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novembre 2020 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Des compagnons de route naturels : L’euthanasia et l’Eugénie

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Des compagnons de route naturels : L’euthanasia et l’Eugénie)

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Un article détaillant une initiative d’enregistrement eugénique des familles, à la Foire Libre de Kansas (1927). Chaque membre de famille fut évalué aux limites contemporaines de la science médicale, psychiatrique et physique. Au centre de la photo se trouve l’une des heureuses familles certifiées « meilleure », entourée des professionnels/évaluateurs.

Cet article fut publié dans une revue respectée de science populaire, signé, non par un illuminé marginal, mais par le Sénateur Arthur Capper (1865 — 1951) qui représenta l’État de Kansas au Congrès américain entre 1919 et 1949.

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— L’homme considéré dans son rapport « utile » à l’ensemble

     Voilà, donc, le portrait d’un monde sous l’emprise d’une mode intellectuelle articulée dans des termes poétiques aussi séduisants que contradictoires (les visions poétiques n’ayant assurément pas besoin de rigueur logique) : où l’homme retrouverait son être primaire, naturel, libre, et pré-civilisé ; tandis que l’unité vitale de la vie humaine ne serait plus l’être individuel (vivant dans sa relation de conscience personnelle face à l’universel), mais plutôt un grand ensemble humain — la « nation », ou encore la « classe » Marxiste ; et de surcroît, où cette ensemble — cette nation, cette classe — serait en compétition Darwinienne avec d’autres groupes semblables ; où la signification de l’individu humain se résumerait, donc, uniquement  dans sa contribution objective — positive ou négative — à la capacité collective de gagner cette compétition, existentielle et sans merci !

      Décidément, avec la conjugaison de ces deux forces conceptuelles — poétique et scientifique — nous pouvions facilement imaginer que la deuxième moitié du dix-neuvième siècle (ainsi que la première moitié du vingtième)  ne fut pas toujours une période rassurante, accommodante, ou même minimalement sécuritaire pour les membres de la gent humaine qui exhibèrent des traits de déficit où de maladie mental, d’ambiguïté dans l’identité sexuelle, de difformité physique, d’appartenance raciale étrangère, ou de quelque autre faiblesse ou divergence que ce soit.

    Il serait inutile, certes, de suggérer que de tels préjugés et de tels dangers furent nouveaux ; seulement, ces préjugés étaient maintenant soutenus par le paradigme conceptuel dominant en devenir ; tandis que l’ancien paradigme religieux et charitable (qui tendait vers la suppression de nos impulsions les plus barbares), fut visiblement en déclin. L’homme ne devint pas plus brutal pour autant. Mais chose très significative : on lui donna maintenant raison dans sa brutalité ; et pour la première fois, aussi, des véhicules scientifiques, institutionnels, et industriels, c’est à dire proprement modernes, pour l’exprimer.

     En toute logique : un homme fort serait un atout pour la nation ; un homme faible — un malade, un handicapé, un fou — serait un fardeau inutile. En toute logique, encore : l’entretien et la protection de tels spécimens inferieurs seraient au désavantage de la collectivité ; la privant dans la même mesure de ressources précieuses, et peut-être essentielles, à la survie collective.

     En toute logique, donc : l’éthique rigoureuse demanderait que la collectivité se libère de ces contraintes en se libérant de ces individus inferieurs — de ces « vies indignes » — et n’en déplaise aux sentiments actuels, devenus parfois trop tendres : c’était dans ces termes exacts (ou dans des termes similaires à peine voilés), qu’un véritable programme de curetage, et de prévention, des abcès démographiques appréhendés, fut proposé sous le nom tant imposant (de par sa résonance savante) d’Eugénie, d’Eugénique, ou d’Eugénisme.

— L’Eugénie ; ou le Darwinisme rationnellement appliqué

     L’Eugénisme comprend, tout comme l’art sculptural, deux volets distincts : L’un de construction par addition ; et l’autre de purification par réduction

     Dans le mode positif, la mission eugénique fut de travailler rationnellement à l’amélioration du stock humain avec l’application scientifique des principes déjà connus (et dernièrement en forte amélioration) de l’élevage du bétail, c’est à dire : l’encouragement des unions génétiquement avantageuses :

« La science (eugénique) qui consiste dans l’amélioration des stocks, que ce soit des animaux ou des humains, doit être enseignée dans toutes les institutions supérieures des États Unis… Nous avons un devoir d’éviter l’amplification des fautes et des faiblesses (ou des tendances vers la perversité) en étudiant et en obéissant la loi de l’hérédité… Si, dans les cinquante ans à venir, nous accordons à la perpétuation des meilleures caractéristiques physiques et intellectuelles du peuple Américain, la moitié des efforts que nous avions accordé à celles des chevaux de course dans les cinquante derniers … le vingtième siècle connaitra des hommes, et des femmes, d’une beauté physique et intellectuelle supérieure à tout Américain vivant aujourd’hui. »    — Un article représentatif de journal, Nebraska, 1901

     L’enthousiasme populaire résulta même dans l’adjudication des enfants aux « foires » de différents États :

« Un Bébé parfait ! : La commission de la Foire (de l’État d’Oregon) a voté $520 pour des prix dans l’Exposition d’Eugénie cette année… Parmi sept milles enfants la petite xxx, de 42 mois, fut jugée « parfaite » par des experts médicaux qui examinèrent les enfants à la même manière que le bétail exposé… Outre sa perfection, elle est aussi réputée très belle… »  — Oregon 1913

     Ce qui n’empêchait guère les sceptiques de s’en amuser parfois :

« Un bébé trouvé dans une poubelle gagne le premier prix ! : Une petite fille xxx, âgée de 17 mois, abandonnée dans une poubelle, trouvée par des policiers, et adoptée par M. et Mme. xxx … a gagné le premier prix (santé et beauté) à New York… ce qui fait un coup dur pour les idées eugénistes ! » — 1913

     Le « stock » humain accouplé en bétail ? Des bébés adjudiqués dans des foires agricoles ? Difficile, je soumets, d’éviter l’irruption d’un sourire, ou même d’un franc éclat de rire, devant un tel enthousiasme naïf au parfum ridicule !

     Pourtant, l’eugénisme présente, aussi, un visage plus sinistre.

— Le désherbage du jardin humain

     L’idée de privilégier des unions propices et le « devoir » imputé (pour les jeunes) de bien considérer le mariage dans sa dimension biologique, furent, certes, très répandu à cette époque. Pourtant, l’application systématique des principes positifs d’élevage animalier, chez l’être humain, s’avère normalement très difficile, sinon impossible (outre certaines exceptions notoires, telle l’élevage des lutteurs « Sumo » en Orient). Plus facile, par contre, serait l’évitement, et la « correction » d’erreurs génétiques potentielles où commises ; c’est à dire l’empêchement systématique des unions désavantageuses, et la destruction des fruits indésirables.

     Les mesures suggérées pour réaliser ce but incluaient notamment : des lois contre le métissage racial, l’exclusion des immigrants pour raison génétique (de race ou de santé), la promotion de la contraception (et de l’avortement) chez les démunis, et en dernier lieu, la stérilisation forcée des individus jugés « indésirables ». Faudrait-il, ainsi, nous rappeler que l’évolution elle-même se présenta, en théorie, largement comme un mécanisme de réduction sanitaire ; car les êtres plus faibles doivent « disparaitre » à l’avantage des plus forts.

     En plus, les ramifications sociales, implicites de cette doctrine, se révélaient des plus larges. Par exemple, les Darwinistes (en commençant avec le grand homme lui-même), s’inquiétaient sérieusement de la protection artificielle accordée aux spécimens faibles de l’humanité. Car d’après une lecture stricte de sa théorie, le résultat inévitable serait la dégradation progressive de la race. Ou autrement dit : si l’évolution travaille à la perfection en sélectionnant seulement les spécimens forts, chaque initiative philanthropique qui chercherait, par la compassion, à modérer ou à atténuer cette tendance naturelle vers l’extinction des plus inaptes — c’est-à-dire tous les programmes sociaux visant à secourir les pauvres (et en ce qui nous concerne particulièrement ici, la prolongation des vies « indignes ») — serait objectivement une initiative qui travaille à l’affaiblissement génétique et éventuellement à l’extinction de notre espèce.

— La « science » évolutionnaire transformée en politique

     Constatons que les arguments en faveur de ce que nous nommons aujourd’hui « evidence based policy » (c’est-à-dire la politique informée par la science) battaient au plus fort dans cette période d’industrialisation transformatrice ; et que la « science » ainsi invoquée le fut, aussi, avec une révérence proprement radicale. Car de manière théorique (à tout le moins) une bonne partie de l’intelligentsia se trouva maintenant libérée (selon Nietzsche) des contraintes de la « moralité d’esclave », et s’apprêtait à suivre les nouvelles consignes, « pragmatiques », avec une hardiesse empreinte de volonté fièrement intransigeante.

     De la même manière, alors, que nous sommes sollicités impérativement, aujourd’hui, par des politiques révolutionnaires au sujet du Changement Climatique, la science de Darwin semblait demander, il y a cent ans, des actions également radicales pour préserver l’intégrité génétique de la race humaine. Rien de moins.

     Et s’il fallait, dans ce but, sciemment abandonner les plus nécessiteux de parmi nous ? Soit ! Regardons (disait-on) la réalité sans illusion.

— La franchise naturelle du passé, mise en contraste avec la délicatesse équivoque de notre époque

    Il serait beaucoup plus difficile de nos jours, certes, de trouver quelqu’un qui tiendrait franchement ce discours. Il est assez difficile, même, dans notre monde informatique (de conservation sélective), que de trouver les textes originaux (plutôt que des études secondaires fournies pour nous en « expliquer » le sens). Mais à ce moment-là, le climat intellectuel en était tout autre.

     Quelle bouffée d’air frais, en fait, devant les écrits originaux de notre passé : que de lire ce qui fut dit, et pensé, dans une liberté d’expression directe et sans gêne qui se découvre totalement opposée au langage fourbe employé de nos jours ; que de voir imprimés noir sur blanc, des énoncés tant dérangeants (d’une énormité presque impensable parmi nous) présentés tout simplement, avec le soin principal — non de dissimuler les aboutissements recherchés  — mais de les exposer avec la plus grande clarté !

     Et pour l’auteur actuel : quel plaisir que de pouvoir débattre, enfin, ouvertement, contre des principes déclarés ; plutôt que de faire la lutte aux idées fantômes (sorties visiblement des mêmes préjugés ataviques, mais cachées, aujourd’hui, dans la dissimilation et dans le non-dit) !

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Des compagnons de route naturels : L’euthanasia et l’Eugénie — L’eugénisme en rationalisation « scientifique » de préjugés préexistants (voire universels))

Illuminer notre devoir de choix philosophique : L’essai empirique des critères limitatifs d’éligibilité (dits « sauvegardes »)

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi — Sous-Section II c) : Quelle morale choisir ? — Chapitre : Illuminer notre devoir de choix philosophique : L’essai empirique des critères limitatifs d’éligibilité (dits « sauvegardes »))

– Un choix difficile : les deux (ou trois) façons de faire, et la distribution des torts

     Un peu plus tôt nous avions catalogué deux cadres philosophiques pour définir la nouvelle relation sociale – officiellement permissive — avec le suicide et l’euthanasie : soit, la liberté subjective (assortie de conditions) ; soit, l’interdit catégorique (percé d’exceptions). En réalité, pourtant, il y en aurait toujours trois, car rien n’empêche (en admettant la volonté politique requise), de rebrousser franchement chemin, et de rétablir l’interdit intégral de toute mort « assistée ».

— Rétablir l’interdit inconditionnel de l’homicide

     Cette option, toujours soutenue par la communauté médicale internationale, ainsi que par les intellectuels handicapés (et par une bonne partie des adhérents au modèle moral de tendance traditionnelle) fournirait un maximum de protection, auprès des personnes handicapées, et malades chroniques, de la majorité non-suicidaire. En conséquence, si notre but pouvait se réduire à minimiser le nombre de personnes à risque dans cette population, ce statut quo antérieur serait toujours supérieur à la situation actuelle ; optimal, aussi, pour la qualité de la médecine offerte au non-suicidaires, et pour la paix psychologique (et morale) d’une majorité des médecins.

     Par contre, il y a des principes idéels en jeux dans cette controverse, qui ne se plieront pas facilement devant les arguments de torts contextuels. Car il existe, aussi, une minorité suicidaire qui se plaignait, auparavant, d’une injustice spécifique sous l’ancien régime. Et pour la majorité des gens qui se félicitent, aujourd’hui, d’appuyer la thèse pure du choix subjectif dans les décisions de moralité intime, cette revendication serait concluante : dans aucun cas pouvions-nous approuver, dirait-on, un refus du choix minoritaire. Un point, c’est tout !

     (Car au-delà des circonstances immédiates, l’exemple d’un tel refus pouvait prodiguer son influence, aussi, face à d’autres libertés minoritaires proprement « sacrées » de notre société post-moderne.)

     De toute évidence, alors, cette option serait déjà dépassée dans notre trame sociale. Cependant, vu qu’elle nous ait fourni le point de départ pour notre démarche actuelle, je la mentionne toujours en première place, comme stratégie possible : la restauration du statu quo ante.

— Une véritable liberté universelle : le droit de mourir

     Les particularités contextuelles de ce débat nous auraient accoutumé à y voir, invariablement, un phénomène médical. Pourtant, l’homicide n’est pas si évidement l’affaire des médecins. Et plus encore : le suicide n’est aucunement l’affaire des seuls malades et handicapés, ni même de manière prépondérante.

     Logiquement, d’ailleurs, tous les arguments en faveur, d’un droit à mourir parmi ce groupe, sont également valables au sujet des personnes suicidaires bien-portants. Et apparaitrait, alors, une deuxième possibilité de politique face à l’euthanasie et au suicide assisté ; une politique qui s’impose de par sa rigueur théorique (mais qui effraie toujours de par sa nature crue) : soit, un droit de mourir, général, franc et universel, tel qu’il ait été souvent demandé — avec clarté et insistance — par les penseurs et les activistes à la base de sa réussite partielle.

     Clairement, l’attrait de ce modèle ne réside pas dans une réduction espérée dans le nombre appréhendé de tragédies suicidaires ; il réside plutôt, dans le fait que tout risque réel soit endossé, à part entière — et partagé, d manière égalitaire — par tous les membres non-suicidaires de la collectivité élargie, sans autre critère discriminatoire, de race, sexe, orientations, habilité ou état de santé.

     Voilà, enfin, une idée audacieuse dont la simplicité peut facilement inspirer l’admiration (sinon l’adhésion). Pourtant, son intransigeance suscite aussi des craintes profondes devant l’ampleur devinée des tragédies potentielles.

— Un faux espoir de solution dans le compromis : des exceptions médicales à l’interdit

     Et c’est ainsi que nous aurions finalement tombé dans ce piège facile de compromis, essayant de bénéficier, à la fois du souffle enivrant de la liberté subjective, et de la certitude réconfortante des limites fixées par des critères objectifs et médicaux. Nous aurions voulu, ainsi, ouvrir cette liberté uniquement aux personnes malades ou handicapées (et ce, à l’origine, seulement pour celles parmi elles qui se trouvèrent véritablement en fin de vie).

     Mais en permettant certaines personnes d’assouvir leur désire de mort selon les critères d’exception, nous condamnions aussi, à des torts appréciables, toute autre personne fortuitement identifiée par cette association ! Et de cette manière, loin d’avoir tenu notre promesse originale, de redresser les injustices minoritaires, nous n’aurions réussi qu’à imposer un nouveau risque, existentiel et discriminatoire, auprès d’un groupe spécifique encore plus important, c’est-à-dire à l’ensemble des malades et des handicapés non-suicidaires.

     Décidément, une analyse objective et conséquente, des torts et des bénéfices, ne pourra jamais soutenir une telle conclusion. Cependant, c’est bel bien ainsi que se présente notre situation actuelle. Et alors, devons-nous faire l’étrange constat que la population (ou ses dirigeants) ait choisi de s’accrocher mordicus après la rigueur apparente du modèle juridico-moral objectif ; mais cela, pour des raisons qui ne peuvent, à l’examen non-complaisant, se qualifier autrement qu’en espoir factice : irrationnel, certes, et intéressé, très probablement !

     Toujours faudrait-il, cependant, demeurer généreux dans nos jugements des motivations d’autrui. Car pour répéter l’essentiel : de solution facile, il n’y en aura point.

— Même pour les subjectivistes : point de repos

     Dans une section précédente, il en fut largement question de la commodité du standard de jugement subjectif qui nous permettrait de prétendre au statut moral, tout en consultant, uniquement, nos intérêts et nos préjugés propres.

     Ce ne serait pas, cependant, toutes les personnes qui pourront s’échapper, ainsi, aux tourmentes déchirantes du doute et du remords. Car des intérêts distincts et irréconciliables peuvent surgir tout aussi bien à l’intérieur de notre subjectivité personnelle, qu’au cours des conflits caractéristiques des discussions « objectives » entre paires. Et la liberté subjective de choix ne fournit pas, alors, une panacée miracle pour la conscience inquiète.

      Permettez-moi, à ce sujet, de signaler mes propres divisions internes pour illustrer ce point dans la discussion actuelle.

— Des loyautés personnelles durement divisées

     À la fin du dernier chapitre, j’exposa clairement l’intérêt égalitaire de toute personne malade ou handicapée (moi-même inclus) : que le fardeau du choix mortel, implicite dans le droit de mourir, doive être une charge uniformément portée par tous — ou encore,  que ce choix soit universellement proscrit.

         Mais cela étant dit, je me trouve également en proie à des loyautés fortement divisées. Car je me révolte, certes, à ce que la société semble vouloir ignorer le danger qui me guette personnellement (moi et mes semblables) ; mais dans mon cœur de père, je suis très sensible, aussi, à l’argument du danger capricieux qui nous guette dans la normalisation universelle du droit de mourir. Je crains, ainsi, la perte probable de personnes innocentes ; et surtout, je crains la perte de ces êtres, tant irremplaçables, tant précieux, tant vigoureux, mais aussi tant vulnérables ; des êtres que nous avons amené dans ce monde — par optimisme ou par inconscience, délibérément ou par hasard — des êtres envers desquels nous porterons aujourd’hui, et à tout jamais, une obligation sans bornes, c’est à dire : nos enfants.     

     Alors, sans les conditions particulières de mon existence et de mon expérience de personne handicapée – abimée et dépendante — j’aurais sans doute acquiescé, dans cette stratégie de limites médicales (d’exceptions objectives à l’interdit d’homicide), à la manière de la majorité actuelle des médecins, et du grand public. Même plus, dans mon cœur de père et d’handicapé (et pleinement conscient des ramifications de mon choix), j’aurais toujours l’orgueil et l’égoïsme de vouloir sacrifier, non seulement mes propres intérêts, mais ceux, également, de mes semblables (handicapés et malades), à la seule possibilité – probablement illusoire – de pouvoir protéger mes propres enfants.

     Mais toujours là, dans ce dernier recoin de la motivation humaine, il reste encore une tournante ultime dans la spirale d’ironies qui pénètre successivement les couches superposées d’intérêts personnels et de tragédies particulières : car si ce ne sont pas tous les parents qui soient handicapés ; ce ne sont pas, non plus, tous les enfants qui sont bien-portants.

— L’adolescence handicapée : un danger spécifique, totalement ignoré dans la logique existante d’euthanasie volontaire

     Or, qu’en est-il de ces parents dont les enfants ne sont pas bien-portants ? Qu’en est-il de ces cœurs, des pères et des mères, dont les enfants sont handicapés ou malades ? Comment nous justifier le fait que ces enfants (et ces enfants seuls) en proie aux mêmes crises que toute autre jeunesse – autant naturelles que existentielles — soient non seulement pas protégés (et signalés pour les efforts extrêmes de prévention existants), mais au contraire, seront positivement précipités vers le suicide médicalisé ?

     Décidément, nous nous trouvons maintenant dans la situation du clown/sculpteur métaphorique qui manipule un segment de son œuvre où l’air ne pourra plus se comprimer sans exploser le ballon au complet. Car au sein de la classe sacrificielle désignée — pour la plus grande sécurité de la majorité — il existe une sous-classe, particulière, dont le sacrifice serait, de toute évidence, encore plus extrême : une minorité de la population déjà caractérisée par la plus grande vulnérabilité de toutes ; une minorité dont l’abandon se distingue, à mon sens, par la répudiation infame de nos principes de justice modernes les plus chers (et donc de la partie humaine à l’intérieur de nous qui s’en nourrisse) … les enfants malades et handicapés.

     Est-ce réellement de cette façon que nous voulions procéder ?

— Franchement accueilli devant la difficulté du choix : existerait-t-il un dernier espoir dans l’essai empirique des « sauvegardes » ?

     Alors, que faire ? Le sentier de la liberté serait, apparemment, trop franchement engagé, à présente, pour reculer sur le principe. Mais il n’y a pas, non plus — au moins pour l’instant — aucun empressement collectif pour renverser définitivement l’ancien paradigme (d’interdiction de l’homicide et de prévention du suicide). Et dans ce dilemme, nous nous tenons, instinctivement, aux critères d’admissibilité médicaux, dans l’espoir qu’ils puissent nous protéger contre les fruits de notre propre témérité.  

     D’une certaine manière, alors, nous pouvions considérer les malades et les handicapés non-suicidaires, collectivement (et les enfants handicapés en particulier), comme une sorte d’offrande sacrificielle : déposée devant l’autel de l’autonomie personnelle, dans l’espoir non-avoué (et difficilement avouable) que cette propitiation puisse suffire – puisse nous permettre la satisfaction de nous ranger (apparemment) du coté de la liberté — tout en nous épargnant les pertes humaines, plus vastes et douloureuses qui en serait le véritable prix.

     Mais qu’en serait-il des chances réelles que les critères médicaux puissent s’acquitter efficacement de cette fonction limitative ? Quel sera l’aboutissement de ces espoirs ? Est-ce que, par exemple, ces critères pourront vraiment résister à l’élan constant qui nous pousse vers l’élargissement post-moderne de la liberté subjective ? Est-ce que nos espoirs de sécurité dans cette stratégie s’avèreront justifiés ?

     Ou au contraire, est-ce que nous ne faisons pas, actuellement, une erreur monstrueuse — chambardant et polluant la mission médicale ; exposant aux pires dangers discriminatoires les handicapés et malades — sans pouvoir éventuellement éviter l’éclosion de cette liberté générale, tant idéalisée, dont nous craignons toujours les fruits ?

      Est-ce que, pour être précis, nous ne nous engageons pas, présentement, dans une voie de vandalisme, institutionnel et social, dont les effets seront profonds et de longue durée — imprévisible dans la libération destructrice des préjugés ataviques à l’égard de la dépendance — sans pour autant nous épargner les suites prévisibles de nos innovations philosophiques franchement engagées ? Quel sera, enfin, la robustesse réelle de nos critères-sauvegardes objectifs ?

     Chose certaine : en société collective, nous serons ultimement obligés à choisir — que ce soit franchement, ou par défaut ;  et nous serons condamnés, aussi, à vivre avec les suites de nos choix.

     Voilà, enfin, la matière qui nous attend dans la prochaine section de ce texte : « La Pente Glissante »

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante »)

Retourner au début de la section en cours (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi)

Au-delà du suicide et de la mort volontaire, au bas de la Pente, se trouve l’euthanasie simple

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Au-delà du suicide et de la mort volontaire, au bas de la Pente, se trouve l’euthanasie simple)

— Un constat d’impuissance devant l’opération irrésistible de la pente redoutée

     De toute apparence, Il n’eut pas été possible pour nous de permettre le génie du suicide assisté de sortir seulement un bras de la bouteille.  Visiblement, avec le premier déplacement du bouchon, il fut destiné à s’affranchi complètement. Car telle se révèle notre situation présente, manifestement en devenir.

     Vue la nature divisive du débat, autant qu’il y en ait des personnes pour lamenter tel dénouement, autant, aussi, en aurait-il pour s’en réjouir. Pourtant, presque tous, je crois, reconnaitront que notre tâche première (pour réarticuler la thèse centrale de ce livre), consiste maintenant à minimiser les effets possiblement désagréables des changements constatés. Surtout, nous nous devons (d’après cette vision de la matière) de nous attarder aux effets secondaires découlant des justifications et des stratégies ponctuelles qui furent employées, en passant, pour assurer (ou pour contrer) l’avènement de cette liberté suicidaire.

     En particulier, faudrait-il réaliser que la tentative de contrôler la force de ce mouvement social vers un véritable droit à mourir — en utilisant les particularités du contexte médical dans lequel ce droit avait fait ses premiers percées – fut non-seulement infructueuse, mais nous expose présentement à des dangers, spécifiques, qui résultent directement de cette stratégie mal avisée.

     Car la fameuse « Pente Glissante » ne s’arrête pas, maintenant avec la seule liberté de suicide (mort volontaire) assisté ! Grâce à notre médicalisation du suicide ; grâce au pseudo-objectivité des critères qualifiants, ; grâce à l’introduction de cette créature hybride — mi suicide, mi euthanasie, qui soit l’ « aide médicale à mourir » : nous ne pouvons plus restreindre notre étude aux seuls décès volontaires. Nous nous devons aussi de nous demander : Qu’en sera-t-il de l’euthanasie proprement dit ?

— Envisagée lucidement : l’euthanasie simple

     Je prévois ici, bien sûr, une objection robuste, teinte possiblement d’une indignation quelque peu péremptoire, soit : qu’il n’y eut jamais été question de décès involontaires ; que la volonté compétente est (actuellement) la première condition pour juger de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir ; et qu’il n’y aurait pas, enfin, aucune justification pour ouvrir, ici, le sujet d’euthanasie simple !

     Eh bien, autant que j’aimerais pouvoir accepter ces protestations en évidences concluantes, autant je me sens, au contraire, obligé d’examiner ces faits d’une perspective parfois plus large, et parfois plus pointue. Car nous ne sommes pas descendus subitement de la lune ; sortis, figurativement, tout nus derrière les champignons poussés de la dernière pluie. Pas du tout. Ce que nous faisons aujourd’hui s’inscrit dans une continuité, de trame sociale, qui est en marche depuis des siècles et même des millénaires.

     Nous ne sommes pas, ainsi, obligés à tout inventer selon les prétentions de certaines analyses « Présentistes ». Nous avons, au contraire la possibilité de nous informer auprès du passé pour renouer, non avec des espoirs fondés dans l’ignorance, mais avec la réalité de l’évolution en cours. Et sans possibilité de contradiction : Il ne date pas d’hier que les médecins (ou certains de parmi eux) tuent  — et cela avec et sans la consentement du patient.

     Assurément (et n’en déplaise à ceux et à celles dont l’indignation — feinte ou réelle — tendrait toujours à nous détourner de la considération lucide de ces faits) : ce n’est pas tout le monde qui rejette la notion d’un programme euthanasiste, utilitaire et systématique. En conséquence, il n’y aurait rien d’automatique dans la renonciation de cette option politique (si renonciation il en aura). Tout au contraire, il nous faudrait, désormais, la démonstration firme d’une volonté, consciente et majoritaire, pour arrêter le progrès conséquent de mécanismes théoriques et institutionnels qui se trouvent déjà en mouvement.

     Car l’euthanasie, elle, ne se trouvent pas limitée aux seuls décès volontaires, ni dans la théorie, ni dans la pratique, ni dans les temps lointains, ni au présent, ni ailleurs, et — n’en déplaise au plus confiants – ni chez nous. Ces pratiques se poursuivent déjà en douce, depuis toujours, et se présentent, à l’heure actuelle, sous des visages toujours plus hardis devant l’opinion publique.

     Considérons seulement l’idée d’euthanasier des enfants ou des personnes âgées souffrantes de la démence – deux sujets d’actualité à l’heure d’écrire ces lignes —  et nous nous trouvons immédiatement à la limite, soit à l’extérieure, des balises réconfortantes de choix.

     Il ne s’agit plus, alors, de savoir si, oui ou non, les questions d’euthanasie simples seront abordées ouvertement bientôt : ces questions sont bel et bien engagées dans notre présent. Elles se présentent, en fait, dans une continuité de débats (et de pratiques), oubliées, possiblement, à la manière d’un volcan dormant : mais toujours positionnées pour ressurgir ; et pour exiger de nous des décisions conséquentes.

 — La continuité conceptuelle de l’euthanasie : un grand danger ; averti jadis, mais non éliminé pour autant

     Pour rappeler brièvement les faits : il y avait, au cours de la première moitié du vingtième siècle, une tendance importante vers l’acceptation d’un usage étendu de l’euthanasie utilitaire pour des fins collectives, dont nous nous en souvenons sous l’appellation « Eugénique ». Ces buts, précisés sans détours, furent : l’évacuation sociale (en exercice d’hygiène génétique et économique) des spécimens dépendants, improductifs, ou déficients.

     Cette théorie s’est distinguée, bien-sûr — dans son application la plus fidele — pendant la période Nationale-Socialiste en Allemagne (1933-45) ; mais elle trouva sa première véritable terre de germination aux États Unis (et en Angleterre), associée, au départ, non avec les noms de Goebbels, de Himmler et de Hitler, mais avec ceux, plutôt, de Churchill, de Alexander Graham Bell, de Peter et de Helen Sanger (fondateurs de Planned Parenthood), de John Harvey Kellog, du Président Wilson, et de Charles Darwin (petit-fils du célèbre défunt). Ni fut-elle définitivement répudiée depuis cette époque

     Car tout comme le marxisme économique, souvent défait et exhaustivement discrédité — mais toujours capable de refleurir dans chaque génération (malgré la vaste destruction qui en soit manifestement attribuable) — il existe d’autres filons idéologiques — franchement inavouables dans leurs origines mais non moins séducteurs — qui nous furent également transmis, directement et sans interruption depuis cette période houleuse ; mal compris peut-être (et mal identifiés, certes) mais pas moins présents, ni moins influents.

     La logique de l’euthanasie utilitaire, en somme, n’est aucunement dépassée : elle possèdent toujours toute sa promesse de prétendues économies pour l’État Providence ; et elle trouve toujours des gens pour la promouvoir : des gens dont les paroles seront savamment adaptées aux paramètres du débat ponctuel, mais qui parvient, tout de même, à pousser ces paramètres aux limites de l’acceptable ; des gens d’ailleurs, qui ont, eux aussi, une idéologie parfaitement claire et clairement articulée, qui demeure : le débarras collectif de tout individu improductif et dépendant (voir « souffrant ») ; ou plus scientifiquement : la redirection rationnelle des ressources.

     Surtout, et chose possiblement quelque peu déroutante : il ne suffira pas d’en signaler la nature « mal », pour s’en épargner. Car il existe, tel qu’affirmé ci-haut, des gens dont les systèmes éthiques — parfaitement rigoureux mais partant d’axiomes différents – en proclamera le contraire. Et, alors, tout choix social au sujet de l’euthanasie dépendrait éventuellement de la volonté, de la persuasion, et de la politique.

— Suicide personnel ? Ou homicide de l’État ? Un choix de nature politique qui s’impose

     Pendant soixante-dix ans, très heureusement, nous n’étions plus obligés d’argumenter autour de ces questions, grâce au consensus profond sur la valeur inconditionnelle de la vie humaine, qui fut si durement gagné dans les expériences Fascistes et Communistes, et au cours des deux grandes Guerres Mondiales qui en furent à la fois les précurseurs et les résultats. Ce fut une expérience gagnée dans la dévastation inouïe qui fut produit, à cette époque, par la banalisation étatique de cette vie, et dont l’euthanasie systématique n’en fournit qu’un exemple parmi d’autres.

     Depuis soixante-dix ans, alors, nous en étions épargnés. Mais aujourd’hui, grâce à la double nature de l’euthanasie volontaire (habilement cachée dans l’euphémisme rassurant de « l’aide médicale à mourir »), nous devrons, de nouveau, faire face aux menaces de cette banalisation.

     Car où se trouve, au juste, une ligne de démarcation ferme entre la libre disposition de sa personne (suicide), et l’homicide des malades/handicapés (euthanasie) ? Quand l’assistance au suicide sera justifiée en fonction des mêmes critères scientifiques et médicaux qui se trouvent à la base de l’euthanasie simple ; et que l’action suicidaire, elle-même, soit déjà remplacée par l’intervention directe du médecin ?

     Que peut-on dire, enfin, au sujet d’une paroi conceptuelle infranchissable pour limiter l’expansion future des pratiques de l’euthanasie ? Est-ce que nous avions toujours le loisir, à ce point, de dresser une barrière à laquelle nous pouvions nous fier ? Est-ce que nous pouvions encore exclure les « incapables » (ou même les gens capables dont le refus sera jugé « antisocial » ou « irrationnel ») ? Ou est-ce que, au contraire, nous nous trouvions, déjà, devant une pente uniforme et continue, qui reliera inéluctablement le suicide, et le suicide assisté — devenu (grâce aux critères médicales) l’euthanasie volontaire — à l’euthanasie tout court ?

     Eh bien, cela dépend, encore, du cadre philosophique que nous invoquerions pour justifier les suicides actuels.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Au-delà du suicide et de la mort volontaire, au bas de la « Pente », se trouve l’euthanasie simple — L’euthanasie des « incapables » : devenue incontournable selon le paradigme de morale objective)

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Le régime canadien des soins-santé : un détournement constant des argents récoltés (à la fois subtil et grossier) — l’âne et la carotte

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : Le régime canadien des soins-santé : un détournement constant des argents récoltés (à la fois subtil et grossier) — l’âne et la carotte)

— Des ressources qui furent volontairement consenties

     De manière tout à fait extraordinaire, au moment de la « socialisation » de la médicine canadienne, la population de ce pays s’est révélée désireuse (et même empressée) de payer plus d’impôts !

     Nous nous en conviendrions, j’espère, que ce soit là un fait non seulement inusité (d’après notre compréhension historique), mais — outre les exigences de la guerre – un fait presqu’unique. Et voilà, de nouveau, l’indice irréfutable de la place importante que prenne le désir de vivre dans la psyché humaine, et éventuellement, dans l’économie et la politique également. Pourtant, cette promptitude à payer s’est manifestée seulement dans ce but, et aucune autre : de s’assurer (personnellement) d’un accès facilité aux soins curatifs avancés.

     Il y avait, donc, entente (et un fort souci d’origine) de maintenir une stricte distance entre les ressources propres à ce régime d’assurance médicale, et les coffres généraux de l’État. Aussi, le gouvernement se contenta, au départ, de financer seulement les services préalablement disponibles, et ceux-ci, dans leur forme existante.

     Cependant, n’en demeure pas moins ce fait tant significatif : que pour la première fois, la force financière qui avait soutenu, depuis toujours, les plus folles dépenses dans la quête de l’immortalité — ce désir primordial d’auto préservation et de dépassement des limites humaines qui avait ruiné tant de Princes et érigé les Pyramides – ait été mise (au moins en partie) à la disposition de l’État Providence.

     Nul ne serait donc surpris, je crois, d’apprendre qu’une partie de ces sommes ait pu être dirigée ailleurs.

— Une appropriation inévitable

     Remarquons, d’abords, que de telles redirections de fonds publics représentent une fonction des structures budgétaires de l’État qui soit presqu’automatique dans son opération. Car l’argent des comptes étatiques se comporte — avec une parfaite prévisibilité — selon les propriétés des gaz libres : qui se déplacent toujours des zones de pression forte vers celles de pression plus faible.

     Or, la santé, parmi toutes les responsabilités gouvernementales, est celle pour laquelle les citoyens auraient démontré le plus d’empressement à payer. Alors c’est ici que les fonds publics se remassent avec le plus de sureté, dans la plus grande opulence et concentration. Il y aurait, donc, tendance irrépressible (selon notre analogie physique) pour ces argents de se déplacer vers d’autres besoins moins nantis au départ.

     En conséquence – et largement à l’insu du contribuable — la « Santé » fonctionne, en réalité de nos jours, comme une énorme vache à lait étatique, utilisée pour presque tout, et par presque tous.

— En premier lieu, la santé publique

     Dès le moment que l’État commença à financer les services médicaux, elle commença, également, à marchander sur la nature de ceux-ci. Car étant payeur, le gouvernement devint du même coup acheteur, et depuis tout temps ce serait le privilège strict de l’acheteur de stipuler les services et produits qu’il désire acheter. Il s’est produit, donc, une rupture dans la trame évolutionnaire des services de soins personnels médicaux, jadis développés en réponse directe aux désirs du patient-payeur, mais qui répondait, maintenant, de plus en plus, à ceux de l’État.

     Très évidement, face à cette distinction entre l’intérêt privé (en matière de santé personnelle) et l’intérêt collectif (de santé publique), il serait complètement compréhensible que des fonds récoltés pour satisfaire au premier ait été détournés pour satisfaire au second.

     Ce qui est moins facile de compréhension, pourtant, ce sont les résultats éventuellement obtenus. Car si la pression brute nous parait parfaitement impersonnelle (qui produit ce mouvement mystérieux des argents entre les différentes postes du budget planifié) l’opération en détail demeure le fait idiosyncratique des « planificateurs » en présence.

— L’octroi compétitif des budgets « gérés » se substitue à « la main invisible » du marché 

     Il existe à cet égard, une idée, fausse mais assez répandue, à l’effet qu’il n’y a pas d’allocation compétitive des ressources à l’intérieur d’un system économique étatique. Mais ce serait loin de la réalité, car compétition il y en a, et une compétition des plus énergiques. Cependant ce sera d’un tout autre genre, et avec des résultats qui soient tout autres également. Car au sein d’un marché libre, les producteurs des services se mesurent franchement les uns contre les autres dans leurs efforts de satisfaire aux exigences des clients. Mais dans une industrie gérée par l’État, tel le système de Santé publique au Canada, les « intervenants » n’ont de souci que de plaire aux gérants attitrés, dont les décisions se relèvent, ultimement, de la préférence personnelle.

     De plus, les initiatives publiques ne sont pas sujettes à cette discipline finale des entreprises privées qui soit la faillite. Et il s’ensuit, alors, que tout peut se justifier (et peut se perpétuer) à l’intérieur d’un tel système — à travers toute la gamme allant des fantaisies les plus osées jusqu’au fraudes les plus sordides — du moment que celles-ci soient correctement structurées, que leurs justifications soient articulées en fonction des critères voulus, et que (chose ultimement déterminante) que la satisfaction des promoteurs soient agréable aux autres intervenants qui se côtoient dans cet écosystème collégial de compromis et de pouvoir politique.

— Une compétition dont la férocité se limite seulement par l’ampleur des ressources en jeu : le détournement au détail

     La chaleur de la compétition budgétaire à l’intérieure des industries sous contrôle étatique, serait, donc, une simple expression de la taille du trésor qui s’y trouve disputé. Et dans la circonstance qui nous intéresse, ce trésor est tellement énorme, qu’un peu tout le monde, avec une cause à défendre, s’applique activement à tenter de s’en accaparer de quelques miettes.

     Avec la créativité propre, alors, à ce genre d’entreprise, divers intervenants ont réussi à définir et à redéfinir le sens du mot « santé » pour inclure de plus en plus d’initiatives extérieures aux intentions de départ. Même que, au moment d’écrire ces lignes, non seulement les plus petites, mais toutes les plus grosses préoccupations de société (déjà grassement soutenues à leur endroit propre) se sont parvenues, aussi, à s’attirer des fonds de la coffre « santé » : car (bien sûr), le changement climatique, le racisme, le sexisme, ou les droits des autochtones (pour ne nommer que celles-ci) sont aussi des problèmes « médicaux » en autant que l’on veuille bien les définir ainsi.

     À la fin, alors, ces opérations se serait soldées par un vaste labyrinthe budgétaire de programmes, d’infrastructures, de départements académiques (et de bureaucratie pure) — c’est à dire : par une confusion de mandats et de budgets dans laquelle une chatte ne trouverait plus ses petits ! Le tout, chaotiquement et confortablement étendu, sous la parapluie nomenclaturale, tant inclusive, du « Ministère de la santé et des service sociaux ».

     Mais malheureusement, là encore nous n’avions pas tout dit, car pour expliquer la pénurie actuelle de vrais services médicaux, au Canada, il faut compter, aussi, les sommes massives qui sont simplement ôtées de la Santé pour apparaitre ailleurs, à d’autres postes budgétaires des plus éloignées, sans même recourir aux supercheries transparentes (d’échelle plus modeste) que nous avions déjà signalées.

— Le macro-détournement

     Premièrement, au fil des années, et face aux multiples crises budgétaires ponctuelles, différents gouvernements avaient établi des précédents pour « emprunter » des liquidités provenant des réserves du régime embryonnaire d’assurances-santé, de sorte que (dans les faits), les primes d’assurances perdirent leur distinction dans la masse des revenus généraux. Les dépenses courantes de santé, pour leur part, étaient simplement payées à partir des revenues courantes (ou à défaut : par des sommes empruntées). Et c’est ainsi que, finalement, tout le monde s’est entendu pour admettre que la solvabilité future des régimes ne fut assurée, en réalité, que par le crédit de l’État. Et de ce fait, aussi, tout souci de maintenir un régime strict d’assurances, qui soit équilibré dans les revenues et les obligations, — et justifié par des dépenses précises et prévues — s’est progressivement perdu.

     Et pour terminer la description de cette transformation, sans rentrer dans des faits trop nombreux pour inclure ici, notons seulement qu’à l’heure actuelle, le gouvernement fédéral canadien transfère des sommes calculées explicitement pour répondre aux besoins-santé de chaque province, mais à l’intérieure d’une enveloppe globale (pour les besoins divers), de sorte que la partie réellement affectée à la santé, relève éventuellement de la discrétion ponctuelle de chaque province.

     Dans un mot : ces sommes servent, en réalité, à n’importe quoi.

— Ce qui reste des soins auprès de la population

     Nous nous trouvons, donc, de notre présent, dans une situation ou les argents disponibles pour rencontrer les besoins en soins curatifs (calculés en fonction de la demande potentiellement illimitée) sont insuffisants, non seulement dans l’immédiat, mais en principe, et en théorie de façon permanente ; tandis que même parmi les argents, très substantiels, qui sont actuellement récoltés (et ostensiblement promis à cette fin), une partie importante dont la proportion exacte est indéterminée — et vraisemblablement indéterminable — se trouve détournée au profit d’autres priorités, petites et grandes, des plus diverses.

     C’est à dire que la population se trouve dans une situation quelque peu analogue à celle d’un âne qui tire un chariot en suivant une carotte. Car elle fournit tout l’effort demandé, mais elle n’atteigne jamais à la satisfaction promise.

— Une conclusion exaspérante

     L’État ne parvient jamais, par exemple, à diminuer le temps moyen que le client doit patienter — soit dans les salles d’urgence, soit pour un examen ou pour une opération chirurgicale, soit encore pour le placement dans un centre de longue durée — tout comme l’âne proverbial ne goûterait jamais à la carotte. Mais sous la promesse toujours renouvelée de ce mirage de satisfaction, le gouvernement parvient quand même à rajouter encore (et encore) du poids dans le chariot qu’il fait tirer.

      Ainsi, en ce qui concerne les soins-santé proprement dits, nos dirigeants se servent effrontément de l’impératif santé, avec tout l’enthousiasme irrationnel généré par son évocation, pour récolter un maximum de revenues, mais de faire, dans les faits, le minimum possible.  Et au cas où quelqu’un, de parmi la classe politique, se montre suffisamment téméraire pour questionner la largesse des budgets-santé de manière globale, la réponse ministérielle revient, invariablement, par des hypothèses médiatisées au sujet de coupeurs de postes — non au fond des vastes cavernes bureaucratiques ou académiques — mais parmi les infirmiers des hôpitaux de pointe, c’est à dire : dans la première ligne des services aux contribuables !

     Tel, enfin, est la triste histoire du régime publique d’assurance médicale Canadienne, soigneusement (et rationnellement) circonscrit au départ, mais transformé tranquillement en caisse ouverte, dont la raison d’être – en large partie oubliée – s’est vue négliger dans la même mesure.

     Décidément, les contribuables et les décideurs impliqués dans l’élaboration de ce projet n’avaient aucune idée des proportions que cette petite entorse, à la logique collective de la responsabilité d’état, serait éventuellement destinée à prendre. Pourtant, ce fut une proportion actuellement estimée à presque trente pour cent du budget total de l’État Canadien  –fédération et provinces combinées — toutes catégories de dépenses confondues !

    Toujours est-il, cependant, que le patient type se doit de rester vingt-quatre heures durant, sur une civière, dans le couloir, aux salles d’urgence des plus prestigieux hôpitaux au pays ! Car, nous avons créé un système où des argents nouveaux y sont constamment consacrés, mais où jamais les services ne s’améliorent pour autant.

     Visiblement, le tout serait façonné comme une vaste installation de plomberie, d’une complexité incompréhensiblement serpentine, où des fuites et des détournements — presqu’omniprésentes — nous empêchent, en permanence, de remplir la baignoire ! Et ce : quelle que soit la volume de l’alimentation d’eau affectée à cette tâche première !

     La situation, bien entendu, se prête facilement au ridicule (et j’espère que le lecteur me pardonnera d’avoir eu l’indiscrétion de m’y être complu quelque peu dans ce sens) ; mais elle est aussi non moins réelle ; et surtout, elle ne se prête pas facilement à des solutions.

     Or, l’efficacité se trouve toujours prioritaire parmi les préoccupations économiques. Mais dans une situation semblable à celle que nous venions de décrire, là où la demande progresse toujours, tandis que les moyens disponibles, pour satisfaire cette demande, sont déjà atteints et même largement dépassés (et où, en surcroit, même les ressources existantes sont sujets aux détournements systématiques) : la recherche de l’efficacité devient un véritable fétiche !

     Ou, pour saisir l’essentiel : Dans la livraison des services-santé personnels, auprès des citoyens, au sein du régime public canadien, on voudrait impérativement faire de plus en plus… avec de moins en moins.

     Et c’est ainsi que nous passerons, maintenant, aux mesures dites « d’économie ».

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : Les mesures d’économie : les soins ambulatoires et les soins à domicile ; la prévention ; la médecine alternative)

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