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avril 2022 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Le contexte de crise nihiliste où le suicide et l’euthanasie ont trouvé leur essor

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie D : L’euthanasie et la société — Section I (T2-D-I): Dans quelle mesure est-il possible d’intégrer un « droit de mourir » sans abandonner nos principes humanitaires? — Chapitre: Le contexte de crise nihiliste où le suicide et l’euthanasie ont trouvé leur essor)

–L’impossibilité post-moderne de chercher une solution partagée d’origine “morale”

À travers ces pages, nous avons cru nécessaire d’esquisser les grandes lignes de la crise civilisationnelle qui perturbe, depuis plusieurs générations déjà, la société occidentale: cette crise de fondation morale qui nous empêche, apparemment, d’affirmer la nature (ou l’existence même) du “bien” dans l’absolu.

En tentant d’argumenter le “bien” de l’euthanasie, par exemple, il s’est constamment posée la question préalable, à savoir: le “bien” selon qui ? Car, en ce moment, il n’existe pas de système moral suffisamment universel pour que les conclusions pratiques en soient généralement acceptées.

Jadis, bien sûr, la proposition était unanimement admise que la vie humaine possèdent une valeur “intrinsèque” ou “sacrée”; et en conséquence: que la vie de chacun dut (idéalement) être protégée contre tous, et au besoin, même contre soi. Selon cette doctrine, le suicide assisté enfreint l’interdiction du suicide, et l’euthanasie enfreint celle de l’homicide. Tous deux demeuraient, donc, des impossibilités sociales.

Comme résultat pratique de la crise moderne, cependant, nous nous trouvons privés de certitudes semblables.

–La perte de certitude morale comme résultat de l’abandon religieux; la compétition armée des substituts idéologiques

C’était le génie de Friedrich Nietzsche (1844 -1900) de comprendre que la morale Chrétienne ne pouvait survivre sans son Dieu. Et donc: que l’abandon de ce Dieux (par une fraction de plus en plus importante parmi l’intelligentsia) signifia, aussi, la fin de cet ensemble moral. Plusieurs intellectuels aussi divers et influents que François-Marie Arouet (Voltaire,1694 -1778), Benjamin Franklin (1706 – 1790) et Ernest Renan (1823 – 1892) n’arrivèrent pas, eux, à faire cette connexion, croyant qu’une notion non-spécifique de “Providence” pouvait aussi bien appuyer ce qui leur semblaient des préceptes moraux “naturels” (et donc à l’abri de critique).

Et pourtant ! Il y avait déjà des principes moraux fortement disputés à l’époque, tel l’état marital exclusif (renié par les révolutionnaires français dans leur revendication du divorce et de “l’union libre”). Or, si ces règles n’était que le fait de l’Église Catholique, (disait certains incluant Voltaire lui-même), la déconfiture de cette Église (et le rejet de son Dieux) représenterait une opportunité de s’en affranchir (et selon les vœux des philosophes dominants: de se rapprocher de vérités morales supérieures et améliorées).

Soit. Il y avait grand nombre de personnes pour applaudir cette nouvelle liberté d’autodétermination morale. La génération de Helen Keller (1880 – 1968) en particulier, s’enthousiasma pour inventer des principes profonds et nouveaux, que ces membres imaginaient, sincèrement, être choisis en accord avec la “nature” essentielle du monde.

Sauf que… Sans une source universellement réputée infaillible (voire divine), il n’y a rien pour trancher entre des propositions en compétition, dont les conclusions s’opposent de manière pratique et importante.

Voila comment et pourquoi nous assistâmes à des luttes idéologiques du vingtième siècle dont la destruction dépassa tout des guerres de religion les ayant précédé! Car il peut éventuellement sembler rationnel, entre les fidèles de cultes divergents (et épuisés par les pertes et par les misères d’un conflit sans issue), de s’accorder mutuellement un droit de vivre et de pratiquer leurs religions à leur guise. Mais entre le Totalitarisme et la Liberté, entre Bolchevik, Fasciste et Capitaliste, il ne peut y avoir de “vivre et laisser vivre”! Au-delà des compromis démocratiques, il ne reste que le tranchant des armes.

–Une mécompréhension toujours importante de l’ampleur de ce changement

Tout ces conflits ne semblaient concerner, pourtant, que la nature du “bien” comme tel, car ils furent entrepris par des personnes qui n’en doutèrent pas de la réalité absolue de celui-ci; des personnes qui avaient été élevées dans la tradition de bien immuable; et des personnes qui se donnèrent volontiers en sacrifice dans son nom. Même les Marxistes à cet égard, ayant répudié le Dieu des Chrétiens, se consolaient toujours avec la notion “d’inévitabilité historique”, qui n’est d’autre chose (selon des philosophes de la trempe d’un Bertrand Russell, 1872 – 1970) que l’idée plus ancienne de “volonté divine”, présentée sous un nom nouveau.

L’idée encore plus radicale, que de volonté divine, de providence, d’intention historique, (voire de “bien” immuable dans l’absolu) il n’y en a pas –d’aucun genre– n’avait pénétré la conscience collective que très imparfaitement à l’époque (à part quelques esprits particulièrement originaux comme Nietzsche lui-même). Car pour tout dire: cette idée a toujours parue, au plus grand nombre, comme une conclusion intuitivement irrecevable.

Mais n’empêche! Telle est, au fond, la signification finale de l’interprétation matérielle suggérée par l’œuvre scientifique depuis le temps d’Isaac Newton (1643 – 1727) et dont toutes les innovations subséquentes sont les fruits: que les forces physiques, perceptibles, suffisent pour expliquer toutes les actions de l’univers (à partir du “big bang” jusqu’au fonctionnement du cerveau humain); qu’il n’y a aucune nécessité d’invoquer d’autres facteurs, ni d’intention, ni de dessin. Car selon cette interprétation: tout se passe de façon rigidement mécanique; les êtres humains ne possèdent aucun attribut “spirituel”; la mort est finale; et l’oubli (parmi les vivants) signifie l’oubli absolu.

À la plus grande échelle, la disparition d’une planète entière (comme notre Terre) –avec toute son histoire, et avec tous ses habitants– ne porterait aucun signification. Et ainsi serait-il pour la disparition de notre Univers au complet. Car comment un phénomène peut-il se vouloir “significatif” au cas où personne n’en serait consciente ?

Sans conscience transcendantale, alors, de signification il n’y en a pas. Et sans signification, de moralité il ne peut y en avoir non plus. Les gestes humaines, donc, ne portent aucune importance au-delà de celle accordée par les personnes responsables ou affectées; et le jugement d’aucun de ces individus ne peut réclamer de primauté sur celui d’aucun autre.

Voilà les conséquences inconfortables de l’interprétation matérialiste (aujourd’hui dite “mécanique”), qui n’étaient saisies (que très confusément) par les martyres des idéologies modernes; martyres qui se donnèrent dans leurs milliers (et dans leurs millions) pour défendre leurs visions du “bien” supérieur, avec tout autant d’enthousiasme que leurs ancêtres religieux d’antan.

–Une analyse plus rigoureuse (et plus courageuse): Jack London

Nous avons examiné, plus avant, le cas extraordinaire du penseur autodidacte Jack London (1876 – 1916) qui cherchait, lui, à travers tout le savoir connu de la race humaine, autant occidental que oriental, sans pouvoir trouver un antidote au pessimisme matérialiste; sans pouvoir trouver un sens profond à la vie qui eut été suffisant pour lui permettre –sinon à guérir– au moins à démentir la validité de sa dépression chronique (appelée par lui “la longue maladie”), ainsi que la voix hyper-lucide de ses transports alcooliques (nommée “la logique blanche”).

Tristement, ceux qui se contentent à blâmer uniquement la dépression (ou l’alcoolisme) pour la dissolution et la mort de Jack London, ne saisissent pas (peut-être) l’importance unique de cette vie, et de cette œuvre, soit: le fait d’avoir prouvé (selon les repaires scientifiques et philosophiques qui lui furent disponibles au début du vingtième siècle) que ce soit le nihilisme total (et non l’espoir, ni la confiance, naïfs ou savants) qui est objectivement validé face à la vie humaine, autant face à la vie individuelle que devant celle de la race au complet.

Aussi, le drame essentiel du temps post-moderne demeure dans ce fait déroutant: que personne, encore, n’ait pu vraiment réussir à démentir cette vision accablante.

Car si les prémisses matérialistes sont devenues de véritables articles de foi pour la classe gérante, il ne s’est trouvé que très peu de confort dans la considération sérieuse des conclusions conséquentes.

Or, voilà l’arrière-fond de philosophie sociétale devant lequel il nous a fallu expliquer l’approbation progressive, au Canada, du suicide (1972), et du suicide assisté (2016).

À suivre...

Helen Keller et l’aveuglement rationalisant du subjectif

(Tome Deuxième: Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C: L’euthanasie et l’idéologie — Section IV: La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: Helen Keller et l’aveuglement rationalisant du subjectif)

— Juxtaposition de la condition du personnage et ses opinions promulguées: Un paradoxe apparemment impossible

D’abord je dois dire sans qualification: j’estime énormément cette femme. Son optimisme, son courage, sa capacité de se réjouir dans les aspects de la vie qui lui était ouverts (plutôt que de se morfondre des opportunités perdues) fournissent un exemple iconique dans le genre et serviront d’inspiration aux générations à venir.

Encore plus: j’estime la capacité inusitée de son génie à surmonter suffisamment son statut personnel d’handicapé pour rejoindre d’autres intelligences supérieures de son époque (et des subséquentes aussi); pour les faire prendre connaissance, à la fin, de leur propres limites et de concevoir, dans cette intuition partagée, une recognition de l’identité humaine au plus compréhensif.

Je prévois même, qu’avec le temps, ses agitations politiques seront de moins en moins remémorées (au fur et à mesure que les mots « eugéniste » et « bolchevik » deviendront de plus en plus difficile à comprendre pour les enfants de demain), mais que son autobiographie, ainsi que ses aphorismes et ses discussions plus larges de la condition humaine, feront toujours partie du patrimoine essentiel de la littérature de notre espèce. Car paradoxalement, et en dépit du fait qu’elle s’est permise à postuler l’existence d’une vie qui ne mérite pas de vivre, Helen Keller nous à aussi donné ce qu’il y a du mieux dans l’articulation d’une philosophie de la valeur inconditionnelle de l’expérience consciente de la vie humaine.

Il en surgit un paradoxe inexorable, cependant, dès que nous nous attardons à la nature, hautement personnelle, des risques auxquels Helen Keller se montrait prête à s’exposer, elle, et tous ses semblables.

Car dans son rôle consacré, comme le plus influent des militants handicapés –non seulement de sa génération, mais jusqu’alors connu (et peut-être mème de tous les temps)– il semble presque inconcevable qu’elle ait pu avancer si éloquemment les intérêts des sourds et des aveugles, et en même temps proposer un système d’infanticide utilitaire dont le but serait d’éliminer les personnes vivant en situation de dépendance de par leurs déficiences mentales où physiques.

Spécifiquement, il me semble impossible que Mlle Keller ait pu elle-même survivre, comme enfant, à sa propre rencontre fatidique avec le « jury de médecins ».

Comment comprendre, alors, tous ses écrits éminemment optimistes au sujet d’une vie gagnée au prix de batailles épiques, entreprises avec confiance devant des contraintes extrêmes? Comment concilier ces écrits avec sa promotion de l’eugénique et de l’infanticide? Comment imaginer qu’elle n’ait pu réaliser le potentiel, dans son idéologie, pour éliminer systématiquement ses semblables au futur (sinon elle-même dans le présent) avec tout les pertes qu’une telle élimination puisse impliquer pour l’humanité?

Comme cela se produit occasionnellement dans ces pages, je tenterais, ici, de hasarder quelques spéculations, nourries de mon expérience propre d’individu handicapé, pour résoudre cette énigme.

— Personnage héroïque et pieds d’argile: Helen Keller ne peut entièrement échapper aux préjugés ambiants

Tout d’abord, et quelque soient nos attentes idéalisées au sujet de la psychologie de cette personnage unique, force serait d’admettre (et possiblement à regret) que Helen Keller était également une simple personne, avec tous les défauts que cela puisse impliquer.

D’abord, elle était unique à son époque, comme intellectuelle présentant des déficiences aussi évidentes, et elle était nécessairement entourée de gens –aussi gentils et aussi affectueux qu’ils aient pu être– qui partageaient inconsciemment, et sans réfléchir, les préjugés les plus grossiers à l’égard des personnes handicapées. Ce qui plus est, ces gens familiers partageraient, aussi, les explications (c’est-à-dire les contre-préjugés), tout aussi grossiers qui leurs étaient requis pour réconcilier l’amour et le respect qu’ils ressentaient pour Helen, personnellement, avec l’horreur qu’ils aient pu toujours éprouver devant la déficience en soi; devant la difformité, la maladie, et ultimement: devant leur propre mortalité dans l’absolu.

Inévitablement, ces attitudes et ces explications furent intériorisés, par Helen aussi, ce qui créa (j’imagine) une dissonance importante (et inavouée) entre le regard intérieur, et l’objectivisation de soi.

Il y avait (il faut remarquer ce fait) une circonstance particulière qui atténuait considérablement cette dynamique, cependant, car la personne la plus impliquée dans les soins et dans l’éducation de Helen n’était pas un individu “normal”, mais bien un autre être affligé de handicaps visuels importants, Anne Sullivan (1866 -1936). En fait, c’est mon opinion que le phénomène Keller doit être proprement compris comme une collaboration entre deux individus (extraordinairement doués) et que les difficultés, physiques, sociales, et même institutionnelles, surmontées par Anne Sullivan avaient été, dans leur genre, aussi accablantes que celles subis par Helen Keller elle-même.

Il s’en est résulté de cette relation une capacité spéciale, chez Helen, de fréquenter et d’assister dans l’éducation d’autres personnes sourdes et aveugles; de transmettre sa détermination et son optimisme; et de réjouir sincèrement dans leurs succès comme Anne l’avait fait à son égard. Mais même ainsi, les préjugés normaux des personnes indemnes (ainsi que les préjugés proprement innés à l’endroit de l’infirmité), ne pouvaient être entièrement exclus de la conscience de la cellule Keller-Sullivan.

–Le convenance fictif (ou bien la délusion naïve) d’être “différent”

Première parmi ces délusions si commodes pour réconcilier l’irréconciliable, serait sûrement la notion facile qu’Helen était fondamentalement « différente » des autres handicapés. Soit. Je peux dire, de ma propre expérience, comment il peut être flatteur que de se faire répéter à quel point nous sommes supérieurs à nos semblables. Sauf que… Ce n’est pas vrai; et nous le savons.

Mais peu importe! Par facilité et par lâcheté, nous sommes quand-même amenés à permettre cette fiction, et de permettre également, autour de nous, un discours (ouvert ou tacite) au sujet des handicapés que nous avions (idéalement) un devoir de contester, mais dont la contestation efficace, dans le milieu social intime qui nous touche de plus près, peut nous sembler pratiquement au-delà de nos capacités.

C’est un peu à l’image d’une seule femme acceptée dans un milieu exclusivement masculin, ou encore, d’un seul homme évoluant dans un univers peuplé de femmes: d’un part nous bénéficions de la présomption que nous sommes « différents », et d’autre part nous ne pouvons que permettre, passivement, la validation de discours préjudiciables à notre genre (dont nous sommes personnellement censés être exemptés des intentions). Dans un mot: il y avait à l’époque, et il y à toujours aujourd’hui, une motivation extrêmement forte pour qu’un handicapé actif agisse en quelque sorte comme collaborateur (dans le sens péjoratif du terme) à l’endroit des gens normaux.

Imaginez, à cet égard, un handicapé assis à son bureau à l’entrée d’un édifice (ou encore assis à la table exécutive), dont la présence masque effectivement l’absence quasi complète de handicapés dans l’ensemble de l’organisation. Cette personne bénéficierait en toute probabilité d’un statut d’handicapé fétiche au sein du groupe concerné. Et même lui serait permise (très souvent) l’audace de cultiver une personnalité de bête noire, voire d’enfant terrible! Car l’accommodement jovial d’un tel personnage ne représente, somme tout, qu’un petit prix à payer pour valider tacitement l’amour propre de ses associés, et de permettre à ceux-ci de se croire libre de préjugés.

Je ne peux douter (encore de mon expérience propre) qu’Helen Keller ait entretenu des relations avec l’élite intellectuelle progressiste, de l’an 1915, qui étaient fortement imbues de cette dynamique. Car dans le contexte contemporain de la mode darwiniste, les préjugés eugéniques exprimés contre l’anormalité fonctionnelle étaient partagés avec une telle unanimité, par les meilleurs éléments du mouvement progressiste, que leur validation constituait, probablement, rien de moins que le prix d’entrée, obligatoire, pour Helen d’accéder à ce milieu. Et vue l’importance pour elle de rayonner sur la scène intellectuelle, il ne devrait pas nous surprendre que, consciemment ou non, elle eût été prête, aussi, a payer ce prix de collaboratrice: tirant une ligne (et une ligne potentiellement meurtrière) entre elle-même (handicapée viable) et les autres (pauvres déficients dont l’existence simple seraient, selon elle, une aberration blasphématoire devant le sacré de la vie humaine).

— La logique de collaboration bénigne

Il est également possible que Helen Keller s’expliquait son rôle de collaboratrice dans des termes positifs, à la manière de moult personnages historiques chargés avec la responsabilité exécutive d’accomplir la victimisation des leurs pour le compte de leurs conquérants, des personnages qui prétendirent pouvoir faire une différence utile en pratiquant eux-mêmes la persécution demandée (plus tôt que de laisser ce travail sensible à d’autres, encore moins éthiques et plus rapaces).

Le nom de Vidkun Quisling (1887 – 1945) vient à l’esprit (Ministre-président de la Norvège de 1942 à 1945 sous l’occupation allemande) ainsi que celui du Maréchal Philippe Pétain (1856 – 1951) (qui joua ce rôle indigne en France à la même époque).

Autrement dit, c’est possible que Mlle Keller croyait, au cas où ce serait elle qui fixerait les définitions des vies indignes, qu’elle en eût pu épargner le plus grand nombre.

— Des explications éclipsées par le phénomène

Ou encore plus simplement (et avec la naïveté caractéristique de gens dans de telles circonstances) il est même possible que Helen possédait une confiance tellement forte dans sa propre supériorité qu’elle ne s’imaginait même pas touchée par ses propres définitions, du fait que (littéralement): elle ne manquait pas de « pouvoir » (étant capable de bouger tous les membres de son corps); et qu’elle ne manquait évidement pas d’intelligence. Mais si tel était réellement le cas, je ne peut m’empêcher de remarquer l’absurdité de cette pensée! Car la notion voulant qu’un vrai « jury de Médecins », eugéniste et utilitaire, ait pu épargner une petite fille comme Helen Keller l’était à ses origines, relève, selon moi, de la plus haute fantaisie.

Mais permettez-moi d’abandonner maintenant ces spéculations, peut-été trop personnelles et (certainement trop libres), pour revenir au moment précis de notre discussion (1915), où toutes les potentialités de cette question (et beaucoup d’autres de première importance) se trouvaient ouvertes, inachevées, en flux dynamique devant un auditoire fortement divisé.

Or, dans ce contexte turbulent, la préoccupation principale de Helen Keller en combattante idéologique déclarée (personnellement impliquée dans sa réputation et dans son orgueil), était nul autre –pour dire les choses franchement– que de manier ses armes finement aiguisées de gladiatrice rhétoricienne, avec le plus grand effet possible, dans un but non-équivoque de prévaloir.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV: La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: L’art rhétorique de manipuler son auditoire)

L’Église Catholique: Un millénaire d’hégémonie en Europe Occidentale

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: L’Église Catholique: Un millénaire d’hégémonie en Europe Occidentale)

— Une contradiction paradoxale entre l’expérience personnelle du présence divine, et l’autorité hiérarchique (voire: mondaine) de l’Église en devenir

La relation du Chrétien à l’endroit de l’Église à toujours été quelque peu compliquée du fait qu’il existe un paradoxe constant qui oppose le principe de division, des autorités temporelles de leur contrepartie éternelle (signalé par Jésus devant le pouvoir romain), et la réalité du pouvoir pratique, exercé dans la vie de chacun par les autorités communautaires (issus de la congrégation). Dans un mot: les Chrétiens, en communauté, devaient (et doivent toujours) s’expliquer le pouvoir temporel manié par certains de parmi eux –un pouvoir fondé ultimement sur des prétentions d’autorité spirituelle– quand tout pouvoir exercé par les hommes est présumé distinct du spirituel (et corrompu d’emblée). Ce n’est pas, nous en conviendrons, un paradoxe de résolution facile.

Selon les mots de Jésus “Je vous dis encore que … là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux.” (Matthieu 18: 19-20).

Il en ressorte (au moins pour moi) une compréhension que l’idée de communauté fut présumée d’abord, et considérée nécessaire, même, pour vivre pleinement la foi. Cependant, cette expérience de communauté était, aussi, réduite souvent à ses dimensions minimales.

Les révolutionnaires modernes y reconnaîtront, possiblement, un reflet antique de l’organisation moderne dite “cellulaire”. Mais quel qu’il en soit: il s’agit d’un modèle d’association à la fois robuste et rebelle. Car dans la mesure où le Chrétien individuel se voit ultimement à part des structures politiques qui l’entourent –incluant celles de sa congrégation religieuse au besoin– la destruction ou l’égarement d’un État (ou d’une Église) n’implique en rien la destruction du Christianisme.

Il nous serait permis d’imaginer, donc, que l’association des croyants était, à ses débuts, passablement chaotique.

Très naturellement, cependant, vue la nature sociale de l’homme et de sa prédisposition vers l’autorité hiérarchique, il était inévitable qu’une évolution se pratiquerait au sein de l’Église dite “primitive” pour rassembler tous les croyants et pour mettre de l’ordre dans la diversité doctrinale (qui ne cessait de s’élargir parmi eux).

En particulier, la conversion officielle de l’Empire Romain, tant salutaire pour la sécurité et la prolifération du Christianisme, signala la fin, aussi, de cette Église embryonnaire que de nombreuses personnes (s’affichant en “fondamentalistes”) idéalisent encore, comme l’apogée de l’expérience personnelle, et communale, de leur religion.

L’Empereur Constantin I, par exemple, celui qui avait légalisé le Christianisme par l’Édit de Milan (313), convoqua aussi le Premier Concile (œcuménique) de Nicée (325) qui commença un processus destiné à rassembler la plus grand partie des fidèles (sur la base de doctrines officielles et de hérésies supprimées) tout en provoquant les premières dissensions et fractures du Christianisme. L’Empereur Théodose I, en fit de même, à Constantinople (381) une année seulement après sa déclaration du Christianisme en culte officiel.

Et c’est ainsi que l’Église, mise sous la protection des Romains, a également hérité des traditions Romaines, d’ordre, et d’organisation administrative.

— L’Église Catholique et son rôle modérateur au cours de la transition médiévale

Personne ne peut deviner ce que serait devenu le Christianisme comme religion officielle d’un Empire Romain stable, car la réalité ne fut pas ainsi. Tout au contraire, le démembrement complet de l’Empire Occidental s’est consacré moins de cent ans plus tard (476) avec l’abdication du dernier Empereur, Romulus Augustule.

Pourtant, le démantèlement des structures politiques romaines ne signifia pas un effondrement équivalent de celles de l’Église. Et c’est ainsi que l’Église Catholique Romaine entreprit la carrière tant extraordinaire –de conservation et de continuité dans le désordre général– que nous connaissions.

Pourvue, comme elle l’était de membres éduqués dans tous les domaines; pourvue, aussi, de capacités de communication diplomatique (et de transfert de fonds) uniques: les avantages d’entretenir des relations étroites avec l’Église sont devenus rapidement évidents à tous les nouveaux potentats régionaux. Il s’en est résulté que l’Église bénéficiait d’un statut protégé et jouait d’un rôle politique de premier importance, dans la transition des tribus Teutonnes vers la société féodale, et par la suite.

Ce statut protégé permit à l’Église d’amasser des biens, c’est à dire des terres, d’une étendue phénoménale. Car dans un monde où la possession dépendait surtout de la violence, beaucoup de chefs locaux, incapables de se défendre, préférèrent céder leurs terres à l’Église plutôt qu’a leurs ennemis. Aussi, les populations paysannes, chassées par les caprices de la migration, et de la guerre, ont pu chercher leur seul refuge sur ces terres. De sorte que, selon la théorie classique: si les Rois et les Nobles contrôlaient chacun un tiers, des terres et des paysannes au cours de le Haut Moyen Âge, le tiers restant –des ressources, des personnes, et de la production économique– se trouvait sous la gestion de l’Église Romaine.

Au milieu, alors, d’une société où tout pouvoir, possession et prestige, procédaient directement de la prouesse guerrier, survint le spectacle fascinant d’un pouvoir alternatif, établi ultimement sur rien de plus qu’une autorité morale, secondée par le savoir, et par l’organisation rendus possibles par celle-ci. Or, au contraire des critiques faciles et intransigeantes de certains sécularistes post-modernes, il serait impossible de surestimer les bienfaits réalisés par ce fait: qu’il existait (pendant tout ce millénaire troublé) un vaste espace physique et économique où ce fut possible de poursuivre des travaux des plus divers, à l’écart des exigences économiques normales; et que ces travaux aient pu procéder sous l’intendance de personnes (dans une large proportion) habitées par des mobiles sincères (et même franchement illuminés) de transcender personnellement l’état humain, et (en attendant) d’améliorer délibérément le sort du monde.

Est-ce qu’il en résulta de la corruption ? De l’exploitation ? Sans aucun doute. Mais aussi faudrait-il poser ces questions essentielles:

Est-ce que cette corruption, et cette exploitation, se démarquaient des équivalents observés de manière contemporaine parmi les autres classes privilégiées de l’époque, nobles et princières?

Est-ce que le joug subi par les serfs des terres de l’Église était-il plus rude que celui de leurs voisins des terres royales?

Est-ce que les abus intimes et personnels, visités par l’ensemble des prêtres, des moines (et des autres titulaires religieux) sur les personnes dépendantes de l’Église, étaient-ils plus courants, ou plus graves, que les outrages pratiqués, par les nobles (et par leurs soldats), à l’endroit des personnes qui leur furent dépendantes ?

Ou encore, en imaginant l’absence simple de l’Église comme refuge unique pour les personnes déplacées et abandonnées: est-ce que la disparition simple de ces gens (seule alternative alors possible) eut été une fin meilleure que leur accueille dans les conditions imparfaites que nous connaissions ?

Les réponses, je l’espère, sont plutôt évidentes.

Or, ce qui puisse nous sembler plus intéressant, je soumet (que ce constat trivial d’un partage inévitable des torts et des injustices universels à l’époque), se trouve plutôt dans la capacité (et dans l’habitude) d’auto critique qui se manifestait à l’endroit (et à l’intérieur) de l’Église même: car ce fut un phénomène de réflexion sociale presque inconnu ailleurs.

— Une dynamique d’équilibre, rompue à l’aube de l’ère moderne (circa 1500 A.D.)

Manifestement, l’Église Catholique s’est nourrie, de tout temps, des énergies de personnes dont le dévouement à l’idéal Chrétien ne peut être qualifié autrement que de transcendant, et même de militant dans sa transcendance. Pendant génération après génération, donc, dans ce terrain de morale humaine expérimentale, il s’est élevé des âmes qui se voulaient résolument Chrétiennes et qui critiquaient les profiteurs, de l’Église institutionnelle, à la mème manière que Jésus, jadis, avait ragé contre les marchands dans le Temple Juif (Jean 2:13-16).

Nombreux, d’ailleurs, furent les potentats ecclésiastiques qui se voulaient eux-mêmes de ce nombre. Nous pouvons indiquer en particulier, le caractère des fondateurs des abbayes et des ordres religieux, qui désirait, très évidement, créer un espace et un cadre de vie où la perfection pouvait se réaliser sur terre. Telle fut l’origine des ordres dont les noms sont connus de tous (Bénédictins 529, Dominicains 1216, Franciscains 1210, Jésuites 1540) mais aussi de communautés innombrables remontant jusqu’aux temps des Romains, et qui ne cessent de se former encore de nos jours.

Personne, je soumets, ne peut douter de la sincérité des intentions des personnalités fondatrices de ces ordres, ni de celles qui s’efforcèrent à suivre dans leurs traces, ni de celles qui entreprenaient la reforme de leurs communautés aux besoin.

Des éléments vénaux, ambitieux (voire: franchement criminels) s’y établirent aussi, certes, et trop souvent s’en emparèrent des postes de commandement. Aussi, les pires contrastes se produisaient, très naturellement, là où les jeux politiques de l’Église rencontrait ceux du monde extérieur, c’est a dire dans les pouvoirs des Évêques, des Cardinaux, et des Papes, dont tous les potentats temporels voulait accaparer l’autorité. Mais pourquoi chercher une finalité de jugement uniquement dans ces crimes? Est-ce que la corruption introduite dans l’Église, par voie de richesse et d’influence, était ultimement plus importante que les bienfaits civilisationnels réalisés par cette même Église ? Et lequel des deux –corruption ou bienfait– représentait une continuation passive du paradigme passé? Lequel marquait une trame de progrès nouveau?

Car à vrai dire, le paradoxe ressenti par les adeptes sincères à l’égard du pouvoir temporel (celui qui s’exerça sournoisement à l’intérieur, et au nom, de l’Église) s’imposait tout aussi rudement pour ceux qui désirait cyniquement manier ce pouvoir –s’en profiter et s’en abuser. Car la réputation et le pouvoir de l’Église dépendait ultimement du soutien des âmes idéalistes à sa base. Les voix et les attentes de ces personnes ne pouvaient être ignorées. Les Papes devaient tenir compte des revendications morales et spirituelles de leurs sujets d’une manière dont les tyrans traditionnels –Empereurs et Rois– n’avait eu que très peu d’expérience. Et l’influence de l’Église auprès des tyrans contemporains portait, très souvent, des résultats civilisateurs certains. Alors même aux moments les plus condamnables dans l’histoire de l’Église, des forces importantes d’auto-critique et de reforme s’exerçaient à travers le tout.

Et pourtant, nous ne pouvons que constater ces faits: que vers le tournant du quinzième au seizième siècle, les contradictions décrites ici éclatèrent avec une force qui ébranla les assises du Catholicisme, et qui mit définitivement fin à son hégémonie. Pour des raisons à la fois évidentes et impénétrables (grâce à leur diversité et à leur étendue; passant du politique globale jusqu’aux moindres détails de la vie quotidienne) cet équilibre dans la perception du bien et du mal, à l’égard de l’Église et de ses serviteurs, avait basculé vers un sentiment irréparablement négatif, parmi une grande partie de la population européenne.

Il ne s’agissait aucunement d’une répudiation du Christianisme pourtant; tout au contraire: la reforme exigée en était une de purification, poursuivie avec le plus grand zèle, autant à l’intérieur de l’Église que parmi ses ennemis. Seulement, il était devenu impossible, pour plusieurs à cette époque, d’accepter la séparation évidente qui se manifestait entre les aspirations apostoliques sincères et les réalités institutionnelles crues.

Or, il s’en est surgi de cette inconfort une crise globale de foi et de politique impériale; qui engouffra toute l’Europe dans les pires convulsions de violence: continuellement pendant deux cents ans; et avec des relents perceptibles jusqu’à nos jours (Irlande et autres).

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: La Reforme protestante: une remise en cause, nourrie en grande partie par la lecture populaire des Saintes Écritures)