali marqua sa génération en icone de la désobéissance civile. À l’âge de dix-huit ans, suite à une altercation de teneur raciale dans sa ville natale de Louisville (Kentucky), dans un geste caractéristique qui exprimait son refus de l’injustice : Cassius Clay jeta sa médaille d’or (fraichement gagnée aux Jeux Olympiques de Rome), dans la Rivière Ohio.

Peu de temps après, il changea son appellation à « Cassius X » suivant l’exemple du célèbre Malcom Little, devenu Malcom X (et ensuite El-Hajj Malik El-Shabazz).

Trois ans plus tard, Muhammad Ali, s’est écopé d’une peine de 5 ans de prison comme objecteur de conscience.

Image : Sur le podium à Rome (1964) médaillé d’or, poids lourds légers.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : De la manière dont les médecins canadiens furent servis par l’état — Comment expliquer cet acharnement débridé dans la victoire des promoteurs de l’euthanasie, à l’intérieur, comme à l’extérieur, de la profession médicale ?)

— L’ethos du nomade et du noble

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Prohibition IV : La perception populaire des évènements, et le nouveau paradigme de permissivité sociale — L’ethos du nomade et du noble)

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« Le moissonneur » ; Jean-François Millet (1814 – 1875) ; Hiroshima Museum of Art)

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    Dans la vision populaire de notre passé pastoral, dans cette idylle — romantique et artificielle — du plaisir dans la permissivité de la misère, il se dégage une image de l’homme de classe populaire, heureux dans son ignorance et dans sa pauvreté ; une image qui le représente en être naturel, essentiellement irresponsable ; bon ou méchant selon les caprices du sort ; et — du point de vue moral — à peine différencié de la bête des champs.

     Mais ironiquement, ce sont précisément les vertus du paysan — de patience et de travail, de planification et de conservation minutieuse des moindres ressources — qui seraient ainsi dénaturées. Car le paysan, et surtout le paysan libre, est un homme particulièrement prudent, particulièrement sérieux ; et si l’absence de responsabilité personnelle, élevé en valeur morale par le poète moderne, fut parfois une qualité de l’esclave, ou du serf, elle n’aurait jamais pu l’être, chez le paysan propriétaire, ou à loyer.

     En fait, l’ethos du libertin trace ses origines plutôt dans les habitudes, de jeu et de débauche, affichées auparavant chez les aristocrates, c’est-à-dire chez ces professionnels de la violence devenus « nobles », et exploiteurs fiers du travail des tiers ;  affichés chez les soldats, aussi, qui soutenaient cette classe aristocratique et qui imitaient leur code de paresse et d’honneur ; et en dernier lieu, chez les artistes qui s’arrangeaient pour partager la fête des classes supérieures, c’est-à-dire : pour divertir, pour amuser, pour flatter, et surtout, pour fournir l’intelligence, la beauté et la jeunesse accommodante, qui sont les ingrédients essentiels du divertissement mondain.

     C’est une moralité de « facilement gagné, facilement perdu », dans laquelle l’indigence serait la condition par défaut, et aussi, l’aboutissement inévitable. L’opulence, elle (si jamais elle fut atteinte), ne serait qu’un simple interlude duquel il faudrait profiter en passant, sans retenu. L’idée d’une discipline qui puisse prolonger et même garantir la prospérité, est entièrement étrangère à cette mœurs commun aux nomades et aux nobles.

     En contrepartie, non seulement le gaspillage insouciant n’est pas une caractéristique des paysans, il en serait l’anathème. Et rien ne pourrait qualifier le mépris dont serait teinte la peur du cultivateur, étouffée stoiquement devant l’approche dévastatrice des hordes vagabondes.

— La montée des villes

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Pendant le Moyen Âge, même en temps de paix, les grands princes devaient entretenir leurs cours en mouvement perpétuel.

Il y avait, des avantages, certes, à « se faire voir » dans les régions éloignées, à montrer une présence politique et militaire (rassurante ou intimidante, selon les besoins), et de rendre justice sur place. En même temps, dans une société sans grande monétisation, et avec des transports très primitifs, c’était difficile aussi (voire impossible), d’entretenir longtemps, dans un seul endroit, les besoins d’une cour importante. En plus, les redevances aux seigneurs se payaient (habituellement) nature, souvent en denrées périssables.

Alors les rois trouvaient le moyen de combler ces intérêts divers avec un système « d’itinérance », par lequel ils se rendait, avec leur entourage, consommer les redevances sur place, à raison de deux ou trois nuitées par endroit. Le faste royal se maintenait, ainsi, dans une mesure d’extravagance impossible pour les habitants sédentaires, dans la poursuite d’un itinéraire toujours renouvelé, avec la consommation de tout sur son passage.

Illustration d’un wagon royal ; « Psautier de Luttrell » ; circa. 1340

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     Dans l’Europe médiévale, l’opulence dans la consommation fut le propre de l’entourage des grands chefs seulement, qui consistait des gens armés de la suite personnelle, ainsi que d’un nombre équivalent de femmes et de pourvoyeurs commerciaux que l’on nommait des « suiveurs de camp ». Ces derniers se transformèrent, au gré des emplacements permanentes, de garnisons et de châteaux, dans de petits attroupements civils sédentaires atténuants, extérieur à l’ordre militaire, mais néanmoins tolérés du pouvoir, dévoués à l’entretien d’une économie de nécessité, et de luxe, à l’intention des conquérantes. Certaines villes, aussi, du fait de leur emplacement géographique (et de leur histoire précédente), assumaient une importance commerciale plus large, parfois même indépendante. Et dans ces cas, la fonction de pourvoyeur de luxe au pouvoir s’orientait vers la satisfaction de l’élite de la ville elle-même, c’est à dire : les grands bourgeois dirigeants.

     Or, avec l’extinction progressive des résidences princières et des grands monastères, la vie de consommation de luxe se trouva concentrée dans l’ensemble de ces emplacements citadins, grands et petits, qui contenait — encore dans l’année 1800 — seulement 12% de la population en Europe, et 5% aux États Unis. Car jusqu’à cette époque, presque tout la production manufacturière (toujours de nature artisanale), se dirigeait vers le marché des riches. Et puisque ce fut un très petit marché de par sa nature, presque tout le monde se trouvait obligés de rester encore sur les terres, engagés dans un pratique agricole de subsistance.

     Pourtant, avec la science et l’industrialisation (incluant l’industrialisation de la production et la conservation des boissons alcoolisés), la satisfaction manufacturière de véritables marchés de masse favorisait un influx massif de travailleurs (et d’aventuriers) de sorte que la population urbaine de l’Europe passa à 36% du total (pour l’année 1910) et jusqu’à 41 % aux États Unis. De plus, tel que les récits contemporains nous enseignent, l’industrie du vice s’est également démocratisée de sorte qu’elle prodiguait maintenant ses services, non seulement aux nobles, aux soldats et à la bourgeoisie, mais aussi aux nouveaux travailleurs salariés. Dans les villes capitales, les quelques « maisons publiques » (« pubs ») se transformèrent dans des quartiers entiers, dévoués au commerce de plaisir. Ce fut, sans contredire, et jusqu’à nos jours, la transformation civilisationnelle la plus rapide et la plus significative jamais connue.

     Nous pouvons constater, alors, que la problématique humaine qui soit propre à l’urbanisation demeurait, somme toute, assez restreinte au début du dix-neuvième siècle ; mais que ce fut précisément cette période subséquente (comprenant cent ans de croissance inouïe dans le nombre de personnes touchées par la vie et par les vices urbains) qui aboutissait vers 1870 dans le mouvement de Tempérance, et cinquante ans plus tard, dans la Prohibition. Car pour répéter notre conclusion précédente : la Tempérance volontaire, et la Prohibition, ne furent pas des mouvements de suppression des mœurs ancestrales ; ce furent, au contraire, des réactions contre de fléaux sociaux très actuels, anciens dans leur nature, peut-être, mais nouveaux, aussi, dans leur forme, et dans leur étendue.

     Or, quelle fut l’importance de ces maux ?

     Précisions seulement, qu’au sein des grandes villes, tant en Europe qu’en Amérique, le taux de croissance naturelle (sans l’apport des nouveaux arrivants) fut toujours en deca du taux de remplacement minimal, c’est à dire : à travers toute l’histoire jusqu’au moment de la Prohibition (et encore de nos jours), les grandes villes furent des consommatrices nettes d’êtres humains ; ou pour se permettre une image plus colorée : ces villes furent, objectivement, des mangeuses de monde.

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« Gin Lane » (La ruelle du gin), 1751, William Hogarth (1697–1764) ; Une illustration moralisante au sujet du commerce d’eau-de-vie, à Londres, dessinée dans la période moderne, préindustrielle

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— Une fable instructive à l’intention des jeunes personnes

     Dans leur quête d’une littérature et d’un folklore européen authentique, les frères Grimm, Jacob (1785–1863) et Wilhelm (1786–1859), préservèrent un conte populaire qui encapsule très bien, comme détail en passant, la sagesse médiévale face aux dangers de la fête immodérée :

     Dans cette histoire, un notable local envoie le premier de ces trois fils à la chasse d’un oiseau miraculeux.

     Rendu aux abords d’une « ville », il se trouve obligé à choisir entre une auberge modeste, de mine terne, et une autre qui était joyeusement éclairée, source de musique et de chant. De manière peu surprenante, le jeune homme entre dans la deuxième (malgré les conseils d’un renard magique rencontré en chemin). Il s’y fait très bien accueillir ; mange à sa faim ; boit à sa soif ; et s’amuse à son gout.

     En ce faisant, cependant, il oublie entièrement, aussi, son père et sa quête de l’oiseau rare. Au contraire de son intention originale, il reste à l’auberge, dans la gaieté de cette fête perpétuelle, jusqu’à ce qu’il eût dépensé tout son argent ; qu’il eut vendu son cheval, ses armures, ses accoutrements et ses beaux vêtements ; jusqu’à ce, enfin, qu’il soit descendu du statut d’un homme estimable, patron flatté de la compagnie, à celui d’un serviteur dépendant, maigre et affamé ; qui tache toujours, pourtant, à prolonger du mieux son idylle, en rendant des services suspects et en buvant dans les coupes des autres.

     Une année passe ainsi ; et le père, demeuré sans nouvelles, envoie son deuxième fils à la recherche du premier. Or, rendu à la ville, confronté au même choix (et en dépit des mêmes conseils provenant de la même source enchantée), le deuxième fils se tourne, aussi, vers l’auberge joyeuse. Par chance, il y aperçoit son frère ainé, dans une fenêtre, et ce dernier (circonstance très significative dans la narration) lui fait signe de s’approcher. Car nous sommes invités, ici, à prendre conscience de l’une des caractéristiques les plus fondamentales du véritable libertin : qu’en dépit d’une connaissance intime, des causes et de l’aboutissement de son état malheureux, il n’hésite pas à y attirer, et à y initier, d’autres personnes à leur perte — incluant ses relations les plus chers — (parfaitement ignorants, ceux-ci, du danger encouru), et ce, dans le seul but d’accaparer leurs ressources pour continuer la débauche.

     Car de toutes les entreprises pyramidales, le vice serait la plus ancienne et la plus cruelle.

     Pour satisfaire, maintenant, à la curiosité concernant la suite du conte : une autre année s’écoule ; le troisième fils se rend au même endroit ; prend conscience de ses deux frères dépravés dans l’auberge éclairée ; mais étant un garçon plus humble, il ne s’y aventure pas ; il suit, plutôt, le conseil de son guide enchanté, et s’abrite dans l’auberge terne. Là il se repose bien et part, le lendemain, vers une conclusion réussie de sa poursuite de l’Oiseau d’or.

     Voilà, donc, la leçon jugée essentielle (à l’égard de la ville et du vice), apprise inconsciemment par chaque enfant, jadis, au coin du feu, pendant les longues soirées d’hiver ; un avertissement prodigué des années avant le besoin, avec l’espoir qu’un jour, rendu personnellement devant les « deux auberges », il saurait écouter le conseil sage de ses souvenirs primitifs, et faire le bon choix dont dépendrait, si souvent (comme nous le pouvions sans risque affirmer) — sa survie éventuelle.

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L’Oiseau d’or (Der goldene Vogel) ; les frères Grimm ; Contes de l’enfance et du foyer (Kinder- und Hausmärchen), 1812 ; illustration par Walter Crane (1845 – 1915) tirée d’une édition en traduction anglaise, 1882. « Maintenant, dit le renard, que me donnerez-vous pour ma récompense ? »

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix : Partie C : l’euthanasie et la médecine : Section III : Une société en rupture : Chapitre : La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo)

La science et l’idéologie : matérialisme, évolutionnisme, collectivisme

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : La science et l’idéologie : matérialisme, évolutionnisme, collectivisme)

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Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica, chef d’œuvre d’Isaac Newton, contenant notamment : les trois lois du mouvement qui se trouvent à la base de la théorie mécanique dite, Newtonienne, ou Classique. Cette théorie, en décrivant la régularité apparemment suffisante des mouvements physiques, lança, à son tour, l’interprétation « matérialiste ».

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— La science au renfort du romantique

     Tel que nous l’avions observé au cours des chapitres précédents, le dix-neuvième siècle fut marqué par la consécration d’une nouvelle dominance, militaire et économique, des puissances protestantes du nord de l’Europe.  En conséquence, il s’en serait produite une floraison sociale, littéraire, et culturale, impliquant une grande partie des populations de la zone Teuton et Anglo-Saxon.

     Au début du vingtième siècle, alors, et nonobstant les rivalités compétitives qui subsistaient toujours parmi eux, non-seulement les états Allemands comme tels, mais l’Angleterre aussi — la Scandinavie, et même l’Amérique — se seraient combinés dans une grande alliance culturelle de tous ceux qui se reconnaissaient dans cette poésie exaltante : dans ce mythe « national » qui expliquait si adroitement (qui justifiait en fait) l’émergence de leur pouvoir, et de leur prospérité.

     Mais ce n’est pas tout. Car parallèlement à l’élaboration de cette nouvelle poétique identitaire, il existait un puissant ouvrage scientifique, qui invitait les esprits plus audacieux vers des spéculations métaphysiques, aux implications idéologiques puissantes ; qui promettait un basculement complet du paradigme éthique, et spirituel, fondé dans les présomptions théistes d’antan ; des spéculations qui s’accordait à merveille pour soutenir les prétentions suprématistes du néo-primitivisme Teuton.

     Or, les deux noms les plus fortement associés à cette transformation sont ceux d’Isaac Newton (1642 – 1727) et de Charles Darwin (1809 – 1882).

— Isaac Newton et le Matérialisme

     La Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica (1687) d’Isaac Newton, produisait des ondes de choc qui réverbèrent encore de nos jours, du fait qu’elle suggère la possibilité que la réalité puisse être expliquée en termes purement mécaniques sans aucune référence à la conscience volontaire, et encore moins, à la présence divine.

     Il nous aurait pris plusieurs centaines d’années pour comprendre, même en partie, les ramifications d’un tel changement dans la pensée. Au début, le scepticisme théologique à base « scientifique », fut simplement instrumentalisé par les courants anticléricaux, dans le but de délégitimiser l’influence des religions existantes. Car l’on pensait, à l’époque, uniquement à améliorer la compréhension moderne d’une spiritualité éclairée. Et c’est ainsi que des intelligences de la stature sublime d’un Voltaire, ou d’un Franklin, aient pu sincèrement croire pouvoir substituer une Providence « naturelle » (pour le Dieu personnel de la tradition), sans pour autant altérer la morale, c’est à dire : sans remettre en cause la réalité apparente du bien, et du mal.

     Pourtant, aux approches de l’année 1900, il en serait devenu de plus en plus évident (pour ceux qui désiraient s’y attarder sérieusement), qu’un univers strictement mécanique, c’est à dire un univers sans intention consciente, serait absolument vide, également, de tout attribut moral (en dehors des inventions ponctuelles de la société humaine). Au plus simple, il fut suggéré qu’il n’existait aucun standard moral (universel) ; aucune force de soutien à la morale ; et aucun jugement (d’ordre supérieur) à craindre.

     Où dans d’autres mots : en autant qu’un homme seraient prêt à accepter les conséquences possibles de ses gestes — ici et maintenant — cet homme pourrait faire strictement n’importe quoi ; selon son bon vouloir ; sans consulter les opinions, les désirs (ou même les besoins vitaux) d’autrui ; et cela, sans craindre, ni le « karma » ni le jugement outre-tombe.

     Voilà, nous en conviendrions, une proposition morale qui comporte des potentialités très étendues !

— Les ramifications morales de l’interprétation matérialiste

     Pour en comprendre superficiellement la signification d’une telle philosophie, disons seulement que la certitude universellement partagée, de la volonté et du jugement divin, se posait toujours (traditionnellement) en contrepoids atténuant aux pulsions humaines plus regrettables. Pour être limpide sur ce point : pendant des milliers d’années, un peu tous et chacun aurait modulé son comportement sur la conviction (et la crainte) que la vérité morale serait éventuellement exprimée en jugement divin ; inéluctable pour chaque individu ; appliqué aux moindres gestes et intentions ; sans possibilité de dissimulation, ni de sursis.

     Aussi, cette conviction, d’un standard et d’une responsabilité immuable, s’accordait harmonieusement avec les meilleures aspirations de la race. Car, depuis toujours, les hommes et les femmes auraient été souvent touchés, spontanément et intuitivement, de sentiments honteux à la vue de leurs gestes propres.  Alors la crainte du jugement, couplée avec une foi dans la force soutenante de la grâce divine, fournissait une assistance formidable à l’homme particulier, ainsi validé dans sa quête volontaire de l’amélioration personnelle.

     Or, la nouvelle interprétation métaphysique dite « matérialiste », introduisit un doute rongeur, qui sapait le cœur de cette dynamique. Car de quelle amélioration s’agirait-il dans un univers mécanique, sans attribut moral, et sans lendemain ?

     Au mieux, les plus nobles pulsions de l’âme humain — qui sont les sacrifices de soi, consentis dans le but d’atteindre un bien qui dépasserait l’intérêt personnel — ne pouvaient plus être interprétées autrement qu’en adaptations d’instinct d’espèce. Et, selon cette pensée : ce serait précisément la libération, face à de telles impositions bêtes du devoir animal, qui représenteraient le plus élevé des buts, pour l’individu supérieur qui oserait s’en affranchir !

     Décidément, il n’y avait rien de nouveau dans ce fait que l’esprit humain puisse chercher, toujours, des justifications pour ses bassesses — passées, présentes, et futures. Par contre, avec l’interprétation matérialiste, qui semblait couler avec tant d’autorité des observations d’Isaac Newton : il semblait, aussi, qu’un argument irréfutable ait été prodigué, enfin, pour tous ceux qui chercheraient une échappatoire aux tourments de la vie morale ; pour ceux, même, qui oserait passer outre aux remords qui hantent les plus reculés des recoins, de la conscience personnelle.

     De plus, elle ne s’arrête pas là, la progression contaminante de cette tache conceptuelle ! Car au plus fort de l’interprétation mécanique, il serait postulé que chaque cause ne peut que produire infailliblement son effet, inéluctable, dans une chaine de causation qui soit inévitable depuis le tout commencement de l’univers, jusqu’à sa fin ; que tous nos gestes, alors — et toutes nos moindres pensées — seraient déterminés, ainsi, avant le fait et depuis le début. Dans aucun de nos faits et gestes, alors, aurions-nous possédé un choix autre (que celui actuellement pris).

Et quel serait, enfin, le statut moral d’un geste (ou d’un désir) proprement inévitable ? Quel serait la dignité morale d’une être humaine regardé en automate mécanique ? Quel serait l’effet d’une telle doctrine disséminée progressivement à travers le corps social ?

— Darwin et la compétition évolutionnaire

     Le second de ces gros chocs scientifiques s’est produit avec l’apparition de « L’origine des espèces » (1849) de Charles Darwin, où se trouva exposée sa nouvelle théorie d’évolution « au moyen de la sélection naturelle ».

     La proposition, dans cet œuvre, qui suscita la plus grande controverse fut, très certainement, la suggestion que l’être humaine ait pu être, aussi, une simple espèce animale — où dans la formulation populaire : que l’homme soit « descendu du singe ».

     Mais l’idée Darwinienne qui a le plus influencé l’histoire moderne réside, plutôt, dans les implications sociales de sa théorie de sélection naturelle comme telle ; implications qui furent immédiatement évidentes dans le sous-titre choisi pour « L’origine des espèces », c’est à dire : « La lutte pour l’existence dans la nature ». Car cette idée (beaucoup plus favorablement reçue que la « descendance de l’homme ») fut immédiatement traduite par une seule petite phrase — dont la simplicité minimale ne pourrait se mesurer qu’en proportion avec l’énormité des ramifications sociales qui s’y trouveraient ultimement rattachées — soit :  « La survie du plus fort » ; et ce fut cette phrase, qui fournissait la racine conceptuelle pour une doctrine sociale et historique, capable (comme elle s’est révélée dans la suite), de prétendre excuser n’importe quelles cruautés collectives ou personnelles, et même de les convertir, chemin faisant, en biens nécessaires !

     Il ne faut pas s’imaginer, certes, que la théorie de l’évolution ait créé la misère humaine. Au contraire, la dureté de l’homme envers l’homme était préexistante et universelle (possiblement programmée de façon génétique). Et à tout le moins, devions-nous lucidement admettre que l’exercice de cette cruauté s’imposait, objectivement, en condition nécessaire, pour la construction de la civilisation préindustrielle. Mais toujours est-il, que les corollaires philosophiques de la théorie de l’évolution aggravaient, très certainement, ces circonstances préalables : car elle fournissait une nouvelle rationalisation, justifiante, pour excuser les pires pratiques, telle l’esclavage ; la différentiation des classes et des nations ; l’instrumentalisation de l’être humain en bête de travail (ou en simple chose de convenance) ; et la misère générale des masses populaires.

    Cependant, tel que les Stoïques classiques nous l’auraient si bien enseigné : à défaut de pouvoir changer les circonstances de nos vies, au moins existe-il un bénéfice dans la possibilité de choisir notre attitude mentale face à ces réalités. Et dans ce sens, l’interprétation popularisée de la théorie de l’évolution s’inscrivait malencontreusement en faux, face à plusieurs siècles de progrès humanisant dans l’esprit social. Car avec cette nouvelle glorification de la compétition existentielle, deux des plus beaux principes de la spiritualité chrétienne se trouvaient directement attaqués, soient : la charité, à l’endroit des pauvres ; et l’espoir, d’une vie éventuellement paisible (où « le loup habitera avec l’agneau » : Ésaïe 11:6).

Or, cette compréhension de la morale humaine (où les fidèles seraient sommés à porter secours à leurs voisins souffrants ; et où l’homme fidèle restreindrait ses instincts violentes dans un respect humble de « La trêve de Dieu »), se trouva subitement confrontée avec une nouvelle explication, « scientifique » celle-ci, selon laquelle la compétition (voir le conflit) serait l’agent premier du progrès ; et où la souffrance des « perdants », aussi atroce fit-elle, pouvait être comprise positivement : à l’intérieur d’une vision globale, de l’évolution de notre espèce, qui soit accomplie, précisément, avec l’élimination des plus faibles !

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Charles Darwin, portrait 1875, par Walter William Ouless RA (1848 -1933)

Naturaliste et théoricien, Charles Darwin fut l’auteur du « Voyage du Beagle » (1839), de « L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle » (1859), et de « La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe » (1871).

Depuis son célèbre voyage de découverte, 1831 -1836, Charles Darwin souffrait continuellement de graves symptômes débilitants qui l’empêchaient, d’après ses dires, de travailler plus de quatre heures de suite. Cependant, loin de se plaindre de ces faits, C. Darwin créditait ses afflictions pour l’assiduité de son travail, car il ne pouvait que très peu (toujours selon lui) se livrer aux distractions de la vie sociale.

Or, cette attitude positive, assortie de la volume, et de la qualité de l’ ouvrage effectivement réalisé, fait de Charles Darwin, je soumets, une inspiration du premier ordre à l’intention de toute personne malade ou handicapée.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Un aperçu du climat social dans lequel furent accueillies les nouvelles théories, moralement ambiguës, du matérialisme et de l’évolution : de la Mer au banc d’école)