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décembre 2020 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

L’euthanasie des « incapables » : devenue incontournable selon le paradigme de morale objective

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Au-delà du suicide et de la mort volontaire, au bas de la « Pente », se trouve l’euthanasie simple — L’euthanasie des « incapables » : devenue incontournable selon le paradigme de morale objective)

     Aussi longtemps que nous ayons insisté sur le suicide (et même sur le suicide assisté) comme un geste souverain, justifié uniquement en fonction d’un choix personnel (dont la nature ultime serait voilée dans le mystère subjectif) — et accompli, à la fin, par un geste positif et volontaire — il nous était permis d’espérer que le phénomène de la « mort assistée » ait pu se limiter aux seules personnes capables. (Car il serait impossible, utilisant cette logique, de justifier la moindre mise à mort non-volontaire.)

     À la rigueur, même la mort administrée par des tiers (incluant celle administrée par des médecins) pouvait s’accorder avec cette distinction ultime, en autant que le tout fût toujours perçu en suicide, selon une interprétation identifiant le médecin en agent purement instrumental, soumis à la volonté du suicidaire.

     Mais une fois que ces morts eussent été justifiées avec un système objectif quelconque ; quand, par exemple, le modèle traditionnel d’un interdit moral absolu ait été astucieusement contourné avec des exceptions accordées grâce à l’évocation de critères médicaux objectifs (cette substitution, transparente, pour la notion intuitive du « bien ») : la situation conceptuelle se transforma radicalement. Et tragiquement, tel se trouve notre cas actuel. Car à toute fin pratique, ce principe est maintenant publiquement admis : que la mort médicalement administrée se présente avantageusement en solution pour la « souffrance ».

     Il serait nécessaire de dire, aussi, que cette perception ait été bâtie sur une série lamentable d’erreurs juridico-légales et administratives.

— Malgré une longue litanie de fautes (de méthode et d’intention), l’euthanasie s’impose en « bien » positif comme « soin » médical

     Nous pourrions souligner, par exemple, que la loi fédérale (canadienne) ne fait que décriminaliser les gestes homicides ainsi posés et ne s’aventure aucunement pour en cautionner la légitimité, ni face à la morale commune, ni face à l’éthique médicale ;

     Nous pourrions également protester que la seule définition de l’euthanasie en « soin » médical (et ce dans le monde entier) se trouve dans la Loi 52 (Québec, 2014) qui est un document de dérivation non médicale, mais bien politique ; et qui se permet, ainsi, d’affirmer (en passant) ce principe tant radical (et inconnu à l’extérieur des régimes totalitaires) : que l’État (en régime monopoliste de soins-santé), possède également le privilège de définir la nature de la mission médicale ;

     Nous pourrions bruyamment lamenter l’implémentation pratique de cette doctrine à travers l’industrie médicale (une implémentation pratiquée de manière autoritaire par décret règlementaire et administratif) qui consiste à donner à l’euthanasie un statut d’universalité privilégiée dont seulement les interventions médicales les plus urgentes pouvait se vanter précédemment, telle la transfusion sanguine ;

     Nous pourrions répéter, en plus, que cette implémentation maximale ne reflète aucunement les choix proportionnellement exprimés ; et ne fournit pas, alors, une réponse rationnelle à la maigre demande organiquement exprimée.

     Nous pourrions dire tout ça, et bien d’avantage. Nous pourrions même nous obstiner à débattre de ces points dans l’espoir de pratiquer une érosion éventuelle dans les sentiments publics à l’appui de ce programme.

      Toujours est-il cependant, qu’à l’heure actuelle (et pour le futur prévisible) il s’est bel et bien produite une perception exécutive, à l’effet que l’euthanasie soit non seulement un phénomène légal, mais aussi, dans le sens médical : un bien positif. Et sous-entendu dans une telle prétention réside, également, cette notion corollaire : que le « bien » médical du « soin » ne soit dépendant ni du choix, ni même du consentement, du sujet désigné.

— La logique du choix, « incapable », présumé par analogie

     Bien sûr, la première exigence pour accéder à l’aide médicale à mourir consiste dans la demande volontaire. Et puisque la notion de volonté s’appuie sur celle de la capacité mentale, il y aurait tendance naturelle à présumer que les seuls individus « capables » ne puissent être les bénéficiaires de l’euthanasie.

     Mais en revanche, il revient à la collectivité de prendre en charge ceux qui ne sont pas capables, et d’en assumer la responsabilité. Comment, alors, face à ce devoir — dans notre régime de médecine sociale — pourrions-nous éthiquement refuser, à ces personnes incapables, les mêmes « soins » (c’est-à-dire les mêmes bienfaits) que nous prodiguerions aux autres ?

     Ce serait une impossibilité logique. Et c’est ici, je soumets, que la fameuse pente nous entraine, maintenant, beaucoup plus loin que certains interlocuteurs peu méfiants n’eussent voulu, jusqu’à tout récemment, imaginer. Car, s’il existe des critères, selon lesquels une personne raisonnable puisse raisonnablement demander la mort (comme traitement médical bénin), il suit de peu que la société, en se substituant pour le jugement de la personne incapable, agirait, elle aussi, de façon raisonnable, en comandant sa mise à mort.

     Et en conséquence, il semble inévitable que le seul fait, d’avoir officiellement reconnu certaines mises à mort comme des interventions médicales appropriées (d’avoir défini certains suicides en « bien »), ait forcément débuté un processus de normalisation, des interventions mortelles, pratiquées sur toute personne — qu’elle soit compétente, ou non — en autant qu’elle réponde aux critères exigés.

— Une même erreur de méthode conceptuelle, de multiples effets nocifs

     Pour vrai dire, ce que nous constations, ici, ce n’est rien d’autre que la puissance — de l’exception à l’interdit, élevée en bien primaire — qui ait fait tant de tort, déjà, aux malades chroniques et aux handicapés, grâce aux pressions psychologiques et sociales accrues, qui résultent de l’association fortuite de ces derniers avec les critères médicaux retenus pour accéder à l’euthanasie. Mais tandis que ces gens, capables, ne peuvent être tués sans façon (dans un régime d’euthanasie volontaire), le risque pour les incapables demeure entier.

     Et même que le risque, si je ne me trompe guère, deviendra rapidement une certitude. Car l’aboutissement, des causes juridiques prochaines, sera facilement prévisible (une fois commencées les représentations ardentes de la « cruauté », et de l « injustice », de refuser, aux seules personnes « incapables », ce bien désirable, ce soin médical tant convoité — cette « bonne mort » — qui soit l’euthanasie).

     Serait prudent, alors, de prévoir des maintenant l’incapacité identifiée elle-même en condition « grave et irrémédiable » (et cela plus tôt que plus tard) ; ce qui ouvrirait, toute grande, la voie vers l’évacuation sommaire de cette population.

— Un renforcement mutuel de l’euthanasie normalisée, des capables et des incapables

     Ce serait plutôt lucide, aussi, de prévoir l’opération d’un effet de résonance, entre l’euthanasie volontaire des « capables » et la liquidation simple de leurs contreparties « incapables » : une résonnance qui contribuera fortement à l’expansion des deux. Car plus les personnes capables choisiront l’euthanasie volontaire, plus aussi l’euthanasie simple, des incapables, semblerait indiquée ; et de la même manière (et comme juste retour du balancier) : plus l’euthanasie des incapables sera normalisée, plus encore le choix du suicide serait attendu — et agressivement sollicité — auprès des souffrants capables.

— Une nouvelle définition de « refus de soins » qui puisse bien en faire rougir les promoteurs

     Il ne serait aucunement trop fantaisiste non plus, je soumets, de présumer déjà, face au lexique officiel en devenir, qu’il en soit bientôt reconnu la nécessité, pour maints patients dont les soins seraient devenus trop onéreux, d’exercer leur « droit » de « refus de soins » pour se soustraire à l’euthanasie ! Ou plus simplement exprimé : un refus de mourir serait reçu, désormais, en refus de soins !

     En fait, nous possédons des exemples précurseurs qui peuvent nous renseigner, déjà, sur la direction de cette tendance. Des gens, par exemple, comme Roger Foley, qui fut transféré à l’hôpital (puisqu’impossible à soigner adéquatement au centre de soins de longue durée) ; mais qui ne fut bientôt plus le bienvenu à l’hôpital pour autant ; et qui devait choisir, ainsi, entre l’euthanasie (énergiquement refusée, mais fréquemment proposée de nouveau), le congédiement sans façon dans la nature (la conséquence logique d’un refus de soins), ou l’acquittement quotidien d’une facture punitive de mille dollars (mécanisme de paiement réservé à ceux, comme certains étrangers de passage, qui se trouvent à l’extérieur du système canadien).

— Le bilan d’une transformation, rapide et radicale, du choix vers l’obligation

     Voilà, pour conclure, le portrait fidèle d’une Aide médicale à mourir (terme explicitement reconnu dans le jugement Carter comme étant fonctionnellement identique à « l’euthanasie volontaire ») mais — suite à quelques années, seulement, de dérapage sur la pente redoutée — qui se discute aujourd’hui en fonction de l’euthanasie des « incapables » (directives anticipées, mineurs matures, conditions psychiatriques) ; et même : de l’abandon effectif des patients, aussi « capables » furent-ils, du moment qu’ils aient refusé ce « soin » tant privilégié par l’État.

     En somme, la tentative contre-nature, de transformer magiquement des choix purement subjectifs, en « biens » objectifs, grâce aux exceptions plaisamment définies en « sauvegardes », s’est avérée un échec des plus abject. Et comme la faute en fut politique, aussi en serait-il de la solution

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Roger Foley (1976 – )

« On m’offre la mort assistée mais pas l’assistance pour vivre ! »

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : L’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : La pente spéculative ; et la réalité manifeste : la fin d’une illusion confortable)

Les mesures d’économie : les soins ambulatoires et les soins à domicile ; la prévention ; la médecine alternative

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : Les mesures d’économie : les soins ambulatoires et les soins à domicile ; la prévention ; la médecine alternative)

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     La raison pour laquelle nous nous sommes tant attardés aux difficultés financières — aigues et chroniques — de notre système public de livraison de soins médicaux réside, bien sûr, dans l’intérêt qu’elles possèdent pour notre discussion de fond, au sujet de la mort assistée. Car parmi les différents mécanismes sociaux qui aient pu répondre aux nouvelles exigences d’un quelconque « droit de mourir », la forme actuellement retenue (soit la médicalisation de la mort assistée, et la tendance observée vers un recours maximal à l’euthanasie), semble devoir son ascendance, surtout, aux espoirs tacites de gains pécuniaires qui puissent s’y rattacher.

     Mais avant d’être arrivé à la présentation de la mort, médicalement administrée, comme option privilégiée pour soigner les malades, diverses autres solutions moins désagréables se sont, d’abord, recommandées à l’attention de nos gestionnaires : pour rationaliser la livraison des soins au besoin, mais aussi, dans les meilleurs des cas, pour éviter ce besoin entièrement.

— Les soins dits « ambulatoires », et les soins « à domicile »

     Ces deux stratégies sont étroitement liées, car elles présupposent, tous deux, qu’il soit possible de faire un meilleur usage des hôpitaux de première ligne (dans le cas des soins ambulatoires) ou des centres d’hébergement à longue durée (dans celui du maintien au domicile), au cas où un maximum de services non-urgents pouvaient être offerts par des cliniques externes, voire, carrément à la maison.

     Mais aussi, dans les deux cas, la réussite de telles stratégies dépend, en premier lieu, de la création de nouvelles ressources, réellement performantes, pour la pratique d’interventions complexes à domicile, et de transfert rapide aux salles d’urgence, le cas échéant. Car seulement de telles infrastructures, physiques et humaines, pouvaient pallier aux risques évidents d’éloigner la clientèle de la surveillance, et des ressources, qui sont disponibles normalement dans les hôpitaux, uniquement.

     Or, cela implique nécessairement des investissements importants, et ce serait précisément ces argents qui nous manquent d’emblée ! Inévitablement, donc, la réussite des soins ambulatoires et des soins à domicile, (utilisés en mécanismes de réduction des couts), dépendraient d’un transfert de fonds, à partir des ressources couramment accordées aux hôpitaux ; un transfert qui en prodiguerait un meilleur emploi, grâce aux nouvelles formules de livraison.

     Et c’est ici, je crois, que nous rencontrons clairement la contradiction centrale qui empêche la réussite attendue de telles initiatives (au moins comme des mécanismes d’épargne). Car tandis qu’il soit facile (relativement) de créer de nouvelles structures, il est presque impossible d’enlever les ressources nécessaires aux structures existantes (particulièrement quand il s’agit de structures essentielles, qui opèrent déjà dans un état de pénurie aiguë).

     Et parait, alors, ce fait tant décevant mais si amplement démontré : qu’une panoplie de services externes réellement performants, et de services à domicile correctement financés, puissent bien fournir un apport précieux et complémentaire aux services offerts en milieu hospitalier ; mais contrairement aux espoirs soulevés : la notion d’épargner de l’argent avec l’introduction de ces nouveaux services, se révèle (à la rencontre de la réalité budgétaire) comme une illusion sans substance. Car pratiquement, dans la mesure où les soins ambulatoires et les soins à domicile sont adéquatement financés, le tout nous coûte encore plus cher ; et dans le cas contraire, nos épargnes sont accompagnées par un service amoindri (voire par une réduction substantielle dans le niveau de sécurité physique de la clientèle).

     Aussi, la contradiction rencontrée dans ces exemples — entre le gain théorique escompté dans un transfert de ressources (entre deux services), et la perte réelle résultant de l’ajout simple des frais d’un nouveau service (additionné aux services originaux auxquels la population refuse de renoncer) s’illustre, on ne peut mieux, je soumets, dans cette autre stratégie tant vantée : de la prévention proposée en remplacement pour les soins curatifs.

     Or, il est habituellement impossible de discuter de l’état financier de notre réseau de santé sans entendre quelqu’un soulever l’illusion séduisante d’énormes économies à réaliser par l’investissement prudent (et à peu de frais), dans la prévention de la maladie. Car de cette manière, prétendent plusieurs, nous éviterions les coûts élevés, et les résultats décevants, des traitements exigés par l’éclosion de maladies complexes.

     Regardons, donc, de plus près, ces affirmations alléchantes.

— Les économies illusoires de la « prévention »

     L’entretien proactif d’un édifice, dira-t-on, éviterait assurément des réfections dispendieuses au futur, de sorte que la vie utile de cet édifice soit prolongée, et que le coût moyen de son utilisation, par année d’usage, soit clairement inférieur à celui des scénarios alternatifs de négligence. Il serait donc facile d’imaginer que le résultat soit équivalent dans l’économie reliée à l’entretien du corps humain. Mais malheureusement, il n’en est rien.  Et nous pouvons faire cette affirmation, non de façon spéculative, mais à la lumière d’au moins un siècle d’observation empirique, du phénomène de la prévention, appliquée à la santé, dans de multiples initiatives d’inspiration très variées.

     (Pas, il faut le préciser, que la prévention est un échec en soi ! Tout au contraire : les campagnes d’éducation publique de sensibilisation aux habitudes de vie saines, le dépistage précoce des conditions problématiques, la vaccination des enfants, ainsi que d’autres programmes, aussi nombreux que variés, ont tous porté fruit dans la qualité et dans la prolongation de la vie, ainsi que dans l’évitement de souffrances incalculables.)

     Cependant, nous avons payé pleinement pour ces bénéfices, et nous n’avions pas épargné, en contrepartie, un seul sou au compte de la médecine curative. Car, pour parler clairement, les êtres humains ne conçoivent pas leurs vies, ni leur survie, de la même façon qu’ils calculent le rapport des dépenses, et des bénéfices, dans la vie utile d’autres biens temporaires, tel le bâtiment imaginaire qui nous ait servi d’exemple analogique.

     Dans ce dernier cas, il est admis au départ que le jour viendra où le propriétaire trouvera la démolition plus profitable que la réparation. Oui, la prévention repoussera cette échéance, et les dépenses inutiles ainsi évitées augmenteront la profitabilité, mais à la fin, la bâtisse serait délibérément détruite sans remords.

     Toujours est-il, cependant, que la vie ne s’abandonne pas aussi légèrement ; et quel que soit le nombre de catastrophes évitées, grâce à la prévention médicale, tout individu qui ne meure pas accidentellement fera, éventuellement, appel à la panoplie complète de ressources curatives. Et ces recours à la science médicale coûteront tout aussi chère, en temps et lieu.

     Plus encore, la croyance très répandue que l’évitement des vices de santé, tel le tabagisme, épargnerait de l’argent au contribuable, n’est, malheureusement qu’un mythe : car en fait, les gens qui s’adonnent aux comportements nocifs meurent plus jeunes, tandis que ceux qui cultivent une excellente santé vivent plus longtemps ; et dans ce temps allongé, ils finissent, aussi, par coûter plus cher, au total, que d’autres personnes, possiblement, de mœurs franchement désinvoltes et autodestructrices.  

     Encore un fois : cela ne veut pas dire que la prévention soit un échec. Au contraire, le bénéfice est réel. Car ce bénéfice se trouve pleinement réalisé dans la qualité, et dans la longévité vitale. Seulement, à l’encontre du discours si souvent entendu, il n’y a pas de bénéfice d’ordre pécuniaire au sujet des soins curatifs.

— L’unique « solution finale » : le refus de soins (voire : l’euthanasie)

     La seule façon, en fait, pour réaliser de telles économies impliquerait le refus ultime des soins curatifs, prétextant que l’argent aient été dépensé, déjà, dans la prévention (et ne pouvait pas être dépensé deux fois) — de la même façon que le propriétaire postulé ci-haut ordonnerait (rationnellement) la démolition de son édifice, devenu trop chère d’entretien.

      Or, dans le contexte médical, cela ne demanderait rien de moins qu’un régime utilitaire de retrait de soins systématique, voir un régime utilitaire d’euthanasie (un sujet que nous aborderons sous peu). Car à la fin, c’est une telle retraite de soins qui est sous-entendue dans l’affirmation que nous puissions épargner de l’argent, en transférant des ressources de la curative à la prévention. Mais c’est là, aussi, où se trouve la raison des échecs répétés de ce programme à travers le dernier siècle. Car dans les faits, les ressources ne se transfèrent jamais. Au contraire : les dépenses s’additionnent.

    Apparemment, dans cette particularité, qui soit la vie et la survie, toute gérance rationnelle de ressources s’est avérée impossible (jusqu’à présent) ; car les contribuables n’exigeant rien de moins, dans cette circonstance, que le beurre et l’argent du beurre.

— Les soins dits « alternatifs » où « doux »

     Au cas où des techniques alternatives seront rajoutées aux soins scientifiques normalement recommandés, le tout coutera, encore une fois, plus chère à la fin. (Ce qui ne rendrait pas l’accès moins agréable pour autant !). Mais au cas où des soins scientifiques seront remplacés par des soins « alternatifs » (moins efficaces) : outre la supercherie évidente qui consiste à proposer des technologies périmées à la place de technologies de pointe ; ou encore le bénéfice possible de « faire quelque chose », là où il n’y a réellement rien à faire : il n’y a que très peu à dire à ce sujet. Et de fait, je préfère n’en rien dire du tout.

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Les bénéficiaires de soins à domicile comptaient (surtout) sur l’aide des membres de la famille et des amis (88 %) ; la moitié d’entre eux recevaient aussi l’aide de professionnels ; très peu (12 %) comptaient seulement sur l’aide offerte par des professionnels. — source : https://www150.statcan.gc.ca

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire : (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : Le faible pouvoir du patient dans la répartition des ressources : Le conflit d’intérêt des médecins (pris entre l’État-employeur et le patient-bénéficiaire))

L’avortement II : Comment la digue traditionnelle fut subitement éventrée par le progrès technologique

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : L’euthanasie et la médecine : Section IV : Hippocrate bis : L’avortement — Chapitre : L’avortement II : Comment la digue traditionnelle fut subitement éventrée par le progrès technologique)

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Une manifestation pour l’avortement libre, à l’époque où nos parents disaient ne pas pouvoir différencier les garçons des filles

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— Une affirmation de la liberté personnelle, face au destin biologique, qui s’exerça aux dépens de la morale catégorique

     La décriminalisation de l’avortement (suivi de sa normalisation, et finalement par son instauration comme service courant à la portée de chaque femme), s’est accompagnée — et s’accompagne toujours — de passions extrêmes, manifestées des deux côtés de cette lutte idéologique, épique, et de la division profonde qu’elle ait su provoquer au sein de notre société.

     L’enjeu essentiel, faut-il se le rappeler, ne serait rien de moins que la libération de la femme (c’est-à-dire la libération potentielle de chaque femme, selon sa préférence) de cette fatalité de l’enfantement, qui se fût présentée jusqu’alors en destin inéluctable ; une conséquence des circonstances évolutionnaires de notre espèce, et des formes sociétales qui eussent développé pour accommoder celles-ci.

     Il existe aussi, bien sûr, une interprétation plus politisée des faits, qui mettrait toute la responsabilité au compte des formes sociétales perverses dites « patriarcales » et qui postulerait l’existence mythique d’une condition humaine « naturelle » au sein de laquelle les femmes, de l’obscurité lointaine, aient pu exercer un choix parfait au sujet de la reproductivité. Selon cette thèse l’avortement serait devenu nécessaire, de nos jours, pour rectifier l’injustice produite par la perte de cette liberté idyllique.

     Mais si je peux me permettre de manifester un certain scepticisme, nous vivons aujourd’hui dans une société qui reconnait explicitement l’égalité et l’indépendance de la femme ; une société qui fournit, de surcroit, un large éventail de méthodes contraceptives très efficaces. Logiquement, alors, si une femme ne désirait pas enfanter, de nos jours (et je ne dis pas, bien sûr, toutes les femmes, ni partout, ni toujours), elle serait habituellement en mesure d’éviter la grossesse ; et en conséquence l’avortement ne devrait être qu’une mesure d’exception, un phénomène de société marginal. Et c’est ainsi, d’ailleurs, que la pratique fut originalement représentée devant la conscience publique : en option « Légale et rare »

     Pourtant, nous constatons, au contraire, un très grand recours à l’avortement, selon l’endroit. Au Canada, par exemple le nombre d’avortements pratiqués varient entre 28 avortements contre cent naissances (pour l’ensemble du pays) et 38 vs 100 (au Québec). Ce ne sont pas, convenons-nous-en, des chiffres indicatifs d’un phénomène « rare », ni une éventualité très efficacement évitée en utilisant les moyens disponibles.

     Or, les avortements vécus sont habituellement décrits, par les femmes concernées, comme des événements significatifs ; des évènements, pour y insister, que l’individu ait intérêt à tenter d’éviter avec assidument. Il semblerait, donc, que dans ce phénomène d’enfantement, le choix féminin (en fait le choix humain tout court) soit plus complexe que nous ne l’admettions ; et en particulier, qu’il soit possiblement teint de pulsions profondes émanant d’un impératif de survie, non seulement personnelle, mais d’espèce — des pulsions, enfin, non seulement de simple expression sexuelle, mais de reproduction, que nous sommes difficilement capables de contrôler.

     Alors voilà l’importance critique de l’avortement : c’est une opération qui permet d’établir, rétroactivement, la primauté de la volonté consciente au dam de l’instinct brut ; il est aussi une opération d’une moralité très contestable, du fait qu’il porte atteinte à la vie. Ce sont là, deux attributs qui auraient garanti, à la fois, l’ascendance observée de l’avortement, et l’opposition, farouche et constante, que suscite sa pratique.

— L’avortement : un fruit inattendu de la maitrise technologique

     J’aimerais remarquer, ici, un fait crucial pour notre compréhension du vingtième siècle : que certaines des changements constatés, dont la montée de l’avortement décrite ici, se sont principalement produits à cette époque, non parce qu’ils aient été moralement supérieurs, ni mêmes nécessaires, mais surtout, du simple fait qu’ils fussent devenus possibles. Ce qui nous rappelle la réponse souvent offerte par des condamnés juridiques, devant la question essentielle « Pourquoi aurais-tu agi ainsi ? » (et surtout suite aux abus commis par les plus forts aux dépens des plus faibles) : « Parce que je le pouvais ».

     En fait, ce qui démarque surtout ce moment de crise dans le cheminement humain — ce vingtième siècle auteur de tant de bouleversements — et ce qui le différencie aussi nettement de tant d’autres soulèvements spectaculaires précédents (mais restés sans influence majeure), réside dans l’énormité du changement technologique qui s’est produit dans ce court laps de temps ; un changement technologique, d’ailleurs, que d’aucuns tiendraient responsable pour le tout : du cheval à l’automobile, de l’automobile à l’avion, de l’avion  à la fusée ; du télégraphe à la téléphone, de la téléphone à la radio, de la radio au satellite ; et dans le domaine qui nous intéresse, c’est à dire la pratique médicale : nous étions passés subitement, au terme d’une génération à peine, d’un monde plus que cruel, où un homme, une femme, ou un enfant, bien portant un jour, serait enterré une semaine ou deux plus tard — victime d’une infection banale — dans une réalité nouvelle, radicalement différente, où les antibiotiques placaient les gens à l’abri de tels caprices morbides du destin.

     Pour la première fois de l’histoire, il en fut résulté un sens de sécurité personnelle qui démentit, au moins en partie, les certitudes philosophiques à la base de la résignation individuelle — et du sacrifice collectif demandé de reproduction maximale. De tels changements, bien sûr, servaient à faciliter l’adoption d’idées individualistes plutôt radicales, non peut-être entièrement neuves, mais présentées, pour la première fois, sous un aspect de possibilité pratique.

     Et dans l’ombre, palpable et partout visible des ruines de la société passée ; dans la réprimande civilisationnelle rudement assenée par l’avènement des deux Guerres Mondiales — dans cette nouvelle confrontation idéologique (apparemment d’une dualité exclusive et manichéenne), entre la lutte nationale à l’outrance (symbolisée par l’arme nucléaire), et la satisfaction sans-gêne des aspirations personnelles (symbolisée par l’avortement et le refus du service militaire), il est plus que compréhensible, je soumets, que les nouvelles générations aient été séduites par cette dernière.

     Telle fut, donc, la toile du fond, quand pour la première fois, sous l’effet des nouvelles techniques chirurgicales, et des antibiotiques récemment découverts, l’avortement chirurgical fut devenu une option acceptablement fiable et sécuritaire ; suffisamment, au moins, pour en généraliser sa pratique.

— La réponse des médecins individuels

    Jusqu’à lors, la vaste majorité des médecins refusaient d’entreprendre des avortements chirurgicaux, prétextant, bien sûr, l’illégalité sinon l’immoralité du geste ; mais il y avait toujours une autre raison, également très puissante, qui demeurait derrière ces protestations de vertu, coriace et intraitable : l’avortement chirurgical était simplement trop dangereux ; le taux de décès suite aux infections secondaires étaient tel que, dans peu de temps, la suite inévitable de cadavres auraient amené les autorités chez le médecin, et alors… le médecin à la potence ! 

     Même chez les femmes les plus riches et puissantes — celles capables de s’offrir les meilleurs soins — la prudence et la peur bien fondées, favorisaient, plus souvent, une stratégie de grossesse dissimulée ; et chez les plus pauvres, les enfants superflus étaient simplement remis à la parenté environnante (par les jeunes filles assez chanceuses pour en avoir), ou encore, abandonnés à l’église (par celles qui n’en avaient pas). Mais avec l’apparition soudaine des mêmes substances et techniques qui eussent sauvé tant de vies parmi les soldats des Grandes Guerres, la possibilité est apparue, aussi, pour les femmes de survivre aux avortements chirurgicaux.

     Pour certains médecins, alors, la question ne se posait plus en termes purement théoriques de morale idéelle, mais plutôt en termes pratiques ; et pour les femmes de la classe supérieure, la question se résumait uniquement à trouver un médecin prêt à agir dans l’illégalité ; ce qui serait toujours possible là où la récompense attendue était jugée égale au risque couru. Bref, les avortements commençaient à se faire de plus en plus nombreux ; les expériences, les anecdotes, et les cas célèbres se multipliaient ; les arguments moraux et sociaux se raffinaient de part et d’autre ; et l’enchainement de changements légaux s’est enclenché énergiquement vers le résultat que nous connaissions aujourd’hui.

     Voilà une description plutôt pragmatique de ce phénomène, qui demeure assez pauvre en nuances. Pourtant, notre sujet ici n’est pas principalement la grande narration de la légalisation de l’avortement, mais plutôt les seuls effets subis, en passant, par l’ensemble des médecins ; et surtout : le défi présenté à la tradition éthique de ceux-ci, alignés sous la bannière du serment hippocratique.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV : Hippocrate bis : l’avortement — Chapitre : L’avortement III : Son intégration dans l’éthique médicale)

L’esprit confiant du progrès moderne : enfin trouvé, mais perdu de nouveau

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture : Chapitre : L’esprit confiant du progrès moderne : enfin trouvé, mais perdu de nouveau)

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Alexandre Dumas (1802 – 1870), dit Dumas père (lui-même fils d’un soldat Royaliste, mulâtre de noblesse coloniale, devenu rapidement général Révolutionnaire et ensuite Bonapartiste) était un écrivain des plus renommé, et des plus prolifiques. Ses romans d’inspiration historique, telles « Les Trois Mousquetaires » sont universellement connues. Dumas se trouve treizième en rang dans la liste mondiale des auteurs les plus traduits dans les langues étrangères.

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— Dumas (père) et le « Progrès »

     Dans son roman « Joseph Balsamo » (publié dans le journal parisien « La Presse » entre 1846 et 1849) Alexandre Dumas, père (1802 – 1870) dépeigne une conversation imaginaire entre Jean-Paul Marat, 1743 – 1793 (dans son caractère prérévolutionnaire de chirurgien, athée matérialiste), et Giuseppe (Joseph) Balsamo, 1743 – 1795, dit Alessandro, comte de Cagliostro (aventurier, savant/guérisseur/charlatan/franc-maçon/occultiste) :

Balsamo : « Ce serait orgueilleux à moi de dire : « Je sais. » Je suis plus humble, monsieur, je dis : « Je crois. » »

Marat : « Eh bien, que croyez-vous ? »

Balsamo : « Je crois que la loi du monde, la première, la plus puissante de toutes, est celle du progrès.

Je crois que Dieu n’a rien créé que dans un but de bien-être ou de moralité. »

     Nous trouvons ici, je crois — dans ce credo de Dumas crédité à Balsamo — l’encapsulation parfait de l’esprit dominant de la fin du dix-huitième siècle, tant en Europe qu’en Amérique.

     Premièrement, c’était un énoncé révolutionnaire, puisque le changement y prenait la place principale. Et tel fut, décidément, le premier sentiment du siècle. Car après deux ou trois générations passées dans la défense (et dans la destruction acharnée) de tout ce qui pouvait représenter « l’ancien régime », tout le monde s’entendait, enfin, pout admettre cette évidence simple : que le monde vivait alors des transformations profondes auxquelles l’opposition d’une résistance catégorique ne serait qu’une futilité insensée.

     Mais il y avait aussi un sentiment conservateur, également important et beaucoup plus ancien. Car la réponse suscitée dans chacun devant ce constat de fait se fonda, surtout, dans une foi maintenant millénaire : que le monde demeurait l’objet d’une intention supérieure (divine ou « naturelle ») dont la source fut inconditionnellement bienveillante. Telle fut la foi Chrétienne qui avait servi comme support moral pendant les pires crises du passé ; et tel fut la posture adoptée, d’un réflexe commun à l’époque, par presque tout le monde – que l’on se voulût « croyant » ou non —   devant les épreuves présentes.

     Or, la coexistence de ces deux principes, révolutionnaire et conservatrice, s’est révélée parfaitement typique du temps. Elle explique la fluidité et la prestance exhibées par des hommes publics, comme Victor Hugo, dans l’adoption et dans les changements d’adhésions politiques. Elle explique la participation d’une bonne partie de l’aristocratie française dans la transformation nationale. Elle explique, aussi, la nécessité admise par les Jacobins de tenter l’instauration du « Culte de l’Être Supreme » dans l’an 1794 (pour remplacer le « Culte de la Raison », établi

1793), mais qui n’ait pas plus su, à son tour, satisfaire les besoins spirituels du peuple, suite à la persécution révolutionnaire de l’Église (catholique).

     Aristocrates révolutionnaires, alors, et révolutionnaires croyants, voilà l’amalgame social qui dominait ce siècle confus, ou des soulèvements populaires, des démocraties improvisées, des restitutions nostalgiques, et des coups d’état impériales, se succédaient dans une cadence accélérée ; largement incompréhensibles — autant pour les participants que pour les observateurs — pendant presque cent ans.

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Count Alessandro di Cagliostro (Joseph Balsamo, 1743 –1795) fut un aventurier Sicilien d’origine pauvre. Une carrière de « savant » qui lui en faisait le familier des cours européennes (y incluant celle de Marie-Antoinette) le rendit pleinement digne des attentions du célèbre auteur de fiction historique, Alexandre Dumas.

Au contraire du personnage créé par Dumas, cependant, le véritable Balsamo fut apparemment de très base caractère dont plusieurs des « exploits » se qualifieraient plus justement de crimes. Ses prétentions occultes lui méritèrent éventuellement l’hostilité de l’Église ; il fut arrêté par l’Inquisition, à Rome (1789) ; et mourut en captivité (1795) au Forte di San Leo (détail du bas).

Buste de Balsamo (1786) de Jean-Antoine Houdon (1741 – 1828)

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— La force extraordinaire de cette combinaison conceptuelle

     Combiner ces deux certitudes alors — du changement inéluctable et de la bonté divine au centre du monde en devenir — et voilà que la crainte du changement, dans un chaos terrifiant, se transforma (au sein des mystères propres à l’alchimie de l’esprit), dans une nouvelle conception idéalisée de l’évolution, fondamentalement positive : qui fut le « Progrès ».

     Et quoique la force personnelle requise pour affronter ce changement trouvait toujours ses racines plantées dans le passé lointain, cette doctrine ne stagna pas de par son attache à l’ancienne stabilité révolue, passive et fataliste dans sa résignation ; elle ne signifia pas un rejet du présent en transformation, ni encore du futur incertain.

     Au contraire, le génie de la doctrine du progrès résida dans sa capacité d’accueillir, et même de désirer, la nouveauté ; de mettre, ainsi, la foi stable du passé au service de l’assimilation du changement nécessaire à l’avenir.

     Tel fut, pour répéter l’essentiel, l’esprit dominant du temps décrit, même pour les désespérés comme Alfred de Musset, ou pour les réformateurs impatients comme Victor Hugo. Toutes les dévastations, de la Révolution et de l’Empire en Europe, ainsi que la Révolution et la Guerre des États en Amérique ; tous les fléaux humains de l’urbanisation subite ; de l’industrialisation ; du capitalisme dit « sauvage » ; des crises de déplacement démographiques subséquentes à la libération des serfs (en Europe), ou des esclaves (au Nouveau Monde) ; la démocratisation du vice aristocratique ; la production de l’alcool industriel à la bourse de tout le monde ; l’introduction des opiacés en consommation personnelle ; la flambée criminelle urbaine ; l’attaque sur les mœurs domestiques de la nouvelle petite bourgeoisie ; tout cela, sans exception, sembla acceptable. Sembla, même, potentiellement bénéfique ! Sembla, dans un mot : raisonnable comme prix d’ajustement moral dans l’accession vers un monde meilleur.

     Le changement devenu inévitable se trouva non-seulement accepté, alors, mais fut sincèrement embrassé, éventuellement, par le grand nombre ; et il fut même représenté, rétroactivement, comme un aboutissement depuis longtemps désiré.

     Voici ce qu’en dit à, ce sujet, le philosophe Dumas/Balsamo :

« Notre planète, au dire des Écritures, comptait soixante siècles, quand l’imprimerie est venue comme un vaste phare réfléchir le passé et éclairer l’avenir ; avec l’imprimerie, plus d’obscurité, plus d’oubli ; l’imprimerie, c’est la mémoire du monde.

Eh bien, Gutenberg a inventé l’imprimerie, et moi j’ai retrouvé la confiance. »

     Remémorons seulement, à cet effet, que le récit traditionnel de l’histoire identifie l’avènement de l’imprimerie comme étant, possiblement, la cause première de toute la série de transformations qui ait secoué le monde moderne. Il apparait, alors, que Dumas nous invite à partager une interprétation selon laquelle tous les déchirures et bouleversements vécus depuis le quinzième siècle — en commençant avec les luttes, sanglantes et persistantes, propres à la Reformation Protestante et à ses séquelles — dussent être accueillis patiemment en maux accessoires à ce qui demeura un bien transcendant !

     Décidément, le « Progrès » fut une doctrine qui permettait à ses partisans de survivre, moralement, à peu près n’importe quoi ! Et par l’acceptation optimiste du sort : de convertir tous les contre-coups en opportunités de changement positif. Ce fut une interprétation de la réalité capable de s’adapter à l’infini ; de fournir, à la fin, les conditions nécessaires pour une création réellement volontaire du futur humain.

     Ce fut, très évidemment, une formule gagnante ; et la dynamique heureuse d’un moment unique dans l’histoire ; mais ce moment fut, aussi, d’une brève durée.

— Une faiblesse insoupçonnée qui trahit le tout

     Toujours est-il, cependant, que cette dynamique optimiste dépendait d’une continuation robuste dans la foi — universellement partagée jadis — d’une intention de « bien » inséparable de l’existence de notre monde.

     Or, le lecteur aurait remarqué, possiblement, avec quelle aisance le mot « Dieu » apparut sur les lèvres de tous les penseurs et de tous les poètes dont les textes trouvent leur citation dans ces pages. Car malgré l’anticléricalisme, malgré l’apport rational des sciences, malgré l’athéisme même (dans le rejet originalement entendu par ce mot, d’une divinité personnelle) : l’existence de la bonté essentielle, de cette « Providence » universelle (qui ne crée « que dans un but de bien-être ou de moralité) ne fut — avec de très rares exceptions — jamais mise en doute avant le vingtième siècle bien engagé.

     Pourtant, là-dedans se trouva, tout de même, le talon d’Achille de la doctrine du Progrès providentiel. Et c’est pour cette raison que Dumas/Balsamo précise (dans son préambule devant le Marat matérialiste imaginaire) la différence tant significative entre la certitude « je sais », et la simple affirmation « je crois ». Car, si jamais cette foi fut atteinte, si jamais cette croyance fut perdue : la « confiance » située à la base du progrès s’évanouirait, aussi, sans trace.

     Et puis, comme du fait, cette foi précédemment inébranlable dans la nature positive de l’univers — et une bonne partie de l’élan social positif qui en fut la manifestation concrète — s’est perdue effectivement : s’est éteinte comme une chandelle, à l’avantage d’une nouvelle obscurité morale, enveloppant progressivement la conscience contemporaine !

     Du grand rêve de Progrès il n’en demeurait pas moins, certes, le volet « bien être » qui adresse les intérêts primitifs de tout être vivant ; mais le perfectionnement « moral » de l’homme, lui, se trouva largement abandonné. Car en doutant du bien universel, l’être humain en arriva, aussi, à douter de la réalité du bien à l’intérieur de lui-même ; et en reniant l’un, il en vint, également, à renier l’autre.

     Voilà, donc, le mystère de destitution morale qui nous obsède, nous, qui se trouve à peine cent ans plus tard, dans une société où même le suicide n’est plus universellement regretté !

     Voilà l’évidence d’une rupture philosophique, nette, dont l’histoire racontée se caractérise par l’apparition d’une séparation claire — entre l’avant et l’après — comme les couches de minerais, adjacentes mais parfaitement distinctes, qui marquent la succession des périodes géologiques.

     Car de toute évidence, le drame du vingtième siècle, en Occident, se situe précisément dans ce fait que les certitudes ancestrales (d’un ordre moral universel, de source et de nature bienveillantes), ces certitudes « humbles » (selon notre auteur) issues non du « savoir » mais de la « croyance », aient été subitement perdues – ni tout à fait, bien sûr, ni tout d’un coup – mais très significativement, et surtout à partir des années dix-neuf-cent-vingt.

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JJean-Paul Marat (1743 – 1793), médecin et physicien, était l’un des acteurs principaux aux débuts de la Révolution Française, et fut fortement associé avec l’avènement de la Terreur. Il fut assassiné dans son bain (1793), par Charlotte Corday qui lui rapprochait, surtout, les Massacres de septembre (1792). Elle disait vouloir, par la mort d’un seul homme, sauver les vies à 100,000 autres.

Après sa mort, et subséquemment aux apparitions successives des Cultes de la Raison, et de l’Être Supreme (instaurés pour combler le vide produit par la suppression du Christianisme), le buste de Marat lui représentait en quasi-saint dans plusieurs églises ainsi récupérées.

Tableau : « La Mort de Marat » (1793) de Jacques-Louis David (1748–1825)

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Entre le fatalisme moral d’une société préindustrielle, de subsistance précaire et de stratification extrême ; à l’opulence du choix post-moderne : un passage d’à peine deux siècles)