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juin 2019 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Chapitre : Souffle d’une mouvance multi-centenaire vers l’émancipation individuelle : le divorce, l’homosexualité et l’avortement

la liberté ou la mort

contexte plus large ou s’inscrit le « droit à mourir » 

     Dans les discussions préalables à la décriminalisation du suicide médicale, qui aurait abouti dans l’adoption du régime d’euthanasie institutionnelle que nous connaissons aujourd’hui, les appréhensions de chute douloureuse sur la « Pente Glissant » furent repoussées avec une légèreté insouciante, comme les fruits d’imaginations morbides — déraisonnable et hyperactives. Pourtant, il apparaitrait avec clarté (dans la rétrospective), que les l’évidences indiquant l’inévitabilité des élargissements de la pratique de l’euthanasie — actuelles et à venir – nous pendait littéralement du bout du nez, et ce, dès le début.

     Car, pour apprécier la suite probable des choses, il aurait fallu se rappeler que la question du suicide assisté n’en est pas un de débat isolé. Elle s’inscrit dans un processus plus large d’évolution philosophique, légale, et sociale, qui s’est arrivé à un point de crise, certes, à travers les dernières deux ou trois générations, mais qui s’exerce en fait, depuis déjà plusieurs siècles. Cette évolution — ou révolution selon certaines — opposent toujours des idées traditionnelles de morale absolue, apparemment objective, intuitivement évidente pour l’être humain – et accessoirement calculés à produire une homogénéité de comportements — contre une mouvance de morale personnelle, fondée dans la perception d’une validité première dans l’expérience et dans la conscience subjective, qui s’opère souvent, elle, dans la direction d’une pluralité de moeurs.

     C’est une révolution que les champions de la nouvelle tendance articulent, souvent, en termes d’opposition entre contrainte, et liberté, de l’esprit humaine. Or, on ne peut pas prendre la place, ici, pour considérer ces idées sur leurs mérites propres (quoique nous y retournerons plus substantiellement dans des chapitres à venir). Je signalerais seulement, que le dernier siècle fut fortement marqué par plusieurs luttes autour de ces thèmes, et plus particulièrement dans la légalisation de différentes phénomènes jusqu’alors interdites, notamment : la divorce, l’homosexualité et l’avortement.

      Vue l’importance soudaine et transformationnelle des changements vécus dans cette période, il serait compréhensible que la discussion en soit encore quelque peu pénible. Les passions s’enflamment très facilement et la discussion rationnelle devient presqu’impossible.

     En conséquence, l’analyse de ces phénomènes se résume, habituellement, dans une version standard des faits plutôt superficielle, qui se restreint à une vague certitude que ce qui se passe maintenant soit « bien » tandis ce qui se passait avant fut « mauvais ».

     Mais, malheureusement, cette attitude trahit, aussi, une ignorance certaine du sujet : car le fond de dispute ne concerne, en fait, rien de moins que la réalité (ou l’irréalité) du « bien » et du « mal », dans l’absolu. Alors, en toute logique, celui qui réclame le droit d’agir, de telle ou telle façon controversée (en vertu d’un jugement subjectif), aurait sacrifié, aussi, le droit de prétendre que tel ou tel régime légal soit « bien » (c’est à dire : bien de manière absolue).

     Et c’est ainsi que la prise peu profonde sur les éléments de discorde, conjuguée avec la ferveur proprement religieuse investie dans l’issue de celle-ci, s’est traduit, depuis une vingtaine d’années par un tabou presque complet autour de la discussion critique de ces sujets. Pourtant, comment voudrions-nous comprendre notre présent sans référence au passé ? Je demande, donc, au lecteur, de faire preuve de patience pendant que nous revisitons, brièvement – et avec ce que j’espère être le plus grand respect et sensibilité– ces transformations sociales tant émotives.

     La plus impressionnante de toutes, peut-être, fut le changement extraordinaire réalisé dans le statut de l’homosexualité et des homosexuels. La réalisation des revendications homosexuelles s’est faite avec le plus grand effet, toutefois, en fonction d’une logique institutionnellement plus puissant : de discrimination collective à l’encontre des droits civils d’une classe spécifique ; ce qui aurait amené non seulement la liberté d’expression sexuelle mais accès, également, à des institutions comme la mariage et l’adoption.

Cependant, il ne faut pas oublier ce fait : que dans ses débuts, la décriminalisation des comportements caractéristiques de l’homosexualité s’est effectuée, sous la bannière de la liberté sexuelle (voir la liberté humaine) tout court. Et dans cette perspective elle doit aussi s’inscrire, dans notre étude de droit personnel, et donc, servir d’exemple prédictive pour l’acceptance d’un éventuel « droit de mourir ».

     La légalisation du divorce, elle, présente un profil moins ambigu d’affranchissement de l’individu, car des individus de tout genre et de tout degré sociale peuvent désirer, et chercher, le divorce, chacun pour de raisons personnelles. Or, l’acceptation progressive du divorce représente une victoire évidente de la liberté, de tout individu, aux dépens du droit sociétale d’imposer des standards communs de comportements, et ce, malgré les inconvénients subis par la collectivité.

      En dernier lieu, nous trouverons, dans l’exemple de l’avortement, une coïncidence quasi-parfaite de circonstances, et de stratégies employées — sans la moindre effet dans l’aboutissement —  pour enfreindre l’exercice de la libre disposition de sa personne, par voie de règlementation médicale.

     Toutes comme nos projets actuels concernant le suicide assisté et l’euthanasie, ces innovations légales furent toutes, d’abord, introduites par le biais d’exceptions à l’interdit, soigneusement circonscrites ; et chacune, de par le processus de contestation juridique à répétition, s’est éventuellement établie (non toujours dans la théorie, mais certainement dans la pratique) comme un choix pleinement personnel, justifié uniquement par le jugement subjectif des individus concernés. On peut donc, raisonnablement penser que le cheminement futur des exceptions médicales à l’interdit de l’homicide (le suicide assisté, l’euthanasie, l’aide médicale à mourir) suivra le même schéma et aboutira aux résultats semblables.

     Comment, en effet, douter de la réalité de la « pente » (et de l’inévitabilité de la glissade) devant ces évidences historiques, toute fraiche encore, dans le souvenir collectif ?

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Chapitre : Point de bascule dans la théorie sociétale : La Prohibition (1920 – 1933)

noble dans l’intention ; impossible dans les faits

— La société nord-américaine circa 1900 : l’aboutissement de quatre siècles de transformation vers une modernité progressivement empreinte de confiance et d’espoir

espoirs sociaux irrépressibles : l’intersection de bourgeoises et d’ouvrières dans les programmes de la tempérance et du suffrage féminin

     Au début du vingtième siècle, dans cette période qui restait toujours gravée dans l’esprit des ainés comme le souvenir d’un temps idyllique avant l’arrivée des catastrophes, il y avait quand-même des circonstances, souvent dramatiques, qui affligeaient cette société en transition, dues surtout à l’urbanisation et à l’industrialisation accélérée ; mais il y avait, aussi, une forte agitation en faveur du long effort qui serait requis pour effectuer les reformes jugées nécessaires à l’amélioration des conditions sociales défectueuses. Surtout, il y avait une sens inébranlable de confiance dans l’avenir, fondée sur les certitudes philosophiques simples que nous avons déjà décrites : une confiance voulant que les difficultés rencontrées, quelles qu’elles soient, ne pouvaient résister à la bonne volonté et la science ; et ça, même au cas où la voient de changement obligé ne dusse impliquer (au moins dans les esprits de certaines Radicaux) des soulèvements proprement révolutionnaires.

     D’ailleurs, — et chose étonnante, peut-être, pour ceux habitués de nos jours à la consommation non-critique de la propagande anti-capitaliste — les forces conservatrices exhibaient également, à cette époque, de fortes tendances réformatrices qui furent teintes du même enthousiasme, et de la même confiance dans l’évolution sociale. De part et d’autre, alors, les gens cherchaient – et anticipaient —  une évolution de l’homme, comprise à la fois, dans des termes matériels, et morales.

     Car il faudrait préciser, ici, qu’aux siècles précédents, le titre de « moraliste » ne portait aucunement la signification d’accusateur, de persécuteur — d’hypocrite ignorant et grotesque — à laquelle nous l’associons trop facilement de nos jours (et ou la seule mention de ce mot peut suffire pour pencher un argument sérieux aux dépens de celui qui s’en trouve ainsi identifié.)

     Au dix-neuvième on appelait « moraliste » — avec respect– celui qui œuvrait à l’amélioration de la condition humaine par l’amélioration de l’Homme ; par la dérivation – par la découverte scientifique prétendaient certaines — des balises morales qui permettraient une vie heureuse de chacun, vécue dans un rapport harmonieux de tous ; et l’agitation pour progressivement adapter la loi (et sa force répressive) aux besoins de l’évolution morale attendue, était une préoccupation centrale des théoriciens, auteurs et orateurs, qui ouvraient dans l’estime générale, à l’intérieure comme à l’extérieure, des églises, des syndicats, et des mouvances sociales de toutes tendances confondues. Les véhicules proposés différaient dans de détails importants, certes, mais la vision progressiste d’une condition humaine positivement sculptée par l’action réformatrice, politique et légale, était presque universelle dans ce changement de siècle. Belle époque en effet !

— Priorité progressiste de la Prohibition et du Suffrage Féminin

Des lèvres qui touchent à l’alcool ne toucheront jamais aux nôtres

     La lutte de la Prohibition, elle, s’inscrivait de façon prioritaire, dans cette logique, d’amélioration de la société par l’amélioration de l’Homme, du fait que les effets dévastateurs de la consommation débridée de l’alcool — surtout parmi la classe populaire urbaine — se démarquait en fléau particulière, et particulièrement sérieuse. Quels que furent les lacunes dans les conditions de vie à ce stade de la transition industrielle, il paraissait évident, pour bon nombre de réformateurs et de réformatrices sincères, que la vie seulement difficile, ou même franchement précaire, serait de mille fois plus désirable qu’une vie qui soit, à la fois, difficile, précaire et saoule ; et il en est ainsi apparu une opinion, largement partagée à cette époque, que les trois quarts des problèmes sociales pouvaient être résolues, immédiatement, en autant que les buveurs intempérés puissent arrêter de boire, tout simplement.

     De plus, nous nous trouvions, ici, à l’aube de l’un des innovations les plus chers de la société démocratique moderne, soit :  le Suffrage Féminin ; et ces deux débats de société — la vote des femmes et la restriction de l’usage de l’alcool — allaient naturellement de pair, du fait que le mauvais traitement des femmes et des enfants, sous la domination d’hommes largement habitués à l’abus du « démon de la boisson », était identifié en question féminine de la première importance. Or, le lien fut tellement étroit dans les esprits (et dans les faits) que les termes « Suffrage » « Féminisme » et « Tempérance » devinrent presque indissociables, et cela même si un souci de pureté idéologique favorisait le maintien de structures organisationnelles distinctes, car les réunions des unes acculèrent, très souvent, les orateurs des autres, tandis que les mêmes personnes fournissaient la masse des participantes aux initiatives des deux tendances.

     Finalement, avec la fin de la Première Guerre (1919), et avec le retour aux discussions temporairement suspendues par l’état d’urgence général, Féministes et Suffragettes se trouvèrent enfin au seuil de leur victoire. On s’accorde habituellement pour dire que la Grand Guerre avait eu au moins ce résultat positif : que le constat de la contribution active fournie dans cette extrémité, par les femmes, avait l’effet d’accélérer l’octroi du statut d’électrice. Il s’ensuivit, alors, que le suffrage des femmes et la prohibition de l’alcool se réalisèrent presqu’ensemble, par voie d’amendement constitutionnel (les Dix-huit et Dix-neuvième Amendements à la Constitution Américaine) dans l’année 1920.

     Sans contredire, il s’agissait de l’une des plus ambitieuses reformes sociales, jamais entreprises.

— Une vision idéalisée de l’Homme qui fût brutalement dépassée par les événements : échec de la Prohibition, et de la programme moraliste

     Malheureusement, il n’y avait pas de retour possible aux jours idyllique d’antan ; la tentative de reprendre, intégralement, l’agenda de réforme tel qu’on l’avait abandonné quatre ou cinq années plus tôt, comme si cet interlude terrible pouvait s’oublier sans conséquence, s’est révélée une illusion de bien trop facile. Dans les faits, cette première vague de désastres, qui commença en 1914 avec la Grande Guerre et qui se poursuivit (1919) avec la crise économique — d’abord en Europe mais inévitablement plus tard en Amérique aussi — portait un coup sévère à tout cette vision optimiste de l’humanité si cher aux réformateurs sociaux : l’homme resterait, disait certains, — et possiblement pour toujours — une bête farouche et incorrigible. Car sinon, quelles explications pouvait-on trouver pour les montagnes de cadavres à Verdun, ou les hordes de sans-emplois qui les remplacèrent ?

     Il en est apparu, dans la littérature, dans la musique, dans le cinéma — et dans la vie courante — l’éclosion d’une nouvelle mentalité de satisfaction immédiate, égoïste et amorale. Née dans le romantisme de la fin du siècle précédent, elle fut disséminée, plus largement maintenant, dans la grande classe populaire, avec un sentiment, poignant et nouveau, d’urgence devant l’éphémère et l’inconstance de la vie. Dans l’intention de ses auteurs, la Prohibition eût été destinée, peut-être, à poser un frein à cette tendance, mais dans les faits, elle servit plutôt d’accélérateur. Et quelques treize années plus tard, l’échec final de la Prohibition constitua, pour tout le programme moraliste de la philosophie sociale, une défaite équivalente au fait de couper la chaine qui attache un navire à son ancrage.

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— Mystère du choix subjectif devant le suicide assisté et l’euthanasie

Paulin Julien, Gerald Godin et Terry Fox : Trois personnes ; trois caractères ; trois choix

     Gerald Godin et Pauline Julien se sont mariées, en 1990, après 27 ans de de vie commune, et 6 ans après les débuts de leur cohabitation avec les contraints et l’inévitabilité du cancer à Gerald. Ce sont des faits qui nous témoignent d’une preuve très forte de leur amour. Les archives contiennent, d’ailleurs, plusieurs images attendrissantes de la présence publique de Pauline auprès de Gerald. Et par un autre de ces étranges ironies du sort, Pauline Julien fut, aussi, touchée par une forme d’aaphasie (dégénérative celle-ci) qui aurait fortement contribué à sa retraite de la scène. Et puis, comme nous le savons : à l’encontre directe de l’exemple de Gerald Godin, et quatre ans, seulement, après le décès de ce dernier, Pauline Julien s’est donnée la mort en Octobre 1998.

     Or, ce suicide fut accueilli, par les admirateurs de Pauline, comme un geste de courage posé devant un destin cruel : femme de soixante-dix ans ; carrière hypothéquée par la transformation de sa voix ; appartenant à une génération de vedettes dont le moteur rassembleur du rêve nationaliste (et l’à-propos sociétale dont elles en jouissaient), fut rudement déconfit (pour la deuxième fois) au referendum infructueux de 1995.

     Solitaire, privée de son compagnon de vie, furent également évoqué en raisons nécessaires : le caractère passionné de la décédée ; sa tendance manique ; sa prédilection à choisir un rythme de vie qui en risquerait savamment la durée ; l’habitude de jouir de grandes capacités ; et l’habitude de vivre de grands moments.

     Malheureusement, il y avait aussi une histoire également lourde, de symétrie inverse : d’un sens d’insuffisance ; d’une dépression récurrente ; et fatalement (en ce qui concerne notre matière de discussion actuelle) d’un attrait certain, et de longue date, vers le suicide.

     Si j’osais, moi-même, avancer une impression gagnée de loin, à la manière opiniâtre et ignorante de tout admirateur publique, je dirais que ce couple présentait un admirable équilibre de caractère, entre la stabilité de Gerald et la volatilité de Pauline ; que ce fut un couple d’une grande beauté poétique. Et peut-être, la différence apparente d’attitude, qui fut affichée par eux devant le dépérissement physique, ne fut que le simple résultat de ce fait inaltérable : que Gerald avait encore Pauline, mais que Pauline n’avait plus Gerald.

     Pourtant, il serait probablement inutile de chercher trop assidûment les raisons des choix illustrés ici. À la fin, nous restons muets devant le mystère subjectif de l’autre.

— Résonance sociale des choix épousés par le vedettariat ; un public enthousiaste, ambivalent, et capricieux

Décidément, les personnes publiques, qui se trouvent à personnifier ces choix dans l’imagination du peuple, épousent des lignes conductrices, personnelles, qui peuvent être franchement opposées les uns aux autres, mais qui résonnent tout aussi profondément dans la conscience populaire. De ce fait, il faudrait toujours s’en souvenir que le fort pourcentage des Québécois qui valida le choix suicidaire de Pauline Julien, et la proportion similaire qui appuie l’option de suicide médicalement assisté, n’enlèvent rien aux chiffres similairement élevés des gens qui firent (et qui font toujours) l’éloge de Terry fox ou de Gerald Godin.

     En fait, ces deux majorités abritent une masse commune, fondamentalement ambivalente, de personnes qui montrent un enthousiasme égal dans les deux cas — tout naturellement, d’ailleurs — car dans leur grande majorité, il leur manque les balises personnelles qui seraient nécessaires pour la formation d’opinions propres ; et elles ne font, ainsi, que vibrer dans l’empathie générale, au diapason des vedettes du moment. Pourtant, ce ne sont pas les membres bien intentionnés du grand public bien-portant qui doivent vivre directement – dans l’immédiat du quotidien – avec les présomptions suicidaires qui sont renforcies par des lois qui proposent l’euthanasie comme « aide médicale à mourir » ; et étant donné que la loi doit faire la part des choses, il serait important d’examiner la vraie situation quantitative — face aux choix de vie réellement épousés — parmi l’ensemble des malades/mourants/handicapés.

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Chapitre : Modalités de recrutement — de sélection et de suivi — auprès des médecins et des infirmières choisies pour pratiquer l’euthanasie, ou « aide médicale à mourir »

– L’impossibilité d’assujettir l’ensemble des médecins (et infirmières) aux modalités de sélection jugées éthiquement indispensables pour le recrutement de simples techniciens de l’euthanasie

     De prime abord, force serait d’admettre honnêtement que les médecins et les infirmières sont des hommes et des femmes tout à fait comme les autres, et alors, qu’elles seront nécessairement affligées, dans la même proportion et avec la même sévérité, que n’importe qui, par les séquelles psychologiques des gestes mortelles qu’ils puissent poser. Et de ce fait nous devrions absolument assumer les mêmes responsabilités et précautions vis-à-vis de la sélection des médecins postulants que nous prendrions d’emblée, en recrutant de simples tueurs-assistants-à-la-suicide, qui n’aurait, eux, aucune autre tâche à accomplir.

     Mais qu’en seraient les conséquences économiques d’une démarche de recrutement, à la fois honnête, transparente et sérieuse, parmi nos professionnels de la santé, actuels et à venir ?

     Nous avons déjà constaté que de choisir des personnes capables de tuer sans subir ou créer des problèmes psychologiques ou sociaux, sous-entendent le rejet d’une partie important — et probablement d’une nette majorité — de la population. Aussi, en plus de cette sélection idéelle, il faudrait prévoir une préférence chez de nombreuses personnes autrement qualifiées, d’éviter cette voie — même si elles seraient aptes à remplir de telles fonctions — écoutant plutôt la répugnance première soulevée par le prospect de tuer, et décidées à suivre d’autres avenues plus roses de satisfaction professionnelle. Finalement, même avec les meilleures intentions, — et des recruteurs, et des recrutés –, une fraction importante des gens choisis se révéleraient, éventuellement, mal choisis et incapables de fonctionner de manière saine dans ce métier. Alors, nous avons le portrait d’un métier (d’Assistant au suicide ou de Technicien de l’euthanasie), dont le recrutement serait difficile faut de postulants et dont le corps d’effectifs subirait des pertes élevées due aux stresses particulières énumérées ci-haut. Bref, nous avons le portrait d’un métier difficile à combler ; avec un remplacement de personnel rapide ; et malheureusement, avec une fraction significative des pratiquants mal à leur place et apte à subir ou à créer des problèmes plus larges.

     Soit. La réalisation d’une responsabilité publique de mis à mort institutionalisée exigerait l’acceptation d’une telle réalité professionnelle.

     Mais la médecine, elle-même, est un métier extrêmement exigeant, qui s’ouvre seulement à une petite fraction de la population active. Pour devenir médecin, il faut de l’intelligence ; il faut une application peu commune aux études ; et idéalement, il faut aussi un rapport humain finement développé. De plus, la profession est reconnue déjà pour son fort niveau de stress, accompagné d’un taux de détresse personnelle élevé.  Or, comme nous le savons tous, même si la pratique de la médecine s’accompagne d’avantages financiers et de privilèges sociaux très importants, il reste extrêmement difficile — voir dans plusieurs spécialités franchement impossibles — de trouver suffisamment de gens prêts, ou capables, de répondre à la demande collective.

    Veut-on, réellement, rendre cette tache de recrutement encore plus difficile (et peut-être de beaucoup plus difficile), en ajoutant de nouvelles exigences, rattachées elles, non au mandat premier du médecin guérisseur, mais plutôt au besoin incongru de tuer délibérément dans l’accomplissement routinière des devoirs professionnelles ?

     D’un simple point de vu mathématique la chose s’annoncerait catastrophique. Car, si nous prenions les quelques points de pourcentage de la population qui possèdent, à la fois, les capacités intellectuelles, le désir, et la motivation au travail requises pour suivre la voie médicale, et si, à ce point nous procédions de bonne foi dans cet exercice qui consiste à écarter la majorité, qui ne répondent pas aussi au profil idéel du tueur institutionnel bien adapté, il ne resterait presque rien, et sûrement pas un nombre suffisant pour  assurer les soignes médicaux dont aurait besoin la population.

     Voilà, je crois, des faits qui explique les véritables raisons derrière la désinvolture invraisemblable de la politique actuelle – d’ouvrier l’accès au mandat homicide sans distinction, sans sélection, sans préparation, et sans suivi : à tous les médecins ; aux infirmières ; et même à d’autres professionnels « alternatifs » dont la description exacte reste encore à déterminer. Car même si cette désinvolture peut nous sembler inexplicable à la première vue (et moralement impardonnable devant un examen plus approfondi), elle serait devenue inévitable devant le model retenu, qui consiste à offrir l’euthanasie en soin médical ordinaire.

     La carence évidente face à la responsabilité des dirigeantes est — dans cette instance — plus que de la négligence ou de l’incompétence, il semblerait relever d’une incapacité catégorique de cerner le problème ; d’une abnégation totale devant son ampleur ; d’une stratégie enfantine, enfin, de se cacher les yeux devant un évidence intraitable qu’on ne peut pas affronter, et qu’en conséquence, qu’on ne veut pas voir. Car, il n’y a rien d’ordinaire dans le fait de tuer ; et manifestement, encadrer convenablement les individus affectés à cette tâche nous impose l’obligation double, de bien sélectionner les candidats, et d’en restreindre leur nombre.

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— Partage des pouvoirs au sein de la fédération Canadienne : pourquoi une définition Québécoise (provinciale) de l’euthanasie en « soin » médical ?

     En réponse à cette question, il existerait un explication technique fondée dans la division des compétences législatives, reparties entre la fédération canadienne et ses provinces constituantes. Car il se trouve que la loi existante, au sujet de l’homicide et de l’assistance au suicide, faisait partie du Code Criminel Canadien, qui relève, lui, d’une compétence exclusivement fédérale. Aussi, fut-il devenu évidente, très tôt, — due peut-être aux liens étroitement entretenus par les intellectuels québécois avec leurs paires outre-mer — que les législateurs québécois désiraient prendre les devants dans cette controverse, et ce, avec ou sans l’assentiment du reste du pays.

     En conséquence, pour les architectes de la politique provincial (québécoise), il s’agissait de trouver un moyen pour soustraire le suicide assisté aux sanctions criminelles. Or, la provision des services de la Santé constitue, elle, une compétence pleinement provinciale et c’est ainsi que les politiciens concernés se seraient saisis de cette notion de mort provoquée en « soin médical » : car, en autorisant « l’aide médicale à mourir » comme « soin » fourni aux citoyens/bénéficiaires, le gouvernement provincial ne faisait que modifier les conditions publiques de l’octroi des services de la Santé.

     Alors, d’après cet explication, « le suicide assisté par médecin » fut devenu « l’aide médicale à mourir », (AMM), avec son élargissement conceptuel bien au-delà des bornes du suicide assisté simple, et avec tous les devoirs d’accès universelle qui en fut accessoirement crées — non en raison d’un recherche profond de la sens, des gestes et des mots, mais en vertu d’un simple « truc » ponctuel d’utilité politique :  que la nature de la mission médicale — évolué de manière organique entre les médecins et leurs patients à travers des siècles innombrables – fut bouleversé en profondeur, non grâce à un réflexion profond parmi les professionnels concernés, mais judiciairement et administrativement, contre l’avis majoritaire des médecins, et enfin, presque à leur insu.

– d’autres facteurs qui favorisait la préférence pour l’euthanasie au Québec : radicalisme idéologique

     Certes, il y aurait une part de vraie dans cette interprétation des faits, mais il ne faut pas, non plus, prétendre que la classe dirigeante agissait sans intention radicale dans ce dossier. Car le point de départ de la loi québécoise — c’est-à-dire, l’euthanasie offerte en droit universelle ; disponible dans presque tous les établissements ; et au quelle tous les médecins doivent collaborer — représente rien de moins qu’une réalisation des souhaits les plus extrêmes articulées en Belgique et aux Pays Bas, suite à presque vingt ans ans d’expérience avec l’euthanasie légale.

     Alors, la pratique Québécoise suite au passage de la Loi 52, en 2014 (c’est-à-dire l’année avant la décision Canadienne, Carter) présente le résultat d’une sorte de saute-mouton politique pratiqué sur la base des initiatives entrepris ailleurs ; ce qui plaça le Canada — d’un seul bond — nettement en dehors des normes, non seulement de l’ensemble planétaire, mais même parmi nos pays frères du monde dit « développé ».

— les médecins québécois(e)s : résistance et collaboration ; tomber dans le piège tendu

     Quant aux médecins québécois, il s’y trouve, comme ailleurs, une forte division de sentiment face à l’euthanasie, et concordant avec les traditions de politique fortement engagées de cette province, nous pouvons signaler l’existence, de voix très influentes des deux côtés de cette question. (Il serait peut-être utile, d’ailleurs, de indiquer à l’intention des lecteurs provenant de l’extérieure du Québec, deux organismes en particulier : le Collectif des Médecins Contre l’Euthanasie, et Vivre dans la Dignité, qui opposent cette pratique, et qui cherche à promouvoir les droits — les uns des médecins, et les autres des patients – soit de pratiquer, soit de recevoir, de soins prodigués dans l’esprit d’une respect plus traditionnel à l’égard de la vie humaine.

     Cela étant dit, la classe de médecins plus politisés, nous auraient révélé une prestance, sinon de promouvoir activement une politique d’euthanasie, au moins de collaborer dans son élaboration.

     La justification avancée en était un de saveur autoritaire, qui résonnait avec l’orgueil d’un métier de forte responsabilité dont les effectifs se sentent différenciés de manière important face aux autres, grâce à leur familiarité et rationalisme devant certaines réalités humaines — aussi banales qu’éprouvantes — qui sont soigneusement, et même superstitieusement, évité par les gens normaux et bien-portants. Les médecins possèdent, pour être claire, l’habitude d’affronter des circonstances que d’autres peuvent trouver impossible à conceptualiser rationnellement, et ils en sont fières. C’est ainsi que plusieurs médecins parmi les plus influents, auraient apparemment tombé dans ce piège, de croire pouvoir minimiser les risques du suicide assisté en y prenant la responsabilité ; ou, à tout le moins, auraient-ils cédé devant la reflexe de vouloir contrôler ce qui semblait s’imposer de toute manière.

     La Fédération des Omnipraticiens, par exemple, annonça très tôt, que seule l’euthanasie pouvait leur sembler acceptable (et non le suicide assisté), puisque les dirigeants de cette instance auraient voulu que le médecin soit nécessaire et présente, à toutes les étapes de décision et de réalisation de ce remède d’intention exceptionnelle. Il semblerait, enfin, que plusieurs parmi ce groupe voulaient sincèrement limiter le recours à l’euthanasie de par leur présence ; et écarter, ainsi, les risques d’une autonomie débridée du patient, en s’assurant que celui-ci ne puisse pas y accéder, impétueusement, sans leur accord.

     Mais malheureusement, suite à cette prise de position fatidique, les évènements se sont déroulés de telle manière que l’autonomie du patient fut devenue souveraine au point que plusieurs, dont le Dr. Yves Robert, Secrétaire du Collège des Médecins du Québec (10 Mai, 2017) levèrent enfin la voix pour partager leurs inquiétudes devant l’éclosion appréhendée d’un véritable régime de « mort à la carte ». Rien de moins !

     Aussi, quoique les médecins Québécois auraient initialement pris les devants, des dynamiques de collaboration similaires se sont produits dans les autres provinces, également, comme l’Ontario (qui comprend 40 % de la population Canadienne) où le Collège of Physiciens and Surgeons of Ontario promulgua des normes de pratiques médicale qui furent encore plus radicale, dans leur défense du droit du patient à l’euthanasie, que celles adoptées au Québec.

     Dans ces pages, par contre, j’aurais l’intention de prétendre que la médicalisation du suicide soit devenue un tort, dans son aboutissement, encore plus sérieux que le fait du suicide assisté lui-même. Et, comble de malheur, il serait actuellement devenu très difficile d’avancer cette logique dans la place publique, grâce à cette manipulation linguistique au cœur de la médicalisation, c’est à dire l’affirmation malheureuse que les morts ainsi provoquées ne sont pas des suicides ! — ni des suicides assistés, ni même des suicides assistés par médecin — car d’après cette version des faits, il s’agirait uniquement d’un « soin » bénin fournit par le médecin — selon son jugement et sous sa responsabilité — dans les intérêts médicaux du patient.

     Or, pour répéter les évidences : avec l’universalité d’accès ainsi mandaté, et avec l’exigence auprès du médecin (sinon d’accomplir le geste, au moins de fournir les références requises pour ce faire) il s’en est réalisé un état de fait ou le patient autonome peut librement se servir, de cette agence médicale instrumentalisée pour réaliser son projet suicidaire — avec la même utilité brute (et avec beaucoup plus de commodité) que le poison, la corde, ou la carabine.

     Ironie épouvantable ! Car autant que ce jeu linguistique puisse nous sembler absurde, les changements ainsi produits dans le statut du patient non-suicidaire, (précarisé d’avantage devant les attentes d’autrui), et le vandalisme pratiqué à l’égard de l’intégrité morale de la médecine — elles, sont parfaitement réelles.

     Pour la société plus large, la cohérence et la continuité du débat autour de la protection de la population face au suicide, furent également brusquées de manière possiblement irrémédiable, du fait que ce changement de langage permet maintenant aux forces pro-euthanasie de prétendre que tout un siècle de fruits conceptuels, issus des discussions au sujet du suicide médicalement assisté, ne soient tout simplement hors propos, car desormais : il ne s’agit plus de cela !

     Finalement, comme nous verrons par la suite, la signification de ces faits dans la définition des pratiques médicales sous l’autorité politique — par décret législatif et fiat juridique — aurait d’effets lourds (et possiblement déterminants) pour le statut multimillénaire de la médecine comme profession autonome et autorégulée.

   Décidément alors, ce pari téméraire de certains médecins, politisés et corporatistes, de vouloir monter la bête de l’euthanasie dans l’espoir de pouvoir la dompter (si, même, ce désir fut sincère au départ), s’est transformé immédiatement en véritable débâcle, dont les déboires n’en finissent plus de se préciser.

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