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août 2021 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Le profil littéraire des années Vingt et Trente : une vie de paix, à peine plus certaine que la guerre précedente

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : L’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Le profil littéraire des années Vingt et Trente : une vie de paix, à peine plus certaine que la guerre précédente)

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F. Scott Fitzgerald (1896 – 1940) : succès littéraire tout jeune, et voix consacrée de ce qu’il appela, “l’Âge de Jazz”.

Zelda Sayre (1900 – 1948) : aristocrate de souche Sudiste. Elle fréquente Fizgerald dès 1918, mais rompe leur engagement présomptif devant les pauvres prospects financiers de ce dernier. Les deux se marient, pourtant, en 1920 suite à la réussite d’un premier roman, “L’Envers du paradis”. À 19 et 23 ans, alors, les Fitzgerald deviennent l’un des couples iconiques de la société mondaine des “Années folles”.

— 1919 : une profondeur de rupture pas encore devinée

Avec l’urgence universelle, produite par la Première Guerre, il s’est manifesté l’éclosion franche d’une culture parallèle, dite « gaie » (selon l’ancien usage de ce mot), qui se positionna en opposition ouverte à tous les fondements acceptés du devoir social. Ce fut, certes, une culture déjà bien vivace en souterraine, depuis très longtemps (et peut-être même depuis toujours). Mais elle fut, aussi conventionnellement supprimée : au moins dans la diaspora Anglo-Saxon ; et au moins en surface. Or, devant cet effondrement contextuel (et devant les doutes si profondément insufflés dans les certitudes reçues), ces influences ont pu se répandre, pour s’épanouir dans la place publique. Et cette mouvement, aussi, n’était que le symptôme d’une désintégration culturale, plus profonde, qui prendrait au-delà de cent ans pour se réaliser, et pas entièrement même, encore aujourd’hui.

Car les modes dominantes dans la culture humaine se dirigent comme des grands paquebots sur la mer : il peuvent changer de direction, certes, mais ces changements — même quand ils sont franchement engagés — prennent beaucoup de temps, et beaucoup d’espace, pour s’accomplir.

Au début de l’année 1919, donc, au moment du retour des soldats américains des champs de bataille européens, la direction générale de la société plus large restait franchement celle du moralisme progressiste (ce qui explique le passage immédiat des amendements jumeaux — de la Suffrage féminine, et de la Prohibition des boissons alcoolisées — tous deux dans le plus grand enthousiasme).

Le ton populaire, cependant, n’était aucunement porté vers la modération. Aussi, en Amérique, la crise économique n’arriva pas, comme en Allemagne, tout de suite avec les séquelles de la défaite ; ni comme en France, bientôt, en conséquence inévitable de l’appauvrissement de leur voisin prépondérant, principal producteur (et consommateur) de toute l’Europe. Au Nouveau-monde, il y avait un période de dix ans heureux, de 1919 à 1929, au cours de laquelle les Américains savouraient leur victoire dans un moment prolongé de prospérité impressionnant, mais très fébrile, auquel fut accordé le sobriquet tant descriptif des « Années Folles ». Dix ans, alors, dans lesquels la nouvelle tendance hédoniste pouvaient mûrir (ironiquement) dans l’expérience illicite de délinquance volontaire, par excellence, qui fut la Prohibition

Visiblement, cependant, l’ancien courant progressiste dominant, toujours universellement crédité de manière collective, accepta cette période “folle” comme une effervescence normale et passagère, parmi une jeunesse détournée des considérations sérieuses de la vie, de façon seulement ponctuelle et temporaire.

Comme les faits ne tardèrent pas à le signaler, pourtant : il n’en était rien.

— La difficulté de séparer la réalité de la représentation des faits

Toujours est-il : que notre fenêtre sur ces réalités passe par la conscience des auteurs, des intellectuels, et des artistes qui les documentèrent de leur manière ; que ce sont, d’emblée, des personnes assez exceptionnelles (voire : marginales aussi) ; et que les préjugés personnels très particuliers de ces personnes — sans changer la nature essentielle des phénomènes décrits — en colorie très certainement les impressions que nous en recevons. Il se peut fortement, en particulier, que l’excitation ressentie en énergie artistique positive (parmi une certaine intelligentsia bien nantie et leurs protégés) n’ait pu que très pauvrement communiquer la véritable dimension dramatique de cette période, vécue par des personnes plus ordinaires.

Mais avec cet avertissement présent à l’esprit, je tenterais toujours de rappeler quelques uns des plus influents dans la formation des mythes que nous en retenons.

— F. Scott Fitzgerald

L’ouvrage le plus souvent sélectionné en icône de cette période “folle” (non seulement de la Prohibition mais aussi de l’émergence d’une véritable culture populaire), livre largement enseigné à l’école, aujourd’hui, est “Gatsby le magnifique” (The Great Gatsby, 1925) de F. Scott Fitzgerald (1896 – 1940).

Ce livre n’est aucunement un éloge à l’hédonisme décadent. Il en est une dénonciation. Aussi, présent-t-il cette particularité que Fitzgerald ne fait pas sa critique à la maniéré habituelle, en condamnation de l’aristocratie : même si le caractère principale, Jay Gatsby, est ultra-riche ; et même si plusieurs des flèches littéraires sont dirigées à l’endroit des pique-assiettes attirés par sa richesse. L’originalité de “Gatsby”, au contraire, demeure dans le fait que ce livre fournit une première dénonciation du matérialisme supposément typique de l’Ère Industrielle, et des “nouveaux riches”, culturellement analphabètes, qui en sont devenus les représentations littéraires. En somme, F. S. Fitzgerald ne faisait plus la critique de l’Ancien Régime mais de la Nouvelle Ordre (une création fondamentalement Américaine). Et à sa grande renommée subséquente, il fut celui qui définissait, en premier (et à tout jamais) cette caricature des Américains (et de la société américaine) comme étant riches et puissants, uniquement à la mesure de leur ignorance, et de leur superficialité.

(Un caractérisation, d’ailleurs, que je trouve grossièrement injuste. Car sinon : comment expliquer les sources d’une auto-critique — typiquement américaine elle-même — tant exigeante ?)

La description de Gatsby, comme personnage, est celle d’un homme essentiellement gentil ; garçon de famille “bien”, mais modeste ; devenu riche par la commerce d’alcool illicite. Il désire bien paraître, et son goût — dans l’architecture de sa maison, dans les meubles, dans le vêtement, et dans l’art — se résume à acheter ce qui est le plus cher, sans exprimer de préférence personnelle. Les personnes qui l’entoure, d’ailleurs, pratique la même stratégie au niveau des fréquentations, s’attachant à Gatsby pour la simple raison qu’il soit le plus riche, et qu’il accepte la générosité d’un grand train de vie, ouvert à tous, comme une dépense nécessaire à l’image sociale qu’il désire projeter.

Il s’ensuit des descriptions d’excès — de consommation, de débauche, et de vulgarité — non extravagants, mais ternes seulement, auxquelles Fitzgerald ne donne le moindre cachet, ni de sophistication ni de noblesse décadente. Au contraire, il dépeint une vacuité de petitesse, et de prétention grotesque, où les beautés figurantes manquent les moindres traces d’éducation et de culture, et ou l’émulation des comportements se fait plutôt du plus haut vers le plus bas, au contraire de l’usage attendue.

Fitzgerald lui-même, quoique de statut modestement “bien” (comme son anti-héro à l’origine), exhiba des caractéristiques exactement contraires. Car il était de nature romantique. Il avait fait des études universitaires coupées courtes par le service militaire (passé aux E.U. en études d’officier de 1917 à 1918). Il n’avait pas combattu, donc, mais la guerre avait tout de même brisé la trajectoire de sa vie. Il faisait partie, alors, de cette génération qui se prétendit “perdue”. Or, en artiste rapidement arrivé (des vingt-deux ans avec un premier roman de grand succès), notre auteur connaissaient très bien la vie sociale, instable et fondamentalement illicite de la Prohibition. Il en était, aussi, profondément rebuté. Comme tant d’autres, cependant, il céda à l’alcoolisme ambiant et en mourut à l’âge de 43 ans. Il incarna, donc, les contradictions de sa génération, possiblement autant dans sa propre vie que dans son œuvre littéraire

L’une des métaphores récurrentes qu’utilisa Fitzgerald pour traduire son impression de cette société, éblouissante mais fade, employait l’image grise et poussiéreuse des terres desséchées de la nouvelle zone industrielle du Nord-Est américain, étendues sans vie sous les hautes tours exhalant les fumées, âcres, de charbon, d’acier, et des raffineries pétrolières ; une teinte grise que Fitzgerald disait retrouver dans les visages autour de lui.

Gatsby le Magnifique se présent, alors, en plainte personnelle et en condamnation collective, essentiellement réactionnaire. Car malgré son importance de témoin, Fitzgerald faisait toujours partie (au moins par les sentiments) des moralistes déconfits de l’Avant-guerre. Il avait, cependant, la lucidité et l’honnêteté pour identifier dans cette déchéance sociale, tant évidente, une nouvelle direction dominante.

Car au fur et à mesure que la crise économique s’avança, et plus que la vraie vie devint pénible, plus aussi, que l’idéal populaire nourrissait l’ambition, et le désir, de se joindre aux plaisirs des riches (ou au moins d’en singer les tendances et les attitudes).

— Derrière le mythe extravagant, un fond fortement nuancé

Décidément, notre image rétrospective des années vingt en est une de gaieté et de libération généralisées. L’expérience des personnes concernées, pourtant, fut tout autre. Un nouveau cynisme dans les mœurs et dans les attentes, importé par les jeunes hommes de leurs expériences insolites en Europe, ainsi que l’adoption instinctive d’une délinquance révoltée face à la Prohibition, exposa, certes, toute la jeunesse ordinaire à un niveau de tentation sensuelle jusqu’alors inconnue ; une tentation qui se transforma, aussi, avec la pauvreté de la crise des années trente, dans un obligation difficilement contournable pour grand nombre de la gent féminine.

Car selon la coutume reçue, fallait-il se marier pour jouir des plaisirs conjugaux. Mais très nombreux furent les jeunes hommes, incapables, pour raison émotive ou pécuniaire d’entreprendre une telle responsabilité. Alors les mariages ne se faisaient pas en nombre suffisant. Et pourtant, les imperatifs biologiques de la jeunesse ne furent en rien réduites pour autant. Inévitablement, alors, les limites de la convention (et de la prudence) furent étirées et dépassées. Pour les personnes romantiques ce fut un drame intolérable ; pour d’autres moins raffinées, une opportunité de plus pour profiter des moins fortes ; d’où l’origine présumée de cette plaisanterie typique de l’époque : “pourquoi acheter une vache quand je peut avoir le lait pour rien ?”

Mais avant de conclure d’une dissolution général de comportements, attardons-nous à ce fait remarquable : qu’entre 1920 et la fin de la crise en 1940, le taux de natalité américain avait tombé de 3.3 enfants (par femme) à seulement 2.0, un nadir historique à l’époque, bien en déca du taux de 3.7 enregistré vingt ans plus tard en 1960 (et à peine plus haut que le taux actuel). Aussi, en regardant ces chiffres faut-il s’en souvenir que les antibiotiques (et donc l’avortement sécuritaire) n’existait pas dans les années trente ; et la pilule anticonceptionnelle, non plus. Alors il semblerait, en réalité, et loin des mythes reçues, que les jeunes adultes faisaient des efforts d’abstinence tout à fait extraordinaires à ce moment.

Évidemment, cependant, les écarts isolés se produisirent, nombreux, de nécessité. Et ces épisodes, dont les résultats dépendaient surtout de la chance, marquaient profondément les vies des personnes concernées. F. Scott Fitzgerald, même, tout artiste mondain qu’il fut, parle de “inconscience” (en anglais : “sexual recklessness”) dans le fait d’avoir consommé les relations avec sa femme, Zelda, avant le mariage, et après seulement quelques mois de fréquentations amoureuses ! Or, telle réflexion, parmi telle compagnie, nous semblerait inconcevable aujourd’hui.

— La description cinématographique : Bad Girl (1932)

Trouver le courage pour croire au bonheur

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Ainsi, cette nouvelle culture délinquante, qui se développa avec énergie dans les Années Folles (et qui se précisa avec la crise), se propagea largement au-delà des intellectuels, et des fortunes supérieurs, pour atteindre la masse des classes moyennes et ouvrières, dans les romans, et chose nouvelle : sur les écrans de cinéma (dont la capacité de communication — non-littéraire, et non-analytique, d’un message qui se mêle à l’expérience sensuelle — ne peut être ignorée).

Il y avait, à cet égard, surtout des récits légers où les protagonistes (mâles ou femelles) devaient survivre, d’abord, aux épreuves de passage, pour pouvoir trouver, enfin, la sagesse requise pour reconnaître le “bon” garçon ou la “bonne” fille. Mais il y avait aussi des tableaux plus sérieux, de critique sociale plus sombre, de perdition et de rédemption (voire : “Back Street”, Universal Pictures, 1932, avec versions subséquentes, 1941, 1961).

Or, entre ces deux pôles, se positionne une film comme “Bad Girl” (Fox, 1932) qui affront directement les questions de l’époque avec une perspective et avec un vocabulaire populaire : en mettant en scène deux jeunes caractères (Eddie et Dorothy), pleinement imbus des préjugés de l’âge ; chacun affichant un dédaigne pessimiste à l’égard des mobiles et des intentions de l’autre sexe ; et chacun (Eddie surtout) désabusé catégoriquement de tout intérêt familial. À ce sujet (selon l’opinion en vogue) Eddie prétexte la pauvreté de sa propre enfance comme raison pour éviter la venue d’une nouvelle génération destinée à souffrir les même torts.

En caractère secondaire se présente l’amie, collègue de travail, compagne des aventures, et conseillère de Dorothy, Edna, qui nous est révélée en mère célibataire (sans plus d’explications), au moment que Dorothy quitte de force l’appartement de son frère, pour s’installer chez sa complice. Or, l’un des principaux changements dans les attitudes sociales qui ressortirent de cette période, fut, justement, une perception plus sympathique (voire : plus réaliste) des mères seules, qui se concrétisa même dans l’extension de certaines formes d’assistance publique — jusqu’alors réservées aux veuves uniquement — à l’intention de femmes qui ne furent que simplement “abandonnées”.

Dorothy (« Dot »), pour sa part (avant de connaître Eddie), est une très belle jeune femme, qui excite et qui exploite, sciemment, les prétentions et les faiblesses de l’espèce masculin, en s’approchant, elle-même comme papillon, de plus en plus près de la flamme qui s’ouvre devant son orgueil propre — désinvolte et aigri — qui (comme devine le spectateur) la perdrait inévitablement.

Et pourtant… Les deux se rencontre, et ne cesse de découvrir, l’un dans l’autre — malgré toutes les présomptions de tort (surtout de Dot à l’égard d’Eddie) — un fond d’intégrité solide que l’extérieur désabusé cache, certes, mais ne changent pas. En particulier, la question fondamentale de l’enfantement, ayant provoqué les plus violentes disputes entre les deux, fondées sur des fausses présomptions d’intentions étrangères à chacun, est finalement résolue dans le bonheur complet.

Et c’est ainsi que se révèle, dans le médium le plus sensible aux émotions populaires : que ce qui désirait cette jeunesse, supposément tant sophistiquée, n’était rien d’autre que le simple bonheur conjugal, traditionnellement compris, et cela, même si, pour plusieurs, cet idéal resterait tristement inatteignable.

Paradoxe, par dessus paradoxe ; révolte, persévérance ; fatalité du sort.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Les Années Folles se transforment en Crise profonde)

Mémoire : À l’intention de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, Assemblée nationale du Québec 2021

Présenté par Gordon Friesen, particulier, le 15 août 2021, en document d’information pour accompagner son témoignage devant la Commission, ayant lieu le Jeudi 19 août, 2021. Voire l’audition (Vidéo)

fichier “Mémoire” en format PDF

Table de matières
  • A) Mise en Matière aller
    • A.1 — Préambule, et délimitation du sujet : L’aide médicale à mourir aller
    • A.2 — La conclusion anticipée aller
    • A.3 — Des faits possiblement rassurants pour plusieurs aller
  • B) Une justification objective et médicale ? Ou subjective et volontaire ? aller
    • B.1 — La problématique pratique : un désaccord fondamental parmi les promoteurs de l’Aide médicale à mourir aller
    • B.2 — La dualité antagonique des justifications offertes pour l’AMM aller
    • B.3 — Une préférence évidente pour la légitimité subjective aller
    • B.4 — Un aperçu plus large du mouvement d’autonomie devant la mortalité humaine aller
    • B.5 — L’euthanasie en “soin”, médicalement indiqué aller
    • B.6 — Qui propose ? Et qui décide ? aller
  • C) L’aide médicale à mourir : ni poisson ni volaille ; les ramifications pratiques de cette juxtaposition incohérente de principes contraires aller
    • C.1 — Quand l’objectif (opinion médicale) et le subjectif (volonté du patient) se contredisent aller
    • C.2 — Le cas spécifique des patients incapables : une dérivation analogique de standards permettant une évaluation objective aller
    • C.3 — La multiplication des torts dans l’extension de l’euthanasie aux patients viables aller
    • C.4 — L’euthanasie et le devoir de prescription médicale : un paradigme de soins qui se révèle inapplicable face aux patients viables aller
    • C.5 — La normalité exprimée dans des proportions relatives aller
    • C.6 — Les ramifications de ces faits pour l’euthanasie de personnes viables : capables, et incapables aller
    • C.7 — Les directives anticipées d’euthanasie, un exemple concluant : soient incompatibles avec une lecture cohérente de l’interprétation médicale ; soient inférieures aux attentes autonomistes ; impossible de réconciliation rationnelle aller
  • D) Conclusion aller
    • D.1 — Comment la redéfinition de mots et de critères, effectué pour satisfaire aux attentes autonomistes, se pratique au dépens de la rigueur médicale aller
    • D.2 — Prioriser le respect des intérêts vitaux du patient-type aller
    • D.3 — Enjeu d’un siècle : la liberté personnelle aller
    • D.4 — Le devoir du médecin aller
    • D.5 — Une opportunité d’action, unique et ponctuelle aller
  • E) Addendum au sujet des troubles mentaux aller
  • F) Annexe 1 — Recommandations spécifiques aller
  • G) Annexe 2 — Lettre en demande de participation aux travaux de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie aller

Mémoire

A) Mise en matière retour

A.1 — Préambule, et délimitation du sujet : L’aide médicale à mourir retour

L’opération de ce cette Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie s’annonce de la plus grande importance pour le futur de notre société.

En plus, le rôle d’avant-garde, sciemment épousé dans cette matière par les juristes, par les législateurs, et par les corps professionnels québecois, nous impose un devoir, et une autorité toute particulière, face à l’évolution de ces questions, à travers l’ensemble du pays, et même, au delà de nos frontières. Or, c’est avec un sentiment profond du sérieux de cette responsabilité que je me permets, ici, de demander aux honorables membres de la Commission de bien vouloir prendre connaissance des réflexions suivantes.

Selon l’analyse offerte ici, la plus pressante des tâches devant la Commission consistera dans la recherche d’ajustements nécessaires pour réaliser une cohabitation cohérente des deux visages contradictoires de l’aide médicale à mourir ; c’est à dire : la cohabitation de l’euthanasie, conçue franchement en soin médical (selon le modèle audacieux, et unique, élaboré au sein de la communauté médicale au Québec), et les pratiques inspirées par un mouvement plus large, d’autonomie devant la mort (pour lequel la médicalisation du suicide assisté sert surtout de véhicule, et non de finalité). Également, selon la thèse présente : cet exercice de clarification est devenu subitement plus impératif, grâce à l’adoption de la Loi canadienne C-7 (supprimant l’exigence de mort “raisonnablement prévisible”). Les questions entourant l’euthanasie de personnes incapables, et celles atteintes de troubles mentaux, en particulier, sont devenues plus immédiates suite à ce changement.

Pratiquement, donc, il s’agit d’accommoder la victoire autonomiste de la Loi C-7 (fédérale), sans sacrifier les intentions originales de la Loi 52 (québecoise).

Pourtant, ce serait également souhaitable de saisir l’occasion présente pour chercher une solution à plus longue vue. Car il serait fondamentalement déraisonnable, j’ose suggérer, qu’un sujet aussi sérieux que la nature éthique de la pratique médicale, puisse être bousculé, à répétition, par de nouveaux compromis politiques ; imposés par un pouvoir extérieur ; et produits autour d’un principe plus générale de liberté personnelle, qui déborde nettement des compétences médicales, et qui se trouve même (comme je tenterait de démontrer dans la suite), en contradiction essentielle avec celles-ci.

A.2 — La conclusion anticipée retour

Pour arriver à la clarté souhaitée, je suggère que le régime québecois embryonnaire, de soins de fin de vie, soit maintenu (en ce qui à trait à la pratique de l’euthanasie) dans sa forme originale, délimité par cette frontière clinique — populairement comprise, et intuitivement significative — qui soit la mortalité rapprochée ; que l’évolution future de ce modèle de soins se fasse à l’intérieur de ces limites ; et en particulier : que toute autorisation d’euthanasie, pratiquée à l’égard de personnes incapables, soient conçue, d’abord, en fonction de cette distinction entre les euthanasies prodigués en soin médical (selon la Loi 52), et ceux qui résulte, plutôt, de l’usage discrétionnaire des permissions légales contenu dans les lois C-14 et C-7.

A.3 — Des faits possiblement rassurants pour plusieurs retour

Précisions, d’abord, qu’une stricte interprétation “fin-de-vie”, pour l’euthanasie présentée en soin médical (telle qu’elle fut originalement définie au Québec) n’empêche aucunement le patient viable de accéder a ce service : car les exceptions criminelles existent toujours. Seulement, l’euthanasie est fournie, dans ces cas : sur une base volontaire ; sous la responsabilité du patient ; par un médecin qui accepte cette logique autonomiste.

Or, puisque la demande relève plus du volontaire subjectif dans ces cas (et donc moins de l’objectif scientifique) les médecins, individuellement et collectivement, joueraient logiquement d’une plus large discrétion de participation dans chaque cas ; tandis que l’État, lui, se contenterait d’assurer le respect des modalités établies, sans se porter garant de la légitimité médicale des gestes accomplis.

De cette manière, les volontés autonomes de personnes viables mais désireuses de mourir (un groupe fortement minoritaire dans chaque catégorie clinique) peuvent toujours se satisfaire, sans indûment influencer la culture normale de la pratique médicale.

Les médecins, pour leur part (mais uniquement en situation clinique de fin de vie), seraient ainsi habilités à approcher l’euthanasie d’une manière plus consistent avec la pratique normale de la médecine, selon les modalités communément acceptées : de proposition de soins, de prise de décisions, et de consentement. Aussi, au cas où il en serait question de modalités spécialement applicables aux techniques dont le résultat mortel est prévisible : que le recours à l’euthanasie soit situé à l’intérieur de cette discussion globale.

Hors du contexte fin-de-vie, par contre, c’est à dire auprès de tout patient viable : le rôle du médecin se restreindrait à l’accomplissement volontaire des demandes légalement recevables. Et pour plus de certitude : la proposition, ou la promotion spontanée de l’option euthanasique serait défendue, à fin de conserver l’intégrité normale de la pratique médicale au Québec, ainsi que pour protéger la paix psychologique, et la sécurité physique, des patients non-suicidaires.

B) Une justification objective et médicale ? Ou subjective et volontaire ? retour

B.1 — La problématique pratique : un désaccord fondamental parmi les promoteurs de l’Aide médicale à mourir retour

Pendant les phases initiales du débat autour de la mort assistée, il était normal (et même inévitable) que des principes sérieux eussent été confondus, dans la simplicité de la rhétorique polémique, pour produire un consensus fonctionnel qui permettrait une première autorisation de cette pratique. Cette étape étant franchie, cependant, il nous incombe, maintenant, à démêler soigneusement les contradictions qui existent au cœur de cette unanimité de circonstance.

Or, pour illustrer les contradictions intimées, considérons d’abord les positions énoncées par deux personnalités publiques — toutes les deux d’influence majeure dans l’aboutissement des faits, et toutes les deux partisanes de la mort assistée — c’est à dire : l’Honorable Sénatrice Chantal Pétitclerc (personne grièvement handicapée et Championne Paralympique), et le Dr. Michèle Marchand (longtemps Secrétaire du Groupe de travail en éthique clinique du Collège des médecins du Québec, et conseillère en éthique clinique auprès de la direction générale de cet organisme).

Le 6 juin, 2016, Mme Pétitclerc prononça un discours, des plus notables, devant le Sénat du Canada, à l’occasion de la deuxième lecture de la loi C-14 (décriminalisant la mort assistée). Surtout, la Sénatrice Petitclerc rejeta la loi C-14 dans sa forme éventuellement promulguée, puisque elle en trouvât la portée trop restrictive. (Car cette loi ne permettait pas d’accès à l’AMM pour des personnes dont la mort naturelle n’était pas “raisonnablement prévisible”.)

Aussi, étant données les qualités personnelles de Mme Peticlerc, il serait difficile de surestimer l’influence de cet avis sur l’évolution subséquente de cette matière, et en particulier : sur l’adoption dernière de la loi C-7 (qui abrogea précisément cette exigence de décès anticipé, à laquelle s’objectait Mme Pétitclerc dans la première instance).

Le Dr. Marchand, pour sa part, le 28 mai, 2021 (au cours des consultations de la Commission actuelle), s’est montrée plutôt mécontente de la Loi C-7 pour des raisons totalement contraires, signalant que l’initiative québecoise, constituée comme elle l’est d’un régime de soins de fin de vie, ne peut que très difficilement s’accommoder d’un accès à l’AMM, pour des personnes qui ne s’y trouvent pas ! Ou plutôt : que le phénomène d’euthanasie soulève des considérations d’éthique médicale très différentes, aux cas que le patient soit viable, ou non.

Surtout, ces différences de position publique ne relèvent pas d’un simple différend d’opinion au sujet de “jusqu’à où” l’on peut aller face aux conditions d’accès à l’euthanasie. Au contraire : ce sont des manifestations d’un désaccord substantif, concernant la nature même de “l’aide médicale à mourir”. Un désaccord très peu apprécié publiquement, peut-être, mais très bien compris des professionnels en cause, et dont les répercussions futures, de politique et d’effet sociétal, seront (selon l’opinion ici présentée) des plus considérables.

B.2 — La dualité antagonique des justifications offertes pour l’AMM retour

Selon sa nature hybride, l’AMM est justifiée, à la fois : subjectivement, par le patient qui désire mourir ; et objectivement, par la société environnante (suivant l’opinion experte des médecins qui s’accordent (en théorie), pour affirmer que la mort ainsi provoquée soit médicalement désirable.

Dans l’une des premières formulations de ce principe jumelé, le Britannique Samuel Williams proposa il y a cent cinquante ans (1871) :

“(Que…) dans tout cas de maladie douloureuse, et sans espoir, qu’il soit le devoir reconnu du responsable médical, du moment que ce soit la volonté du patient, d’administrer le chloroforme … de sorte que la conscience soit immédiatement éteinte, et … la mort rapide et sans douleur “

À première vue cela peut sembler de la plus grande limpidité : le médecin juge de la pertinence médicale de l’euthanasie, et le patient consent (ou ne consent pas) a mourir ; ou (présenté à l’inverse) : le patient demande la mort, et le médecin confirme (ou non) que cette demande soit médicalement recevable. Cependant, que se passe-t-il au cas où le médecin (dans son évaluation objective) et le patient (dans son désir subjectif) ne s’accorde pas pour dire que l’euthanasie soit indiquée ?

Malheureusement, il n’y a pas moyen de balancer l’opération de ces deux souches de légitimité éthique, car les conclusions subjectives et objectives se font fie, mutuellement, les unes des autres. À la fin, il ne reste que de choisir parmi les deux : du médecin ou du patient — du jugement scientifique et médical (objectif), ou personnel et intime (subjectif) — à lequel des deux nous donnerions préséance.

B.3 — Une préférence évidente pour la légitimité subjective retour

Visiblement, cette question primordiale de qui, au juste, serait le dernier arbitre du sérieux des supplices offerts en justification pour l’euthanasie, s’est largement décidée en faveur du patient. La simple exigence présentée par Williams, par exemple, d’une “maladie douloureuse, et sans espoir” dont l’évaluation aurait été la province présumée du médecin (au mieux, scientifique et objective ; et au moins, sujet aux consensus partagés) à trouvé sa contrepartie, fortement nuancée, dans notre loi actuelle des soins de fin de vie, selon le langage suivant :

“des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle (le patient) juge tolérables.”

Dans d’autres mots : la gravité de la souffrance sera définie par le souffrant.

Nous pouvons constater, alors, malgré la prémisse médicale de la Loi 52, que le patient était présumé maître de son destin, sujet seulement à des conditions fortement ouvertes à l’interprétation (“maladie grave et incurable”, “déclin avancé et irréversible de ses capacités”). Et ultimement, la seul condition qui posait sérieusement entrave à l’exercice libre de l’autonomie personnelle (outre la présence d’un médecin volontaire), consistait dans cette dernière exigence, sauve-tout, de “mort raisonnablement prévisible”.

Mais justement : cette exigence n’existe plus, suite à la promulgation de la loi C-7.

B.4 — Un aperçu plus large du mouvement d’autonomie devant la mortalité humaine retour

Or, voilà un bref description de l’évolution de la base conceptuelle des pratiques de mort assistée, qui en privilégient, visiblement, l’exercice du pouvoir autonome. Il ne s’agit pas, ici, de se prononcer pour ou contre ces faits, mais seulement de les signaler clairement, pour en tirer des conclusions subséquentes.

C’est de la tendance autonomiste, donc, que L’honorable Sénatrice Chantal Petitclerc s’est fait l’apôtre tant éloquente, dans notre contexte Canadien et Québecois, devant le Sénat (2016), et pendant les débats entourant la loi C-7 (2020 – 2021). Mais il en existe, aussi, une expérience plus globale, et une élaboration plus générale de ce principe, qui trouvent leur expression essentielle dans les dires du célèbre promoteur Australien de l’euthanasie, le Dr. Philip Nitschke :

« que…(sic) toute personne rationnelle puisse … terminer sa vie d’une manière paisible et certaine au moment de son choix »

Il s’agit ainsi d’un droit de mourir sujet à aucune condition (sauf la capacité décisionnelle). Il n’y a aucune mention, ni de « souffrances intolérables » ni de « déficiences avancées », ni de « maladie grave », ni même d’une « fin de vie raisonnablement prévisible ». Pour tout dire, Il n’y a pas, dans ce manifeste, la moindre référence, ni aux conditions médicales, ni aux professionnels de la santé.

Il serait possiblement intéressant de signaler, aussi, que la seule fois, au Canada, où une organisme majeure de représentation auprès des personnes handicapées s’est prononcée en faveur de la mort assistée, ce fut ce même principe avancé. Car à l’occasion de l’épisode Rodriguez (Cour Suprieme, 1993) la Coalition of Organizations of the Handicapped (précurseur du Conseil des canadiens avec déficiences) faisait valoir cette thèse, toujours courante : que l’octroi d’un droit à la mort assistée pour les seules personnes malades et handicapés relève d’une politique franchement discriminatoire à l’égard de ces dernières. Et c’est ainsi que La COPOH s’est portée à la défense de Mme Rodriguez, oui, mais uniquement au cas où le même droit soit accordé à tous.

Cela peut encore sembler un peu extrême dans le contexte Canadien. Mais nul ne peut prévoir le cours des contestations judiciaires à venir. Pourtant, le prix déjà payé pour nous permettre cette semblance de limites médicales et objectives (ostensiblement entérinées pour empêcher des excès autonomistes) se révèle de plus en plus réel. Nous pouvons très certainement indiquer des lacunes sérieuses, actuellement apparentes au niveau de l’éthique clinique, qui résultent d’une décalage entre les véritables raisons (subjectives), qui motivent bon nombre d’euthanasies, et la justification (objective) qui en soit ostensiblement offerte à cette fin. Surtout, avec l’abrogation canadien de l’exigence de mort rapprochée, la confusion conceptuelle qui embrouille la simple mort assistée, volontaire, avec la mort objectivement indiquée en soin médical, serait devenue, pour plusieurs, franchement inacceptable.

Toutefois, pour apprécier la nature et l’importance de ces problèmes éthiques, faudrait-il, d’abord, regarder les mêmes faits à partir de la perspective objective, c’est à dire : de la perspective des médecins.

B.5 — L’euthanasie en “soin”, médicalement indiqué retour

L’euthanasie, présentée en soin médical, consiste dans une prescription d’action éthique et efficace (comme toute intervention chirurgicale, ou administration de médicament), dans un but précis, pour répondre aux indices cliniques constatés.

Des deux régimes de loi existants, seulement le régime québecois aborde directement cette vision de l’acte. Car les lois fédérales, (C-14 et C-7), quoiqu’elles permettent de laisser planer certaines présomptions à cet égard, n’affirment jamais que l’euthanasie soit éthique (voire : désirable, ou opportune), ni médicalement, ni dans le sens de l’entendement commun. Elles se contentent de la décriminaliser, sans plus. Et c’est ainsi que les discussions au niveau canadien, aurait presque entièrement ignoré le phénomène dans sa dimension proprement médicale, se préoccupant, plutôt, des limites du choix autonome du patient.

La loi québecoise (52) par contre, et d’une manière que je crois être unique au monde, définit l’euthanasie positivement, et explicitement, comme un “soin médical”, et donc comme une intervention objectivement indiquée dans le traitement de maux bien identifiés (dont les paramétrés demeurent, cependant, le sujet de controverse). D’après cette interprétation idéelle, la prescription de l’euthanasie ne serait — éventuellement — pas plus controversée que la prescription d’une antibiotique qui soit objectivement adaptée aux circonstances observées.

(Se serait possiblement utile d’insister, ailleurs, sur la nature réellement extraordinaire de cette définition des soin médicaux par le pouvoir politique. Pour l’instant, cependant, il s’agit simplement d’admettre, et d’explorer les ramifications de ces faits).

Or, la Loi québecoise limite toujours le recours à l’euthanasie, définie de cette manière, aux situations cliniques de soins de fin de vie. Et dans ce contexte, au contraire de l’idéal précédemment décrit de mort volontaire, l’autonomie du patient ne joue pas un rôle aussi évident.

B.6 — Qui propose ? Et qui décide ? retour

D’après les dires du Dr. Marchand en 2011 (c’est à dire, trois ans avant la Loi 52) : “la mort est de moins en moins naturelle. Il est reconnu que la majorité des décès découlent maintenant d’une prise de décision clinique” (Marchand, M. (2011). L’aide médicale à la mort : réflexions et débats en cours au Québec : retour sur la réflexion menée au Collège des médecins du Québec).

L’avènement de l’euthanasie, donc, bien qu’il puisse changer le choix d’outils médicalement disponibles, ne change pas la nature des décisions nécessaires, ni l’environnement dans lequel ces décisions doivent se prendre. Demeurent inchangés, également, les écarts de connaissance, et de compétence, qui séparent le patient du médecin ; des rapports qui illustrent l’autorité et la responsabilité du médecin dans toute circonstance clinique. De plus, comme particularité évidente des situations de fin de vie : l’autonomie, et même la capacité du patient, peuvent diminuer substantiellement à l’approche de la mort, ce qui augmente, d’autant, le déséquilibre préexistant en faveur de l’autorité du médecin.

D’après la compréhension normale du patient, même (et de son entourage, également), les médecin semble parler pour la science médicale, de la même façon que le prêtre semble parler pour Dieu. Ou comme disait le Collège des médecins à cette époque (CMQ, 2009, p. 6) : “En clinique, le médecin propose, se fondant sur ses compétences, les soins qu’il juge le plus objectivement appropriés d’un point de vue médical.”

Il en ressort, donc, une situation où l’influence et la responsabilité du médecin sont au plus fort. Il se peut, certes, que le patient refuse les soins proposés ; mais pour les accepter, il suffit que la volonté autonome se manifeste par le simple acquiescement du consentement ; et ce, pour répéter cette évidence : dans une circonstance qui porte facilement à l’ambiguïté. De plus, les circonstances ne sont pas rares, où la personne mourante ne soit aucunement capable de signifier une décision autonome, même par l’assentiment passivement consensuel. Mais il se pose, quand-même, les mêmes exigences exécutives dans ces cas. Et voila, donc, pour résumer la véritable responsabilité médicale des soins de fin de vie : que les avances de la science ont fait que le moment et la manière de la mort résultent de plus en plus souvent d’une “décision clinique” ; que cette décision soit le fait (sauf exception) des médecins en présence (en communication avec l’entourage et selon les capacités du patient) ; que dans l’absence d’un entourage, et devant un patient incapable, le médecin décide seul.

En contexte clinique de fin de vie, donc, l’euthanasie ne s’agit pas uniquement d’individus qui réclament le droit de mourir. Il s’agit plutôt, d’un dialogue entamé avec des médecins responsables pour les soins de patients dont la mort est inévitable, et, pour la plus part, imminente. Voilà, donc, qui soit aux antipodes des présomptions, d’autonomie volontaire, qui se trouvent à la base de la décriminalisation fédérale, et surtout de son expansion à l’intention des individus non-mourants.

Or, c’est dans ce contexte réel que nous devons, maintenant, exposer les problèmes pratiques qui résulte de la cohabitation de ces deux perspectives.

C) L’aide médicale à mourir : ni poisson ni volaille ; les ramifications pratiques de cette juxtaposition incohérente de principes contraires retour

C.1 — Quand l’objectif (opinion médicale) et le subjectif (volonté du patient) se contredisent retour

Il est parfois présumé que le paternalisme médical (associé au principe de bienfaisance) et l’autonomie du patient (qui implique un médecin flexible aux volontés de celui-ci) sont antagoniques dans leurs essences, et que ce soit le balancement des deux tendances qui produit un équilibre pratiquement désirable. Face à l’euthanasie, cependant, telle confiance n’est pas nécessairement fondée. Car, à l’intérieur de l’hybride conceptuel qui est l’aide médicale à mourir, ces deux dérivations éthiques ne se trouvent pas tant en opposition (et donc ménageables par voie de compromis), mais entièrement étrangères l’une à l’autre. La validité de tout système éthique, d’ailleurs, dépend de sa cohérence interne. Et c’est ainsi que la cohabitation artificielle de ces souches deux contraires, objective et subjective, détruit la validité cohérente des deux, produisant des circonstances qui exacerbent les pires tendances de l’une, et de l’autre.

Parmi les médecins, il s’est immédiatement apparu des réserves très sérieuses à ce sujet, même en situation stricte de fin de vie. Un scenario, en particulier, retint l’attention des le départ : que le patient volontaire exige son droit de mourir, mais que le jugement professionnel du médecin s’y oppose.

La description populaire de cette éventualité fait normalement état d’un simple préjugé du médecin, habituellement d’ordre moral, voire religieux. Mais ce portrait est grandement inadéquat en ce qu’il ne traduit que la perspective des autonomistes. Tout au contraire : dans tout régime d’euthanasie motivé par une véritable justification médicale, l’évaluation clinique du médecin en serait, évidemment, de la première importance ! Or, la simple instrumentalisation du médecin au service des désirs autonomiste serait, en conséquence, irrecevable d’emblée. Aussi, cette objection fut soulevé, en premier lieu (et avec une logique tout à fait distincte des questions morales et religieuses) par le Dr. Robert, Secrétaire du Collège des Médecins du Québec et lui-même l’un des parrains de la Loi 52 (voir article : “La mort à la carte” apparu sur le site-web du CMQ, Mai 2017).

Très significativement, aussi, pour nos discussions actuelles, furent le peu d’attention accordée à cette réflexion (émise d’une source aussi importante que le Dr. Robert), ainsi que le recours simpliste aux présomptions autonomistes (habituellement utilisées pour y répliquer). Car cette réaction populaire nous indiquent, je soumets, une problème sérieuse de compréhension générale devant le principe même d’une justification médicale de l’euthanasie.

Évidemment, il existe une deuxième cas, aussi, où l’opinion médicale et la volonté du patient peuvent se trouver en désaccord, c’est à dire : l’éventualité où le médecin propose un recours à l’euthanasie, mais où le patient (et/ou son entourage) s’y objectent. Ici, encore, les autonomistes soutiendrait une thèse des plus simples, voulant qu’aucun mal ne peut se produire, étant donné que le patient possède le droit incontesté de refuser tout soin proposé. Cependant, ce cas, tout comme celui du jugement professionnel en soi, est loin d’être aussi claire quand regardée de la perspective médicale. Car selon cette logique et cette tradition : il est du devoir du médecin à déterminer la marche clinique à suivre dans les meilleurs intérêts du patient ; et par la suite : de tout faire pour promouvoir son plan clinique auprès de ce dernier, et pour l’amener à consentir aux soins proposés.

Nous avons déjà remarqué, à cette fin, le déséquilibre de connaissances et d’autorité qui séparent le médecin du patient en tout temps, et les circonstances de pouvoir qui augment ce déséquilibre en contexte clinique de fin de vie. Il en résulte que tout suggestion, y fait par le médecin, soit reçu avec un maximum d’impact par le patient, au point où plusieurs prétendent que le médecin ne doit jamais avoir le pouvoir de proposer l’euthanasie (dans l’absence d’une demande exprès, formulée par le patient). Encore une fois, cependant, telle exigence trahirait un incompréhension fondamentale de l’éthique de la médecine dans l’apport ordinaire des soins, et en conséquence, une mécompréhension, également, des conséquences nécessaires de tout système qui avancerait l’euthanasie en soin médicale.

C.2 — Le cas spécifique des patients incapables : une dérivation analogique de standards permettant une évaluation objective retour

En ce qui suit, nous acceptons en axiome la proposition suivante : que toute définition de l’euthanasie en soin médical impose un devoir conséquent de fournir ce soin, aussi, auprès des personnes incapables.

Manifestement, à ce point dans notre démarche, il n’existe plus de carte magique à jouer — de volonté souveraine — pour mousser les difficultés inhérentes dans l’objectivisation d’un choix qui ne fait aucune unanimité parmi les personnes éligibles. Pourtant, il faut néanmoins établir des standards largement partagés de “souffrance intolérable” définis non pas dans la subjectivité du patient, mais dans l’objectivité des professionnels soignants. De plus, il est essentiel que soit évitée toute perception que l’incapacité elle-même puisse justifié l’euthanasie, et donc, il faut que les critères d’éligibilité pour ce groupe soient aussi exigeants qu’ils ne le sont pour l’ensemble de la population.

Évidemment, étant dans l’impossibilité de consulter directement l’avis du patient, il devient nécessaire de procéder, par analogie, en demandant ce qui serait, normalement, le choix exprimé par le patient-type capable, dans des circonstances semblables. L’usage du concept du “patient-type”, d’ailleurs, est central à cet exercice. Car il faut absolument éviter qu’un choix atypique (bien qu’épousé par certaines personnes capables dans telle ou telle circonstance), puisse servir de justification pour l’euthanasie de personnes incapables dans le même cas. Au contraire, en conformité avec la méthode ici proposée (de bien distinguer entre les justifications réclamées objectivement de source médicale, et celles issues de la subjectivité insondable) : il faudrait que le standard retenu soit assez exigeant pour correspondre, au moins, avec les choix d’une majorité parmi les patients capables.

Et pour établir un principe général à cet égard (dont les ramifications dépassent le contexte “incapable” pour engober aussi les patients capables et viables) : il serait inadmissible que des choix minoritaires puissent établir des standards de soins, normaux, pour la majorité.

C.3 — La multiplication des torts dans l’extension de l’euthanasie aux patients viables retour

Dans les sections précédentes nous avons répertorié deux torts courants dans la pratique de l’euthanasie en fin de vie, l’un résultant du logique autonomiste et subjective, et l’autre de son contrepartie objective et médicale. Dans le premier, nous constatâmes qu’un médecin en particulier (où la profession médicale au complet), peuvent être instrumentalisés par une interprétation volontaire, pour prodiguer une intervention à l’encontre du meilleur jugement professionnel. Et dans le deuxième, nous avons constaté le risque qu’un patient non-suicidaire puisse être influencé (grâce à l’interprétation d’euthanasie en soin médical), pour accepter un proposition d’euthanasie dont il ne serait jamais, lui-même, l’auteur.

Il est très intéressante de remarquer, aussi, que dans les deux cas : la légitimité présumée soit accordée à la réalisation de la mort disputée. Nous constatons ici, donc, la possibilité d’un renforcement mutuelle de présomptions (issues pourtant de tendances opposées, autonomiste et autoritaire), qui nous dirige tout droit vers une normalisation maximale de l’euthanasie : fondée d’abord, sur une présomption de rationalité dans la conduite des patients demandeurs ; et secondée, par une multiplication des instances sous l’influence de médecins inspirés par ces exemples. Surtout (pour y insister), cette maximisation, se produit au dépens de mécanismes limitantes qui sont propres à chaque tendance : qui agiraient fortement, certes, dans l’opération intégrale de chacune séparément ; mais qui sont ignorées dans l’occurrence, par la combinaison irrationnelle des deux. La situation actuelle se présente, alors, un peu à l’image d’une automobile, muni de deux accélérateurs, mais d’aucun frein.

Or voilà l’importance critique de toute extension de la mort assistée aux personnes viables, soit : la généralisation de ces influences néfastes à travers l’ensemble du corps médical.

Par comparaison, les particularités de la situation clinique de soins de fin de vie militent plus fortement pour permettre une maximum de liberté, et au médecin, et au patient. Et tel serait, en fait, le prix exigé par tout régime de mort assistée. Car une fois la résolution prise pour permettre la mort volontaire, certaines conséquences deviennent inévitables ; aussi, en utilisant l’autorité médicale pour encadrer ce droit, d’autres conséquences apparaissent, naturellement, à leur tour. Pourtant, ces circonstances fâcheuses sont, au moins, minimisées en fin de vie. Puisque dans tous les cas, la durée de vie possiblement perdue serait limitée par ce fait même.

L’ouverture de l’aide médicale à mourir au patients viables, cependant (grâce à la Loi canadienne C-7), promet de basculer ces calcules pratiques d’une manière majeure. Et c’est ainsi que notre conclusion principale se recommande de nouveau : que la combinaison artificielle des justifications pour la mort assistée — médicale et autonomiste — objective et subjective — ne peut que très imparfaitement se défendre dans l’ensemble, et comme je tenterais de démontrer dans la suite : pas du tout auprès de patients viables.

C.4 — L’euthanasie et le devoir de prescription médicale : un paradigme de soins qui se révèle inapplicable face aux patients viables retour

Considérons, à ce chef, la controverse qui entoure la question de “demande” versus “proposition”, a savoir : si le patient doit formuler la requête en premier, ou si le médecin peut en initier la discussion.

Cette question, d’ailleurs, n’est plus qu’une reformulation contextuelle du différend essentiel, à savoir : qui décide de l’opportunité de l’intervention euthanasique ? Or, d’après les principes élaborés ci-haut : en autant que la situation soit regardée dans sa dimension médicale, et que la question euthanasie en soit un de moyen seulement (et non de but), il semble tout à fait logique que le médecin responsable, accueilli devant une mort imminente (et constatant les indices normalement admis pour justifier d’autres protocoles d’effet mortel), puisse ouvrir devant le patient (et son entourage) la gamme complète des options disponibles.

Dans le cas d’un patient viable, cependant, la situation est tout autre. Car les patients pris subitement avec les charges physiques et émotives — soit d’une blessure catastrophique, soit d’un diagnostic de maladie dégénérative — se trouvent, d’emblée, dans un état de vulnérabilité extrême, balancés précairement entre la confiance requise pour survivre (même temporairement), et un désespoir de futilité sans fond. Qu’un médecin se permet d’introduire, alors, la moindre idéation défaitiste (voire: suicidaire) et ce serait, dans ces circonstances, une initiative inacceptable ; empreinte (à mon avis) d’une inconscience professionnelle proprement condamnable. Car manifestement : si le but médical se résume à soutenir la volonté vitale des patients (en autant que cela soit possible), aborder spontanément le sujet de l’euthanasie auprès de patients viables (ne serait-ce que par le biais d’une devoir hypothétique d’information), est à proscrire, absolument.

Et encore, cette affirmation ne se fond pas uniquement sur l’intention idéelle. Il existe, en plus, d’excellentes raisons quantitatives pour agir ainsi.

C.5 — La normalité exprimée dans des proportions relatives retour

La thèse autonomiste, avancée par tous les tendances du droit de mourir, et validée par certaines personnes handicapées comme L’Honorable Sénatrice Peticlerc, se fond, dans l’imagination populaire, sur la présomption d’un grand nombre de personnes qui désirent véritablement mourir. Or, ces personnes suicidaires existent bel et bien, sans contredire. Cependant, comme une proportion quantitative de l’ensemble, ce nombre demeure très restreint (voire même : minuscule).

En réalité, tous les groupes habituellement indiqués pour illustrer la nature raisonnable (et même normale) du désir suicidaire, présentent un profil quantitatif qui est exactement opposé aux croyances populaires. Pour ne prendre qu’un exemple bien connu (et qui me touche personnellement) : parmi les blessés médullaires (incluant l’ensemble de personnes paraplégiques et quadriplégiques post-traumatiques dont la majorité, 60%, sont quadriplégique) un pourcent seulement — c’est à dire 0.01– se suicideront au cours des cinq années suivant la blessure ; et après cette période : l’incidence de suicide parmi ce groupe est statistiquement identique à la normale.

Voilà, donc, la vraie proportion sur laquelle tout le mythe du héro paralysé et suicidaire, a été construit, soit : un pourcent.

Et encore, seulement un peu plus, soit moins de deux pourcents, se sont suicidés parmi les personnes affligées par le Sida, et ce, pendant la pire période de la récente épidémie (avant l’arrivée des thérapies antirétrovirales).

Voilà aussi, qui rendrait compréhensible, peut-être, l’énorme opposition à la Loi C-7 qui fut manifestée par la vaste majorité des personnes malades chroniques et handicapées. Car ces personnes déplorent (et avec raison) la possession obligée d’un privilège discriminatoire dont elles ne veulent absolument pas. Surtout, pour nos fins immédiates, à la recherche d’une image juste de la “normalité”, capable de soutenir une politique rationnelle : il faut constater que toute la montagne de livres, de films, et d’articles produits à l’éloge des suicides “courageux” de “souffrants extraordinaires” ne reflète que la psychologie d’un (ou, au plus, de deux) pourcents parmi ces personnes ; et que la perception publique se trouve grossièrement inexacte en conséquence.

C.6 — Les ramifications de ces faits pour l’euthanasie de personnes viables : capables, et incapables retour

En constatant que la demande potentielle pour l’euthanasie volontaire ne soit le fait que d’un (ou de deux) pourcents des individus parmi les patients lourds mais viables, il suit de près : que la pratique clinique normale doit absolument procéder sur une présomption que le patient-type (même très sérieusement atteint) soit fondamentalement non-suicidaire ; et que la pratique doit être franchement adapté à cette normalité.

Pour prendre l’exemple précédent des blessés médullaires : malgré l’aspect dramatique de la situation initiale, les équipes soignants, les familles, et les patients eux-mêmes (quand correctement informés), peuvent procéder en toute confiance, avec la certitude statistique de réaliser une adaptation positive, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent. Il n’existe, donc, aucun prétexte, ni pour suggérer, ni pour anticiper, l’opportunité d’un recours à l’euthanasie à l’égard de ces personnes. Et pour répéter notre conclusion précédente : quoique l’euthanasie soit parfaitement légale quand présentée en choix (subjective) toute suggestion médicale (objective) d’un plan semblable relèverait d’un grave faute d’éthique professionnelle.

Ainsi serait-il, également, pour toute extrapolation de ces faits, par voie d’analogie, à l’intention des personnes incapables. Car toute norme ainsi imputée (pour calculer la probabilité qu’une personne incapable, mais viable, soit “naturellement” désireux de mourir), doit, aussi, se fixer à moins de deux pourcents. Et alors : il n’existe aucune justification, en temps normal, pour permettre l’euthanasie de ces personnes.

(En considération, toutefois, des cas véritablement extraordinaires — mais statistiquement inévitables — la nécessité d’agir pourrait être établie grâce à des modalités dont l’exiguïté intentionnelle — ainsi que le prix des ressources engagées — servirait à minimiser tout abus éventuel.)

Finalement, le risque d’abus par la suggestion professionnelle, déjà signalé auprès des personnes parfaitement volontaires, est encore plus important auprès de la clientèle incapable (prise dans ses limites les plus élargies). Car solliciter le consentement, de la part d’une personne dont la capacité décisionnelle est au mieux marginale, et qui est habituellement liée par des attaches de confiance et d’affection aux soignants/responsables, ressemblerait à s’y méprendre : au fait de voler les bon-bons d’un bébé.

C.7 — Les directives anticipées d’euthanasie, un exemple concluant : soient incompatibles avec une lecture cohérente de l’interprétation médicale ; soient inférieures aux attentes autonomistes ; impossible de réconciliation rationnelle retour

Les directives avancées ne peuvent aucunement changer les devoirs éthiques du médecin dans la fourniture positive des soins. Comme toujours, le patient peut refuser un soin, mais il ne peut pas ordonner son accomplissement. Selon une interprétation strictement médicale, donc : dans tout cas où il y aurait question d’euthanasie, il serait nécessaire que le médecin se satisfasse, selon son propre jugement professionnel, que la barre légitime de “souffrance intolérable” ait réellement été atteinte. Aussi, ce devoir de jugement médicale est d’autant plus important face aux patients incapables.

Or, dans le cas d’une directive anticipée : le médecin se trouve, effectivement, devant un patient incapable ; les standards élevés, applicables dans ces circonstances, doivent prévaloir ; l’existence d’une directive anticipée ne contraint point le médecin à agir ; aussi, tout initiative législative, conçue pour produire un résultat contraire, constituerait une attaque directe sur l’indépendance de la profession médicale, et sur la pratique éthique de cette profession. Rien ne serait plus limpide.

De la perspective autonomiste, cependant, telle conclusion serait irrecevable.

Manifestement, les conditions de mort réellement stipulées, par ceux qui réclament un recours aux directives anticipées d’euthanasie, n’ont rien à voir avec la “souffrance” (communément comprise) mais, surtout, avec différentes formes de pertes fonctionnelles, comme la recognition des êtres chers, par exemple, ou la capacité d’accomplir seul les besoins personnels. Sans nuance : ces personnes réclament le droit de définir, à la carte, les conditions (arbitraires) qui enclencheraient, par obligation, un protocole de mise à mort à leur intention. Et tel résultat est parfaitement concordant avec les principes premiers du droit de mourir, conçu en privilège arbitraire de la subjectivité souveraine.

Pourtant, aucune de ces lacunes fonctionnelles ne pourrait servir d’indice médicale pour justifier objectivement l’euthanasie. Pire encore, l’adoption conséquente de tels standards cliniques constituerait une déclaration de guerre à l’endroit de tous les individus incapables (exhibant des déficits semblables), et possiblement, aux incapables tout court. Mais tel n’est pas le mandat de la profession médicale. Et pour plus de certitude : il est impensable que les professionnels médicaux, individuellement ou ensemble, soient sujet à l’obligation de tuer des patients incapables, mais viables, dans quelque circonstance que ce soit.

Comme conséquence, alors, les directives anticipées de euthanasie ne peuvent pas s’intégrer à l’intérieur d’un système qui se veut médical.

Et au cas (très probable) où le désir pour ces directives se révèle suffisamment fort pour en assurer leur autorisation éventuelle : cette autorisation doit (logiquement) se faire à l’extérieur du régime, québecois, d’euthanasie conçue en soin médicale.

D) Conclusion retour

D.1 — Comment la redéfinition de mots et de critères, effectué pour satisfaire aux attentes autonomistes, se pratique au dépens de la rigueur médicale retour

Au départ, toute autorisation de l’aide médicale à mourir dépendait d’un consensus largement partagé, voulant qu’il peut exister des situations extraordinaires de “souffrances insupportables”, où la mort semblerait objectivement préférable à la vie. Plus difficile que l’adoption de ce principe, pourtant, aurait demeuré l’élaboration de standards cliniques qui permettrait d’identifier de telles situations.

Une façon, possible, d’établir ces normes futures se base sur l’analyse des personnes qui désirent mourir. Or, en représentant ces personnes, à cette fin, les adhérentes de la tendance autonomiste auraient tenté — au Québec comme ailleurs — de présenter le plus grand nombre possible, de morts assistées, en interventions médicalement justifiables. Il s’avance, même, une sorte de raisonnement auto-suffisant où le fait même de désirer la mort (par une seule personne souffrante de tel ou tel mal) est offert en démonstration de l’opportunité de fournir la mort assistée dans toute circonstance similaire.

Une seule Sue Rodriguez, par exemple, qui avait tant répandu une perception de normalité dans les désirs suicidaires d’une petite minorité parmi les personnes atteintes de maladies dégénératives. Une seule Nicole Gladu, encore, dont la victoire personnelle — postulée sur un désir fortement atypique — a bouleversé ce qui se proclama préalablement en compromis sérieux et durable ; plaçant, ainsi, la majorité de ses semblables en position de fragilité accrue.

Clairement, les torts ainsi produits n’affecte pas uniquement un groupe particulier de personnes malades chroniques et handicapées. Car l’intégrité de notre système soins-santé engage les intérêts de tous. Et selon le jumelage artificiel de l’aide médicale à mourir, les victoires autonomistes attaquent cette intégrité (accessoirement, mais non moins réellement) en pratiquant un ajustement malsain de définitions intuitivement significatives comme la “souffrance insupportable” ; les privant, dans le contexte médical, de tout véritable sens ou utilité.

D.2 — Prioriser le respect des intérêts vitaux du patient-type retour

Heureusement il existe une deuxième façon d’évaluer la norme en ce qui concerne l’instinct et la volonté de survie. Et cette méthode se pratique en observant combien de personnes, dans chaque situation clinique, refusent la mort volontaire.

Or, selon cette méthode, j’ai fait état d’une proportion de pas moins de 99% de survivants de blessures catastrophiques qui choisissent la vie et qui réussissent dans l’assimilation positive de leur nouvelle réalité. Et pour les personnes aux prises avec les effets de divers maladies dégénératives, ce chiffre se situe essentiellement au même niveau. Plus encore, mème en situation de mort imminente : même parmi le groupe qui s’est montré le plus désireux de recourir à l’euthanasie ; et même la où le recours à cette pratique est le plus facile et le plus systématique — soit parmi les patients atteints de cancer terminal en Belgique et aux Pays Bas : seulement dix pourcents des patients consentent de mourir de cette façon !

Il semblerait, alors, que la vraie barre pour représenter ce que les vraies personnes peuvent trouver véritablement “insupportable” (au point de demander la mort en remède) se trouve passablement haute.

D.3 — Enjeu d’un siècle : la liberté personnelle retour

Pourtant, nous ne sommes pas encore au but de la libéralisation du droit de mourir. Car depuis cent ans, l’appétit populaire témoigné en faveur d’une parfaite liberté personnelle semble proprement inassouvissable, et cela, quelque soit le domaine de comportements en litige. En ce qui concerne le “droit de mourir”, alors, les procès judiciaires se poursuivront, très certainement, selon la logique de traitement équitable. Aussi la limite de l’acceptable sera continuellement mise à l’épreuve en contexte clinique. Et pour tout dire : donner un cornet de crème glacée à un enfant, crée (éventuellement) une obligation conséquente de donner des cornets à tous les enfants.

Et pourtant, la médecine est une poursuite empirique qui dépend de concepts objectifs pour identifier le bien du patient. Or, obliger, à cette profession, collectivement, d’adopter les définitions ultra-subjectives qui seront nécessaires pour satisfaire aux revendications autonomistes implique, aussi, une notion de normalité dans les morts de personnes viables, cautionnée par l’autorité médicale. Et telle notion (s’il faut préciser cette évidence de nouveaux), se trouve en opposition directe aux intérêts (et aux désirs) des patients (dans leur vaste majorité) et donc, en opposition avec la mission première de notre système médical.

D.4 — Le devoir du médecin retour

Les médecins, au contraire de certains préjugés populaires coriaces, ne sont pas des sur-hommes (et sur-femmes) imbus de pouvoirs surnaturels, ni d’agence, ni de sagesse. Pourtant, ce sont des êtres possédant des facultés statistiquement supérieures, renforcées par une discipline peu commune, et qui, pour la plupart, son habités par un sens profond de devoir et de responsabilité. Ce ne serait pas, certes, toujours ainsi, mais j’en ai personnellement connu suffisamment (et suffisamment bien) pour pouvoir affirmer que le type correspondent réellement, de très près, à l’idéal. Il serait impossible cependant d’escompter un accomplissent loyal par ces personnes, des responsabilités qui leur sont imposées, dans un environnement clinique ou l’on cherche, d’abord, à interpréter souplement des critères flous pour satisfaire aux attentes arbitraires des clients, plutôt que d’exercer son jugement, rigoureusement, dans la service de la médecine.

Cette problème fut signalé par le Dr. Yves Robert, en contexte de fin de vie, dés 2017, en disant : « Si la volonté populaire se limite à respecter la volonté exprimée par la personne, la société devra considérer lucidement d’autres options que celles qui nécessitent la participation du médecin » et : « Si on parle d’aide et non plus de médecine, pourquoi les médecins devraient-ils intervenir ? »

Le Dr. Michèle Marchand à fait de même, devant l’élargissement des critères pour inclure les patients viables. Évoquant ici même (28 mai, 2021) un recours possible à la mort assistée : « en marge du système de soins, et avec une contribution des médecins qui est minimale »

De plus, il y avait le Docteur Bernard qui émit des réserves au sujet de la politique actuelle en lamentant la trajectoire observées des initiatives en cours :

“Il a été signalé au Collège que les patients qui demandaient une aide médicale a mourir devenaient prioritaires quant aux ressources disponibles (en matière d’évaluation médicale, psychosociale, d’accompagnement spirituel, etc.) … au détriment des autres patients en fin de vie ayant des besoins similaires…

Précisons que ce sont des paroles de médecin ; que ce ne sont pas des médecins opposés à la pratique de l’euthanasie (à l’image de nos amis du Collectif des médecins contre l’euthanasie, représentés devant cette commission le 12 août dernier par le Dr. Catherine Ferrier) ; que ce ne sont même pas des médecins neutres, essayant tant bien que mal à naviguer ce terrain inconnu. Robert, Marchand, Bernard, ce furent respectivement le Secrétaire, la Conseillère éthique, et le Président du Collège des médecins du Québec, directement associés à l’élaboration de notre régime actuelle d’aide médicale à mourir. Et encore ce ne fut pas des paroles légèrement lancées en compagnie privée : mais des sorties publiques utilisant les pleins forces dont disposaient ces personnes pour transmettre leurs messages. Pour tout dire : si il y avait quelques uns dont les paroles d’avertissement critiques pourraient nous sembler significatives en ce moment, ce serait bien ces trois.

Nous voilà, donc, formellement sommés à constater la gravité de notre situation présente ; et de réaliser que ces problèmes d’éthique médicale ne peuvent que s’empirer aussi longtemps que les deux interprétations antagoniques, autonomiste et médicale, cohabitent de force dans le même contenant conceptuel et institutionnel.

Surtout, il serait le souhait ardent de l’auteur qu’il puisse en dégager un véritable sens d’urgence autour de ces faits.

D.5 — Une opportunité d’action, unique et ponctuelle retour

D’après la thèse présente, nous nous devons absolument de disjoindre les deux éléments disparates – subjectif et volontaire vs. objectif et médical – qui fournissent la justification double pour cet hybride instable qui est l’aide médicale à mourir. De plus, il serait de notre intérêt d’agir au plus vite, suite à l’ avènement de la Loi fédérale C-7, pour empêcher l’introduction de cette confusion conceptuelle dans un espace clinique vastement élargi.

Et pourtant, en disant « agir », il s’agirait plus justement (au moins en grande partie) de s’abstenir, tout simplement. Car deux régimes, deux intentions, deux lois et deux compétences existe déjà. Le plus important – l’essentiel – est déjà accompli par la déclaration, unique au Québec, de l’euthanasie en « soin » médical, et plus particulièrement : en soin de fin de vie. Aussi surprenante que cela puisse paraître, aucun autre État, jusqu’à présent, n’aurait pris ce pas décisif. Mais toujours est-il, que la première étape dans l’établissement de toute distinction entre deux phénomènes consiste, précisément, dans la définition formelle de l’un des deux. Et chez nous, cette étape est déjà franchie.

Pour le future, face à l’élargissement des critères d’éligibilité, au personnes viables, qui est la caractéristique principale de la Loi C-7, il ne faut que refuser la redéfinition qui y soit implicite : Non. Ce n’est pas comme ça que le Québec eut défini « l’aide médicale à mourir ». (Et c’est le Québec qui possède les compétences dans cette matière.) Le pouvoir fédérale peut, évidemment, décriminaliser d’autres formes de mort assistée ; et peut, même, autoriser aux seuls médecins la possibilité de les accomplir. Mais rien n’engage les compétences Santé du Québec face à ces morts hypothétiques : ni dans les garantis d’État, ni dans les obligations professionnelles. Et pour plus de certitude : rien n’oblige l’extension des garantis et des obligations créés par la Loi 52 pour encadrer d’autres pratiques non-stipulées à cette occasion.

Ou selon la coutume commune : il ne suffit pas de représenter un cochon en cheval pour le vendre comme tel. Et ainsi serait-il, d’ailleurs, de tout autre changement fédéral dans cette matière.

Il peut surgir, possiblement, une dernière objection, pratique, voulant que cette politique ne fixe pas définitivement les modalités de fourniture de services de mort assistée auprès de personnes viables (ou autres services qui reste a préciser) ; objection à laquelle je réplique ainsi : Le but de tout intervention québecoise, dans cette matière, se dirige uniquement vers la protection des intérêts des usagers typiques du système santé, et de l’intégrité globale de ce système. Il ne s’agit pas de fixer les limites de l’action volontaire. Plusieurs services de statut médical incertain, tel l’avortement et la chirurgie esthétique, se pratique couramment à la grandeur de la province ; ces services se sont développés organiquement selon la demande témoignée ; il en serait, sans doute, exactement de même pour la mort assistée de justification volontaire.

Manifestement, alors, le Québec se trouve devant une opportunité extraordinaire pour préciser et renforcer son intention de départ, mais pas une opportunité seulement : car les agissements audacieuses de nos législateurs (qui nous avaient projeté littéralement à l’avant-garde mondiale dans cette matière), nous impose, aussi, un devoir certain.

Car partout ailleurs, cette confusion existe aussi : entre la mort assistée, justifiée par des considérations proprement médicales, et, la même intervention mortelle justifiée en simple droit de mourir. Décidément, donc, notre intérêt propre, et notre devoir de clarté intellectuelle (dans un débat qui implique tant d’autres personnes) combinent dans ce cas pour nous amener directement vers la conclusion final de ce mémoire, soit : la suggestion de maintenir deux régimes de loi, distinctes, pour accommoder deux phénomènes, tant différents.

Heureusement, aussi, un concours positif de facteurs ponctuels nous invite tout spécialement à l’adoption d’une telle politique : la séparation des pouvoirs à l’avantage du Québec en matière de soins-santé ; la conséquence logique voulant que toute forme fédérale, de décriminalisation, ne puisse aucunement invalider les choix québecois (de politique médicale) ; une frontière naturelle, intuitivement compréhensible, qui soit la mort rapprochée (pour fixer les limites de l’interprétation médicale) ; la circonstance historique que la législation québecoise ait précédé celle du gouvernement fédéral dans cette matière ; et le fait (très évident) que la réflexion en français, et au Québec, se soit avancée plus rapidement qu’ailleurs au pays (et ce, en particulier, sous l’influence des liens étroits entretenus avec les pays étrangers (tels la Belgique), qui en possède le plus d’expérience.

Voilà le défi qui se présente à nous, et les avantages qui nous promet une réussite probable.

Gordon Friesen, Montréal, le 12 août, 2021

E) Addendum au sujet des troubles mentaux retour

Selon le plan élaboré ici, les morts assistée de personnes atteintes uniquement de troubles mentaux (étant des personnes viables) ne serait pas la responsabilité d’un régime Québecois de soins de fin de vie. En outre, l’euthanasie parmi ce groupe fournit actuellement la matière pour une réévaluation fondamentale parmi les professionnels concernés, en plus d’un terrain fécond pour des procès judiciaires. Et dans ces circonstances, l’imposition précoce de solutions législatives serait probablement à déconseiller.

F) Annexe 1 — Recommandations spécifiques retour

Objective directrice :

Réaffirmer la volonté, québecoise, d’élaborer une politique compréhensive de soins de fin de vie, qui préserve les relations existantes, cliniques et éthiques, entre patient et médecin.

Moyens suggérés à cette fin :

1) Établir une distinction claire : entre, l’euthanasie employée comme outil clinique dans l’accompagnement du patient mourant ; et, l’assistance au suicide prodigué auprès de toute personne viable.

2) Utiliser les pouvoirs provinciaux de Soins-Santé, pour encadrer, au Québec, la pratique de l’euthanasie, prodiguée en soin de fin de vie.

3) Déférer aux diverses instances juridiques, ainsi qu’au pouvoir législatif fédéral, la tâche d’établir toute limite éventuelle aux pratiques légales d’assistance au suicide, en vertu de la Code criminelle canadienne.

G) Annexe 2 — Lettre en demande de participation aux travaux de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie retour

17 juillet, 2021, Montréal

Re: Demande de participation aux travaux de la Commission

À qui de droit,

De par le présent, je désire solliciter le privilège d’apparaître devant la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.

Je me nomme Gordon Friesen. Je suis citoyen canadien ; résident québecois ; né en 1952 ; domicilié à Montréal depuis 1972.

En juillet 1979 j’ai subi une accidente d’automobile qui m’a placé dans un catégorie de personnes fortement affectées par la question « euthanasie ».

J’ai debuté ma reflexion personnelle à la sortie du film “Whose Life is it anyways ?” (MGM 1981, Brian Clark, Richard Dreyfus) et plus sérieusement en 1993 (à l’occasion de la controverse Rodriguez) ; j’ai commencé à m’exprimer publiquement vers 1999 (par voie de forum internet) ; en 2005 j’ai entrepris l’écriture d’un livre à ce sujet ; et depuis 2013 cet ouvrage occupe la plus grande partie de mes énergies.

Pendant ces années, bien sûr, toutes les personnes impliquées dans ce débat se sont appliquées, soit à défendre, soit à opposer, la légalisation de l’euthanasie. À ce chef (en épousant le parti adverse), j’ai écrit plusieurs articles (2017 – 2019) en collaboration avec le Dr. Catherine Ferrier, Présidente du Collectif des médecins contre l’euthanasie. J’ai également siégé au conseil d’administration de la Euthanasia prévention coalition (EPCC, 2020 – ) ; et servi de co-auteur, au sein d’un groupe autonome de médecins canadiens, dans la production d’un article paru dans le journal de l’Association médicale mondiale (“Why Euthanasia is Unethical and Why We Should Name it as Such” WMJ 2018, No. 4, page 33). Plus récemment (2020 – 2021), au moment des tractations autour de la Loi (fédérale) C-17, j’ai écrit un pamphlet couché sous forme de lettre ouverte à l’intention de L’honorable Sénatrice Chantal Peticlerc. Depuis 2019 je publie mon ouvrage principale par tranches non-sérielles, en ligne, en langue française, dans un format de deux tombes, dont le premier (« L’euthanasie et le choix ») concerne les effets de l’euthanasie, sur les personnes handicapées et sur la profession médicale, tandis que le deuxième, intitulé « Sous l’ombre de l’euthanasie », concerne les effets sociétales plus larges, observés des perspectives économiques et idéologiques.

En somme, je crois qu’il n’existe que peu de personnes ayant consacré autant d’énergie, sur une période aussi longue, à l’étude de cette question, et à l’identification des défis qui en sont indissociables.

Pourtant, je ne sollicite pas cette opportunité d’adresser la Commission en raison de mes qualités personnelles, ni dans le but de répéter des arguments déjà familiers (pour ou contre l’euthanasie). Au contraire. Il se présente des moments où la défense de la démocratie sera plus important que les décisions démocratiquement prises ; où l’intégrité de la méthode scientifique sera plus importante que les effets politiques des théories ponctuellement épousées ; où enfin : un respect partagé pour la rigueur, et pour la cohérence dans l’élaboration des systèmes éthiques, sera plus important que les préjugés éthiques qui nous soient propres à chacun. Or, devant la dissonance manifeste qui existe entre la forme et l’intention des lois Canadiennes (C-14, C-7), et celles de la loi Québecoise sur les soins de fin de vie, nous nous trouvons, je crois, précisément devant l’une de ces éventualités, où une attention à l’intégrité future du cadre (des débats engagés) doit prendre préséance sur la matière première des débats comme tels.

Pour être précis : les lois canadiennes ne concerne que la décriminalisation de certaines actes de mort volontaire, entreprise, surtout, dans un souci de régulariser des pratiques pré-existantes, et dont l’étendue ultime dépendrait d’une dynamique de contestation (articulée en termes de traitement équitable), qui se poursuivra vers une affirmation maximale de la volonté autonome. La loi Québecoise, tout au contraire, se veut une réponse sociétale aux problèmes pratiques des soins de fin de vie, bâtie non (premièrement) sur la volonté de mourir, mais plutôt, sur une théorie médicale des méthodes raisonnablement indiquées dans un contexte clinique particulier. Rien ne pourrait présenter un contraste plus net.

Dans la mesure, alors, qu’il puisse exister une perception que les lois fédérales et québecoises doivent s’harmoniser (pour présenter une seule définition des modalités de mort médicalement assistée), je dois m’objecter avec la plus grande énergie. Car il s’agit, face à l’euthanasie, de deux intentions (et de deux justifications) qui sont parfaitement distincte, et qui doivent, en conséquence, engager deux approches qui le seront tout autant.

Aussi, ce ne sont pas des conceptions de la mort assistée qui soient mutuellement antagonistes. Elles sont, plutôt, coexistante mais distinctes tout simplement, dans ce sens que les justifications personnelles (subjectives) et médicales (objectives) ne peuvent jamais se rejoindre, intégralement, dans leurs ramifications pratiques.

Il ne s’agit pas, alors, pour le Québec de refuser de prendre acte des conséquences de la nouvelle loi fédérale C-7 (avec son extension des critères d’admissibilité aux personnes qui ne sont aucunement mourantes). Pas du tout. Le Canada fixe les limites de la pratique légale ; et ces euthanasies sont, désormais, légales. Par contre, le Québec, dans son intention d’adresser la problématique des soins de fin de vie, n’a aucune raison d’interpréter, à la même lumière, les euthanasies qui se produisent dans un contexte autre.

En particulier (au risque d’outrepasser les limites de cette introduction), la loi sur les soins de fin de vie comporte des obligations professionnelles et institutionnelles qui ne peuvent logiquement s’appliquer au cas où l’euthanasie résulte, principalement, d’un choix autonome. Cette problème fut soulevée par le Dr. Yves Robert, Secrétaire du Collège des médecins du Québec, dès mai, 2017, dans une opinion d’avertissement intitulé “La mort à la Carte”. Décidément, les très sérieuses contradictions soulevées par Dr. Robert, à cette époque, sont devenues de beaucoup plus pertinentes suite à l’avènement récent de la loi C-7 ; et elles le deviendront d’avantage avec tout assouplissement accordé, au futur, en vertu du principe volontaire.

Bref, la seule façon de protéger l’intégrité du modèle québecoise consiste dans un encadrement de l’euthanasie volontaire (élargie selon les définitions fédérales et subséquentes) qui soit tenu scrupuleusement à part du régime embryonnaire des soins de fins de vie provincial, de sorte que l’un ne puisse corrompre l’autre dans l’extrapolation parallèle des raisonnements éthiques qui sont propres à chacun.

Or, nous nous trouvons, ainsi, devant un concours positif de facteurs ponctuelles qui inviterait tout spécialement à prendre un rôle avancé dans la définition futures des pratiques de mort assistée, et ce, d’une manière qui soit utile non-seulement chez nous, mais parmi nos partenaires/voisins également.

Ces facteurs propices incluent, notamment : la séparation des pouvoirs, à l’avantage du Québec, en matière de soins-santé ; la conséquence logique (de cette séparation) voulant que toute forme fédérale, de décriminalisation, ne puisse aucunement invalider les choix québecois à l’égard d’une politique optimale de soins de fin de vie ; le circonstance historique que la législation québecoise ait précédé celle du gouvernement fédéral dans cette matière ; et le fait (très évident) que la réflexion en français, et au Québec, s’est révèle plus avancée à ce sujet qu’ailleurs au pays (et ce, en particulier, sous l’influence des liens étroites entretenues avec les pays étrangers, tels la Belgique, qui en possède le plus d’expérience de notre sujet).

Pour conclure, la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie assume, en ce moment, des opportunités et des devoirs, qui s’annoncent des plus particuliers. L’aboutissement le plus utile qui peut en ressortir, selon mon analyse personnelle, consisterait dans une affirmation formelle de la distinction essentielle qui sépare les justifications — médicales et volontaires (c’est à dire : objectives et subjectives) — qui se confondent toujours à la base de “l’Aide médicale à mourir”.

Deux défis éthiques parfaitement distinctes se présentent à nous ; et deux régimes de lois seront nécessaires pour y répondre.

C’est dans cette esprit que je formule la demande présente : en simple citoyen ; averti et engagé de long date ; décidé à enterrer, pour cette occasion, les armes de la polémique ; sachant que des raisons supérieures doivent, aussi, commander notre attention. Et c’est ainsi que je me propose pour adresser la Commission.

Je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus distingués,

Gordon Friesen, Montréal, le 16 juillet, 2021

http://www.euthanasiediscussion.net/

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Compassion, et utilitarisme ; euthanasie volontaire, et l’évacuation des personnes imparfaites : des compagnons étranges sur une route bien tracée

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Compassion, et utilitarisme ; euthanasie volontaire, et l’évacuation des personnes imparfaites : des compagnons étranges sur une route bien tracée)

— Cent cinquante ans de continuité dans la stratégie euthanasiste

L’euthanasie, surtout volontaire, n’est pas conceptuellement inséparable de l’eugénie (ni des programmes utilitaires plus moderne). Pourtant, comme l’histoire nous enseigne, l’euthanasie représente l’instrument ultime pour implémenter de tels programmes, ouvertement, ou à couvert. Or, la normalisation de l’euthanasie volontaire facilite immédiatement ce processus de deux façons, car : en outrepassant l’interdiction de l’homicide (et en infirmant le principe de “vie sacrée”) elle ouvre littéralement la porte à d’autres pratiques jugées jusqu’alors impossibles. Et en deuxième lieu, elle introduit la notion, tant pernicieuse, de miséricorde dans la mise à mort — notion appliquée, par la suite : non seulement aux véritables souffrances, mais aux simples imperfections ; et non seulement aux victimes volontaires, mais aux incapables, également ; même, en dernier ressort, aux individus capables mais réfractaires.

Nous avons déjà catalogué, en quelque détail, les arguments classiques contre l’euthanasie volontaire. Mais nous avions aussi noté le fait que le médecin affronte, très souvent, des circonstances où le patient n’est pas capable d’affirmer (ni même de formuler) des dessins volontaires. Et ce serait dans tels cas où les présomptions à l’égard de la valeur intrinsèque de la vie humaine, ainsi que la présomption de miséricorde dans la mise à mort, jouent au plus fort dans les décisions de prolonger, ou d’écourter, des existences individuels.

En fait, au niveau sociétale, selon la logique pure (et aussi selon l’expérience des pays récemment lancés dans cette voie) : autoriser l’euthanasie comme soin médical (pour quelque raison que se soit, et nonobstant des prétendues prémisses volontaires), aboutit inévitablement dans la nécessité de décider, par voie politique, quelles vies méritent de continuer. Et mème si un effet résiduel du principe volontaire peut partiellement protéger les personnes capables (et non-suicidaires), il se cré toujours des pressions collectives, évidentes, en faveur de la mort précoce ; tandis que la même protection serait absente pour les personnes incapables d’en décider seules.

Or, quoique Samuel Williams avait soigneusement évité ces questions dans sa proposition initiale en 1870, elles n’ont pas tardé à se manifester dans les discussions provoquées par sa diffusion. Et à cette fin, des prétendus supporteurs de l’euthanasie volontaire auraient saisi l’occasion, aussi, pour recommander la terminaison de toutes sortes de vies (jugées par eux inutiles), largement à l’extérieur des balises “volontaire” et “sans espoir” (dans le sens stricte d’une mort imminemment anticipée).

— Charles Goddard

Remarquable parmi ceux de cette tendance se trouva Charles E. Goddard, responsable de la santé médicale à Willesden (ancienne banlieue de Londres) qui publia à son tour (1901) : “Des Suggestions en faveur de la terminaison des cas tout à fait sans espoir, de blessure ou de maladie” (“Suggestions in favour of terminating absolutely hopeless cases of injury or disease”).

Les cas identifiés par Goddard, sous une influence eugénique évidente, incluaient les déficients mentaux, habitants des nouveaux asiles publiques qui se multipliaient dans l’expansion de la largesse publique, résultant de la prospérité industrielle.

Goddard parle spécifiquement :

“… (d’) idiots, des êtres n’ayant qu’une semblance de forme humaine : incapables de s’améliorer par l’éducation ; incapables de se nourrir ou de constater l’accomplissement des fonctions naturelles ; incapables de jouir de la vie, ni de jouer aucun rôle utile dans la nature(italiques ajoutés) …”

Aussi, à ce chef, faut-il se souvenir de la cohue courante dans ce secteur à telle date, où les asiles, les hôpitaux, les orphelinats, les maisons de pauvre et de redressement — anciens et nouveaux, religieux et séculaires — se côtoyaient dans une ambiguïté chaotique de mandats et de clientèles, sous l’influence de philosophies émergentes où se mêlaient, aussi, la tradition et l’expérimental.

En particulier, à cette époque, il n’existaient que peu (ou pas) de distinction entre les différentes limites cognitives et la maladie mentale, de sorte que les définitions de Goddard aient pu s’appliquer à un très grand nombre de personnes. Et comme nous avions remarqué précédemment, le programme intégralement eugénique visait, éventuellement, non seulement les incapables, mais l’évacuation de toutes ces clientèles, de toutes ces institutions, en prétextant non seulement des torts inacceptables envers le patrimoine génétique, mais envers les finances publiques, également.

Un mot, et une idée en particulier, qui revient à répétition dans ces textes, autant de Williams que de Goddard, est celui de “l’utilité”. La notion que la vie ait une obligation de se justifier, surtout devant l’économie sociale.

Décidément, les notions darwinistes et matérialistes jouissaient d’un grand appui, à cette époque, de même que les idéologies collectivistes et utilitaires qui en prennent leur inspiration. En particulier, fut très populaire cette attitude se voulant “réaliste” à l’égard de l’utilité de la vie humaine ; attitude qui favorisait, aussi, la propagation du thèse eugénique, avec son pendant ultime d’euthanasie purificatrice.

Pourtant ce point n’était jamais majoritairement gagné.

— Une réponse politique qui fut décevante pour les eugénistes au début du dix-neuvième

Même si les idéaux de la santé, et de l’utilité sociale, devenaient très largement perçus comme les justifications nécessaires d’un support philanthropique à la vie humaine, il existaient, aussi, des raisons personnelles et collectives suffisamment fortes pour s’y opposer

De prime abord (et à cette différence avec la société actuelle), presque tout le monde concevait leur vie dans une dynamique d’interdépendance familiale ; et toutes les familles (à peu près) abritaient des personnes “inutiles”, auxquelles ces mêmes familles tenaient, souvent, avec un attachement affectif des plus tendres et des plus coriaces. Il en résulta pour plusieurs, donc, que la théorie utilitaire se soit trouvée personnalisée d’une maniéré inconfortable.

Ensuite, grâce à l’opération du premier principe de la morale Chrétienne (encore universelle à cette époque), les individus se sentaient formellement appelés à sympathiser avec le sort du voisin, et d’y consacrer les même soins qu’envers leurs propres besoins. Impossible donc, en toute conscience, de protéger des idiots, des vieillards ou d’autres “défectueux”, chez eux, tout en cautionnant leur destruction ailleurs.

Et comme résolution pratique de ces humeurs contradictoires, nous remarquons que l’engouement pour la perfection génétique (et pour les économies budgétaires) eut éventuellement prévalu suffisamment (aux E.U, au Canada, et au Royaume-Unis, etc.) pour autoriser la stérilisation d’un très large échantillon des différents résidents des asiles, des maisons de correction, et des institutions de secours ; mais en même temps, que l’appuie populaire pour l’eugénique n’a jamais permit (hors de l’Allemagne) l’évacuation simple de ces personnes, par voie d’euthanasie.

— un prospect moins rassurant au temps présent

Ces questions demeurent parfaitement actuelles, cependant, au-delà d’un siècle plus tard. Et cette persévérance idéologique s’est alimentée — en parfait continuité depuis le temps décrit — des énergies dévouées de stratèges, et de nombreux militants, fortement investis dans l’aboutissement pratique des politiques recherchées.

L’euthanasie, pour être très claire, n’est pas une politique en soi. Ce n’est qu’un outil ; tandis que ceux qui réclamaient (et qui réclament encore) un recours toujours plus étendu à son l’emploi, différent fortement dans leurs motivations. Il serait injuste, alors, de présumer des mobiles personnelles de chacun. Pourtant, ces personnes se réunissent toutes dans la promotion de l’euthanasie, et les limites de leur collaboration se précisent visiblement dans les types d’euthanasie réclamées.

À cette égard, l’euthanasie à été classifiée (par l’éthicien utilitaire Peter Singer, 1946 – ) comme “volontaire”, “involontaire”, et “non-volontaire”. Aussi, tel que noté précédemment : seulement les Allemands (pendant les années trente et quarante) auraient ouvertement voulu justifier l’euthanasie non-volontaire, c’est à dire : la mise a mort de personnes qui désirent encore vivre. L’euthanasie volontaire, cependant, se pratique couramment en ce moment dans plusieurs pays, comme le Canada ; et son proche cousin, le suicide assisté, se trouve dans plusieurs autres, incluant certains parmi les États Unis.

(Il est souvent affirmé, d’ailleurs, que “personne” ne désirent l’euthanasie non-volontaire de personnes capables. Pourtant, notre passé récent nous enseigne que ces personnes existaient, bel et bien, seulement quatre-vingts ans avant nos discussions actuelles, et cela en position d’autorité parmi l’un des peuples les plus évolués de l’histoire humaine. N’en déplaise donc, aux enthousiastes plus modérés : il est inévitable que les successeurs des partisans des anciens programmes utilitaires continuent toujours leurs activités — et projettent toujours leur influence stratégique — à l’intérieur des groupes présentement actifs dans ce domaine).

— L’infanticide comme point d’entrée pour l’euthanasie involontaire

Entre les deux pôles “volontaire” et “non-volontaire”, se trouve l’euthanasie “involontaire”, qui concernent l’euthanasie de personnes incapables, et qui se trouve le sujet de débats intenses au sein de tous les pays ayant franchi une première étape de légalisation. Or, en cherchant la circonstance la plus prometteuse pour pratiquer une première brèche dans le principe volontaire, les promoteurs de l’euthanasie se sont penchés — aujourd’hui comme à l’aube du dernier siècle — sur le sort des enfants, malades ou handicapés. Et tandis que ce soit facile de présenter des mobiles désintéressés pour de tels gestes dans certains cas limites, l’infanticide (et ensuite la destruction d’autres enfants anormaux) a toujours fait partie, aussi, des buts les plus ardemment visés par les agitations eugéniques d’antan ; et de nos jours : par les héritiers des idéaux utilitaires.

Avec cause aussi : car les attaches familiales aux enfants nouveau-nés sont beaucoup moins fortes que celles qui les lient aux personnes dépendantes et connues de longue date. Les arguments de la miséricorde, aussi, jouent particulièrement fort à l’égard des enfants, surtout parmi ceux qui croient, ainsi, éviter l’imposition aux innocents de vies de souffrance. Pour plusieurs, même, la mise à mort de tels enfants ne semble rien de plus que la rectification juste d’erreurs tragiques de la nature.

Par contre, à l’image exacte de l’euthanasie volontaire (originalement justifiée pour des cas de souffrance “exceptionnels”), l’infanticide servira aussi, très certainement, comme la mise en matière pour un phénomène beaucoup plus large, qui ne se limiterait, en toute logique, ni à l’extrême, ni à l’enfance.

Alors sans vouloir présumer des mobiles d’aucun des supporteurs de l’euthanasie (quand pris dans le cas particulier), nous pouvons toujours, je croit, nous interroger avec confiance sur les ambitions éventuelles de ce groupe pris dans son ensemble.

Mais quelque soit la vérité sur les mobiles et sur les stratégies des euthanasistes d’antan, le fait demeure que la question de l’euthanasie infantile fut très présente, (sinon dominante) durant la première partie du vingtième siècle (servant même d’occasion pour débuter le programme Allemand). Et pour illustrer cette période, j’aimerais quitter, maintenant, la sphère des abstractions, pour considérer directement les personnes impliquées, et pour ainsi dire : réunir le tout derrière un visage humain.

Pour ce faire, je proposerais le choix d’un personnage tout à fait unique ; qui jouit d’un statut iconique, historiquement et encore de nos jours ; à la fois chez les personnes handicapées et chez les intellectuels progressistes ; c’est à dire : Helen Keller (1880 – 1968). Car Helen Keller fut, à la fois, handicapée et eugéniste. Et de ce fait, Mlle Keller nous offre une fenêtre incomparable sur le vécu des handicapés, ainsi que la logique morale des eugénistes, considérés dans une vision d’avant-garde envers la responsabilité Santé-publique, telle que nous la connaissions aujourd’hui.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Helen Keller : Les idées du passé qui expliquent notre présent)