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(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section II: Hippocrate : tradition et histoire de la profession médicale — Chapitre : Hippocrate — La profession médicale pré-Hippocrate)
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Aux origines, et partout au
monde, les pratiques des médecins-sorciers-guérisseurs comprenaient, habituellement,
toute la gamme de bien et de malfaisance. Le métier en était un de pouvoir, et
le pouvoir n’a pas toujours de morale ; ou plus précisément : le pouvoir n’a souvent d’autre morale que sa
possession, sa suffisance et son exercice. Or, évalué de cette perspective, l’essentiel
de la réussite professionnelle dépendrait de la capacité du praticien à projeter
une image de puissance ; et devant l’efficacité plutôt maigre des méthodes de
guérison préscientifiques, cette image de pouvoir se fondait, le plus souvent,
sur la peur – voir la terreur — avec laquelle le guérisseur/sorcier était
perçu par les gens simples autour de lui. Dans cette optique, et sans trop
exagérer, nous pouvions dire que plus le sorcier fût méchant – et plus qu’il fût
cruel — d’autant plus son personnage professionnel eût été craint et respecté
; et d’autant plus les gens auraient pu être portés à solliciter son intervention
rémunérée.
Mais malheureusement, pour
entretenir cet aspect de puissance terrible, l’aspirant sorcier devait bâtir une
réputation d’avoir fait vraiment des
choses terribles (telle la destruction de bétail, ou de récoltes). Mais le
moyen le plus facile et le plus sûr, de projeter cette image de pouvoir
redoutable, passe toujours par la destruction des hommes (car les tempêtes, et
les pestilences, sont — pour être franche — des phénomènes assez difficiles
de fabrication, tandis que l’homicide, lui, se trouve à la portée de n’importe
quelle personne qui se veuille prête — tels les sorciers d’antan – à oser
passer outre aux tabous communs de l’humanité).
En ce qui concerne les
contemporains d’Hippocrate, bien que partiellement sortie de la brume
intellectuelle originaire de l’humanité, il y avait encore dans l’antiquité hellénique,
beaucoup de guérisseurs/philosophes qui se prêtaient à ce jeu de magicien, dont
l’estime de la capacité de guérir allait de pair avec l’estimation des pouvoirs
plus sombres : de blesser, défigurer, rendre fou… et tuer. Eux aussi, se
présentaient en maîtres-de-la-vie-et-de-la-mort ; et parce que c’est la guérison
de la vie qui soit, dans cette dualité, tellement plus difficile à effectuer, il
serait facilement compréhensible comment ces guérisseurs préscientifiques
auraient pu subir la tentation d’afficher leur pouvoir en produisant l’effet
inverse. Et c’est ainsi, que dans l’imagination populaire et parmi une grande
partie de la clientèle : un médecin sans poisons serait perçu comme un ignorant
sans métier, sans connaissance — sans pouvoir.
Encore, en ce qui concerne la
préoccupation hippocratique d’épargner la souffrance au malade, nous pouvions
soupçonner que la pratique traditionnelle tendait, dans cette particularité
aussi, dans la direction opposée : car pour justifier leurs honoraires élevés,
certaines médecins — dépourvus de remèdes réelles – auraient tenté d’offrir
valeur pour argent dans la seule qualité impressionnante du spectacle produit ;
et à cette fin, le caractère grotesque des interventions infligées, ainsi que les
agonies spectaculaires des malades qui s’y soient soumis, auraient témoigné
éloquemment de la conclusion voulue : que le redoutable docteur, avait bel et
bien tout essayé, sans absolument rien omettre, dans son effort herculéen
pour sauver la vie du patient.
Et finalement, vu dans son
caractère d’agent amoral et surhumain, qui se plaçait agressivement à
l’extérieure des normes éthiques des gens ordinaires, ce serait facile à
comprendre, aussi, comment le philosophe/médecin/sorcier traditionnel aurait pu
profitablement agir en espion privilégié pour le compte des adversaires —
politiques, économiques, ou légaux — des malades sous sa surveillance.
S’ensuivrait la conclusion, selon
les préjugés dominants de cette époque qui précédait la révolution hippocratique,
qu’un médecin qui renoncerait à la torture spectaculaire de ses patients ;
qui ne tuerait point ; et qui ne marchanderait pas d’informations
privilégiées, perdrait d’autant dans sa réputation, que dans ses revenus.
Mais par contre — et contre toute attente intuitive — le génie que nous associons avec le nom d’Hippocrate de Cos, réside précisément dans sa capacité étonnante de prétendre augmenter le confort du malade, tout en augmentant les revenus du médecin.
Le secret, bien-sûr, se trouve dans la division du marché.
En premier lieu, les critères d’admissibilité à l’euthanasie volontaire fournissaient la définition des exceptions requises pour percer l’interdit du suicide assisté ; mais par la suite, ce sont, aussi, les bornes qui serviraient à limiter l’étendue de cette opération. En conséquence, la stabilité future du régime dépendra de la solidité de celles-ci, et de leur capacité de résister à de nouvelles poussées vers une libéralisation accrue.
Simplement dit, si nous projetions d’empêcher le dérapage sur une pente inclinée, nous aurions besoin de barrières, à la fois aussi fortement construites dans leur structure interne, que solidement ancrées dans leur position. Or, dans le cas des critères/guides fournis par la décision Carter et les lois afférentes — au Québec, préalablement, et au Canada ensuite — cette solidité de construction, et de placement, nous en fait, je crois, cruellement défaut.
Bien que j’encourage le lecteur à consulter les documents originaux, je présente ici, pour fin de discussion, un sommaire réducteur des éléments successivement retenus : dans la Loi 52 du Québec (2014) ; dans le Jugement Carter (2015) ; et dans la Loi Canadienne C-14 (2016) :
« Sont
admissible (sic) pour l’euthanasie volontaire (« aide médicale à mourir »),
toute personne qui exhibe :
1) problèmes de santé graves et irrémédiables (maladie, affectation, handicap)
2) souffrances persistantes qui lui sont intolérables
3) situation caractérisée par un déclin
avancé et irréversible
4) mort naturelle devenue raisonnablement prévisible »
Voilà la matière exposée en bref. Mais avant d’entreprendre la critique de celle-ci, considérons d’abord, pour fin de comparaison, quelques exemples de vrais conditions objectives, c’est à dire de conditions qui peuvent être scientifiquement vérifiées à la satisfaction de tous.
— Base comparative, peu flatteuse, fournie par
de critères objectifs communément employés
Prenons, par exemple, l’exigence formelle que le citoyen soit âgé d’au moins dix-huit ans pour exercer le droit de vote, ou encore, l’avertissement, courant dans les piscines publiques, que seulement les enfants mesurant, au minimum, trois pieds d’hauteur, puissent monter sur le tremplin de plongeon. Dans le premier cas, nous consultons les documents nécessaires ; dans le deuxième, nous plaçons l’enfant à côté de la règle peinte sur le mur ; et à l’exception de très rares cas, nous nous accordons immédiatement, entre témoins raisonnables, de la juste application du statut.
Mais dans l’articulation des critères d’admissibilité pour l’aide médicale à mourir, nous nous trouvons devant un multitude de termes — de substantifs autant que d’adjectifs – qui n’admettent aucune interprétation commune et obligatoire : « problèmes graves », « souffrances persistantes … intolérables », « déclinavancé », « mort naturelle … raisonnablementprévisible ». Ce sont autant d’imprécisions qui n’admettent pas, seulement, mais qui n’invitent et qui n’exigent, positivement, de la contestation constante et sans issue autre qu’une libéralisation complète.
Considérez, s’il vous plait, dans notre exemple de piscine, un avertissement voulant que les enfants soient « grands » « assez grands » « vraiment grands » ou encore « raisonnablement grands » et je vous invite à imaginer les conséquences prévisibles … Ne serions-nous pas en droit, alors, d’exiger que les mêmes standards de rigueur puissent être appliqués, dans notre matière d’euthanasie volontaire – une véritable matière de vie et de mort — que tout enfant exigerait, impérativement, à la piscine du coin ?
Absence d’accord objectif au sujet de la valeur relative des vies humaines
Plus fondamentalement, la notion d’objectivité sous-entend que tout être
raisonnable partage le même jugement devant les mêmes faits. Mais nous savons,
pour l’avoir observé, que différents individus affligés par les mêmes épreuves,
réagissent avec des attitudes entièrement différentes ; et en particulier,
une situation de handicap ou de souffrance qui semblerait invivable pour l’un,
n’ébranlerait aucunement la volonté vitale de l’autre. Et c’est ainsi que nous
découvrions une difficulté des plus coriaces – qui saute littéralement de la
page, dirais-je — dans le simple fait
qu’il n’existe aucun accord concernant la valeur de la vie humaine dans telle
ou telle circonstance : une difficulté plus que gênante, là où
l’objectivité est proposée comme la pierre angulaire de notre démarche !
Alors quelle serait la vraie nature des « critères » ainsi proposés, pour qualifier l’interdit de l’homicide en assistance au suicide, et pour limiter l’étendu de cette qualification ?
Dès le début des années soixante, il y avait, aussi, dans ce monde
d’idées et de culture en ébullition, un autre habitué des cabarets politiques, dix
ans plus jeune que Pauline Julien, celui-ci — journaliste, intellectuel et poète
— : Gerald Godin.
Avec cette assurance qui accompagne naturellement les jeunes hommes beaux, talentueux et volontaires –aussi attirante pour les uns qu’insouffrable pour les autres – Gerald Godin fut le prince consort, parfait, auprès de la grande dame de ce micro-cosmos politico-culturel. Ils passèrent plus de trente ans de vie ensemble.
L’incomparable soirée du 15 Novembre, 1976, ou le mouvement indépendantiste
se trouvait subitement bénéficiaire d’un victoire électorale éclatante — d’une
envergure ni prévue, ni même espérée — se couple populaire était au centre des
festivités : elle, en quelque sorte, comme l’emblème féminin, la mère, la
reine du mouvement, et lui, comme député fraichement élu, à cette majorité
magique qu’on croyait mandatée à réaliser, dans les plus brefs délais, cet indépendance
glorieuse à laquelle tout le monde présent croyaient, fermement, que le Québec
fût enfin destiné.
Gerald Godin était encore jeune, dans les termes politiques, même dans ce mouvement qui présentait un visage de jeunesse. Le chef du Parti Québécois, et le nouveau Premier Ministre du Québec, Réné Levesque, été âgé, à l’époque, de 54 ans, et son lieutenant/rival, Jacques Parizeau, de 46, tandis que Gerald Godin n’en avait que 38. Il n’en faisait pas partie, alors, du petit groupe de politiciens aguerris, vétérans de la Révolution Tranquille, qui se trouvèrent marqués d’emblée pour occuper de postions d’influence et de grands portefeuilles ministériels. Pourtant, il avait déjà une distinction de taille, unique et bien à lui : car ce fut Gerald Godin, et personne d’autre, qui avait personnellement affronté, et détruit en combat singulier, le véritable Dragon Fédéraliste qui fut, jadis, Robert Bourassa : Premier Ministre sortant, et co-auteur des Mesures de Guerres, tantes humiliantes, imposées sur la peuple Québécoise en Octobre 1970 pour maitriser l’état social invoqué « d’insurrection appréhendée » !
Six ans Premier Ministre, et dix ans député dans la circonscription de
Mercier, personne ne pouvait imaginer que Robert Bourassa ait été personnellement
vulnérable ; mais Gerald Godin lui avait bel et bien vaincu sur le terrain, et s’est
ainsi accaparé de son siège ! Dès lors, le destin semblait le distinguer de
l’ensemble des députés majoritaires. Et c’est également très certain que son
identification populaire avec Pauline Julien ne nuisait aucunement dans son
ascension au pouvoir.
À partir de 1979, M. Godin fut successivement nommé : adjoint
parlementaire des Affaires Culturelles ; adjoint parlementaire de la Justice ;
Ministre de l’Immigration (1980) ; Ministre des Communautés Culturelles et de
l’immigration (1981) ; Ministre responsable de l’application de la Charte de la
langue française (1982) et Ministre délégué aux affaires linguistiques (1984).
Les lecteurs moins familiers avec la spécificité du Québec, penseront,
possiblement, que ce ne sont pas là des portefeuilles de grande responsabilité
comme, par exemple, le Trésor, le Commerce, etc., mais dans le contexte de la
lutte identitaire du peuple québécois, ce sont précisément la culture,
l’immigration, et surtout, la langue, qui se trouvent au cœur de tout cette démarche,
qui fournissent, en fait, la raison d’être du parti Québécoise et de chacun des
gouvernements que ce parti ait pu former. Or, Gerald Godin faisait partie du groupe,
très restreint, chargé avec l’élaboration et l’implémentation des politiques
qui, au mieux, pouvaient aboutir dans la naissance d’un nouveau pays qui
donnerait forme aux aspirations de la nation Québécoise, et à défaut de ce
résultat, qui garantirait, au moins pour quelques générations à venir, la
survie territoriale de cette nation, comme ensemble dominant, culturo-linguistique.
Spécifiquement, devant des évidences démographiques inquiétantes, et le rejet du premier référendum sur la souveraineté (1980), Gerald Godin en était un des partisans fondateurs de la nouvelle théorie d’une nation Québécoise, non ethnique, mais culturelle, dont la caractéristique première serait l’usage commun de la langue française : une stratégie par laquelle le Québec francophone pouvait être renforci, selon ses auteurs, par la création de politiques d’immigration qui favoriseraient l’arrivé prioritaire d’immigrants francophones, dont les effectifs sentiraient une adhésion naturelle aux aspirations de la majorité.
En somme, de ces faits s’en dégageait le portrait d’un homme, déjà très
influent à partir du premier mandat du Parti Québécois, et, possiblement même, destiné
pour la première place parmi ses pairs, quand, subitement, toutes ces possibilités
basculèrent devant la main impénétrable de la chance brute : Gerald Godin
fut diagnostiqué, en 1984, d’un cancer du cerveau, fut opéré, et se trouva, par
la suite, aux prises avec de séquelles neurologiques importantes, et à terme imprévisible,
avec la mortalité précoce ; surtout, homme de paroles, il se trouva subitement aphasique,
ne pouvant plus parler qu’avec la plus grande difficulté et avec la plus pénible
application.
Malheureusement, grâce à la magnitude des évènements vécus, de leur nature déplaisante — et de leur importance controversée et mal comprise — la connaissance de cette période ferait largement défaut ; elle serait généralement absente, de la compréhension populaire, autrement que dans le détail et l’anecdote, ou encore dans certains thèmes mythiques d’importance identitaire tel l’Holocauste des Juifs, le Suffrage des Femmes, ou le Mouvement des Droits Civils des Noirs Américains.
Par facilité expéditive, donc,
au lieu de s’attarder sur la suite de cataclysmes qui compose la première
moitié du Vingtième Siècle, nous avons plutôt tendance à favoriser un sentiment
et une explication plus simple : qu’il y avait une période « Avant »
— largement sans importance, vue de notre côté du gouffre qui nous en sépare
— c’est-à-dire une tradition et une société souffrant de nombreuses tares dont
nous sommes maintenant épargnés, réfugiés dans notre monde confortable d’« Après ».
Pourtant, les idées que nous
débattons de nos jours furent presque toutes formulées dans ce monde d’« avant » ;
leurs origines et leurs racines s’y trouvent ; et nos versions de ces
idées sont le produit d’une évolution, toujours inachevée, dont la compréhension
— et donc notre possibilité de les perfectionner – dépendrait, aussi, de notre
capacité d’assimiler les évènements et les réflexions des années difficiles qui
les eurent ainsi façonnées.
Mais peut-être (et ce serait effectivement mon espoir) avec la distance grandissante qui nous en sépare des faits — et avec l’arrivé d’interlocuteurs plus jeunes et moins investis, personnellement, dans la genèse des bouleversements ainsi produits– cette tâche d’analyse deviendra plus abordable et plus fructueuse.
Le métier du soldat, lui, serait beaucoup plus
prometteur. Il est bien plus présent parmi nous ; il est généralement considéré
avec beaucoup plus de générosité ; et grâce aux liens élargis d’amitié et de
parenté, ses séquelles psychologiques sont largement répertoriées, ressenties,
et éventuellement partagées, à travers toute notre société. De nombreuses études
sérieuses et sympathiques se seraient réalisées dans le but de comprendre la
psychologie des soldats, et de les assister dans l’intégration de leurs
expériences. Malheureusement, pour ce qui concerne notre sujet présent, ce
matériel confirme formellement ce que nous comprenions tous intuitivement : il
existe, bel et bien, des dangers indissociables de la contravention délibérée des
tabous entourant l’homicide.
De prime abord, pour rappeler nos conclusions au sujet du bourreau : il est indéniable que le soldat souffre, lui aussi, d’exclusion sociale, grâce à l’inconfort ressenti par grand nombre de civils, devant sa qualité — jamais tout à fait oubliée — d’homicide ; et même dans la présence de personnes plus généreuses d’esprit — incluant les relations intimes — le militaire type éprouve des difficultés de communication résultant de différences aigues, et tant significatives, entre son expérience et celle des « autres ». Alors, sans pousser notre enquête plus loin, force est d’admettre qu’un tel isolement psychologique soit un fort prix à payer pour avoir choisi ce métier.
Évidemment, de nombreuses circonstances
différencient le fait de tuer, chez le militaire, de celui chez l’exécutant des
volontés suicidaires, et en premier lieu, on doit mentionner que la mort du
suicide soit présumée volontaire. Soit. Cependant, quoique le militaire
reconnaît que ses victimes n’aient pas voulu mourir toutes, il existe des
considérations atténuantes dans son cas, aussi — des impératifs personnels et
collectifs — dont un assistant au suicide ne pouvait pas bénéficier au cas
qu’il puisse, un jour, se trouver accablé des mêmes sentiments coupables.
Alors, si nous considérons loyalement l’évidence (que ce sont des sentiments
insidieux dont toute la logique possible d’impératif dans l’action ne suffira
jamais pour en atténuer les séquelles chez bon nombre de soldats), nous devons
aussi comprendre que l’argument rationnel (que tous leurs patients — au moins
en théorie — furent volontairement décédés) n’épargnera pas non plus, à bon
nombre d’euthanasistes, les tourments ultérieurs d’une conscience inquiète.
Il resterait, peut-être, l’objection voulant que l’euthanasiste ne « tue » pas son patient, mais plutôt « l’aide » à mourir ; que la pratique ne soit, enfin, rien de plus qu’une intervention médicale bénigne fournie dans une continuité de soins. Mais je ne pense pas que ces subtilités de sémantique soient assez efficaces pour changer les impressions reçues par les individus qui vivent ces expériences sur le terrain du réelle. Aussi, je laisse, au lecteur, le soin de répondre à la question suivante, en consultant ses propres sentiments : Est-ce que quelqu’un de normalement constitué, peut introduire délibérément une substance chimique dans les veines d’un autre être humain –une substance introduit dans le but précis d’arrêter le battement du cœur de ce dernier– sans avoir la conviction intime de tuer son client ? Serai-je vraiment seul à penser qu’une telle facilité de déculpabilisation soit impossible ?
Ou pour prendre une analogie pertinente :
le vétérinaire peut agir pour le bien, en expliquant à l’enfant que son chien serait
« endormi » ; mais il est impossible à croire que ce vétérinaire puisse
lui-même avoir le moindre doute autour du fait qu’il s’apprête, réellement, à
tuer l’animal. Et de la même façon, dans le contexte actuel, il est très
possible que les astuces de langage subtilement employées par nos législateurs,
dans le but de libérer la pratique de l’euthanasie des contraints du Code
Criminel, puisse suffire, aussi, pour encourager, chez une famille largement
dépassée dans la complaisance de la désespoir, l’idée qu’il ne s’agit pas vraiment de « tuer » leur grand-maman ;
mais il me semble tout à fait impossible que les mêmes astuces puissent
changer, dans l’esprit des professionnels impliqués, la compréhension
incontournable qu’ils s’apprêtent dans les faits, exactement comme le
vétérinaire dépeint précédemment, à terminer la vie de la créature, animal ou
grand-maman, qui se trouve sous leurs mains ; c’est-à-dire, sans détour, et
d’après la parole commune : de la tuer.
Surtout, à la différence du vétérinaire, ces professionnels homicides ne peuvent pas s’échapper si facilement aux inconforts intérieurs soulevés par la réalisation de ces faits, car n’en déplaise à certaines visionnaires, la différence entre un chien et une vieille dame — ou toute autre personne humaine — se trouve, encore de notre époque, très largement considérée comme une distinction actuelle et importante. Pire encore : dans la mesure oû des personnes plus naïves, et imbues d’une confiance plus forte devant l’autorité des législateurs, puissent accomplir sans réfléchir ces gestes finals, sans affronter sincèrement le sens de leurs gestes dans le présent, il me semble raisonnable à prévoir que les séquelles psychologiques, éventuelles, puissent se révéler d’autant plus difficiles.
Mais retournons maintenant plus
directement à notre description de la psychologie connue du soldat. Pour
simplifier au maximum, il existe deux problématiques, à la fois contraires et
réciproques, qui sont toujours associées à cette démarche militaire qui
consiste à prendre des hommes et des femmes, tout à fait ordinaire, pour en
faire des tueurs :
La première, comme nous l’avons déjà constaté, consistent des séquelles psychologiques résultantes de la simple horreur ressentie devant le fait cru de tuer, une horreur qui peut, comme nous sommes informés tous, causer des stresses extrêmes — qui peuvent sournoisement se cacher pendant des années, pour éclater subitement sans raison apparent – des séquelles ainsi repartis sur de longues périodes de temps et souvent pour le reste de la vie, qui se manifestent tant dans les souvenirs inconfortables à l’éveille, que dans les rêves tourmentés au repos.
Et la seconde, comme on pourrait également
s’en douter, consiste dans l’effet contraire, c’est à dire, la possibilité pour
certains soldats de découvrir, dans le fait homicide, un plaisir, ou une
fascination, dont l’appétit éveillé peut présenter des dangers constants, et
pour le sujet, et pour son entourage.
Dans un mot : quand on évoque la
décision collective, de prendre des gens normaux et de les faire passer outre
aux tabous contre l’homicide, on court inévitablement le risque de créer des
personnes torturées par des sentiments de culpabilité, ou au contraire, de
créer des personnes possédant de forts appétits homicides, et même, dans nombre
de cas, des personnes qui présentent, qui subissent, et qui infligent, les
inconvénients de ces deux profils à la fois ; car il est tout à fait possible
de ressentir de la honte et de la révulsion à l’égard de gestes vers lesquelles
on se trouve, tout de même, inéluctablement attiré.
Encore une fois, ce sont, malheureusement,
des effets émotifs, psychologiques, et sociaux bien connus du monde des
militaires et des anciens combattants, parmi lesquels on dénote des niveaux de
détresse, signalés entre autres par le divorce, l’itinérance, la délinquance,
les gestes suicidaires, et autres manifestations diverses de l’intégration
social difficile — ainsi que la maladie mentale — toujours plus importants
que ceux répertoriés parmi la population générale.
Alors, voici la conclusion évidente de
l’application des leçons tirées de l’expérience militaire à notre compréhension
du métier d’assistant au suicide, ou d’euthanasiste :
Si notre résolve tient ferme,
d’institutionnaliser publiquement les pratiques de suicide assisté et d’euthanasie,
nous serons contraint, avec une certitude égale, à accepter les problématiques
sous-jacentes en maux nécessaires, tout comme la communauté militaire doit les
accepter : car, ni la défense nationale, ni le suicide assisté, ni
l’euthanasie, ne peuvent exister sans des personnes ordinaires réédités en
tueurs, tandis que le fait de tuer risquent toujours d’affliger les gens
impliqués avec de séquelles psychologiques aussi néfastes que bien connues et
catalogués.
Il serait, d’ailleurs, irresponsable d’accepter les affirmations de certaines euthanasistes prolifiques à l’effet qu’ils ne souffrent pas des maux redoutés ; tout comme il serait irresponsable de nier le phénomène de détresse militaire simplement parce que nombre de soldats en sortent indemne : comme toujours, les anecdotes individuelles ne peuvent aucunement suffire pour représenter le cas général.
Alors, ce que nous pouvons faire, dans les circonstances, se limite uniquement à nous efforcer à atténuer ces effets de notre mieux, à l’intérieur de nos capacités de prévention et de surveillance.
Toujours est-il, que le déficit résiduel d’appui populaire, face à la
justification purement subjective du suicide assisté, fut surmontée grâce à
cette présentation des arguments fondés dans une logique d’exceptions médicales
objectives. Les apologistes du suicide rationnel auraient voulu, ainsi,
représenter une certaine classe de suicidaires comme étant objectivement différente, et alors plus méritante de notre
sympathie (ou de notre acharnement). Ce fut, bien sûr : la classe de
suicidaires pour lesquelles l’insatisfaction avec la vie pouvait être associée
à des conditions médicales.
Les détails de la définition de cette classe de malheureux varient
significativement d’instance en instance, mais dans son essence, elle revient
toujours à la notion de « souffrances insupportables ». Or, une fois
que le problème ait été qualifié de nature médicale, la solution le fut tout
autant ; et c’est ainsi, que les professionnels de la santé furent soustraits
aux pénalités prévues pour les actes homicides, en ce qui concerne l’assistance
au suicide. Bien plus en fait, car tel que remarqué ci-haut (pour des
raisons qui ne sont pas aussi facilement explicables) ils furent positivement
mandatés par l’état (c’est-à-dire, collectivement obligés par celui-ci) à fournir la mort, essentiellement sur
demande, comme traitement médical bénin, à toute personne qui satisferait aux
critères de sélection : non seulement par l’assistance au suicide, mais
bien, par voie d’euthanasie active.
(Force est de souligner l’existence de nombreux intervenants qui contestent, de manière formelle, la réalité du mandat médical postulé ici, de « mort sur demande » : d’abord parmi ceux qui veulent minimiser la portée, de cette imposition contraignante, dans le but d’en faciliter l’application ; mais également, parmi ceux qui se donnent comme mission d’échapper à cette application et qui refusent, en conséquence, de céder la moindre conclusion qui puisse être préjudiciables au dénouement de litiges futurs. Et cette réticence se trouve justifiée, aussi, par la pluralité de politiques provinciales. Dans le contexte de ce livre, cependant, je préfère regarder, sans artifice, les structures et règlements en voie d’élaboration dans les provinces plus importantes, et je n’hésite pas à affirmer que mandat médical collectif de mort sur demande – sujet seulement à la satisfaction des critères d’admissibilité – il en existe bel et bien : dans maints endroits, à l’heure actuelle ; et, sans grand doute, uniformément, bientôt.)
Un peu plus loin, je tenterais de faire la démonstration de la nature
factice de ces distinctions — de médecin/homicide et de patient/suicidaire,
exemptes de l’opération des lois générales — car ce ne sont, à mon avis, que
des idées artificielles, manifestement sortis comme des lapins conceptuels du
chapeau juridique. Pourtant, sans trop vouloir devancer la matière, on peut
affirmer, ici, que tous les
suicidaires sont en proie de « souffrances insupportables » — par
définition — et qu’avec un peu de créativité, toutes les souffrances, aussi, peuvent être reliées aux causes « médicales »,
sinon par la voie physique, au moins par la voie de détresse psychologique.
Logiquement, alors, le statut spécial de « souffrance médicale »
ne résiste pas à l’analyse. Logiquement : tous les suicides sont égaux. Mais
dans l’occurrence, cette distinction douteuse suffisait, tout de même, pour
permettre l’adoption de ce mulet hybride, qui soit « l’aide médicale à
mourir », même si les deux parents incompatibles de ce dernier — le
suicide assisté, et l’euthanasie — ne furent jamais parvenus — ni l’un ni
l’autre — à franchir, seules, le seuil de l’acceptation publique.
Vu l’importance de ces faits, il serait rassurant de pouvoir imaginer que ceux-ci ne furent que les conclusions nécessaires d’une démarche rigoureuse et conséquente ; que ces résultats en sont le reflet d’un consensus social éclairé et unanime. Mais rare sont les initiatives politiques qui puissent trouver leurs origines dans un telle harmonie idéelle. Ce serait, au contraire, la division, le compromis, et la tactique contextuelle, plus ou moins bien ficelée, qui caractérisent, pour la plupart, celles-ci.
Rien d’étonnant, alors, que l’instauration de « l’aide médicale à mourir » nous présente un tel profil, et rien de plus naturel, non plus, que le travail critique de révision qui soit, manifestement, requis après coup.
Chanteuse et comédienne, Pauline Julien était, au début des années soixante-dix, une figure proprement mythique au Québec, qui alliait l’attrait, déjà très important, d’une vedette de la chanson et du cinéma, à la puissance magique de cette affirmation identitaire des Québécois.
Elle n’avait peut-être pas la voix d’une Ginette Renaud, ni celle de
l’enfant-vedette Céline Dion, et elle n’avait pas, non plus, la sexualité brute
de la jeune Diane Dufresne ; mais elle avait, pourtant, quelque chose d’encore
plus puissante, car à travers l’ensemble de sa voix, de sa figure, de son
romantisme lyrique, de sa sensualité et de sa passion, elle parvenait à donner
corps, dans sa seule personne, à l’esprit et aux rêves du peuple québécois tout
entier.
Le mouvement d’indépendance dépendait, bien-sûr, d’un nexus qui réunissait intellectuels et artistes. La transmission de l’idée passait par les journaux, par le livre, et par le disque ; mais dans sa forme la plus influente et immédiate, le rêve nationaliste se vivait dans des spectacles, et dans des rassemblements — mi- manifestation, mi-fête — qui passaient de la chanson réponse partagée dans le café-cabaret du coin jusqu’aux attroupements massives aux allures de Woodstock qui se sont éventuellement produites, à Montréal (sur la montagne), à Québec (sur les Plaines d’Abraham), et à l’échelle réduite, dans chaque village du Québec au moment culte de la Saint-Jean-Baptiste.
Pauline Julien était une présence constante dans cette scène de spectacles engagées et elle répandait, en plus des siennes, les chansons des plus influents auteurs Québécois : tel Vigneault, Leclerc et de dizaines d’autres. Dans ce mouvement et dans cette ambiance, je crois ne pas exagérer si j’affirme que Pauline entrait en scène — et fut accueillie par le publique — comme la personnification directe du rêve national, telle que la Dame Liberté fut représentée dans certaines toiles de la Révolution Française ; le tout rendu d’autant plus saisissant de par son aspect fragile et vulnérable — mais tant indomptable.
Quand Pauline Julien chantait le martyre du peuple Québécois, il n’y avait pas un seul œil, dans la salle, qui ne se mouilla pas ; et quand elle chantait la Renaissance Nationale, il n’y avait pas un, qui ne fut pas debout.
(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section II: Hippocrate : tradition et histoire de la profession médicale — Chapitre : Hippocrate — Les principes du Serment : «Primum non nocere»)
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L’esprit qui informe le Serment d’Hippocrate découle d’un seul principe : le médecin hippocratique ne ferait pas de tort à son patient. Et dans les applications stipulées de cet engagement, nous repérons les éléments suivants :
Premièrement, les disciples
d’Hippocrate agiraient avec le soin de ne pas imposer des souffrances inutiles.
Les ramifications de ce principe débordent de la présente discussion, mais
elles sont toujours germaines aux questions actuelles d’acharnement thérapeutique.
Deuxièmement, nous trouvons cette abstention des gestes qui puisse faire du tort au patient, traduit par un refus absolu de causer la mort de quiconque, dans quelques circonstances que ce soit, dont les exemples précis, catalogués dans le Serment, incluent : l’administration de poisons (ce qui nous intéresse particulièrement ici), ainsi que l’administration de drogues avorteurs (ce qui explique, malheureusement, les trois quarts de cet opposition féroce, témoigné de nos jours, à l’égard du vénérable Grec).
Troisièmement (si nous sautions, avec discrétion, l’admonition qui enjoint le médecin de s’abstenir de prendre avantage sexuellement de ses patients, de leurs membres de famille, ou dépendants et domestiques) nous trouvons le célèbre principe, du « secret professionnel » dans sa toute première formulation, connue, de l’histoire, c’est à dire, l’assurance que les informations recueillis directement auprès du malade, ou encore indirectement par l’introduction d’un médecin observateur dans l’intimité de sa résidence, ne seraient jamais divulguées par les praticiens d’allégeance hippocratique.
En somme, d’une inspiration
originale et même révolutionnaire, Hippocrate et ses successeurs faisaient la démonstration
pragmatique : qu’un corps de médecins qui renonçaient volontairement
aux pratiques meurtrières de poison ; qui n’intervenaient pas inutilement au
prix de souffrances gratuites ; et qui faisaient preuve de discrétion à l’égard
de leurs patients, serait non seulement bien accueilli, mais financièrement
bien soutenu par la clientèle visée, et ce, au détriment de la concurrence plus
traditionnelle.
Or, pour apprécier cette nouvelle option, présentée avec tant de clarté devant l’esprit populaire par les adhérents du Serment d’Hippocrate, il serait utile de dire quelques mots au sujet des conceptions plus traditionnelles (c’est-à-dire « courantes ») dans cette période antique de la médecine.