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juin 2020 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— Comment expliquer cet acharnement débridé dans la victoire des promoteurs de l’euthanasie, à l’intérieur, comme à l’extérieur, de la profession médicale ?

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine —  Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : De la manière dont les médecins canadiens furent servis par l’état — Comment expliquer cet acharnement débridé dans la victoire des promoteurs de l’euthanasie, à l’intérieur, comme à l’extérieur, de la profession médicale ?)

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En vertu d’une motion adoptée le 4 décembre 2009 par l’Assemblée nationale du Québec, une commission a été créée en vue d’étudier la question du droit de mourir dans la dignité. Le rapport de la Commission a été déposé le 22 mars 2012.

Sous la présidence de la Docteur Justine Farley (portrait ci-haut) l’Association québécoise de soins palliatifs s’est prononcée devant cette commission dans les termes suivants « Les soins palliatifs ne reconnaissent pas l’euthanasie et le suicide assisté comme un soin, un soin approprié ou un droit »

Et aux dires personnels de la Docteur Farley : « des soins palliatifs de qualité ne peuvent considérer l’euthanasie ou le suicide assisté comme un élément de l’approche palliative »

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     Considérant l’état très divisé de l’opinion médicale au sujet de l’euthanasie ; considérant que 70% des médecins annonçaient, au départ, leur refus de participer personnellement à cette pratique ; considérant, encore, que 30% exprimaient toujours leur conviction qu’aucun médecin ne dût posséder cette option létale : nous étions en droit, je soumets, de nous attendre à ce que le nouveau régime d’euthanasie volontaire eût été introduit avec la plus grande sensibilité, et surtout, en prenant grand soin de déranger, le moins possible, les conditions de pratique des médecins qui demeuraient opposés, ou ambivalents.

     Étrangement, par contre, il n’en fut rien.

     Il est vrai que soit apparu, depuis quinze ou vingt ans, la perception d’une certaine inévitabilité autour de la légalisation éventuelle du suicide assisté. Mais cette attente aurait pu être pleinement satisfaite avec une simple décriminalisation de cette aide. Comment comprendre, alors, que l’assistance au suicide ait été transformée en euthanasie ; que la simple possibilité légale pour un patient de chercher une telle aide ait été transformée en droit universelle de tout citoyen ; et pour les médecins : que la possibilité d’offrir de l’aide au suicide ait été transformée dans une obligation collective de collaborer, toujours et partout, avec un régime omniprésent d’euthanasie institutionalisée ?

     Impossible, je crois, d’éviter le constat d’un acharnement maladif de la part des vainqueurs dans cette lutte idéologique, qui se manifesta, et à l’intérieur de la profession médicale, et dans les rapports extérieurs de celle-ci, avec son partenaire d’état : car la pression exercée sur cette profession avait bien des composants, à la fois interne et externe.

     Dans le deuxième de ces cas, les circonstances décrites doivent être placées dans le continuum historique particulier qui caractérise l’évolution de la médecine sociale, au Canada. Car tel que nous l’avions déjà intimé, l’implémentation de ce régime dépendait surtout d’une promesse préalable : que la liberté décisionnelle, dont jouissaient auparavant les médecins, ne serait jamais enfreinte, ou plus simplement, que la pratique médicale ne serait pas modifiée par l’État payeur.

     Cependant, il serait immédiatement apparent, je soumets, qu’une telle division d’autorité ne pouvait jamais se présenter comme d’autre chose qu’une juxtaposition de priorités — médicales et économiques — en situation d’instabilité permanente. Et il ne devait surprendre personne, donc, que les cinq premières décennies, canadiennes, entre la socialisation de la médecine (1968) et l’introduction de l’euthanasie (2016), se soient passées dans une série de conflits quasi inévitables (et presque continuels).

   À l’interne de la profession, aussi, il y avait âpre conflit, car les quelques médecins favorables aux interventions homicides (et même très vocaux à la revendication de cette pratique), se sentaient très naturellement les cibles d’un procès d’intentions éthique, dont ils refusèrent, d’emblée, les prémisses. Et selon le principe du petit chien qui jappe plus fort, l’infériorité numérique de la faction euthanasiste, rendait leurs comportements toujours plus provocants et agressifs. Bref, à l’interne, comme à l’externe, il y avait des anciens comptes à régler, et un danger corollaire : que le parti vainqueur ne se montre moins que gracieux.

     Mais quelle que soit l’explication, les faits sont là, significatifs et indisputables.

— Un dépassement regrettable des intentions annoncées

Comme des mariées de circonstance, décidées à accueillir aimablement les violences inévitables qui les seraient imposées de toute façon, les corporations médicales canadiennes avaient choisi de réagir à cette démonstration de main forte avec la résolution docile — annoncée bien avant l’imposition du fait accompli — d’accepter avec indulgence (et sans trop d’analyse) les assurances proférées préalablement avec tant de profusion par l’autorité législative : qu’il n’y aurait pas d’effet global sur la pratique médicale ; qu’il n’y aurait pas de « pente glissante » ; et surtout, que la « liberté de conscience », de chaque médecin, serait respectée.

      Mais cette attitude formellement collaboratrice ne suffisaient pas pour autant. Car dans leur moment de victoire, les acteurs gouvernementaux, ainsi que les architectes médicaux du nouveau régime, se sont montrés insatisfaits à l’idée de cacher leur enthousiasme triomphaliste sous une telle feuille de vigne protectrice des sensibilités des vaincus. Non ! Non seulement vaincraient le pouvoir politique (et les frondeurs médicaux), mais ils insisteraient, aussi, pour vaincre visiblement ; pour mettre, publiquement, à la main et au pas, leurs adversaires historiques.

     Et pour rendre cette leçon absolument claire vis-à-vis des plus récalcitrants, le pouvoir politique s’est immédiatement attaqué au cœur de la résistance résiduelle, soit : aux Soins Palliatifs.

— Le défi au pouvoir qui fut posé par les praticiens, et par les institutions, des Soins Palliatifs

     Les spécialistes des Soins Palliatifs, sont, pour rappeler ce fait essentiel, les adversaires naturels du projet euthanasique ; et leur opposition — fondée dans une théorie, et dans une pratique des plus réussies, élaborées sur une période de cinquante ans et plus — représentait un des plus forts obstacles à l’implémentation de ce nouveau programme. Pour être plus précis : ces médecins manifestèrent, sur le coup, un rejet quasi-unanime du principe même de l’euthanasie ; ils annonçaient leur intention de s’abstenir de cette pratique ; et ils procédaient résolument avec la promesse que l’ensemble des institutions, résidences, et départements d’hôpital sous leur responsabilité, se soustrairaient d’emblée de tout implémentation entrepris ailleurs.

     La rebuffade ainsi offerte aux auteurs du programme officiel d’euthanasie fut d’autant plus sérieuse que l’existence d’unités de Soins Palliatifs non-participantes fournirait la base structurelle nécessaire à la survie, et au développement, d’un deuxième modèle de soins. Évidemment, une telle coexistence porterait, en elle, la possibilité d’une véritable comparaison clinique, et même (à terme) d’une répudiation formelle, et scientifique, de la légitimité médicale de l’euthanasie. Et même dans l’absence d’une telle clarté de dénuement (c’est à dire, même en admettant la continuation d’un différend professionnel sans résolution prochaine), la poursuite, organique et autonome de la théorie, et de la pratique, des Soins Palliatives, promettrait une compétition permanente qui aurait tendance, toujours, à enfreindre la perception, la demande — et donc la normalisation — de la pratique institutionnelle de l’euthanasie.

     Dans un mot : la menace proférée par les spécialistes des Soins Palliatifs — à tout le projet d’euthanasie — en été une de la première importance ; et le pouvoir politique, instinctivement jaloux devant toute contestation directe, répondit avec force et avec énergie.

— Le triste sort réservé pour ces spécialistes, et pour cette spécialité

     La réponse, d’ailleurs, ne tardait aucunement à venir. Car en vertu de la loi 52 (Québec, 2014), « l’aide médicale à mourir » avait été proclamée en « soin de fin de vie » universellement garanti par l’État, dont toute la population avait le droit, désormais, de s’en prévaloir. En conséquence, ce « soin » devait être disponible dans tous les recoins du vaste système du monopole publique ; et plus particulièrement : les unités, institutions et résidences qui offraient les Soins Palliatifs, furent informées qu’ils devaient immédiatement offrir ce service. C’est à dire : les fournisseurs des Soins Palliatifs — tous sans exception — furent commandés d’intégrer cette nouvelle option d’euthanasie, qui était (et qui reste toujours) antithétique dans sa nature essentielle, et à la philosophie, et à la théorie clinique, dont ces professionnels avaient tiré, jusqu’alors, leur inspiration identitaire.

   En même temps, Les médecins promoteurs de l’euthanasie, fort aise de leur victoire apparemment concluante, se sont lancés dans un jeu institutionnel extrêmement agressif — de place et de pouvoir — dans le but d’assimiler carrément les Soins Palliatifs traditionnels ; en se présentent, eux-mêmes, comme les disciples fidèles (ainsi que les chefs naturels) d’un nouveau régime « unifié », de soins de fin de vie, tel qu’imaginé par le législateur.

     Non seulement l’État aurait choisi, alors, d’affirmer son droit ultime d’employeur monopoliste, mais, dans le dossier des Soins Palliatifs, il choisit de ce faire avec une méthode qui semblait positivement étudiée pour humilier ses adversaires : en les forçant d’accepter ses dictats sans réserve ; en modifiant effectivement le sens théorique qu’ils eurent donné à leur propre spécialité ; et (chose non-négligeable dans une perspective future), en faisant de leur cas un exemple objet des suites prévisibles de toute contestation.

     À la vue des observateurs lucides, donc, le gant de velours proverbial de la politique appliquée avait glissé suffisamment, dans ce moment, pour exposer avec clarté la main de fer, nue, avec laquelle l’état offrit délibérément cet affront indéniable et tant significatif : des lors, la définition de la meilleure pratique médicale ne serait plus l’affaire des médecins, ni individuellement, ni collectivement ; elle ne procéderait plus sur un base de compétition philosophique, scientifique, ou commerciale ;  elle dépendrait, désormais, d’un simple exercice politique ; elle serait une prérogative de l’État.

— Un réveil rude ; un constat désagréable

     Et c’est ainsi que la confiance témoignée par les plus optimistes, s’est brusquement montrée fausse dans les faits : la décriminalisation de l’euthanasie ne s’est pas accompagnée par une réaffirmation globale de la liberté professionnelle. La nouvelle possibilité de « soigner » les patients avec une mort volontaire n’était pas équilibrée par la confirmation d’un pouvoir équivalent, pour la majorité, de poursuivre sans entrave leur pratique traditionnelle. Au contraire, la crédibilité de ces sophismes et de ces platitudes s’est subitement évaporée devant le mandat forcé de l’euthanasie au cœur même de l’opposition résiduelle qui furent les Soins Palliatifs.

Oui. Le « droit de conscience » de chaque médecin serait respecté (au moins dans le sens archaïque le plus restrictif de celui-ci), mais l’État — fort de son autorité budgétaire, administrative et structurelle — décréta qu’il n’y aurait plus de département — d’unité, ou d’institution — dont l’euthanasie serait exclue. Désormais, aucun médecin (ou groupe de médecins) hippocratique, travaillant dans le régime étatique unique, pouvait poursuivre la réalisation de son idéal professionnel de façon conséquente : finies, la formation et la gérance d’équipes de travail (et encore plus d’institutions) voués à la proposition que l’euthanasie soit contraire au bien du patient, et cela, en dépit de la crédence largement répandue dont jouit cette idée, toujours, au sein de la profession médicale.

     Même dans le microcosme de l’unité clinique individuel, la médecine intégralement hippocratique fut devenue impossible, c’est-à-dire, littéralement illégale, au sens des interprétations règlementaires et administratives.  Il n’y aurait, donc, plus de compétition pluraliste ; il n’y aurait plus de recherche libre dans la méthode clinique ; et le statut particulier d’indépendance professionnelle possédée autrefois par les praticiens de l’Art Médical serait effectivement remplacée, au Canada (au moins face à cette question fondamentale de l’euthanasie), par une relation simple de mandataire/technicien vis-à-vis de l’employeur unique, monopole d’État.

Tel est le triste constat de fait.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : La crise effective des médecins : Voulez-vous entrez dans mon Salon, Madame (dit l’Araignée à la Mouche) ?)

La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix : Partie C : l’euthanasie et la médecine : Section III : Une société en rupture : Chapitre : La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo)

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L’absinthe, poétiquement nommée « la fée verte », était longtemps la boisson distillée caractéristique de la France. Apparue en 1792 comme recette artisanale d’élixir médical, elle ne cessa d’agrandir sa part de marché des boissons fortes, particulièrement sous la marque de commerce « Pernod et fils ».

Grace à une perception négative, cependant, concernant la violence et la dépravation observées parmi certaines de ses adeptes (rendus célèbres à cet égard), l’absinthe fut bannie de plusieurs pays, incluant la France, circa 1915. Cette virulence d’opposition à l’usage de l’absinthe fut le résultat d’une conviction générale voulant que certaines traces d’ingrédients psychotropes en faisaient une préparation particulièrement dangereuse. Or, Selon une pétition en faveur de la Tempérance (1907) :

« L’absinthe rend fou et criminel, provoque l’épilepsie et la tuberculose, et a tué des milliers de Français. Elle transforme l’homme en bête féroce, la femme en martyre, et l’enfant en dégénéré. Elle désorganise et ruine la famille, et menace le futur de la patrie. »

Toujours est-il, que l’absinthe fut de nouveau légalisée de notre époque (la France 1988, la Suisse 2005, les États Unis 2007), car selon le jugement contemporain : « les propriétés psychotropes de l’absinthe furent exagérées (outre celles de l’alcool). »

Ce qui peut, dans le contexte du récit en cours, se passer de commentaire.

Photo : Distillerie industrielle de l’absinthe, en France, circa 1905

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— l’industrialisation du « plaisir »

     Qui dit modernité, dit surtout : technologie. Qui dit technologie, dit surtout : pouvoir… le pouvoir, par exemple, d’une machine sous l’impulsion d’un cheval, qui pouvait nettoyer 50 livres de coton dans une journée, là où un esclave, auparavant, n’aurait pu nettoyer qu’une seule livre, à la main. Tel fut l’apport immédiat du célèbre « coton gin » de Eli Whitney (1765 – 1825) ; et l’effet bien sûr, en conjugaison avec l’arrivée du tissage industriel, au métier à vapeur, fut une diminution dans le prix des textiles qui mettaient celles-ci, désormais, à la disposition de presque tout le monde.

     L’industrialisation du brassage, de la fermentation, de la distillation et de la conservation des boissons alcoolisées, comme nous l’avions remarqué précédemment, produisit un phénomène similaire de démocratisation : de la demande, et de la satisfaction de celle-ci.

     Or, l’industrie du plaisir avait plusieurs constituants (et en a toujours), dont : la boisson, la prostitution, le jeu, les spectacles, et les « sports » (combats et courses). Et puisque la boisson était le carburant principal qui favorisait, à cette époque, l’impulsivité caractéristique de la satisfaction des appétits charnels, l’accessibilité accrue de la boisson augmenta nécessairement la demande pour tous les autres services de divertissement, également. Et bien que cela impliquait la création de nouvelles opportunités commerciales (et culturelles), ainsi que de nombreux emplois de service et de sécurité, elle favorisa, aussi, une fort agrandissement du secteur criminel (notamment l’industrie du prêt usurier) ; et finalement, elle imposa (avec une parfaite prévisibilité économique) le besoin de trouver toute cette chair humaine (une véritable entreprise d’esclavage dont nous nous en souffrons toujours) qui fut nécessaire pour alimenter les spectacles, les combats, et les bordels (pour ne pas nommer, aussi, les syndicats de coupe-bourses juvéniles et les « filles » dans la rue).

     Essentiellement, donc, on peut concevoir l’industrialisation de la production de l’alcool, comme la cause d’une démocratisation de l’industrie du plaisir qui généralisa les vices préalablement associés avec l’aristocratie : aux bourgeois (et même à une bonne partie de la classe ouvrière), accompagnée d’une augmentation importante de la classe criminelle, et de l’exploitation humaine.

     Ce n’est pas dit, par contre, que l’appétit de la violence en spectacle, des jeux de chance, ou des relations illicites, était plus fort à cette époque qu’auparavant ; seulement — pour la première fois — la satisfaction de ces appétits devenait économiquement rationnalisée et industrialisée à l’image du temps.

     Or, les effets sociaux qui en résultèrent, furent — pour le moins dire — profonds ; et les réflexions des intellectuels contemporains de l’époque nous seront, décidément, de la plus grande assistance dans notre quête de comprendre la signification de ces influences, dont les échos réverbèrent, toujours, dans notre vie présente.

— Les reflets contemporains de la révolution moderne des mœurs, dans la littérature et dans les sympathies instruites : L’Angleterre pudique ; la France introspective

     De manière générale, la nation anglaise (et cela même si les effets de la révolution industrielle progressaient plus rapidement dans ce pays), se conformait largement, dans une auto-censure littéraire qui cachait délibérément les réalités courantes de ce dix-neuvième siècle charnière, dans un but d’en isoler la domesticité idéalisée des classes bourgeoises. Alors, même si le discours politique — avec les rapports des journaux, et les mobilisations sociales — ne laissaient aucun doute sur le développement dans ce pays des pires séquelles de l’industrialisation, c’est en France que l’exploration psychologique du phénomène « moderne » s’est pratiquée avec le plus de candeur. Et le fruit de cet examen fut, malheureusement, loin de fournir un portrait positif.

     Il s’en dégageait, en fait, un air de sophistication et d’urbanité devant la réalité omniprésente du vice, qui se veut généralement philosophique, mais qui témoigne aussi, d’une tristesse certaine, teinte au moins d’inquiétude, sinon de dégout. Et dans le cas de certaines voix iconiques du temps, nous y retrouvions un véritable cri de détresse, sociale et politique, d’une clairvoyance extraordinaire.

    Considérons, à ce titre, Alfred de Musset (1810 – 1857) et son œuvre maitresse, « La confession d’un enfant du siècle » (1834).

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Alfred Louis Charles de Musset-Pathay

— Alfred Musset : La voix d’une première « génération perdue »

     La notion de « génération perdue » fut articulée, d’abord, pour nommer la jeunesse devenue adulte au cours de la Première Guerre Mondial et qui n’en revenait tout simplement pas de cette expérience. Mais les cohortes de la Dépression et de la Contre-culture des années soixante peuvent aussi affirmer leurs droits à ce titre, et par la suite, chaque génération s’est plainte à son tour, d’une nouvelle rupture affective, plus ou moins radicale, avec la trame historique de notre civilisation.

     On pourrait même en conclure que la conviction intime d’un statut spécial — et d’une aliénation essentielle — soit le propre de la jeunesse depuis toujours ; et telle est, réellement, la tendance universelle de l’adolescence, au niveau personnel. Mais normalement, cependant, les jeunes de toute période se fussent ralliés (collectivement) à la tradition ambiante, qui reflétait, elle, une stabilité apparemment immuable. Car à la différence des temps modernes, la vie humaine ne changea que très peu pendant des millénaires entiers.

     Tout dernièrement, pourtant, la vie s’est transformée radicalement, et cela au rythme visiblement accélérant depuis au moins deux cents ans, de sorte que les jeunes contingents successifs se soient trouvés objectivement dénués des certitudes de leurs pères. Et quoique le classement relatif de ces expériences se relève d’une opération arbitraire, je soumettrais que la génération française, du début du dix-neuvième, peut raisonnablement prétendre au titre de « première » dans cette suite de « générations perdues » ; et que « La confession d’un enfant du siècle », D’Alfred Musset, puisse prétendre (tout aussi raisonnablement) en représenter l’expression authentique.

— la crise centrale « d’un enfant du siècle »

     Ce livre commence avec de longs passages psychologiques qui veuillent expliquer une perte des balises identitaires chez la génération française qui succéda aux transports enivrants de la Révolution, de la République, et de l’Empire. Encore tout dernièrement hégémon du continent européen, à la fine pointe de l’histoire, voilà que la France (circa 1820) se trouva réduite à la condition d’une moindre puissance, et sa population subitement déboussolée par un constat glacial d’impuissance, démentant cruellement la symbologie grandiose, architecturale et institutionnelle, dans laquelle elle se baignait toujours.

     « Nées pour la gloire (sic)… les enfants du siècle … avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides » ; puis arrivés à l’âge actif ils se trouvèrent, au contraire, contraints à la médiocrité, condamnés aux limites « des clochers paroissiaux ».

     Musset, pour sa part, en ressent un vaste malaise personnel, qu’il prétend partager dans une transcendance générationnelle. C’est la plainte d’un jeune homme conscient de posséder des talents exceptionnels, mais dont l’application lui semble inutile, et même impossible, devant une société dont il se sent fatalement divorcé, ou peut-être, dans le vocabulaire du siècle suivant : dont il se sent « aliéné ».

     Or, à l’âge tendre de vingt-quatre ans, il entreprend la tâche monumentale de parler pour sa génération, et d’en expliquer franchement le désarroi :

« Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris. »

Nous retrouvons, ici, beaucoup de sentiments, certes, qui nous soient familiers ; et qui accablent le monde, encore deux cents ans plus tard. Mais il y avait toujours cette différence : que l’œuvre de Musset fut imbue d’un espoir supérieur ; qu’elle se trouvait imbue, même, d’une confiance envers « l’immense horizon » de « l’avenir ». Nous sommes loin donc, du refus global qui apparut dans le vingtième siècle, avec sa répudiation intégrale de toute la narrative historique de l’Occident.

Musset se voulait, ainsi, la voix d’une génération perdue (mais non d’une civilisation entière). Et si nous y trouvions une appréciation (et une inquiétude) étonnamment prescientes devant les changements technologiques et économiques déjà en cours (la « navire soufflant une lourde vapeur ») nous ne devons pas nous surprendre à ce qu’il favorisait toujours, en 1834 (où la transformation technologique, en France, se fit encore à peine visible), une description essentiellement politique.

« Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution. »

     Fidèle à son impulsion première, Musset mourut à l’âge de 46 ans, encore jeune, mais déjà vieux, grâce aux effets conjugués de son alcoolisme et d’une faiblesse du cœur. Il fut, pourtant, déjà célébré de son vivant en membre de l’Académie ; et âpres sa mort, en écrivain majeur de la période romantique, dont son roman autobiographique en était devenu le récit consacré.

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Immortalisé à vingt-et-un ans : Médaillon en bronze d’Alfred de Musset (1831) ; par David d’Angers (1788–1856) ; Bibliothèque nationale de France

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo — La plainte d’un débauché accidentel (Alfred Musset, suite))

Un aperçu du climat social dans lequel furent accueillies les nouvelles théories, moralement ambiguës, du matérialisme et de l’évolution : de la Mer au banc d’école

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Un aperçu du climat social dans lequel furent accueillies les nouvelles théories, moralement ambiguës, du matérialisme et de l’évolution : de la Mer au banc d’école)

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Quoiqu’il fut décédé presqu’un siècle avant la fin de la Guerre Civile Américaine, John Woolman (1720 – 1772) joua un rôle majeur dans la libération des esclaves. Avec sa présence personnelle charismatique, en visitant les fermiers Quaker un par un — en priant et en discutant avec eux — cet homme réussit, presque seul, à liberer l’ensemble de la secte Quaker de la tare de l’esclavage. À leur tour, les Quakers exerçaient une forte influence sur une grande partie des colonies de la Nouvelle Angleterre, et en dépit du fait qu’ils abjuraient personnellement le service militaire, leur présence politique jouait fortement dans la décision de certains États, comme le Commonwealth de Pennsylvanie, d’opposer la Sécession sudiste.

Portrait anonyme trouvé dans la collection du Gouverneur de la Pennsylvanie, Samuel Pennypacker (1843 – 1916)

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— La difficulté de postuler l’existence d’une civilisation humanitaire dans les conditions préindustrielles : l’universalité du travail forcé

     Pour comprendre l’attrait de cette nouvelle interprétation sociale évolutionnaire (« la survie du plus fort »), qui fut tant choquante en soi mais qui prétendaient, pourtant, se justifier dans l’observation impassible de la science, il faudrait apprécier, aussi, dans quelles conditions culturelles fut arrivée cette doctrine.

     Depuis les débuts de la civilisation, la cohésion de l’ensemble dépendait d’un surplus agricole qui fut, surtout, le fait de travailleurs sous obligation, c’est à dire, d’esclaves. Et ce n’est pas le seul secteur qui dépendait de la compulsion, car les mines et les carrières, la construction des fortifications et le service militaire, nécessitaient, également, la participation d’hommes qui eurent préférés, très probablement, se trouver ailleurs. Je pense, d’ailleurs, que nous pouvions facilement prétendre, sans controverse, que la civilisation préindustrielle eut été franchement impossible (partout et toujours) sans le travail forcé. Et ainsi en fut-il, aussi, dans les galères qui sillonnaient les mers.

— La nécessité particulière de maintenir l’efficacité de la marine coloniale

     Or, dans la modernité préindustrielle, une grande partie de la richesse (et de la puissance) des États européens se fondait, précisément, sur la nouvelle capacité technique de naviguer entre les continents. Par contre, la vie et le travail des matelots, entassés dans une promiscuité insalubre sur de petits bâtiments de voile, exposés aux dangers d’un travail incessant, dans toute température et à toute heure — de nuit comme de jour — ne pouvait que se qualifier d’inhumains.

    En conséquence, outre l’aristocratie de la navigation (les officiers pour lesquels la mer représentait un métier, un art, et un statut social considérable) il fallait qu’un grand nombre d’hommes soit trouvé, pour travailler sous la contraint d’une discipline féroce, dans des conditions souvent épouvantables. Et pour combler ses rangs dans les circonstances décrites, la marine de guerre, en particulier, utilisait la force pure (sous raison d’état), en enlevant, ni plus ni moins, la jeunesse paysanne qui ait pu se montrer suffisamment téméraire pour se présenter dans les villes, dans les foires, ou même sur la grande route, des régions côtières.

— La réalité éprouvante de la vie marine (et militaire)

     Pour commenter l’état de ce secteur, nous pouvions utilement remémorer les paroles profondément touchantes, prononcées par John Woolman, célèbre abolitionniste Quaker (1720 -1772), quand celui-ci décrivit de son expérience directe, la réalité regrettable d’une « dépravation presqu’universelle parmi les matelots », affirmant  (après un voyage passé en fréquentation intime avec ces derniers, 1772), que « la dégradation lamentable, si fréquente parmi ceux qui travaillent sur la mer, m’aurait tant affecté le cœur, que ce ne serait pas chose facile d’en communiquer, à la compréhension d’autrui, les sentiments que j’aurais éprouvé ».

     Même au début du vingtième siècle, nous retrouvions des sentiments similaires, (exprimés dans un vocabulaire moins discret, cependant), au cours d’une anecdote impliquant Winston Churchill, qui fut chargé à cette époque d’évaluer les possibilités de réforme dans la marine britannique. Apparemment, face à l’opposition instinctive et institutionnelle, exprimée par certaines haute-gradés navales devant cette intrusion politique dans une culture de nature tant exclusive, M. Churchill répliqua en qualifiant les soi-disant « belles traditions » de ce service, comme rien de plus que : « le rhum, la sodomie, et le fouet ».

     Et entre les deux, circa 1830, Arthur Wellesley, Duc de Wellington (Premier Ministre, et Vainqueur de Waterloo), constata les mêmes conditions humaines chez les forces terrestres :

« Notre armée (sic) se compose de la crasse de la terre. C’est un miracle que nous en faisons autant avec eux par la suite. Les soldats anglais sont des types qui se sont enrôlés pour la boisson – voilà la simple vérité : ils se sont tous enrôlés pour la boisson. » — en conversation avec Philip Henry, Cinquième Earl de Stanhope, le 4 novembre 1831.

Au sujet de la discipline :

« Je ne vois pas comment une armée peut fonctionner sans discipline… ni comment la discipline peut se maintenir sans punition. La seule punition qui fait la moindre impression sur les hommes, c’est le châtiment corporel. La véritable raison du châtiment (…ce n’est pas de punir mais…) c’est d’empêcher d’autres, grâce à l’exemple de ce qu’ils voient souffrir le coupable … » — témoignage devant une Enquête royale au sujet de la discipline militaire, 1835

Un exemple pratique :

« Les soldats (X, Y, Z) furent inculpés pour le vol de brebis, pour avoir quitté leur poste dans leur quête de pillage, d’avoir offert d’utiliser de la violence en désobéissance à leur officier, et même, de lui avoir tiré dessus. En conséquence, le soldat X sera fusillé à mort; les soldats Y et Z recevront un châtiment corporel de 1000 et de 800 coups de fouet, respectivement. » — Ordres générales, du Field marshal Wellington, Freneda (royaume d’Espagne), le 2 février, 1813.

— Le caractère idéal du chef

    À la différence d’autres travaux durs, cependant, qui pouvaient être accomplis sous la compulsion de surveillants seulement brutaux, la navigation et le combat militaire, (s’ils voulaient réussir), exigeaient la présence de vrais chefs, capables, ceux-ci, de partager toutes les rigueurs physiques et morales ; capables alors, de solliciter une obéissance dont l’exécution serait imbue (idéalement) de prestance, d’intelligence et d’une ardeur largement volontaire. Car seulement ainsi, pouvaient-ils espérer survivre, maitre ou matelot, général ou fantassin — tous sans distinction — devant les crises existentielles qui se présenteraient (avec certitude) sur leur chemin. Et alors, fallait-il que ces officiers fussent non seulement craints, mais respectés aussi, et dans certains cas (à l’instar d’Arthur Wellesley lui-même) : aimés, par « leurs hommes ».

— Au trait d’union humain entre l’idéal et la réalité : le caractère des dirigeantes subalternes

      Les distinctions de classe, pourtant, devaient être maintenues dans des conditions de côtoiement très étroits, notamment dans la marine, et surtout pour les officiers de rang junior. Car, au bas de l’échelle de l’ambition, là où les preuves de capacité furent démontrées en premier (et là où les futurs furent déterminés, souvent avec finalité), se trouvait l’interface, essentielle, entre la main-d’œuvre brute et la direction. Les fils de la classe dirigeante ne pouvaient pas éviter la fréquentation des hommes/esclaves sous leurs ordres ; ils devaient, au contraire, se montrer capables d’affronter le pire chez l’humain ; et pour ce faire, ils devaient cultiver, délibérément, des qualités naturellement étrangères à la mollesse privilégiée.

     Car au bout du compte, la nouvelle prospérité globale, produite par le système colonial, dépendait de l’efficacité de ses agents, à tout niveau de l’administration. Et la seule manière pour un officier subalterne de gagner le respect (et l’ascendance morale qui lui serait nécessaire) fut de se montrer, réellement, l’égale de « ses hommes » à tout égard, y incluse celui de la dominance violente. Et pour développer systématiquement les qualités de dominance requises (et disons le franchement : de brutalité au besoin), la société avait perfectionné, dans le dix-neuvième siècle, un système d’écoles résidentielles qui promettait de transformer en « homme » — advienne que pourra — tout garçon digne de ce nom.

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HMS Victory : Vaisseau amiral à Trafalgar (1805), gigantesque à l’époque, la Victoire (en service circa 1769, et en exposition de nos jours) n’a que 200 pi de longueur. Se trouvaient entassés là-dedans : 104 cannons et 840 hommes..

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Un aperçu du climat social dans lequel furent accueillies les nouvelles théories, moralement ambiguës, du matérialisme et de l’évolution : de la Mer au banc d’école — L’école résidentielle dans son apogée au dix-neuvième siècle)

Une comparaison des avantages d’un droit de mourir universel, versus ceux du régime actuel d’exceptions médicales à l’interdit

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi — Sous-Section II c) : Quelle morale choisir ? — Chapitre : Une comparaison des avantages d’un droit de mourir universel, versus ceux du régime actuel d’exceptions médicales à l’interdit)

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— L’exposition des deux modèles législatifs

     Tel que nous l’ayons intimé au cours des derniers chapitres, il existe deux façons de procéder dans une situation comme la nôtre (où il existe une interdiction traditionnelle qui doit, de tout évidence, s’assouplir face aux pressions populaires) :

     Le premier réflexe, devant de tels changements (et celui qui sera réellement adopté, neuf fois sur dix), est de conserver l’interdit, tout en admettant des exceptions spécifiques.

     Une telle démarche serait organiquement ancrée dans la réalité du présent, et elle se prêterait plus facilement aux possibilités tactiques de la politique contextuelle. Elle parait, ainsi, moins menaçante. Car le simple constat du progrès incrémental, d’un modèle philosophique civilisationnel en devenir — qu’on soit personnellement pour ou contre — ne semble que rarement nous imposer d’urgence dans l’immédiat : les tranchées ont été creusées depuis belle lurette ; les combattants sociaux y sont déjà installés en permanence sur les parapets ; les arguments se raffinent et se répètent sans grande originalité. Rares, enfin, sont les observateurs qui puissent identifier avec précision les points de bascule déterminants. Et en conséquence, une modification légale de ce genre se montre beaucoup plus facile à réaliser, à condition de laisser couler le temps nécessaire.

     Aussi faut-il constater, parmi les adhérents à la morale absolue traditionnelle (c’est à dire parmi les adversaires les plus redoutables du suicide assisté et de l’euthanasie), que certains furent inclines à permettre des exceptions, pragmatiques et limitées — sous l’égide de la compassion — tandis que les irréductibles avaient au moins la satisfaction de voir l’interdit traditionnel maintenu en théorie (sinon en pratique).

     Alors, pour les champions du suicide assisté, la voie des exceptions à l’interdit semblait être la plus prometteuse pour pratiquer une première brèche dans la muraille traditionnelle, tandis que pour ses adversaires, et plus particulièrement pour ceux et celles qui croyaient qu’une certaine libéralisation fut devenue inévitable : le paradigme d’exceptions strictement définies semblait offrir les meilleures possibilités pour en limiter les dégâts.

     Plus largement d’ailleurs, dans le bras de fer politique, rien n’est plus naturel que de s’engager dans une dynamique classique de confrontation et de compromis (ce qui nous emmène directement au modèle légal d’un statu quo — plus ou moins viable — modifié progressivement par la reconnaissance d’exceptions). Et tel fut, aussi, le chemin suivi dans notre matière de suicide assisté et d’euthanasie volontaire.

     Par contre, il existe (au moins en théorie) une deuxième façon d’agir qui consisterait, tout simplement, à concéder l’essentiel d’emblée, c’est-à-dire ; d’abandonner franchement l’interdit et d’accorder sans détour ce nouveau droit (tempéré, au besoin, de conditions spécifiques).

     De la même manière, alors, que nous nous trouvions, précédemment, devant une dichotomie de principes philosophiques et moraux (la justification subjective versus la justification objective), nous nous trouvons, maintenant, devant une dichotomie de méthodes — dans l’articulation des textes de loi — qui en est son expression formelle : d’une part, l’interdit percé d’exceptions ; de l’autre, le droit assorti de conditions.

— S’agit-il, réellement, d’une distinction morale significative ?

     Mais, dira-t-on, quelle différence réelle en aurait-il ? La demi-douzaine en ferait toujours six, n’est-ce pas ?

     Eh bien, en tout respect, non. Les différences, comme dans la discussion morale, sont réelles et importantes. Tel que nous l’ayons constaté : le régime actuel d’exceptions à l’interdit nous impose une recognition du bien objectif des homicides pratiqués dans les cas prévus ; il engage, aussi, la profession médicale d’une façon toute particulière dans l’accomplissement des gestes homicides ; il présente une menace potentiellement mortelle à toute personne malade chronique ou lourdement handicapée ; et la société se trouve attaquée, de manière plus large, dans les principes d’égalité et de non-discrimination qui sont à la base de notre organisation sociale — sérieusement hypothéqués, d’abord, vis-à-vis de ce groupe spécifique — et de par la force de cette précédente :  potentiellement affaiblis aussi pour d’autres (voire pour tous).

    Le paradigme traditionnel, enfin, présuppose une morale objective dont la loi serait le reflet formel. Mais dans le cas présent, il n’existe pas de consensus sur la moralité des suicides spécifiques. Il nous manque, ainsi, la base d’entente « objective » qui soit nécessaire à ce système conceptuel. Et il y aurait, en conséquence, vice important dans le fait que la loi actuelle puisse sembler, néanmoins, certifier la nature « bien » du suicide.

     Le paradigme de droit subjectivement justifié, par contre, nous apporte plusieurs avantages qui seront rapidement catalogués dans la suite.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi — Sous-Section II c) : Quelle morale choisir ? — Chapitre : Une comparaison des avantages d’un droit de mourir universel, versus ceux du régime actuel d’exceptions médicales à l’interdit — Les bienfaits, du modèle de droit subjectif, pour la médecine, et pour les médecins)

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