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août 2019 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— Les vrais chiffes : faible pourcentage de souffrants qui acceptent de mourir par euthanasie

Un choix exprimé devant la mort : ayant survécu 27 ans de prison, incluant des peines de torture, de travaux forcés, d’isolement et de privation, Nelson Mandela (1918-2013) choisit de vivre le plus longtemps possible, grâce aux technologies de pointe, incluant six mois de ventilation artificielle.

     Devant le chambardement  fondamental qui fut produit au sein de l’industrie médicale canadienne par la création du nouveau « soin » de suicide médicalisé ; devant la mise en œuvre obligatoire et omniprésente de l’euthanasie dans tous les coins de l’industrie ; devant un devoir imposé sur chaque médecin d’informer chacun de ses patients de leur droit de s’en prévaloir ; devant un devoir, même de participer à cette pratique, qui ne pourrait être refusé autrement qu’avec l’affirmation d’une objection de conscience fondée dans les croyances morales, voir religieuses :  nous serions en droit de trouver une demande irrésistible ; que les handicapés, les malades chroniques, et surtout les souffrants en phase terminale réclament cette option avec la plus grande fureur et unanimité. Mais en réalité, contre toute attente, il n’en est rien.

     En fait, les véritables chiffres, qui représentent les choix statistiquement épousés par l’ensemble des patients face à l’euthanasie, divergent de la trame narrative proposée, et de manière étonnante. Que le lecteur en soit juge.

— L’expérience Belge et Néerlandaise

     Disons, de prime abord, qu’il serait toujours peu instructif de commencer cette analyse dans le contexte canadienne, car le programme d’euthanasie, là-bas, est encore trop neuf pour nous permettre de prévoir avec fiabilité les tendances futures. Heureusement, cependant, nous disposons d’un ensemble de données, beaucoup plus significatif, qui sort des deux seuls pays — et voisins immédiats — la Belgique et les Pays Bas, où l’euthanasie se pratique légalement depuis déjà plus de quinze ans.

     Sans contredire, au niveau européen (et peut-être mondial) ce sont les Néerlandais, avec leur cousins ethnoculturels Flamands (habitant de l’autre côté de la frontière sud, au nord de la Belgique), qui affichent le plus d’enthousiasme pour l’euthanasie ; beaucoup plus, par exemple, que leurs voisins Wallons (Franco-Belges).

     Évidemment, il existe une tendance journalistique naturelle à présenter les chiffres sous leur jour le plus dramatique. De plus, il y aurait eu une perception chez la plupart des combattants idéologiques engagés dans la question « euthanasie » qu’une présentation saisissante de l’envergure du phénomène — et surtout de sa croissance accélérée — leur serait bénéfique dans l’avancement de leurs idées, et ce, autant pour les adversaires du projet euthanasique que pour ses promoteurs. Car pour les premiers, il semblerait évident, que si l’euthanasie soit un mal, beaucoup plus d’euthanasie serait, aussi, beaucoup plus mal ; mais pour les deuxièmes, au contraire, une progression rapide de volume semblerait indiquer une forte demande en expansion, ce qui supporterait la prétention de fournir un service nécessaire, désiré et désirable.

     En conséquence, les rapports journalistiques auraient souvent fait état, par exemple, du fait que le nombre d’euthanasies pratiquées en Belgique se serait multiplié par dix au cours des quinze premières années de légalisation, ce qui semble, certes, beaucoup. Pourtant, comme toujours avec les chiffres, la prudence serait de mise : car dix fois rien serait toujours rien ; ou dans le cas présent : dix fois 0.2 % ne donne que 2% à la fin (du total des décès Belges), et cela, après quinze ans d’accoutumance.

     Par contraste, au cours de la même période, la multiplication des cas au Pays Bas n’était que de trois fois seulement. Mais puisque le taux d’euthanasie dans ce pays fut de 1.5 % au départ, le taux actuel (4.5 % en 2017, redescendu à 4.0% en 2018) demeure deux fois supérieur à celui de la Belgique (une différence qui s’explique, encore, principalement par l’homogénéité culturelle Néerlandaise en comparaison avec la cohabitation Belge des populations Flamand et Wallon,  habitées par des attitudes très différentes devant le suicide médicalisé : favorables pour les Néerlandais-Flamands mais considérablement moins pour les Wallons-Franco-Belges.

     Mais qu’importe dirait-on (peut-être) ! Avec une progression de 1000 % aux quinze ans, non seulement les Belges rattraperont les Néerlandais, mais l’euthanasie deviendrait bientôt la seule cause de décès en Belgique, n’est-ce pas ?

     Mais, encore une fois, il faut apporter des précisions : Premièrement, le taux Belge serait arrivé à la moitié du taux Néerlandais après seulement cinq ans, et cette proportion aurait resté stable, dès lors, depuis maintenant dix ans au cours desquels les deux courbes nationales se sont évoluées strictement en unisson ; et deuxièmement, le taux de progression s’est diminué avec le temps, de sort que la progression sur quinze ans fut bel et bien de 1000%, mais seulement de 30 % pendant les derniers 5 ans, et finalement, rien que 1 % dans la dernière année enregistrée à date (2018).

     Alors, si on insistait sur le fait que 2.1 % des décès Belges sont présentement attribuables à l’euthanasie, et si nous imaginions que ce taux augmentera, (à l’image de l’année dernière) de 1 % cette année (c’est-à-dire, 1% de 2.1 %), la proportion des décès Belges dues à l’euthanasie, ne serait que de 2.12% rendu là. Nous sommes, donc, décidément très loin, à l’heure actuelle, d’une progression fulgurante ou même significative, car pour signaler explicitement ce qui semblerait implicitement évident dans ces chiffres : à moins d’un revirement important dans les tendances observées, le taux Belge des décès dus à l’euthanasie, de 2% (ou un peu plus) semblerait maintenant stable, et ainsi serait-il, également, du taux Néerlandais, au double de ce niveau, soit à 4 % du total (environ).

     Convenons-nous-en, n’est-ce pas, que se chiffre de 2 ou de 4 % ne semble pas très imposant, et certainement pas en comparaison avec l’attention (et les ressources) institutionnelle qu’y soit accordée. Ce serait tout à fait normal, d’ailleurs, que le lecteur puisse se demander si la satisfaction de cette demande minoritaire mérite vraiment l’imposition d’inconvénients aussi sérieusex à l’intention de la majorité non-suicidaire (96-98%). Le jeu, pour ainsi dire, en vaut-il la chandelle ?

     Pour tout dire, cependant, il existe un group spécifique qui affiche un taux d’euthanasie quelque peu plus élevé : soit les personnes atteintes de cancer.

     Quelles sont, alors, les proportions relatives des choix exprimés par les malades dans cette catégorie ? Sur quelle justification se fie-t-on pour leur accorder ce service ? Et quel statut de légitimité accordons-nous, présentement, au choix contraire affirmé par la majorité non-suicidaire ?

« Invictus » (abrégé), William Ernest Henley (1849-1903), The Oxford Book Of English Verse (1900) : Fortement éprouvé au cours de sa vie, Henley écrit ce poème de son lit d’hôpital, 1875
          Invictus (Invaincu)

De la nuit qui me recouvre,
Noire comme l'abysse d'un horizon à l'autre,
Quels que soient les dieux qui puissent exister,
J’en remercie du don, de mon âme invincible.

Peu importe l'étroitesse du passage,
Peu importe la charge de peines qu’y soit inscrite,
Je suis maitre de mon destin,
Capitaine, de l'âme.

trad. grf

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire…  Le Taux d’euthanasie, quelque peu plus élevé, qui soit observé parmi les patients atteints de cancer

— Les sévices supplémentaires, réservés pour les employé(e)s subalternes, face à l’euthanasie

Gravure sur bois : Florence Nightingale en devoir à l’hôpital de Scutari au cours de la Guerre de Crimée (circa 1854)

     Il faudrait, ici, signaler les difficultés particulières auxquelles sont exposées les infirmières, et autres personnels auxiliaires, suite à l’instauration générale de l’euthanasie en milieu institutionnel. En fait, les médecins ne représentent qu’une minorité parmi les personnes associées à l’implémentation du mandat homicide, et qui subissent, en conséquence, les séquelles psychologiques inséparables de l’acquittement intégrale de celui-ci.

     Il apparaitrait même, que la situation des infirmières, et des autres assistants techniques, se présent de manière plus dramatique encore. Car, le médecin, lui, retient quand-même la capacité de définir sa propre pratique médicale, c’est-à-dire, d’épouser, ou non, le recours à l’euthanasie en option clinique ; mais l’infirmière, elle, se joint tour à tour, aux pratiques distinctes de multiples médecins, et en théorie, sa relation à l’euthanasie dépendrait, seulement, sur lequel, de parmi eux, elle porte assistance dans la circonstance présente.

     Or, puisque l’euthanasie s’est actuellement transformée en intervention normale et routinière, l’ordre du médecin, de la prêter assistance (ou même de la remplacer dans l’accomplissement des gestes), se représente également en ordre normal et routinier, auquel le refus serait inévitablement teint d’une certaine odeur de mutinerie. Il serait à prévoir, donc, qu’une infirmière individuelle — bien qu’elle puisse faire valoir son privilège d’abstenir de cette pratique dans un moment particulier — ne pourrait pas continuer, longtemps, à travailler dans un lieu où de tels services sont régulièrement demandés ; et malheureusement, cette définition comprend, actuellement, l’ensemble des institutions de notre réseau-santé.

     Pire encore, il existe une tendance, aussi, à nier le sérieux, ou même l’existence d’une telle problématique. Car il existe toujours, j’en aurait bien peur, suffisamment de sentiments autoritaires traditionnels pour encourager l’idée cruelle que la simple exécutante ne partage pas, pleinement, le fardeau moral de responsabilité porté par celui qui la dirige dans ses gestes. Dans d’autres mots : ce n’est pas grave ! les crises de conscience des subalternes ne sont pas importantes ; ces derniers ne sont pas, à la fin, de vraies acteurs morals au même titre que leurs « supérieurs » !

     Mais (s’il faut même indiquer cette évidence) :  ce n’est pas vraie. Les hommes et les femmes ne se transforment pas en simple bêtes, ou machines ouvrantes, au moment de recevoir un ordre de leurs supérieurs ; ils ne perdent ni la sensibilité devant les gestes, ni l’inévitabilité de remords ; ni suite aux ambiguïtés complexes, ni face aux évidences crues.

     En fait, c’est la nature même de l’instrumentalisation de l’être humain, que la violence psychique produit par l’imposition de tâches équivoques soit accompagnée, aussi, par le viol injuste de cette dignité humaine qui se trouve uniquement dans la liberté morale de choisir ses actions et d’en assumer les conséquences. Les relations traditionnelles d’autorité, donc, transforme conceptuellement la personne de statut inférieur en chose — en instrument simple d’utilité– mais sans, pour autant, la libérer de ses sentiments humains, dont elle perd seulement le droit d’expression, de plainte, de refus, et même de la lamentation ouverte des plaies émotives intimes.

     Alors même si nous en ferions grand cas — et bonne apparence — de la liberté de conscience accordée aux médecins (en dépit du fait que l’exercice de cette liberté impliquerait souvent un rétrécissement des options dans la voie professionnelle), pour l’assistante/exécutante, l’urgence du choix se présente d’une façon autrement plus brutale. Car dans cet environnement de normalité institutionnelle, outre les droits acquis des anciennes employées déjà installées au moment de l’imposition du mandat d’euthanasie, le consentement de participer aux gestes homicides devient rapidement une condition essentielle de tout possibilité d’emploi, et même une condition d’appartenance aux ordres professionnels.

     Mais dans tout cas, il n’y aurait rien qui puisse effectivement soulager la conscience de l’exécutante malaisée devant la tâche accomplie. Il est possible qu’elle puisse se satisfaire rationnellement, dans le moment, avec l’idée que ses gestes auraient été contraints par les ordres reçus ; mais les mêmes sophismes ne suffiront jamais pour chasser les terreurs nocturnes trop familières à ceux, comme le bon soldat (ou l’infirmière remplaçante) — seule sur le quart de nuit — qui obéiraient loyalement et sans réflexion aux dictats de l’autorité, avec des gestes trop rapidement accomplis dont les séquelles persistantes se répercuteront, possiblement, sur toute une vie.

     Que fait-on, alors, des conditions minimales que nous avions répertoriés dans le but de pratiquer un recrutement éthique auprès de personnes honnêtement engagées pour devenir des techniciens de la mort (l’information exhaustive ; le choix libre et éclairé ; la suivie protectrice ; la restriction étroite du nombre pour garantir le tout) ? Comment justifier le remplacement de cet idéal par la réalité d’un mandat accordé –imposé, pour vraie dire — à des centaines de milliers de personnes, sans préparation, ni précaution, autre que l’appartenance aux corporations professionnelles médicales (et peut-être l’impératif de nourrir sa famille) ?

     Si je pourrais me permettre, ici, enfin  — dans le but d’illuminer plus clairement cette réalité — de transposer les dangers invisibles et largement dissimulés de la psychologie, dans un image qui les représenterait par un volume équivalent de blessures physiques parfaitement visibles, je prétendrais que le niveau de désinvolture, devant la détresse humaine, qui soit incarné dans le modèle actuel du mandat généralisé d’assistance au suicide, serait l’équivalent, toute proportion gardée, à celui requise pour donner suite à la décision (hypothétique et fantaisiste) de construire tous les blocs appartements d’une ville de taille moyenne, comme la Ville de Québec ou encore celle de Winnipeg (soit 400,000 ou 500,000 individus habitants), avec chaque unité locative — des étages supérieures — munie d’un balcon extérieur, mais sans rampe de sécurité, accessible en tout temps aux chutes mortelles.

     Voilà l’image d’une mode de construction totalement indifférente aux dangers constants. Certes, il n’y aurait peut-être pas d’inévitabilité dans la possibilité que chaque locataire puisse se blesser ; mais l’opportunité pour se blesser, seraient toujours présente pour chacun d’entre eux.  Tel serait, À mon avis, le cas analogue, émotive et psychologique — qu’elle le veuille ou non — de chaque professionnelle de la santé, qui se trouve installée, aujourd’hui, dans notre nouvel édifice médical ; et les dangers –déjà très importants pour les médecins– sont proportionnellement plus présents encore, dans les rangs des employées subalternes, c’est-à-dire, chez ceux et celles qui agissent avec moins d’autorité, et alors, avec moins de choix.

À quoi servent-ils les garde-fous ?

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire…(Tome Premier – L’euthanasie et le Choix, Section V. – Considérations pratiques : pertes financières et humaines à prévoir suite à l’utilisation des professionnels médicaux comme agents homicides, Chapitre — Minimiser le nombre de personnes, médecins et autres, qui soient impliquées dans la pratique de l’euthanasie : une stratégie évidente)

— Les Adversaires du projet Prohibitionniste

De la bière, S.V.P. : une demande modeste de quelques travailleurs syndiqués à New Jersey

    Rangé de l’autre côté de la bataille de la Prohibition — au moins de manière majoritaire visible (et malgré la position plutôt prohibitionniste de l’Église Catholique) — se trouvaient surtout les immigrants de l’Ireland et de l’Italie, significatifs en nombre dans les grandes villes, peut-être ; devenus redoutables dans les organisations criminelles émergeantes, certes ; mais toujours fortement minoritaires dans l’ensemble. Au Canada, par contre, il faudrait noter, aussi, un élément réfractaire beaucoup plus important, issue des colons de la Nouvelle France, fortement majoritaire dans la Province de Québec.

     Moins évident, aussi, il y avait un grand nombre d’immigrants, de souche allemande et scandinave, prohibitionnistes pour le principe, mais dans l’esprit desquels la consommation de la bière ne pouvait pas être taxée des mêmes critiques que la véritable consommation de « l’alcool », et dont les bières brassées domestiquement, par un peu tout le monde, pouvait toujours se boire dans la stricte légalité tout au long de la période prohibitionniste.

     Les constituants des premières générations Afro-Américains post-émancipation, furent pour leur part — et tout comme les blancs dans leur ensemble — divisés entre les chefs des mouvements religieux et politiques (qui furent presque tous prohibitionnistes) ; les ambitieux, peu scrupuleux (décidés à profiter de cette opportunité de gain illicite) ; et la population élargie, qui servait à la fois de base politique pour les uns, et de clientèle potentielle pour les autres.

     Finalement, il y avait également, de populations distinctes, tels les Montagnards des Appalaches, ainsi que les Hispaniques sur la frontière Sud, qui jouissait d’un statut politique historiquement marginale ; qui avaient déjà l’habitude, ancestrale, d’agir dans l’illégalité à l’égard du gouvernement central, et dont les préférences, à leur tour, furent largement ignorés par celle-ci.

     Politiquement, alors, comme l’histoire nous enseigne, il n’y avait pas de comparaison possible, au départ, dans le poids relatif des deux camps adversaires au sein de l’électorat dominant ; le premier groupe, favorable à la Prohibition, s’est montré de beaucoup le plus fort ; un fait qui reflet la lucidité avec laquelle on estimait, alors, l’envergure de la tâche engagée, et la solidité de l’organisation avec laquelle cette tache fut entreprise.

— L’échelle structurelle du défi

      Pour comprendre, réellement, la taille de ce défi démocratique, souvenons-nous, que de nos jours, l’idée d’amender la Constitution Américain, pour trancher des enjeux politiques d’importance actuelle — tel le choix du président par voie du Collège Électorale, ou encore le droit sacrosaint de la possession des armes à feu — se présente habituellement comme une simple impossibilité pratique. Pourtant, la Prohibition, tout comme l’Abolition de l’esclavage (et le Suffrage féminin) aurait véritablement dépassé cette barre politique, tant exigeante, avec allégresse et dans la confiance universelle, fort d’un mouvement organisé depuis au moins cinquante ans.

    Car la Prohibition ne résulta pas d’un coup de tête politique sans racines profondes ni appui populaire ; le tout avait été prévu et planifié avec soin. Il en avait été périodiquement question, en réalité, depuis la fondation du pays ; mais surtout, devant le relâchement évident de mœurs sociales, observées pendant la Guerre des États et subséquemment — parmi les anciens-combattants et parmi les victimes civiles issues de celle-ci — il s’est organisé, sérieusement, comme mouvement de « Tempérance Volontaire » à partir des années 1870.

     Cependant, pour faire disparaitre les abus de l’alcool, les réformateurs comprenaient très bien qu’il en fallait non seulement l’approbation des non-buveur(se)s militant(e)s ( à peu près 30 % de la population totale) mais également celle des gens raisonnables qui buvaient occasionnellement ; et ce fut encore un indice frappant de la popularité initiale du programme prohibitionniste, que ces derniers se soient montrés prêts, et même empressés — par voie de scrutins répétés, à tous les niveaux politiques et à travers de nombreuses années — à sacrifier personnellement ce petit plaisir traditionnel, pour la protection des plus faibles, et donc pour le bien de tous.

     Au moment de sa victoire globale en 1920, d’ailleurs, le programme prohibitionniste avait déjà été adoptée intégralement par neuf états, tandis que 31 autres permettait à leurs municipalités et comtés constituantes de passer des ordonnances locales, de façon indépendante. Et c’est ainsi que les promoteurs du projet savaient, au départ, pouvoir compter sur l’appui d’au-dessus de cinquante pourcents de la population à l’échelle nationale.

     Mais pour se faire entériner par voie constitutionnelle, et pour s’appliquer, ainsi, à la grandeur du pays, la Prohibition devait toujours faire l’objet de projets de loi, commandant des majorités de deux tiers, dans les deux chambres de Congrès (la Chambre des Représentants ainsi que le Senat Américain) ; ensuite, cette loi devait être signée par le président ; et finalement, elle devait, aussi, se voir ratifiée par les chambres législatives d’une majorité parmi les 48 États. Or, dans l’occurrence, la Prohibition fut rapidement ratifiée (entre Janvier 1918 et Mai 1919) par tous les États sauf le Rhode Island, qui resta ainsi seul à refuser son adhésion à l’enthousiasme général.

— Une stratégie sophistiquée d’intervention

     De manière stratégique et pratique, aussi, cette initiative ne sombrait pas dans la naïveté de croire qu’il aurait pu être possible de criminaliser la consommation de l’alcool tout simplement, ni bien-sûr, de se fier à la seule force de la moralisation ou de l’argument rationnel. Avec une logique étonnamment moderne d’intervention macrosociale, et dans un esprit, non de culpabilisation, mais de compassion à l’égard des délinquants, les architectes de la reforme comprenaient que, pour réussir, l’alcool (au moins dans les formes plus concentrées) dût disparaitre, sans plus.

     Les cibles furent, alors – non la consommation – mais la production, le transport, et la vente des vins et des spiritueux.

— La réalisation sobre de difficultés à moyenne terme, accueillies toujours avec une confiance mesurée : les évidences croissantes d’un obstacle immuable

    La période prohibitionniste commença, alors, dans un enthousiasme général, optimiste et populaire, soutenu par une théorie cohérente qui fut appliquée de manière raisonnable et réaliste. Et même quelques années plus tard, devant les évidences d’une délinquance émergeante, plus coriace que prévue, la possibilité d’un échec final ne fut pas encore sérieusement contemplée.

     Par exemple, selon un article influent écrit par Thomas N. Carver, (Professeur de l’Économique à l’Université d’Harvard), et parut dans « The Historians History of the World », tome 26 (Encyclopedia Britanica inc, 1926), l’application de la Prohibition, à mi-chemin dans son histoire — et considérée soigneusement d’une perspective, non morale, mais économique — présenta un profil complexe, certes, mais inévitablement gagnant, même si l’on ait pu observer que les ressources répressives et policières employées à cette tache furent décidemment moins importantes que la volonté politique publiquement exprimée :

     « Quoiqu’il n‘y existe que peu de doute au sujet du résultat ultime, personne ne peut dans le moment présent (début de 1924) prévoir le jour, ou l’année, de la victoire finale des forces d’ordre. »

     Pourtant, cet auteur aurait également jugé la Prohibition comme étant « aussi prés d’une condition permanente, qu’aucune loi ne puisse l’être » encore grâce à son caractère d’Amendement à la Constitution.

     Mais surtout, et pour terminer au sujet de la signification historique et mondiale de la Prohibition, M. Carver n’hésita pas à offrir cette mise en garde catégorique à l’intention de la communauté internationale, c’est-à-dire, aux grandes puissances européennes, tant éprouvés par la Grande Guerre et ses séquelles :

     « Ceux qui refuseront de prendre ce grand pas en avant, dans l’économie des ressources humaines, qu’ils comprennent, ou non, l’importance de celui-ci, auront définitivement choisi d’occuper une place secondaire au sein du monde civilisé. »

— L’apogée de la période prohibitionniste

     Telle fut la conviction arrêtée et solennelle de la presqu’ensemble de décideurs et commentateurs à cette époque ; et les économies financières, et sociales, qui furent initialement obtenues semblaient pleinement refléter la justice de ces sentiments : Dans les premières années, selon l’analyse minutieuse du professeur Carver, le volume de dommages économiques, directement attribuables à la consommation de l’alcool, s’est apparemment rétréci de pas moins de 70 pourcents.

     C’était une réussite remarquable. Et si nous présumions, qu’au départ, 80 pour cent du problème fût le fait de 20 pourcents de la population, nous pourrions deviner que le problème résiduel, après trois ou quatre années de prohibition, fût l’œuvre d’une minorité encore moins substantielle — certainement pas plus de 10 pourcents de l’ensemble, et probablement moins.

     Mais à ce point, le mouvement prohibitionniste rencontra une barrière apparemment immobile, un véritable mur de brique sociétal : car les dix pourcents résiduels, eux, avaient l’intention de boire advienne que pourra.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… Partie C : l’euthanasie et la médecine : Section III. Société en rupture : Chapitre : La Prohibition (II) : une histoire complexe revisitée dans sa dimension humaine : — Les irréductibles

Chapitre : Une stratégie proposée de franc retour au principe de « choix » souverain, pour affirmer, aussi, les choix vitaux de la majorité non-suicidaire

— Distinguer clairement la justification de la liberté personnelle (suicide) et celle de la classification objective de la valeur des vies humaines (euthanasie)

     Décidément, le portrait qui se dégage de ce survol introductoire, parait assez inquiétant au sujet des conditions d’implémentation de l’euthanasie au Canada. Cependant, il existe aussi quelques lueurs d’espoir, qui ressortent de l’analyse, et qui portent promesse d’atténuer les problèmes identifiés, ici, possiblement de manière importante. Car, tout comme les pires entorses aux intérêts personnels et collectifs découlent du jumelage de deux principes contradictoires, — ces justifications citées, subjective et objective — la remède évidente se présente, aussi, dans un découplage des deux, ainsi qu’une évacuation, dans la mesure du possible, de ce dernier principe, tant dangereux pour nous, qui soit la justification objective de la science médicale (euthanasie).

— les souches de militants historiquement associées à ces deux justifications et le caractère paradoxal, de leur alliance contextuelle à l’appui de l’aide médicale à mourir

     Les personnes qui soutien un droit à mourir qui soit subjectivement justifié dans l’autonomie personnelle – c’est-à-dire une justification par le choix — autant les libertaires de droite, que les défenseurs des droits civiles associés à la gauche progressiste, partagent tous, dans ce domaine, une vision idéelle de la liberté de chaque personne à disposer de sa propre personne.

     La justification objective de l’euthanasie, par contre, se fonde sur un principe de valeur variable, parmi les vies humaines, qui ne résulte assurément pas des choix épousés par les personnes ainsi cataloguées, mais qui se trouve, au contraire, à la base de tout système discriminatoire, tel, le racisme, les privilèges héréditaires de caste sociale, ainsi que la subjugation féminine (pour nommer seulement ces exemples). Vue d’une perspective historique, d’ailleurs, et en dépit des discussions eugéniques largement entamées, dans la première moitié du vingtième siècle (notamment aux É.U. et au Royaume Uni), le régime Fasciste, Allemande (1933 – 45) fut le seul état modern d’avoir ouvertement épousé un système d’euthanasie, rigoureusement objectif, justifié selon des critères médicaux.

     Logiquement, alors, il serait permis de croire que les promoteurs du droit à mourir, et celles de l’euthanasie proprement dit, ne peuvent, en toute cohérence, poursuivre longtemps route commune. Car, même si les tenants de la liberté personnelle se seraient permis de puiser un avantage tactique important, dans une théorie infiniment plus sombre — de rejet meurtrier de la dépendance et de la faiblesse — ils ne peuvent être confortables dans une telle association.

— l’urgence conséquente (pour les amis de la liberté), de répudier cette alliance anormale

     Or, pour les apôtres sincères de l’autonomie, les mêmes justifications et critères objectifs, qui furent tant nécessaires pour percer une première brèche dans l’interdit du suicide assisté, sont devenus, aujourd’hui, autant d’obstacles formels au progrès éventuel de leur idéal, tandis que ce sont, aussi, déjà et dans l’immédiat, des obstacles formidables à l’exercice du choix véritable.  Car telle s’est révélée l’ironie inéluctable de cette marchandage idéologique de circonstance : la liberté de choisir la vie, serait tout aussi importante que celle de choisir la mort – et bien plus importante pour la majorité d’entre nous ! Mais toujours est-il que ce soit précisément à cette liberté, de vivre, à laquelle s’attaque la justification objective à la base de l’euthanasie.

     Et c’est ainsi que je me permets d’espérer que les vrais défenseurs de l’autonomie personnelle découvriront, assez rapidement, leur intérêt propre à se dissocier, progressivement, de ce troc stratégique avec ceux qui sont, de tout temps – et pas seulement dans cette matière — les ennemis les plus redoutables de la liberté ; qu’ils retournent, à la pureté de principe qui fournit la force première de leur démarche ; et qu’ils cessent, enfin, de prêter crédence à ceux qui sont, depuis toujours, leurs adversaires irréconciliables.

— Les bases possibles d’une nouvelle coopération, entre libertaires et traditionnalistes, dans le but d’atténuer cette menace exceptionnelle qui soit l’euthanasie

     Plus encore, j’ose même espérer que dans cette danse complexe d’alliances politiques et culturelles, qu’il soit bientôt au tour des traditionalistes et des champions de la liberté personnelle de comprendre qu’ils possèdent, ici, un intérêt commun : à favoriser l’opération franche du choix subjectif et de supprimer dans la pratique, autant que ce soit possible, l’influence des principes de mise à mort, objectivement justifiée, qui sont propres à l’euthanasie. Je soumettrais, enfin, qu’il s’agit d’un simple retour à la clarté pour les uns (libertaires), et d’une élection du moindre mal pour les autres (traditionalistes) devant le fait accompli d’un régime publique qui aurait, de toute évidence, déjà renoncé à contrôler l’espace personnelle du suicide assisté.

     J’admets volontiers que ce choix puisse paraitre difficile pour tous ceux, adhérents sincères aux principes de la morale universelle, et qui voient tout recours à l’euthanasie, ou au suicide assisté, comme une atteinte inacceptable aux valeurs fondamentales de respect devant la vie. Pourtant, dans notre réalité présente, épouser le vocabulaire de choix sembleraient être la seule façon de défendre les intérêts, aussi, de cette majorité parmi la population malade et handicapée qui choisissent toujours la vie, ainsi que ceux des professionnels qui désirent loyalement les servir ; de défendre, alors, non seulement le choix suicidaire d’une minorité, mais également, les choix vitaux du plus grand nombre.

À suivre …

— Simplicité rassurante de prescription dans le régime de morale universelle

(Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi — Sous-Section II a): La morale dite « catégorique », « objective », « universelle », ou « absolue » — Chapitre : influence incontournable de l’ethos traditionnel dans la vie contemporaine — Simplicité rassurante de prescription dans le régime de morale universelle)

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Moïse reçoit de Dieu les dix commandements (1515) de Michel-Ange (1475 – 1564), mausolée du pape Jules II (Giuliano della Rovere, 1443 – 1513), San Pietro in Vincoli, Rome

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      Toujours est-il, que l’un des bénéfices principaux, du paradigme moral catégorique, demeure la clarté des prescriptions de conduit. L’être humain, de tout évidence, se trouve fortement rassuré quand les règles morales sont claires, même si les origines de ces règles peuvent lui rester plutôt obscures. Car les choix personnels peuvent être très difficiles ; et l’individu hésitant, au-delà des tortures de sa conscience propre, prendrait satisfaction à croire que — sur un plan plus élevé — son cas soit absolument réglé. (Et comme nous le verrons plus tard : l’abjuration traditionnelle de l’homicide médicale aurait servi, aussi, à fortement calmer les angoisses de conscience, chez le médecin d’antan, en écartant d’emblée cette option, et donc, en lui épargnant les questionnements et doutes, qui y sont afférentes.)

     D’autant plus grands sont les avantages de ce système que la simplicité des personnes concernées soit importante, ce qui explique, par exemple, la tendance naturelle de la jeunesse à se réfugier facilement dans des certitudes — souvent à l’ouverture du premier livre significatif rencontré — que les enthousiasmes ainsi produits soient durables ou passagères. Mais plus tard, aussi, et devant une expérience plus complexe et ambiguë (et parmi les plus sophistiqués d’entre nous) : l’individu serait souvent porté à faire confiance à l’endroit d’une sagesse supérieure.  Il peut, possiblement, conclure (et accepter) qu’il soit inutile (voir impossible) de comprendre, lui-même, les raisons profondes des dictats morals de sa communauté ; il peut même se trouver en conflit avec ceux-ci, et en contrevenir délibérément aux statuts. Mais tout cela n’empêcherait pas sa conviction simple, que la vérité existe, dans l’absolu – au mieux, telle que cisaillée dans la pierre des lois de sa collectivité — ou, à la limite, dans un ensemble idéel qui reste à découvrir, tel que les erreurs qui aient pu s’y glisser, de nos jours, seront éventuellement découvert et corrigé.

     Hamlet, par exemple, dans la célèbre pièce qui porte son nom, fort de la certitude de l’interdiction divine contre le suicide, invoque et rejette cette option dans une célèbre phrase ou deux (« être ou ne pas être… »), simplement parce qu’il croit que son Dieu en avait statué autrement. À travers sa personnage vedette, alors, Shakespeare fuit les choix multiples de ce qu’il pouvait, ou voudrait, faire ; il se réfugie plutôt dans la recherche rassurante de ce qu’il « devrait » faire — qu’il ait été, ou non, content du résultat.

     Plus généralement, le moraliste traditionnel, et encore de nos jours – tout comme Hamlet jadis — ne ferait pas appel à ses préférences subjectives, mais déclencherait un raisonnement objectif pour trouver la meilleure option. Et quand il l’aurait déterminé à sa satisfaction, il confirmerait son choix en écartant tous les autres. Il apparaîtrait, alors, avec la clarté souhaitée, un « bien » mis en contraste avec plusieurs « maux ». Ou, au pis-aller, il prendrait le moindre mal et l’élèverait en bien nécessaire. Mais en tout cas, il chercherait, de préférence, le bien unique ; et encore, le plus souvent, un moraliste en position d’autorité chercherait à privilégier le bien unique dans l’esprit populaire, en interdisant tous les autres choix, c’est à dire, en légiférant contre les manifestations du mal.

     Ces faits revêtissent une importance essentielle dans notre discussion présente, puisque tout notre code de loi existant, ou presque, serait le produit ancestral de ce procédé philosophique. Ainsi, que cela nous plaise ou non, toute prescription (ou proscription) légale, produirait, aussi, une association présomptive de « bien » ou de « mal » dans l’esprit populaire, de manière tout à fait involontaire. Ou autrement dit : quelle que soit la motivation du législateur, les individus qui constituent collectivement « le peuple » (autant les plus sophistiqués que les plus rustres) présumeront naturellement que les choses « légales » soient « bien » et que les choses « illégales » soient « mal ».

D’ailleurs, cet attribut des lois serait probablement devenu plus fort, et non plus faible, devant la montée des théories qui nierait la réalité d’une quelconque morale profonde et objective. Car dans la mesure grandissante d’une absence de foi générale dans la réalité d’une telle morale, la loi, elle, demeure comme seule balise objective des comportements, et alors, héritent par défaut de tout la confiance dépendante qui fut réservée précédemment pour celle-là.

     Plus encore, de par le passé, il fut généralement admis que la loi puisse diverger de la réalité morale de manière importante, mais que cette dernière préservait toujours sa précédence ; et s’ensuivit un respect important (même à l’intérieure des luttes de culte les plus féroces) pour les personnes qui refusèrent leur acquiescence devant la loi, sous prétexte d’un sincère doute à propos de la légitimité morale de celle-ci.

     Mais aujourd’hui, au contraire, où la morale est presqu’officiellement considérée comme un mirage infiniment malléable dans la relativité contextuelle, un changement de loi, aussi capricieux ou fantaisiste qu’il puisse nous sembler sur le coup, s’imposerait, presqu’immédiatement, avec une autorité incontestable. Et alors, dans un tel environnement social, le fait de risquer la censure légale, par souci personnel de conscience morale, exposerait probablement l’individu récalcitrant à des charges d’infirmité mentale, plutôt que d’évoquer l’admiration populaire devant l’intégrité de son caractère.

    L’erreur, bien sûr (si erreur il y en a) résiderait dans le fait de chercher, toujours, instinctivement et sans relâche, un bien qui soit universelle et vraie, même si nous nous sommes habitués, dans le discours public, à nous moquer ouvertement d’une telle idée. Cependant, quand-même bien que la loi, de nos jours, ne prétend même plus aspirer à l’exercice d’une telle autorité, le citoyen, dépourvu de toute autre ressource, s’obstine, tout de même, à rechercher la vérité morale dans ce lieu.

   Évidemment, les effets pervers d’un tel procédé – face, aussi, à l’assimilation sociétale de la décriminalisation de l’euthanasie – sont légion.

— L’Example du cannabis

    Au Canada, nous aurions assisté (2017 – 2018), à la déroulement d’un dynamique similaire en ce qui concerne la légalisation de l’usage récréatif du cannabis : au départ l’état n’épousait qu’un logique de réduction des torts devant un phénomène qui fut toujours considéré assez problématique ; mais par la suite, il s’est aussi improvisé en fournisseur, et ce qui plus est, se donne actuellement à des manœuvres très agressives de mise en marché, par la multiplication et la développement de nouveau produits qui sont ciblés vers des groupes démographiques jusqu’alors peu participants, et ce, dans le seul but d’en augmenter la volume. Comment expliquer ce revirement ? cette nonchalance ?

     En fait, rien ne serait plus prévisible dans la confusion théorique de la morale actuelle : car avec la légalisation de l’usage récréatif du cannabis, et devant la répudiation publique de tout autre autorité morale, toute doute sur la désirabilité de cette pratique fut dissipé (immédiatement, et comme par magie, c’est-à-dire : par définition). Désormais, si l’individu en aurait le droit (morale) d’en utiliser, l’etat en aurait, aussi, le droit (morale) d’en vendre, et plus encore : d’en augmenter délibérément l’usage de cette drogue parmi la population !

     Avec un trait de plume législative, un nouvel état de fait moral s’est instauré : dorénavant, « il n’y a rien de mal là-dedans ».

     Et tel fut, également, le cas de l’euthanasie, où la logique de décriminalisation ait pu, peut-être, à l’origine se relever seulement d’un paradigme relatif de « permission » neutre, mais dont l’application institutionnelle, elle, aurait procédé à répandre ce nouveau « bien » — sans perdre le moindre temps — avec toute l’autorité présumée de l’absolu. Car, quels que furent au départ les subtilités de discours (ou d’intention) : dans l’esprit populaire et dans l’espace publique, la légalisation de l’euthanasie — et surtout sa définition légale en soin médical bénin — aurait pragmatiquement impliqué l’affirmation du « bien », officiellement sanctionné, de cette pratique.

San Francisco, 1967

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire……  (L’Euthanasie et le choix : Partie B – L’Euthanasie et la clientèle : Section II – La morale et la loi : Chapitre – L’Exception érigée en règle, ou : Ce qu’Alice trouva de l’autre côté du miroir)

— Penchant de l’état payeur (et de l’éthique collective de la santé publique) vers un recours, maximal, à l’euthanasie

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section II: Hippocrate : tradition et histoire de la profession médicale — Chapitre : la division du marché médical au bénéfice de l’idéal hippocratique — Penchant de l’état payeur (et de l’éthique collective de la santé publique) vers un recours, maximal, à l’euthanasie)

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     Pour comprendre comment la politique canadienne aurait pu instaurer l’euthanasie — comme soin universellement accessible dans tous les établissements ; avec la primauté omniprésente de médecins collaboratrices qui en fut le résultat ; et surtout : sans considérer les besoins qu’avait la majorité non-suicidaire, de recevoir des soins aux mains de professionnels qui auraient abjuré, personnellement, le recours à l’euthanasie (et sans prévoir la survie d’une culture institutionnelle conçue à cette fin) —  il faudrait, d’abord, comprendre correctement la structure de l’économie médicale dans ce pays.

     Normalement (et quelle que soit l’industrie concernée), l’offre de services reflèterait fidèlement la demande consommatrice ; et nonobstant la décriminalisation de l’euthanasie, ce principe nous amènerait toujours à prévoir le maintien d’un octroi de services-santé qui soit résolument fidèle à la préservation de la vie, selon la tradition hippocratique, et telle que demandée par la grande majorité des patients. Pourtant, cette confiance, naïve, découlerait d’une erreur fondamentale dans l’analyse économique : car nous aurions faussement identifié les patients comme les consommateurs des services-santé, tandis qu’en réalité, c’est l’état qui joue ce rôle, payeur unique et seul véritable client du système.

     Or, même si nous soulignons le fait que la société canadienne soit démocratique (et que les priorités de l’état seront fixées — en principe — par la majorité des électeurs), il existe toujours une distinction importante entre l’électorat (composé surtout de gens bien-portants), et l’ensemble des patients aux prises avec des crises individuelles de santé. Sans détour : les intérêts des patients, et les intérêts de l’état (ou des électeurs de l’état), ne sont pas identiques, tandis que ce dernier exerce, unilatéralement, la fonction consommatrice.

     En conséquence, ce serait aux besoins de ce consommateur monopoliste que l’offre des services se moulera, tout naturellement, et cela, avec une précision qui dépasse, souvent, la description, les buts avoués — et même l’entendement —  des acteurs en présence. Car l’économique n’est pas seulement un château intellectuel façonné dans les nuages. Elle possède aussi une fondation empirique ; et il s’y trouvent — dans la description des rapports consommateur-producteurs — des observations qui puissent rivaliser, dans la précision de leurs capacités prédictives, avec les lois de Newton.

     Dans le deuxième tome de cet ouvrage, nous regarderons, en quelque détail, les différences qui existent entre la satisfaction des attentes personnelles des patients, et celles de l’état/client, c’est-à-dire, la différence entre les priorités de la santé publique et celles de la santé individuelle. Devançons les conclusions qui nous attendent dans ce lieu, seulement pour indiquer, ici, que les exigences budgétaires de la santé publique nous sembleraient résulter dans un penchant certain vers une utilisation généralisée de l’euthanasie ; et que ce penchant ne saurait être contrôlé autrement qu’en adoptant, intentionnellement, des contre-mesures adaptées à cette fin.

— Le rôle ambigu du médecin dans le système public

     Dans le système monopoliste canadien, de soins médicaux fournis directement (et uniquement) par l’état, le médecin se trouve à représenter, à la fois, les intérêts du patient, et celles de l’état, dans la dimension critique de l’allocation des ressources. La situation est complexe, certes : car en théorie, le médecin jouirait d’un droit illimité de prescription ; mais les possibilités véritables, de réaliser ces prescriptions, sont parfois très restreintes, ou franchement inexistantes. Dans la pratique, alors, le résultat serait devenu un calcul, dans le jugement du médecin, et devant chaque patient : de ce qui soit nécessaire ; de ce qui soit souhaitable ; et de ce qui soit possible.

     Or, le médecin type ne voudrait pas que ses patients puissent perdurer éternellement dans l’attente irréaliste de traitements fonctionnellement inatteignables ; alors, plutôt que de se lancer, continuellement, dans l’assaut Cervantesque des moulins de l’injustice, il serait beaucoup plus porté vers l’adoption de cette sagesse exposée par St-Exupéry, dans le caractère de son Roi des Étoiles, qui protège sa réputation d’omnipuissance avec la simple astuce de ne jamais promulguer de commande qui puisse rencontrer un refus !

     Mais toujours est-il, que cette attitude peut dissimuler, aussi, le germe d’une collaboration avec l’état qui soit moins bénigne à l’égard du patient.

— L’exception particulière de l’euthanasie

    L’option thérapeutique de l’euthanasie, en particulier, résulte dans un conflit d’intérêt, extrême, auquel nous ne pouvions pas, éthiquement, refuser notre attention. Car disposer de cette ultime option qui soit l’euthanasie — qui règle les cas des patients les plus difficiles, et qui ferme les dossiers les plus lourds – auraient tendance à globalement incliner la balance d’intérêts (tel qu’intimé ci-dessus) en faveur de l’état payeur, et contre toute une classe de patients bénéficiaires, qui sont, aussi (ironiquement), ceux qui auraient le plus grand besoin de soins.

     Serait-ce vraiment la fonction légitime du médecin, que d’épouser les priorités de la bourse collective au point de proposer la mort du patient comme remède à sa maladie ? Et encore : serait-il moralement acceptable, de la part de l’état, que de créer un contexte clinique (tel que l’on en construit un, au Canada, de nos jours) qui puisse encourager le médecin à agir dans ce sens ?

— Le remède hippocratique

     La thèse présentée dans ces pages serait le reflet d’une théorie, qui soit d’une grande antiquité, mais aussi d’une extrême simplicité : que, dans toute circonstance, le médecin doit sa première allégeance à son patient.

     J’en suis convaincu, d’ailleurs, que la quasi-totalité des médecins qui liraient ces lignes seront d’accord avec cette déclaration primaire, et que plusieurs, de surcroit, puissent être offensés, même, par la perception qu’il en ait pu être jugé nécessaire d’en faire la répétition ici.

     Pourtant (et n’en déplaise aux caractères moins méfiants), notre histoire abonde dans des exemples de l’élasticité presqu’illimitée de la conscience humaine — secondée par des pouvoirs réellement merveilleux dans la rationalisation des gestes posés – là ou l’individu agirait sous la pression politique ; et surtout, quand celle-ci se présente dans un aspect d’inévitabilité — voir de normalité — et quand le statut, professionnel et sociale, de la personne impliquée, en dépend.

     Or, la meilleure façon de se protéger, à la fois, de la tentation collective d’en abuser de l’influence publique — et de la tendance symétrique des individus, à collaborer dans les injustices ainsi produites — demeure dans le respect inconditionnel de règles fixes de conduit, simples et claires, qui rendent impossible l’ambigüité qui soit nécessaire à l’enlisement complaisant dans de telles contradictions.

     Traditionnellement, le Serment d’Hippocrate aurait assuré cette fonction protectrice auprès de la communauté médicale. Il fut, certes, le produit d’un environnement intellectuel unique à la Grèce Antique, où furent réunit — possiblement pour la première fois — le désir, et la capacité, de sonder rationnellement la nature idéelle de l’éthique médicale.

     Mais il y en a plus encore : car cet exercice s’est poursuivi dans un environnement économique des plus simples, où le seul lien marchand fut celui qui liait le médecin au patient, où, pour utiliser des termes plus crus : le médecin travaillait pour le patient ; et la conclusion qui s’en fut dégagée à cette époque, reste essentiellement incontestable de nos jours (après l’épreuve empirique de plus de deux millénaires), soit : que dans la pratique ordinaire de la médecine, il existerait, toujours, une part largement prépondérante du marché, dans laquelle le patient type, non-suicidaire, désire surtout l’assurance que son bien (voir sa survie et son confort), serait la seule préoccupation du médecin ; que la satisfaction loyale de cette demande exige un prépondérance de médecins voués inconditionnellement à l’abjuration des pratiques homicides ; et enfin (dans le contexte moderne), que tout projet de satisfaction des demandes minoritaires, de nature suicidaire, soit articulé de telle manière qu’il ne puisse pas entraver les institutions et les pratiques vie-centriques qui sont requises par la majorité.

     Vu dans cette perspective, le génie d’Hippocrate — et cela nonobstant la façon dont les hippocratiens, eux-mêmes, aient possiblement pu comprendre leur mission — réside dans cette distinction rationnelle économique de spécialisation, qui se révèlent tant significative, face à notre problématique actuelle d’encadrer la pratique de l’euthanasie, dans un esprit de respect, devant les choix de chacun.

     Nous retournerons plus tard à cette idée – tant centrale à l’aboutissement de cette réflexion — mais pour préparer adéquatement une telle conclusion, il nous resterait encore l’obligation de tracer le germe hippocratique, dans son évolution historique, à travers les méandres du passé, en interaction avec les modes successives de pensée qu’il aurait rencontré, qu’il aurait influencé (et qu’il aurait survécu, largement intacte) vers un examen de sa pertinence actuelle, au milieu de la grande crise de la pensée postmoderne, là où nous nous situons aujourd’hui.

poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire … (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section II: Hippocrate : tradition et histoire de la profession médicale — Chapitre : La dominance historique de l’idéal hippocratique : à l’Antiquité ; au cours de la Période Chrétien ; et dans la Modernité jusqu’à la deuxième moitié du vingtième siècle)