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mai 2019 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Chapitre : influence incontournable de l’ethos traditionnel dans la vie contemporaine

(Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi — Sous-Section II a): La morale dite « catégorique », « objective », « universelle », ou « absolue » — Chapitre : influence incontournable de l’ethos traditionnel dans la vie contemporaine)

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l’Avocat Clarence Darrow en consultation avec le Juge Raulston au cour du celebre « Procées du Singe » Scopes, au Tennessee, circa 10 Juillet, 1925

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— actualité de la morale objective : le reflexe toujours dominant d’exiger l’unanimité et le consensus

     Quand-même bien qu’on aimerait, peut-être, épouser une logique post-morale, de choix personnels justifiés uniquement dans la préférence subjective, nos préjugés intuitifs des plus profonds semblent s’opposer à l’intégration sociale d’une telle idée.

     D’après l’observation, des personnes qui disputent des questions du jour dans notre quotidien houleux, les passions se lèvent toujours avec la plus grande chaleur dans la dimension morale, et cela même si ce vocabulaire serait soigneusement évitée. Remarquez à ce titre, que l’adversaire ne se fait pas seulement chargé de d’avoir tort ; non ; on lui suppose un caractère criminel ! Et contrairement à toutes les protestations de pureté logique, d’hyper-rationalisme, et d’opinion formé dans les évidences objectives, il est clair, je soumets, qu’habituellement et pour la plupart des gens, la conclusion voulue – morale et émotive — précède franchement les arguments à son appui, et que les seules évidences retenues seront celles qui puissent servir à la confirmer.

     Aussi, pour les gens honnêtes et sincères, l’intensité des débats dépasse rapidement ce qui puisse sembler rationnellement admissible devant l’importance des seuls enjeux politiques. Car, au niveau moral, il s’agit d’un sens d’identité et d’intégrité personnelle.

     On ne veut pas accepter l’idée que deux personnes puissent présenter des choix subjectifs différents. Pas du tout. On voudrait — pour simplifier au maximum — faire la démonstration que l’un ait raison, et que l’autre ait tort. Absolument. Et à moins que l’on n’prétend que l’adversaire ne soit entièrement idiot, la seule explication pour son refus d’accepter la vérité (pour l’autre si limpide et manifeste), se chercherait dans sa méchanceté. On demanderait, donc, que la bataille d’idées soit déterminante : une véritable lutte idéologique à la mort.  Et on demanderait à l’adversaire – à défaut de pouvoir vaincre – de s’incliner ; de se soumettre devant « les évidences » ; de se rallier ; de se conformer.

     Décidément, le paradigme courant en est toujours un de morale objective dont la nature, seulement, offre matière de dispute.

– décalage, des conclusions instruites face aux croyances primaires : nécessité et fragilité des libertés de conscience et d’expression

     Pourtant, cette question de vérité morale rejoint de très près la question des limites à la « vérité » tout court. Car nous avions appris à admettre, à travers la Renaissance, la Reformation et l’Age de la Lumière, que la nature de la vérité soit impossible à démontrer objectivement en raison des limites de la perception et de l’entendement humain. Remarquer bien que cette question soit tout à fait distincte de celle, déjà notée quoique plus moderne, au sujet de la réalité même d’une hypothétique « vérité » profonde (surtout appliquée dans la sphère morale).

     Il en résulte la proposition, alors, longtemps admis parmi les intellectuels de bonne foi : que l’on ne peut jamais vraiment savoir si l’on a raison ou tort, surtout dans les discussions comportant la moindre dimension métaphysique (tel que la morale) et ce, même au cas où la vérité existerait en fait.

     Telle fut la toile du fond philosophique devant laquelle les personnages éminentes de la politique, et de la loi, auraient érigé les premières règles fondamentales de la société moderne — les droits de conscience et d’expression — qui n’affirment, seulement, que pour avancer en paix, la société doit défendre la possibilité, pour tous et chacun, d’entretenir et de promulguer ses propres vérités (ou plutôt, dans ce contexte historique : de promulguer ses propres hypothèses au sujet de la vérité). Mais il reste toujours un grand pas entre cette théorie d’accommodation des différences, et la réalité pratique. Car, plusieurs siècles plus tard, l’assimilation de cette idée reste encore assez précaire dans notre quotidien.

     Dans les années dix-neuf-cent-vingt, nos grands-parents assistèrent au célèbre spectacle du « Scopes Monkey Trial » (le « Procès du Singe ») à travers lequel fut revendiqué pour les uns (et contesté pour les autres), le droit d’enseigner la théorie de l’évolution dans les écoles publiques des états américains du sud, fortement traditionnalistes (le procès ayant lieu au Tennessee).

     Remarquez, SVP, qu’il n’y était aucunement question, à cet époque, pour la faction scientifique de prétendre établir la « vérité », et encore moins d’interdire l’enseignement du « créationnisme » (doctrine plus acceptable aux Chrétiens intégristes) ; tout ce que l’on voulait, dans le respect de la libre conscience et de la libre expression, fut de permettre l’enseignement de l’évolution ; de permettre la compétition d’idées ; et de permettre, ainsi, à la sagesse des êtres humains intellectuellement libres, le soin d’assurer l’évolution positive des idées.

      Or, telle que nous connaissons l’histoire subséquente, la théorie de l’évolution n’a jamais cessé, dans cet environnement compétitif, de triompher sur la version alternative des faits, moins facilement défensable, celle-ci, d’une planète créée dans sept jours, ayant un âge total de six mille ans. Pourtant, même face à ces évidences de la robustesse des bienfaits de la pensée et de l’expression libre, le bouclage du cercle ironique, se serre de nouveau, encore de nos jours, avec l’intransigeance des nouveaux intégristes du « Scientisme », qui ne demande rien de moins que la suppression inconditionnelle de tout doctrine de création ! Alors, manifestement, la leçon évolutionnaire durement apprise, de pluralisme dans la compétition, ne s’est pas encore très bien assimilée !

     Similairement, dans notre culture en transition, la virulence du mépris communément témoigné à l’égard de la « morale », et des « moralistes », ne jaillit pas vraiment d’une maitrise des notions de la morale relative, mais plutôt d’un rejet spécifique des détails particulières du paradigme moral propre à nos aïeuls.

     Pour la plupart, cette idée plus radicale — que la réalité même du bien objectif soit remise en cause – n’aurait à peine effleuré l’esprit populaire.

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Chapitre : la division du marché médical au bénéfice de l’idéal hippocratique

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section II: Hippocrate : tradition et histoire de la profession médicale — Chapitre : la division du marché médical au bénéfice de l’idéal hippocratique)

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Le médecin (1891), Sir Luke Fildes (1843 – 1927)

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– Hippocrate : une première spécialisation, éthique et économique, du marché médical

    Le Serment d’Hippocrate représente une conception sublime de la profession médicale ; il aurait inspiré des générations innombrables de praticiens médicaux à soutenir, sans réserve, le bien de leurs patients, et cela, souvent dans de conditions cliniques des plus primitives. Précisons, alors, sans réserve, que rien dans l’analyse présente n’impugne, ni la sincérité du sentiment, ni la noblesse d’exemple, qui nous soient légué par ceux qui s’adhèrent inconditionnellement à la simple commandement millénaire « tu ne tueras point » ; et elle ne réduise en rien, non plus, la sacrifice accordée par ceux qui refusèrent, dans chaque génération, de se plier aux caprices coercitifs de l’état, ou du tyran — ou de l’état tyrannique — au risque de leurs biens, de leur liberté, et même, souvent, de leurs vies. Au contraire, un tel dévouement dans le droit ne perd jamais de son éclat transcendant, même dans la défaite.

     Pourtant, il existe aussi une simplicité et une beauté dans la rigueur mathématique de l’analyse économique qui nous permet, souvent, de tirer des inférences claires, là où le vocabulaire traditionnel ne fait qu’obscurcir les faits observés.

     Au plus simple, il existerait toujours beaucoup plus de gens qui cherchent une guérison à la maladie, qu’il n’existe des opportunités de s’enrichir en assassin ; il existerait, aussi, beaucoup plus de patients non-suicidaires que ceux qui désirent en finir avec la vie. Hippocrate et ses successeurs comprenaient alors : premièrement, que le marché grecque de la santé était assez large pour admettre de la spécialisation ; et deuxièmement, qu’une minorité de médecins — ceux qui seraient prêts à renoncer aux revenus des pratiques sombres — pourraient s’accaparer de la plus grosse part.

     Oui, il existaient des malades, certes, qui réclamaient la mort en libération de souffrance ; et il existaient surement d’autres, prêts à subir n’importe quel souffrance, à n’importe quel prix financier, pour une mince chance de survie — ou peut-être rien que le mirage d’une chance aussi infime fut-elle ; mais tout comme aujourd’hui, il en existaient — et bien plus souvent — des malades, face à l’opinion sobre d’une personne reconnue pour sa compétence et pour son honnêteté, qui préférèrent mourir aussi paisiblement que possible, sans craintes, ni de la multiplication gratuite des souffrances, ni de l’abrégement fatal et précoce de celles-ci : le tout en foi d’une confiance simple dans le Serment juré du médecin disciple d’Hippocrate.

     Et ainsi en allait-t-il, également, de l’entourage du malade : Il serait facile d’imaginer (sinon d’identifier franchement dans les récits préservés), des cas ou le malade fut assassiné par son médecin au bénéfice de ses ennemis (ou encore à celui de ses amis et de sa famille), tout comme il serait facile d’imaginer l’avantage gagné par un médecin espion; mais il serait également évident que les commanditaires de telles méfaits ne seraient vraisemblablement pas intéressés à engager ce même médecin, pour les prodiguer à eux des soins guérisseurs, dans leur propres moments de besoin, ni de vouloir ouvrir les secrets de leur intimité a son regard.

     Encore une fois, le concept clé en est un de spécialisation : Un médecin qui s’enrichissait par une stratégie précise (que ce soit de guérison ou de son contraire) se trouverait, du fait même, disqualifié de profiter de la stratégie inverse, du moment qu’il existait un spécialiste dans la matière qui lui en ferait concurrence.  , À la fin, il devint apparent pour certaines visionnaires, que l’intérêt du médecin, autant que celui du patient, exigea une conception de l’éthique professionnelle qui s’accorderait avec ces faits ; et la médecine hippocratique en fut le résultat. Or, les disciples d’Hippocrate s’en sont âprement profités en renonçant aux pratiques sombres de la tradition existante.

     L’importance de ces faits, dans le contexte des politiques actuelles, est énorme. Car si, à l’examen des médecins grecs d’antan, nous écartions temporairement tout discussion de la moralité du suicide assisté, et de l’euthanasie ; si nous nous penchions uniquement sur les distinctions rationnelles économiques définissant le rôle idéel du médecin ; nous nous apercevrions aussitôt, je soumets, qu’il soit tout à fait possible — et tout à fait logique — d’ouvrir l’accès au suicide assisté (s’il faut vraiment que les choses se passe ainsi) — sans pour autant que cela soit l’affaire des médecins dans leur ensemble (ou même l’affaire des médecins tout court) vu le nombre restreinte de patients suicidaires, et alors, sans bouleverser l’espace médicale à la désavantage de la majorité.

– Réticence (et nécessité) à analyser l’art médical selon les termes économiques

     En abordant ce sujet, il faudrait noter, cependant, une réticence importante – instinctive, même, chez la plupart des médecins — de cautionner l’analyse de l’art médical dans ces termes.

     Décrire l’octroi de soins médicaux comme un « service », les patients comme des « clients » ou pire encore des « consommateurs », le rapport d’offre et de demande des services comme un « marché », l’ensemble de l’activité comme un « industrie », ou encore l’état/payeur-unique comme un « employeur », choque et blessent, à la fois,  les sensibilités du médecin type, pour lequel la prescription de soins médicaux transcende le contexte mercantile, et dépend d’un jugement professionnel qui soit indépendant, à la fois des exigences de la demande marchande, et de celles du mécanisme de rémunération.

     Pour compliquer d’avantage cette perception, il existe un préjugé social, palpable, qui déborde largement du contexte médical. Car pour des raisons historiques apparemment irréversibles, les pires maux sont invariablement associés dans notre culture — d’emblée, et comme de droit — avec l’argent et la richesse : avec sa possession, et avec sa poursuit. Et cela, en dépit du fait que toutes les interactions comportent une dimension économique (et que presque tout le monde cherche instinctivement l’avantage monétaire dans les moindres circonstances). Pourtant, il faut répéter l’évidence : la prospérité n’est pas un mal ; c’est un bien.

     Surtout, les manifestations pathologiques d’exploitation et de rapine, qui restent brulés dans le souvenir collectif comme conséquence des millénaires tyranniques qui soient passés dans l’enfance de notre civilisation, n’ont rien en commun avec la création libre de la richesse qui caractérise la prospérité de l’ère moderne.  Car dans un marché libre, le consommateur donne son argent, au producteur de services, de façon volontaire. Il ne se le fait pas voler d’après l’usage des seigneurs d’antan (au moins pas dans un état démocratique ou l’imposition serait collectivement consentie de bonne grâce). Alors, normalement, pour devenir riche de nos jours, il faudrait satisfaire la clientèle de façon substantiel. Et il en conviendrait d’en être fier.

      Encore faudrait-il être sensible aux conditions historiques du développement de la classe professionnelle, qui s’est distinguée dès le départ avec un ethos de savoir qui s’opposa moralement, à la fois aux privilèges héréditaires de l’aristocratie et au mercantilisme brut des commerçants. Mais aussi pointilleuse qui furent, jadis, ces distinctions de condition parmi les classes bien nanties, permettons-nous, au moins dans ce cas particulier, de faire abstraction du tabou normalement observé parmi ces professionnelles à l’endroit de toute discussion des mobiles inferieurs de l’argent ou de l’économique. Car notre enquête nous impose ce devoir, et les bénéfices récoltés dans la compréhension de notre matière seront considérables.

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argent et art médical : un lien naturellement rebutant

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— La véritable nature des critères d’admissibilité à l’euthanasie volontaire : des symboles de convenance temporaire, pour représenter des « inconnus »

Einstein, qui explique la dérivation de la Relativité Restreinte au cours d’un conférence, 1934

     Comme de fait, si je ne me trompe guère, d’expressions comme « fin de vie » ou « mort raisonnablement prévisible » ne sont que des symboles formels, semblable à l’« x », ou l’« y », qui représentent de quantités inconnues dans une expression algébrique. En soi, ils n’ont aucune signification, mais leur utilisation infère, par contre, qu’une valeur (ou des valeurs) réelle(s) se découvriront ultérieurement, dans la « solution » de cette expression. La seule chose qui importe, alors, dans l’emploie du symbole « intolérables souffrances » (et d’autres semblables) c’est l’affirmation qu’il en existent, bel et bien, de tels « souffrances ». Il n’y a aucune définition précise, remarquez bien — ni dans le jugement Carter ni dans les lois — de ce qui puissent vraiment être de tels phénomènes ; il n’y a seulement qu’un appel à la foi du témoin (fondée chez la personne bien-portante dans la spéculation craintive au sujet d’un futur inconnu) qu’il en existe réellement, quitte à les élaborer plus tard, à travers le jeu politique de compromis, et la contestation judiciaire.

     Et encore ! Car si nous prenons, au premier degré, la formulation « souffrances persistantes qui lui sont intolérables », toute possibilité d’accord commun, sur les limites projetées, disparait de nouveau dans les brumes d’une subjectivité parfaite.

     N’y a-t-il pas, alors, quelque chose de scandaleux dans la représentation de telles limites comme des « sauvegardes sérieuses » ou des « protections rigoureuses » quand dans les faits ils ne sont que des expressions fantômes, vides de toute substance, prêtes à accueillir n’importe quel sens politique qui puisse être jugé opportun par la suite ? Aussi bien invoquer l’efficacité de barrières physiques, sur une pente réelle, ou le visiteur ainsi sécurisé — trébuchant légèrement — portera sa main avec confiance vers le parapet, seulement pour découvrir, à sa perte, que celui-ci n’est qu’une image imprimée sur du carton pour marquer la place ou, de façon hypothétique, un véritable parapet pourrait possiblement se trouver !

    Pardonnez-moi, s’il vous plait, cette légèreté de ton irrévérencieuse à l’égard des fameuses tortures, diaboliques et presque sacrées, qui nous furent si graphiquement servies dans le but d’acquérir notre acquiescence. Mais toujours est-il que la seule façon de valider l’existence de tels sévices idéalisés serait de produire une personne qui prétendrait en souffrir, pour laquelle le camp adverse ne pouvait pas produire une autre personne, similairement affligée, qui était non-suicidaire. Mais c’est précisément cela que les apôtres de la souffrance insoutenable n’auraient jamais réussi à faire : car il se trouve toujours, mystérieusement — pour manifester devant la cour, ou pour chercher des entretiens avec les journalistes – d’autres personnes qui affrontent les mêmes épreuves – ou de pires encore — avec une attitude complètement contraire.

     Et voilà la fin de tout prétention honnête d’objectivité !

     Cela se confirme aussi dans la position maintes fois exprimée par les médecins praticiens des soins palliatifs (selon la définition qui régissait cette pratique avant la légalisation de l’euthanasie). Car ces derniers prétendent encore, avec expérience scientifique à l’appui, qu’il est possible de soigner le patient de telle sorte que la vie ne soit pas invivable ; que les circonstances si dramatiquement dépeintes pour justifier le choix objectif de suicide peuvent être évitées ; et alors, que dans un schéma rigoureusement objectif, il n’y aurait aucune nécessité d’envisager ce choix.

     Mais la réponse invariablement proférée à ces arguments, par les militants du suicide, est on ne peut plus claire : Ils existent des gens qui considèrent, à l’avance, le cheminement palliatif ; mais qui décident, également à l’avance, qu’ils préfèrent en finir avec la vie. Dans d’autres mots : Nous nous devions de respecter les vœuxparticuliers et subjectifs — de suicide.

     Et voilà, que l’argument circulaire soit bouclé !

     À la fin, nous agissions sous l’impératif de trouver des compromis au sujet d’éventuels critères objectifs, uniquement parce qu’au départ, nous aurions refusé de valider les gestes suicidaires en fonction du seul désir souverain.

     Mais au fond, ce ne sont rien d’autre que ces désirs subjectifs qui motivent toute cette démarche ; et qui fournissent la validation finale, quelle que soit l’ambiguïté des critères retenus !

     Et c’est ainsi que — d’après l’analyse présente — les critères, les exceptions, et les limites proposés, ne sont que des illusions d’argument ponctuels ; ils sont conçus — et destinés — à disparaitre sous les assauts futurs, ou, à tout le moins, de s’élargir avec une élasticité telle que leur existence ne posera plus d’obstacle réel au droit convoité.

     À ce chef, les apologistes de la liberté prétendent déjà (Belgique, 2018) que les élargissements d’admissibilité constatées dans ce pays, ne se font qu’en précisant, davantage, les limites logiques des critères actuelles ; que ces critères ne changent pas, mais notre compréhension seulement. Et alors, puisqu’il n’y a pas de changement dans le texte de loi, qu’il n’y a pas de véritable élargissement non plus, et donc, aucune pente ! Soyons averti.

     (Je recommanderais ce raisonnement, certes, comme chef d’œuvre dans sa forme d’effronterie polémique ! Cependant, la substance reste plutôt maigre. Aussi bien prétendre, je soumets, que nous pouvions augmenter la magnitude des quantités variables dans l’équation qui exprime la force produit par un réaction nucléaire — passant, disons, de l’échelle requise pour l’exploitation d’une modeste navire (ou station spatiale), à celle qui serait suffisante pour vaporiser notre planète —  sans changer la nature de la phénomène décrit, c’est-à-dire sans dérapage sur la pente folle, simplement parce que l’expression formelle de départ ( e = mc2), ait, elle-même, resté intacte !)

     Mais en tout sérieux, le fait demeure : que l’application de l’euthanasie, ici et ailleurs, occupe déjà une importance encore insoupçonnée à peine il y a quelques années ; et que les critères offerts en garantie, déjà, s’en soient révélés être absolument rien de telle.

     Voilà, somme tout, une évaluation assez inquiétante de la capacité de ces prétendues limites à restreindre l’étendue future de la pratique de l’euthanasie. Mais il reste toujours une dernière détermination à faire avant de désespérer, totalement, de l’opération de la loi actuelle : car nous nous devons de regarder, aussi, les forces qui s’exercent à repousser ces barrières conceptuelles.

     Décidément, même le plus mince tissu de papier de soie peut fournir une muraille efficace, du moment qu’il ne reçoit jamais le moindre coup. Alors, regardons maintenant de plus près : quelles sont les agences et les forces sociales, qui s’alignent franchement, de nos jours, pour défoncer nos limites fragiles ?

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– Bouleversement dans la compréhension morale des gestes humains

L’amour et la guerre : urgence existentielle et ambiguïté morale sur fond de violence globale (un aviateur américain avec sa compagne de fortune, Casablanca, 1943)

     Que les certitudes sociétales du passé furent globalement remises en cause devant cette crise de civilisation, il n’y avait rien de surprenant ; ni dans l’assiduité, l’originalité et la fécondité, des innovations et des spéculations –philosophiques et morales– qui occupaient un peu tout le monde au cours de ces deux générations, autant chez les hommes et les femmes ordinaires, que parmi les intellectuels : tous occupés, chacun à sa manière, dans le but de trouver une signification quelconque –ou à tout le moins une possibilité de dignité– dans l’expérience humaine. On pouvait, alors, certainement s’attendre à ce que de conclusions fondamentalement opposées aux idées reçues fussent avancées, provocant des ruptures permanentes dans le tissu social ; et en effet, c’est exactement une telle série de transformations qui s’est produite : de transformations qui sont, comme nous l’avons déjà intimé, toujours en flux, inachevées de nos jours.

     Bien sûr, nous sommes maintenant séparés de la période naïve de l’Avant-Guerres par une distance conceptuelle immensurable : Il fut un temps quand l’homme pensait que la terre ait été positionné en point fixe au centre de l’univers ; plus tard il admettait à regret que le soleil puisse occuper cette place ; mais aujourd’hui, nous savons que le soleil, lui-même, est en mouvement au sein de notre galaxie — et que cette dernière se déplace à son tour –, de sorte que véritable point fixe il n’y en a point.

     Trop simpliste, certes, il serait possiblement utile d’employer ces faits physiques dans un sens analogique pour représenter, aussi, l’état actuel de notre compréhension au sujet de ce que nous appelons la « morale », ou encore l’« éthique ».   À cet effet, et tel que nous aurions précédemment effleuré ce sujet : nous vivons, actuellement, dans une société moralement pluraliste ou les théoriciens ne sont ni capables de s’entendre sur la nature du bien (ni même d’affirmer la réalité significative d’un tel concept) ; ni de cerner les limites de son application légitime dans les affaires humaines ; ni encore d’indiquer un chemin pour élucider ces questions. 

     À l’extérieure, donc, des discours traditionalistes (voir religieux) – qui sont effectivement bannis des discussions publiques à l’heure actuelle – de « certitude » morale il n’en existe plus.

– vers une vision légale alternative

       Alors, pour revenir à la question simple d’une concordance entre ce qui est « bien » et ce qui est « légal » : force serait d’admettre qu’il n’en exista pas non plus, à l’issue de cette période de tribulations globales, aucun accord général au sujet des comportements moraux dans plusieurs secteurs, des plus sensibles, de l’expérience humaine – militaires ; économiques ; raciaux ; sexuels — qui furent tous âprement (et même fatalement) disputés dans la révolution dite « contre-culturelle » qui s’éclata immédiatement après, à l’arrivé fracassant des Années Soixante, avec l’accession à l’adolescence, et à l’âge majeur, de cette première génération issue de l’Après-Guerre : le « Babyboom ».

Et comment, (pour répéter cette évidence malencontreuse) articuler des lois qui régiraient la conduite personnelle dans une telle absence d’idéal commun ?

     Aussi, la situation fut encore bien plus compliquée que cela, car la victime cette fois, n’était pas seulement une conception particulière du bien, mais plutôt l’idée du bien en soi ; et même si nous faisions abstraction des cultes religieuses, et idéologiques, qui se multipliaient dans les contradictions de leurs préceptes invérifiables, il serait devenu évident en même temps, que la raison, elle aussi, loin de nous mener dans la direction d’une vérité morale unique, nous conduit également dans de chemins multiples et contradictoires, dont les aboutissements dépendent seulement des axiomes que nous aurions choisi comme point de départ ; et que la morale publique des lois se présentent de la même manière : en branches divergentes, qui représentent, dans les meilleurs cas — à travers toutes leurs variations — des idées aussi convaincantes les unes que les autres.

Comment, encore, harmoniser cette loi avec le « bien » quand, apparemment, celui-ci nous en fait défaut ?

     À la fin, ce sont de faits et de constats qui favorisaient une opinion alternative, de plus en plus influente dans la communauté juridique, voulant que la fonction des lois ne fût pas réellement de définir ou d’imposer un comportement moral au niveau personnel, mais plutôt d’encadrer, tout au plus, les agissements de personnes diverses  — guidées par des sentiments moraux divergents et mues par des pulsions souvent fortement opposées — de sorte que celles-ci puissent, tout de même, coexister avec un minimum de conséquences désagréables — dans le seul but de minimiser, dans leur ensemble, les torts subis.

     Tel fut, donc, le résultat palpable de ce changement séismique dans la théorie philosophique et sociale : que le législateur devint de plus en plus enclin à permettre des écarts entre le « bien » (communément compris), et les comportements permissibles devant la loi ; et telle fut le véritable contexte politico-légale dans lequel nos législateurs auraient cherché des compromis dans de dossiers aussi complexes — de teneur morale aussi subjective — que le suicide assisté.

     Mais – chose très importante – le penchant humain que nous avions identifié, en faveur d’une moralité certaine, et d’un code de conduite simple, ne disparut pas pour autant. Comme nous le verrons dans les chapitres à venir : le résultat paradoxal de l’interaction de ces deux principes irréconciliables, fut une conclusion radicale voulant que le « bien » se trouve, contre tout instinct, précisément dans l’absence de morale commune ; ou plutôt, que le bien se trouve dans la répudiation de toute vision majoritaire, et par conséquent, dans la défense inconditionnelle des comportements minoritaires, aussi dangereux soient-ils.

     Voilà, donc, la dynamique de ce monde en transition étonnante – celui qui s’enchaina directement devant le nôtre – dans laquelle nous nous devions de chercher, maintenant, à comprendre les changements sociaux et légaux qui auraient abouti dans la décriminalisation de l’euthanasie, et dans le renversement radical du mandat médical auquel nous nous assistons de nos jours.

     Or, vu l’importance de l’ambiguïté morale à la base de la décriminalisation de l’euthanasie — enfin pour expliquer la réussite apparemment inéluctable qui fut gagnée par les champions de cette décriminalisation, malgré les efforts de ceux qui tentait d’y faire obstruction avec de démonstrations de l’immoralité de celle-ci,  j’aimerais décrire un épisode de ce demi-siècle houleux, qui illustre profitablement, je crois, l’erreur de se fier à une telle logique — d’interdiction du mal — devant une loi qui ne prétend plus valider le bien (outre le bien relatif d’une morale utilitaire de complaisance).

     Ce récit nous enseignerait, en exemple cautionnaire, sur l’échec retentissant de ce qui fut, probablement (au moins des temps modernes), la tentative par excellence d’imposer de comportements moraux par voie législative ; et une tentative qui fut suivie à contre cœur, comme nous le verrons, par un recours des dirigeants — rudement déconfits dans l’occurrence — à cette deuxième stratégie légale moins ambitieuse : d’accommodement pragmatique dans la contradiction.

     Je veux parler, bien-sûr, de la Prohibition nord-américaine des boissons alcoolisées, ratifiée en amendement constitutionnel aux ÉU, Janvier, 1919 (au Canada en simple interdiction commerciale, 1918) : de son adoption dans l’euphorie générale, de sa carrière initiale tant prometteuse, de sa défense énergique, et de sa défaite finale et ignominieuse treize années plus tard, en 1933 (au Canada selon les provinces : de Québec dès 1919 jusqu’au PEI en 1948).

Quoique largement invisible pour la génération concernée, je prétendrais que cette répudiation massive, des droits d’intervention de la collectivité dans la codification des mœurs personnelles, nous présente une ligne claire de démarcation entre l’ascendance millénaire d’un paradigme traditionnel de morale objective (moteur, celui-ci, d’un programme social d’évolution positive dans les mœurs, secondé par une évolution parallèle de la loi), vers une nouvelle vision hybride, cynique, libertaire et post-moderne, dont certaines grandes lignes nous sont déjà devenues apparentes, mais dont les paramètres détaillés restent encore largement obscurs, sujet toujours aux forces dynamiques.

Casablanca 1942 : selon la représentation cinématographique

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