Deprecated: Le crochet jetpack_pre_connection_prompt_helpers est obsolète depuis la version jetpack-13.2.0, sans aucune alternative disponible. in /hermes/bosnacweb01/bosnacweb01an/b2067/nf.euthanasiediscussion/public_html/euthanasiediscussion/wp-includes/functions.php on line 6078
novembre 2021 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915

Chapitre : Rendre conditionnel ce qui se présente en absolu

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV : La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre : Rendre conditionnel ce qui se présente en absolu)

— Des attentes confortables, qui se révèlent illusoires

Pendant plusieurs siècles –en dépit des dissensions de la Reformation, en dépit des découvertes de Newton, en dépit des assauts révolutionnaires des “Philosophes” (Voltaire, Rousseau, etc.)– elle s’est développée une conviction confortable que rien de cela ne pouvait menacer les principes premiers à la base de notre évolution civilisationnelle. Et la raison en été tout simple: malgré les discussions animées des détails cosmiques, personne, ou à peu près (et certainement pas Newton, Voltaire, Rousseau, ni Darwin), ne doutait qu’il existe bel et bien un ordre universel d’intention bienveillante. Malheureusement, cependant, cette révolution dans la pensée ne resterait pas là. Et si je pouvait offrir une image pour symboliser la situation des intellectuels, au début du vingtième siècle, ce serait celle des citoyens Français, cinquante ans plus tard, au cours de la “Drôle de Guerre” qui dura de septembre 1939, à mai 1940.

Pour rappeler les faits: la Deuxième Guerre Mondiale était bel et bien déclarée pendant ces huit mois, mais l’ennemi, Allemand, était totalement occupé ailleurs, avec l’assujettissement de la Pologne. Les Français savaient, certes, qu’ils étaient “en guerre”; mais puisque les forces armées se cantonnaient dans une posture défensive, les hostilités restaient suspendus en attente d’une offensive adverse. Et pendant ce temps, les habitants civils continuaient à vivre dans une réalité trompeuse de normalité paisible. Or, les intellectuels, du début vingtième, partageaient une psychologie très similaire: car les hostilités étaient de longue date déclarées (autour de la légitimité de tout axiome social dérivé de source empiriquement invérifiable) mais les protagonistes, même, ne soupçonnaient pas encore la portée réelle du conflit; et les véritables bombes (métaphoriques) n’avaient pas, encore, commencé à tomber.

Helen Keller, aussi, fut de cette trempe, car elle était une personne intensément spirituelle (et même franchement mystique). Elle nous apprend, par exemple, que toute petite fille, elle était directement consciente de la présence de Dieu: dans son isolement de sourd-aveugle, sans suggestion d’autrui, et sans avoir des mots pour décrire l’expérience, puisque à ce moment, elle n’avait encore aucune connaissance des mots. En conséquence, elle considérait l’expérience immédiate, du Divin, comme une partie inné de son être, et inséparable, de son expérience de vivre.

Elle serait, donc, la dernière personne à vouloir contester l’autorité Divine, ou le notion du « sacré ». Cependant, Mlle Keller faisait aussi parti de ce nombre qui entreprenaient, sous le signe du renouveau moderne, l’exploration de sectes limitrophes à la théologie chrétien; des esprits indépendants qui se félicitaient, dans les courants contemporains de la pensée, de pouvoir se libérer des préjugés, et des erreurs sectaires du passé. Autrement dit, elle en était un de ceux-là, très nombreux à l’époque, qui croyait pouvoir manier l’arme du scepticisme scientifique, sélectivement, de sort qu’elle ait pu marier sa foi, essentielle, à n’importe quel enthousiasme passager; en réaffirmant (ou en reniant) des articles spécifiques de croyance, au besoin des contingences. Elle se rallia, en particulier, à la mode ambiante de spiritualité non-sectaire, empreinte de naturalisme et de neo-primitivisme nordiques, qui était tant caractéristique de son époque. Et de toute apparence, elle se croyait ainsi capable de combiner évolution et création, ou encore (puisqu’il faudrait aussi se rappeler le Socialisme de Mlle. Keller): l’âme conscient particulier et l’esprit du peuple collective.

— Droits humains “inaliénables”, versus intérêts collectifs: une incompatibilité irréductible

À la première vue, alors, nous aurions facilement cru pouvoir placer Helen Keller au même rang avec Voltaire et Renan, Jefferson ou Franklin; mais la réalité s’avère plus complexe à l’étude. Car si les Déistes étaient simplement des penseurs trop curieux, et trop instruits, pour créditer les histoires de la bible en vérités intégrales, ils partageaient toujours l’essentiel de la vision humaine qui s’y exposait. Mlle Keller, par contre, représentait une nouvelle cohorte d’intellectuels dont les conclusions divergeaient, les unes des autres, de façon beaucoup plus substantielle, surtout au sujet de l’être humain, face aux idéologies de souche collective.

Pour être précis (et même si ces faits ont souvent été évités comme conclusion franche): il serait plutôt évident que les droits personnels dits « inaliénables » (dont la Déclaration d’Indépendance se porte garant) ne peuvent aucunement s’accorder avec un modèle sociétal où l’intérêt collectif prime, systématiquement, sur celui de l’individu. Et puisque ces droits, constitutionnels, sont présentés uniquement en vérités “évidentes par elles-mêmes” (sous l’autorité d’un “Créateur” qui soit lui-même d’existence invérifiable), ils sont devenus de plus en plus vulnérables aux critiques des empiristes-matérialistes. Inévitablement, alors, ces droits, et les idées à leur base (ainsi que l’influence civilisationnelle, tant extraordinaire, communément portée à leur crédit), sont devenus la cible –et souvent fatalement– des violents révolutions que nous nous devions de cataloguer dans la suite.

Et c’est ainsi, que dans l’année mille-neuf-cent-quinze AD (ce qu’on appelait toujours, à ce moment, Anno Domini—l’année de Notre Seigneur), cent-trente-neuf ans après l’articulation du principe fondateur d’égalité, dans la Déclaration d’Indépendance, et cinquante-deux ans après sa réaffirmation, sur le champ de bataille à Gettysburg (au point tournant d’une guerre civile ayant coûté la vie à quelque huit-cent-milles combattants): Helen Keller, l’enfant prodige, sourd et aveugle –elle-même fière fille du Sud– aurait eu l’audace d’y porter atteinte, délibérément et savamment (mais aussi, je crois, en ignorant la portée réelle du coup), en ciblant directement son point le plus faible: soit la notion traditionnelle de valeur inhérente –ou sacrée– à la vie humaine).

“Ce sont les possibilités de bonheur, d’intelligence, et de pouvoir, qui donnent à la vie son caractère sacrée; et elles sont absentes, ces possibilités, dans le cas d’une pauvre créature malformée, paralysée et idiote.”

“… Une vie humaine est sacrée seulement quand elle peut se montrer d’une utilité quelconque, envers elle-même, et envers le monde.”

— Helen Keller, 1915

— Une doctrine d’exclusion dont le tort principal serait non spécifique, mais général

D’après Mlle Keller, mystique et socialiste (et alors la parfaite incarnation de l’ambiguïté de son temps): certaines personnes (c’est à dire: celles qui étaient relativement restreintes dans leurs “possibilités” de “bonheur, “d’intelligence” et de “pouvoir” — celles dont les vies n’étaient aucunement “utiles”) pouvaient être exclues de l’égalité présomptif; exclues de la dignité, exclues du respect, et exclues des protections à la vie qui en serait dérivées.

Voilà l’articulation franche, et non-ambiguë, d’une idée très influente au sujet de la valeur des vies (et des personnes) imparfaites; une idée largement répandue dans les préjugés populaires, autant autrefois que de nos jours. Et puisque l’un de nos thèmes principaux concerne le sort des personnes malades et handicapées (face au phénomène discriminatoire de l’euthanasie), nous y retourneront bien-tôt. Cependant, la première signification de cette déclaration ne se limite pas aux intérêts de ces gens, mais se montre d’une portée sociale beaucoup plus large: elle se trouve dans le simple fait de faire cette assertion (que quiconque puisse être exclu des droits de la personne), en générale, et sans se préoccuper des critères retenus.

— Sexes, races, classes: une discrimination potentielle dont aucune groupe spécifique ne serait à l’abri

Tel que remarqué, les déclarations d’égalité traditionnelles sont couchées dans des termes universels. Et avec cause: car c’est uniquement cet aspect inconditionnel qui offre la promesse de vrais droits, dans le cas particulier. Nous voyons, ainsi, une étroite connexion entre l’universalité des droits, et leur caractère déclaré « inaliénable ». Car décidément: créditer la redéfinition contextuelle, d’un droit proclamé « inaliénable », relève du pur non-sens! Et manifestement: l’universalité, incontestée, demeure le seul moyen d’échapper, définitivement, à cette difficulté.

Par contre, une fois admis le principe que certaines personnes puissent être exclues de la dignité humaine (suite à l’application de définitions particulières), et il deviendrait apparent, aussi, que des définitions subséquentes puissent en exclure d’autres, de sort que –à la fin– absolument personne ne bénéficierait de quelque garantie que ce soit.

Or, ce ne sont pas, non plus, des considérations uniquement théoriques.

Au contraire, toute notre histoire en aurait été très fortement (et parfois très péniblement) marquée par l’opération de ces contradictions. Car à travers le long chemin qui nous ait mené vers la recognition légale des droits, des personnes issues des classes inférieures et des races minoritaires (ainsi que des femmes, et encore plus récemment, des homosexuels): les adversaires de ces droits auraient toujours tenté d’établir des conditions particulières, pour exclure les groupes visés. Or, dans chaque cas, ce fut uniquement la revendication, directe, de l’application intégrale du principe universel, qui ait permis les victoires réalisées; un appel aux droits, inséparables de toute vie humaine en vertu de son origine: droits absolus, de source immuable.

Ce fut un principe universellement admis parmi les populations judéo-chrétiennes, en théorie, depuis plus de deux millénaires (même s’il fut aussi longtemps imparfaitement assimilé); et servait, pendant tout ce temps, comme axiome premier dans l’élaboration évolutive de la superstructure de notre société actuelle. Et pourtant! Avec son appel à l’infanticide sélectif, Mlle Keller, s’attaqua simultanément au caractères « universel » et « inaliénable » de l’égalité des personnes, et cela, avec des implications, pour le futur, qui promettaient de se révéler aussi significatives qu’imprévisibles.

Car si Helen Keller pouvait s’accorder ce droit, il s’ensuivrait logiquement que d’autres puissent en faire autant; de sorte que la nature du “sacré”, dans la vie humaine, risquait de devenir un simple sujet de discussions ponctuelles, de polémiques, de compromis politiques –voir de déclarations arbitraires– avec toutes les associations négatives que cela puissent évoquer à la lumière de notre expérience, plus récente, de tournants sombres de l’histoire. Et de ce fait, elle était parvenue, tel que nous l’ayons constaté plus haut, à remettre en cause tout l’édifice des droits de l’homme moderne. Rien de moins.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV :La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: Collectivisme utilitaire: les raisons économiques pour suggérer l’euthanasie des enfants handicapés)

Du génocide tribal au Bon Samaritain : La notion de “valeur” humaine s’universalise

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre : Du génocide tribal au Bon Samaritain : La notion de “valeur” humaine s’universalise)

“…un Samaritain … arriva près de lui et fut rempli de compassion … Il s’approcha et banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin” (Luc 10: 33-34); détail de vitrail, Cathédrale de Chartres, circa 1205 A.D.

— Une tradition largement civilisatrice, mais toujours contestée

Grace au récit d’Isaac, épargné, in extremis (par l’ordonnance de Jéhovah il y quatre milles ans): la conviction s’est transmise parmi les successeurs d’Abraham, que leur Dieu en été un, imbu, de sentiments tendres à leur égard; que la vie d’Isaac (et par extension la vie de tous les fidèles) lui importait; et que parmi les hommes, aussi, le caractère du père et du Roi –proposé en idéal d’émulation– en dût être un de clémence, et de souci bienveillant, à l’égard des personnes sous son égide.

Aussi, avec les injonctions du Décalogue, dont surtout “Tu ne tueras pas” et “Tu ne convoitera pas”, cette obligation de bienveillance s’est élargie au-delà des liens familiaux (et des obligations paternelles des personnes en autorité) pour comprendre, éventuellement, toute la communauté des fidèles, dans leurs rapports les uns aux autres.

L’évolution de ce modèle de mœurs sociales, au sein du monde farouche des tribus du Moyen Orient antique, semblerait représenter, certes, une grande victoire pour la méthode religieuse, et une grande preuve de la valeur civilisationnelle de cette dernière.

Pourtant, les critiques ne tardent pas à signaler l’incohérence et l’hypocrisie (voire l’irréalité effective) de cette conception de la religion civilisatrice, en citant d’autres commandements, ostensiblement du même Dieu, qui sont –au moins pour les sensibilités modernes– d’une atrocité innommable. En particulier, sont remémorées en exemple, les consignes militaires fournies aux Israélites pour encadrer la conquête, et l’expansion, des “terres promises” de Canaan; des consignes, très évidement, non seulement meurtrières, mais explicitement génocides.

— Où la justification religieuse prêta son autorité à la guerre de conquête

Pour remémorer les circonstances: Ayant sorti de l’Égypte les Israélites passèrent quarante ans dans le désert. À la fin de cette période, ils entreprirent la conquête systématique de terres plus désirables. Voici les consignes fournies à cette fin, par leurs chefs, et créditées à l’autorité divine.

Deutéronome 20: 10-17

10) Lorsque tu t’approcheras d’une ville pour la combattre, tu lui proposeras la paix. 11) Si elle accepte la paix et t’ouvre ses portes, toute la population qui s’y trouve sera astreinte à la corvée et te servira. 12) Mais si elle refuse la paix et engage le combat, tu l’assiégeras.

13) Le Seigneur ton Dieu la livrera entre tes mains, et tu passeras tous les hommes au fil de l’épée. 14) Quant aux femmes, aux enfants, au bétail, tout ce qui se trouve dans la ville, tout le butin, tu t’en saisiras ; tu te nourriras du butin pris aux ennemis que le Seigneur ton Dieu t’aura livrés. 15) Tu agiras ainsi envers toutes les villes très éloignées de toi, villes qui n’appartiennent pas aux nations que voici.

16) Dans les seules villes des peuples que le Seigneur ton Dieu te donne en héritage, tu ne laisseras vivre rien de ce qui respire. 17) Car tu les détruiras entièrement comme étant voués à l’anathème, le Hittite, l’Amorite, le Cananéen, le Perizzite, le Hivvite et le Jébuséen, selon l’ordre du Seigneur ton Dieu

— Non une anomalie, mais un portrait fidèle des migrations tribales

Ce qui précède nous ouvre une fenêtre extraordinaire sur le monde du passé. Il ne s’agit pas, cette fois, d’une innovation comme le pardon d’Isaac, ou les Dix Commandements. Les mesures prescrites reflètent exactement l’usage courant (nous pourrions mème dire l’usage universel), des conquérants mobiles, devant les populations établies.

Dans le cas où le but militaire consistait seulement dans une extension de suzeraineté (“les villes très éloignées”) la soumission et le tribut suffirait. (Quoique devant une résistance offerte, le prix de celle-ci serait l’exécution de tous les hommes, et l’esclavage des femmes et des enfants). Au cas, cependant, où le but serait d’occuper en permanence les terres des populations visées (en Canaan, par exemple), il s’agissait d’extirper, entièrement, tout “ce qui respire”, et de remplacer le stock humain, intégralement.

Il serait injuste, donc, de signaler la sévérité du code militaire des Israelites. Il ressemble en tout point aux normes, non seulement de l’endroit, et de l’époque, mais de migrations aussi éloignées, dans le temps et dans l’espace, que celle des Anglo-saxons, envahissant et colonisant la Grande-Bretagne, 2500 ans plus tard (du cinquième au septième siècles de notre ère; où la population Breton, elle-aussi, fut apparemment exterminée au fur et à mesure que leurs terres étaient occupées par les colons envahisseurs). Mentionnons aussi, à cet égard, l’extermination probable des Dorsétiens (circa 1300 A.D.), par les ancêtres des Inuits actuels, dans le grand Nord Canadien. Car les exemples de migration génocide abondent sur tous les continents, et à toutes les époques (y comprise la nôtre).

Encore plus injustes, d’ailleurs, seraient les tentatives de blâmer cette violence génocide sur la religion. Tel que relaté, les décrets crédites à Moise dans la Deutéronome, ne font qu’entériner des usages partout préexistantes. Il serait même possible de prétendre, au contraire, que la conscience relativement civilisée des Israélites, à cette époque, leur demandait une justification supplémentaire (pour des comportements toujours acceptés par l’humanité élargie); et que les mobiles et les sentiments religieux (exécuter l’anathème divin pour éviter un métissage des cultes et des mœurs) furent ainsi instrumentalisés, pour excuser des gestes qui aient pu sembler, déjà à leur auteurs, d’une inhumanité inconfortable.

Mais toujours est-il qu’une véritable gouffre subsiste, visiblement, entre le commandement original: “tu ne tueras pas”; et cet autre, subséquent: “tu ne laisseras vivre rien de ce qui respire”.

Or, l’explication immédiate de cette différence se trouve dans la nature exclusive et tribale du culte de Jéhovah. Car manifestement, le respect exigé au départ, de l’Israelite à l’endroit de ses frères d’appartenance, ne s’avança pas jusqu’aux étrangers incultes. Cependant, avec l’émergence progressive d’une notion de Dieu unique, la communauté humaine devenait, aussi, conceptuellement unie.

— Le bon Samaritain et l’universalité humaine

À l’évocation de cette parabole, proférée par Jésus (réputé incarnation et fils de Dieu), nous sommes toute naturellement émus par son exemple iconique de bonté charitable. Et pourtant, telle n’est pas la signification première du récit.

Luc 10: 25-37

25) Un professeur de la loi se leva et dit à Jésus pour le mettre à l’épreuve: «Maître, que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle?» 26) Jésus lui dit: «Qu’est-il écrit dans la loi? Qu’y lis-tu?» 27) Il répondit: «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même.» 28) «Tu as bien répondu, lui dit Jésus. Fais cela et tu vivras.»

29) Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus: «Et qui est mon prochain?» 30) Jésus reprit la parole et dit: «Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba entre les mains de brigands qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s’en allèrent en le laissant à moitié mort. 31) Un prêtre qui, par hasard, descendait par le même chemin vit cet homme et passa à distance. 32) De même aussi un Lévite arriva à cet endroit; il le vit et passa à distance.

33 Mais un Samaritain qui voyageait arriva près de lui et fut rempli de compassion lorsqu’il le vit. 34) Il s’approcha et banda ses plaies en y versant de l’huile et du vin

La clé de cette histoire se trouve dans le contexte non-dit. Car à cette époque les Samaritains étaient vus en hérétiques, conspués par les Juifs auxquels s’adressa Jésus. Le Prêtre et le Lévite, par contre, sont les frères de culte de l’homme blessé. Et pourtant, chacun d’eux “passa à distance”; tandis que le Samaritain, l’hérétique –l’étranger– lui porta secours.

36) Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands?» 37) «C’est celui qui a agi avec bonté envers lui», répondit le professeur de la loi. Jésus lui dit [donc]: «Va agir de la même manière, toi aussi.»

Et voilà ! L’étranger devient le prochain. La véritable sympathie humaine se manifeste à l’égard de tous, jusqu’aux limites du monde. La relation parentale de Dieu comprend, non un peuple particulier, mais l’humanité au complet. Et l’homme particulier en reçoit le devoir ferme de reconnaître, dans tout autre, l’enfant bien-aimé de son propre Père spirituel.

Et encore:

“Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.” (Jean 3:16)

Or, “quiconque” dit bien l’Évangile ! Non plus un peuple, non plus une tribu: le Monde entier sera susceptible de Salut; chacun l’objet spécial de l’amour divin; chacun interpellé, non plus collectivement, mais personnellement.

Et c’est ainsi que Jesus en ait fait, de la religion juive, un culte universel. Et la “valeur sacrée” du vie humain fut devenue, du même coup, un attribut de chaque vie sans exception.

— Comparer les pertes –et les gains– crédités à la religion

Il est souvent affirmé que rien de cela ne vaille; que les grandes guerres de religion (à l’exemple des Croisades) en démontrent la mendicité intellectuelle; que la religion, et surtout les religions monothéistes ne sont qu’un fléau visité sur l’humanité crédule.

Pourtant, les guerres, les migrations, les entrechoquements de populations et de cultures –les exterminations, grandes et petites– se présentent en élément constant, tout à travers l’expérience humain. De plus, ce dynamique de colonisation génocide descende jusqu’à la longue lutte sapiens/neanderthalensis, et même au-delà, dans les comportements de bandes compétitives, ennemies et assassines, parmi les chimpanzés. Aussi surprenant que cela puisse paraître, alors, il n’y avait rien de nouveau dans les comportements, brutaux, catalogués au cours des guerres de religion. Et il n’y a, donc, aucun besoin d’en chercher les causes de ce côté. Car sans la religion, en toute probabilité, la guerre aurait tout autant souillé notre histoire.

Ce fut, pourtant, manifestement à travers cette méthode, religieuse, que soit apparu –transmis, et conservé– l’ensemble des idées civilisatrices (dont cette notion centrale d’une valeur inhérente à la vie) qui se trouvent à la base de notre société présente.

À l’encontre, donc, des préjugés chics des académiciens de notre époque: le bilan mixte des efforts intellectuels, de la période religieuse, s’affirme largement en héritage positif.

.

La cathédrale Notre-Dame de Chartres: Construit surtout entre 1194 et 1225; consécration solennelle 1260

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: La victoire sublime de la morale chrétienne: Friedrich Nietzsche; Sermon sur la Montagne; l’Empereur Constantin 1ier)

Le germe hippocratique

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Sous-section IV c) Une pratique hippocratique, malgré tout — Une courte coda au texte : Le germe hippocratique)

La guérison est un miracle de la nature, tout comme la germination. Mais ces miracles demandent, aussi, des environnements propices pour s’accomplir. La graine a besoin de la terre et de l’eau; de la chaleur et de la lumière. La guérison nécessite la protection de la flamme, fragile, de la vie; la manipulation des équilibres chimiques; la livraison artificielle de nutriments, d’eau, et d’oxygène; le remplacement complet de la fonctionnalité d’organes entiers.

Parfois la guérison sera totale ; la crise sera résolue et aucun soutien supplémentaire ne sera requis. Souvent par contre, la survie ne sera plus jamais possible sans un minimum de modifications, délibérément apporté à l’organisme, et à l’environnement. Et dans ces cas, c’est la survie simple qui en devient le miracle : une graine, destinée à flétrir et disparaître, parvient à pousser, et même à s’épanouir, dans des conditions soigneusement contrôlées.

Mais les patients humains ne sont pas comme les autres organismes vivants. Leurs besoins débordent largement du seul soutien physique à la vie. Car Ils ont également besoin, ceux-ci, d’une volonté de vivre. Or, cette volonté serait, elle-aussi, une flamme fragile, nécessitant la protection. Et encore: la livraison des soins réparateurs ne peut se limiter à l’application mécanique d’une méthode; elle doit, aussi, se montrer sincère.

Dans les meilleures des circonstances, la détresse intense du patient sera égalée par la certitude calme du soignant. Au plus simple, le préposé qui fournit les soins personnels au patient – qui le lave, qui le repositionne – accomplira ces gestes avec l’intention constante de minimiser l’inconfort tout en s’acquittant scrupuleusement de la tache exigée. L’interaction sera, nécessairement, de la plus grande intimité, mais le soignant n’aura pas (ou à tout le moins ne fera pas apparaître) le moindre sentiment d’aversion qui puisse être interprété comme un rejet de la personne devant lui. Encore là, la peur, la honte, et le dégoût avec lesquels la personne peut elle-même se regarder, ou auxquels elle pourrait s’attendre des tiers, seront rencontrés par une acceptation expérimentée, fondée sur ce principe commun au métiers médicaux, mais pas toujours retrouvé ailleurs: que toute vie humaine soit de valeur égale, sans égard à la dépendance, aux capacités, ou aux pronostics.

Il serait confortable de croire qu’une telle attitude se révèle naturellement dans le caractère de certains individus, et parfois ce serait vraie, indubitablement; mais pour la plupart des gens, l’adhérence à l’idéal Hippocratique résulte d’un choix et d’une habitude. Convaincus par le principe, et renforcés par l’expérience, nous devenons capables d’une communication honnête, respectueuse, et même aisée, avec des personnes qui subissent des états, physiques et émotifs, qui les placent à l’extérieur de ce qui serait normalement confortable, non seulement pour des tiers dans l’ensemble, mais même pour les proches. Et c’est ainsi que, dans le meilleur des mondes, l’équipe thérapeutique apprend à bien soigner toute personne: avec confiance; avec acceptation; avec expérience; avec compréhension; avec patience; et — si j’ose utiliser ce mot– avec amour; fournis pour répondre au besoins de nos semblables.

C’est cela, en effet, la terre fertile, chaude, humide et noire, dans laquelle la graine métaphorique de la vie peut trouver son essor. C’est ça l’environnement accueillant au sein duquel les miracles de la guérison, et de la survie, peuvent être provoqués et entretenus; et au besoin, c’est également cela, le meilleur environnement pour mourir. Voilà, en bref, la pratique médicale qui fut choisie, de tous temps, par les médecins d’inspiration hippocratique, et l’idéal auquel ils aspirent toujours.

Aussi, telle était la nature des soins auxquels des générations innombrables de patients eurent pu espérer bénéficier, en vertu des traditions Hippocratiques, alliées aux dogmes de charité qui caractérisent la période Chrétienne. Au cours de ces deux millénaires, dans une absence presque totale de véritables remèdes médicaux — et vécus par les souffrants dans une condition d’inconfort infiniment plus aiguë que celle dont nous ayons la connaissance aujourd’hui – le suicide ne s’est pas largement affirmé en « solution » aux épreuves du patient. Au contraire, les souffrants cherchaient simplement refuge dans les attentions sincères de l’entourage, attentions mues par l’amour, teintes toujours — et quelle que soit l’extrémité — par l’espoir.

Or, arrivé de nos jours au même point, où les stratégies actives de la médecine moderne sont épuisées, le patient type désire toujours le même support, le même soutien à l’espoir, le même amour. Et ce n’est rien de moins que la perte de cela — la perte, significative, de l’appui humain dans nos derniers moments — que nous risquons tous, avec la normalisation de l’euthanasie.

À suivre …

.

Le cloisonnement institutionnel qui soit nécessaire pour soutenir la médecine Hippocratique

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV : Hippocrate bis — Sous-section IV c) Une pratique hippocratique, malgré tout — Chapitre: Le cloisonnement institutionnel qui soit nécessaire pour soutenir la médecine Hippocratique)

— La nature du choix Hippocratique, et la clarté professionnelle ainsi gagnée

Il est impossible de fournir une médecine intégralement hippocratique dans les mèmes lieux, et sous la responsabilité des mêmes professionnels, que soit pratiquée l’euthanasie. Pour créditer ce principe, il n’est pas nécessaire de questionner la validité de l’un ou l’autre des deux services proposés. Non. Il suffit simplement de constater qu’il s’agit de services distincts, et mutuellement exclusifs.

Le médecin d’inspiration hippocratique fait un choix volontaire, par lequel Il (ou elle) renonce catégoriquement aux gestes homicides. Or, ce choix simple fournit une clarté de conscience des plus utiles, et pour lui, et pour le patient.

Pour le médecin, d’abord, il n’y a plus question de décider si, oui ou non, un patient particulier serait mieux de vivre, ou de mourir. Il en résulte une défense formidable contre les doutes et les questionnements naturels qui puissent, autrement, saper la morale, la confiance et l’efficacité. Car une fois fait, ce choix — ce serment juré – s’applique en toute circonstance ; l’agonie du jugement est chassée pour toujours ; le médecin s’applique sans arrière pensée, dans chaque cas, à l’application de son idéal de soins. Pour le patient, ensuite (au moins pour tout patient non-suicidaire), il en résulte une garantie firme de soins qui soient appropriés pour lui, en vertu de son choix.

Bien sûr, le praticien de l’euthanasie fait aussi son choix. Il choisit de s’investir dans une vision beaucoup plus complexe, où l’on présume : que la mort soit préférable, à la vie, dans certaines situations; et que sa tache comprenne un devoir de reconnaître celles-ci, pour le plus grand bénéfice du patient. Ce médecin croirait, ainsi, sincèrement remplir les termes idéaux de service médical, car l’octroi de la « bonne mort » (l’euthanasie) se présente, à ses yeux, comme la dernière douceur qui puisse être prodiguée par un être humain auprès d’un autre. Or, quels que soient les sentiments de l’auteur, la délicatesse nous oblige, au moins, le respect de créditer la sincérité des acteurs dans cette drame. Seulement, j’ose prétendre, que le médecin euthanasiste se trouve mal-adapté pour soigné le patient typique, non-suicidaire.

— La fausse position, du praticien de l’euthanasie, face à certains patients qui désirent vivre

Logiquement, les convictions du médecin euthanasiste le place dans une situation très sérieuse de conflit professionnel à l’égard des attentes et des droits des patients majoritaires. Car, nonobstant les descriptions élogieuses, des enthousiastes de la mort provoquée, la vaste majorité des gens ne consentira jamais à mourir de manière volontaire. Et il en résulte nécessairement ce fait : que l’euthanasiste honnête, et volontaire, ne peut faire autrement que de se trouver en désaccord, face à de nombreux patients, au sujet de la pertinence de prolonger les vies de ces derniers.

La question se pose, alors, pour les patients légalement qualifiés pour l’euthanasie (mais qui persistent toujours dans le désir naturel de vivre) : Quelles sont les chances que ces personnes puissent bénéficier d’une véritable confiance, de soignes hippocratiques, sous la responsabilité de tels docteurs ?

Visiblement, cette question répond d’elle-même. Car sans une dissonance cognitive importante, il ne serait pas possible, je soumets, de se comporter de manière aussi radicalement différente, à l’égard de patients qui se présentent avec des symptômes (et avec des pronostics), essentiellement identiques.

— Un obligation de choix exclusif, et pour les professionnels individuellement, et pour les institutions qui les emploient.

Chaque professionnel se trouve, alors, devant un choix dichotomique et manichéen : Soit qu’il tue des patients, soit qu’il n’en tue pas ! Car toute nuance dans la pensé, toute dérive dans les subtilités des cas précis, placerais inévitablement le docteur dans une fausse position devant certains patients : ceux qu’il tuerait bien, mais qui n’en demandent pas autant (Ou, encore, ceux qu’il refuse de tuer qui le veuillent bien) Or, dans ces cas, ni l’un, ni l’autre, ne pourrait loyalement fournir les soins réclamés.

Et si la pratique intégralement hippocratique demande un choix binaire et sans équivoque, il en serait tout autant des unités cliniques et des institutions individuelles qui composent notre système, des soins santé, dans son ensemble.

Considérons, de nouveau, la cohabitation impossible de deux patients –alités dans la même chambre– dont l’un attend son médecin dans l’espoir de trouver un ajustement avantageux des médicaments (qui lui supporteraient dans la jouissance des derniers jours de sursis devant l’inévitable), tandis que l’autre, son voisin, attendrait le même docteur, dans l’espoir de recevoir une injection mortelle. De quelle camaraderie s’agirait-il ? De quelle conversation ? Et surtout: quel serait le rapport de confiance du survivant, le lendemain, devant son médecin ?

— L’illogisme de mêler les soins hippocratiques avec la pratique de l’euthanasie

Plus tôt dans ce récit j’aurais évoqué, rapidement, une analogie de chemin de fer, où j’aurais insisté sur les avantages d’accommoder des passagers, des marchandises, et de la bétail, dans des wagons séparés, plutôt que de les confondre pêle-mêle dans les mêmes véhicules. Or, j’aurais présenté comme évidente, aussi, la nécessité d’appliquer cette même logique dans la constitution d’unités de soins proprement hippocratiques.

Est-ce juste, ou raisonnable, que le patient type soit assujetti à la chance aléatoire pour déterminer si son médecin serait d’allégeance hippocratique (ou non) ? Et même si la chance lui accorde un médecin sympathique à ses désirs, qu’en serait-il des infirmières, et des préposés, habitués à travailler sous les ordres des euthanasistes au besoin ? Non. La vision administrative actuelle, d’un réseau de soins homogène, avec des services d’euthanasie omniprésents, n’est pas plus logique que la fantaisie choquante de partager son wagon de train avec des poules et des cochons. Et pour y remédier, Il suffirait simplement que la société, dans son ensemble, ait la délicatesse de fournir des services divers, qui tiennent compte de la diversité des choix, tout comme un train peut si bien contenir des wagons spécialisés à des fins différentes.

Or, devant ces évidences, je ne vois aucune possibilité d’éviter la conclusion annoncée de cette première tranche de l’ouvrage présent : que l’euthanasie et la médecine hippocratique soient des services parfaitement distincts et mutuellement exclusifs; qui doivent, en toute logique, se prodiguer dans des lieux — et par des acteurs – différents.

— En conclusion: prodiguer des environnements cliniques exclusivement hippocratiques

Il en va de la cohérence interne de tout corps de loi qui légitimerait un droit subjectif à mourir ; il en va de la sécurité des personnes, malades ou handicapées (non-suicidaires), qui doivent être protégées de toute confusion –des jugements subjectifs, et objectifs– concernant la valeur de leurs vies ; il en va de l’autonomie d’évolution – pratique et philosophique — de la profession médicale ; et il en va, surtout, de la satisfaction de la demande majoritaire des patients/citoyens/contribuables.

Seulement ainsi, pourraient nos médecins s’acquitter pleinement de leur mission première. Seulement ainsi pourraient les patients, majoritaires, espérer bénéficier du support dont elles ont besoin, qu’elles méritent, et qu’elles désirent. Seulement ainsi,pourrions-nous continuer à cultiver notre jardin, de guérison et de vie, dans un sol thérapeutique qui sera protégé, au moins en partie, des mauvaises herbes existentielles qui soient le suicide, et le désespoir.

Et (pour formulé cette pensée de manière plus prosaïque): seulement ainsi pourrions-nous, tous, recevoir les soins que nous désirons, auxquels nous sommes réputés avoir droit, et pour lesquelles nous avons si chèrement payé par voie de taxation.

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Sous-section IV c) Une pratique hippocratique, malgré tout — Une courte coda au texte : Le germe hippocratique)

.

“L’Ange bleu” de Heinrich Mann, Joseph Sternberg et Marlene Dietrich

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : “L’Ange bleu” de Heinrich Mann, Joseph Sternberg et Marlene Dietrich)

Introduite au cinéma international avec “L’Ange Bleu”, Marlene Dietrich (1901 – 1992) commence, ainsi, une série de sept films avec réalisateur Josef Von Sternberg (tous dans des rôles de femmes fatales), dont son favori personnelle était “Le diable est une femme” (The Devil is a Woman, 1935). Quoique activement sollicitée par le Regime Nazi, Dietrich choisit le camp Allié par conviction politique; prend, la citoyenneté américaine; et participe extensivement dans le divertissement des troupes, au cours de la Deuxième Guerre Mondiale: en Amérique, en Afrique, en Europe.

— “L’Ange bleu” en miroir social

Le film “L’Ange bleu” (Der blaue Engel) est apparu en 1930, étant la première grande production allemande du cinema parlant (et mettant en vedette l’incomparable Marlene Dietrich, 1901 – 1992). Ce film occupe une place de choix dans l’histoire cinématographique. Son intérêt, ici, cependant, découle de sa préoccupation philosophique avec la frontière entre le monde “bien” et le monde “mal”; signalant, surtout, la facilité avec laquelle les habitants du premier peuvent subitement tomber sous l’influence du second (un thème littéraire des plus populaires depuis Ulysse et les Lotophages). Et puisque la perception populaire des frontières morales reflet si étroitement la nature réelle de la société (et détermine même les formes de cette dernière), il en résulte que l’évolution dans le traitement de ce thème, au cours du vingtième siècle, nous fournisse des indices précieux pour comprendre les transformations sociétales, énormes, qui auraient abouti, aussi, de nos jours, dans une légitimation de la mort volontaire.

— Heinrich Mann et le “Professeur Unrat”

L’Ange bleu est dérivé d’un roman quelque peu plus ancien, “Professeur Unrat” (littéralement: Professeur Ordure), publié en 1905 par Heinrich Mann (1871- 1950). Ce serait, donc, le livre, et non le film qui fournit notre point de départ. Or, le “Professeur Unrat”, concerne la caractère d’un fonctionnaire respectable, nommé Raat (Unrat/ordure étant le sobriquet accordé par ses étudiants). Herr Raat est un homme d’age plus que mur, divorcé et père aliéné, exposé à des tentations pour lui inusitées, qui fréquente d’abord, et marie par la suite, une danseuse de cabaret. L’opprobre social exige sa destitution professionnelle. Le mariage s’avère des plus malheureux. Le professeur échange, ainsi, une position d’autorité dans l’ancien système Prusse d’éducation supérieure, pour celle d’un véritable esclave cocu, financièrement ruiné, quasi-proxénète, et ultimement emprisonné (selon le livre); ou encore: clown de vaudeville, fou jaloux, et mort de rage suicidaire (selon le film). Les thèmes abordés dans ce livre comprennent toute la gamme (des mythes grecs à la déchéance moderne), mais en premier, il s’y trouve l’idée chrétienne d’une nature humaine imparfaite, rarement avouée, mais toujours prête à s’affirmer; prêt à précipiter la perte des personnes, même, les plus agressivement moralistes (et possiblement de celles-ci en premier).

La perspective est cynique. Le protagoniste (Professeur Raat) n’est pas pris en affection, mais conspué, plutôt, en moraliste hypocrite:

“[…] … Comme son nom était Raat, toute l’école l’appelait Unrat (ordures, fumier, immondices, chose nauséabonde). Rien de plus simple ni de plus naturel.

“… Nul banquier, nul monarque n’était plus fortement sollicité par le pouvoir, plus intéressé par la conservation de l’ordre établi que Unrat. Il voulait que les fondements soient forts : un clergé influent, un sabre solide, une obéissance stricte et des mœurs rigides.” — Professeur Unrat, 1905

La chute de cet homme n’est pas regrettée, mais célébrée, au contraire. Et pourtant, les balises éthiques sont parfaitement traditionnelles. Il n’y a aucune prétention que les habitués de l’Ange bleu (ni Lola elle-même) ne soient des personnes moralement exemplaires. Tout au contraire: ces caractères sont ridiculisées autant que celle du Professeur. Seulement, comme l’auteur nous le fait si bien sentir: Raat (malgré sa position sociale, malgré ses prétentions auprès des autres, et malgré, surtout, ses illusions simplettes à son propre égard) se révèle aucunement meilleur qu’eux. Cependant, outre cette sophistication dans la perspective et dans le ton, “Professeur Unrat” s’agit, toujours, d’un conte allégorique, de précaution, à la fois complexe et simple, sur les faiblesses potentielles qui nous guettent tous.

Au premier niveau, alors, et mème si il fut apparu en 1930, le film servait toujours de véhicule pour une vision morale (et sociale) d’Avant-guerre, qui ignorait entièrement les crises engendrées par les récentes catastrophes. Je pense, aussi, que telle fut l’intention originale des producteurs; une intention, d’ailleurs, qui s’accorda avec une grande partie de l’opinion publique, en Allemagne comme ailleurs; une opinion qui eut voulu toujours croire qu’un retour aux certitudes (et aux discours) du passé, demeurait encore possible. Pourtant, cette idée de continuité aurait semblé raisonnable, surtout, parmi les personnes ayant entamé la vie adulte bien avant la guerre –comme Heinrich Mann, lui-même– et beaucoup moins parmi la génération nouvelle, incluant, très pertinemment, le réalisateur choisi pour ce projet: Josef von Sternberg (1894 – 1969). En conséquence, Il y aurait des importantes différences pour séparer “L’Ange bleu” du “Professeur Unrat”.

Heinrich Mann (1871 – 1950), auteur de “Professeur Unrat”, point de depart pour le film “L’Ange bleu”. Opposé, déjà, à la Première Guerre Mondiale (1914 – 1918), Heinrich Mann fut obligé à s’exiler de l’Allemagne Fasciste (1933), où son œuvre fut brûlée (dans la même année) comme étant “contre l’esprit allemand”

— Joseph von Sternberg et “L’Ange bleu”, 1930

Au départ, le projet fut monté autour de l’acteur Emil Jannings (1884 – 1950) avec l’intention que celui-ci soit le protagoniste dominant d’un drame interne du genre Faustien. Pourtant, il existe, aussi, une longue tradition de complaisance dans la littérature moraliste qui permet la satisfaction directe d’appétits moins élevés, surtout dans l’exposition “franche” de la matière nécessaire pour comprendre la thèse de l’œuvre. Il est arrivé, même, à cet instar, qu’un écrivain comme De Sade ait pu présenter les plus grotesques exemples de pornographie dans des écrits qu’il prétendait, toujours, des contes édifiants pour l’éducation de la jeunesse ! Dans le cas de “L’Ange bleu”, aussi, cette occasion se présenta tout naturellement, car la première cause, de la chute du professeur, en fut une de passion. Il s’agissait, donc, pour les producteurs, de balancer le rôle vedette masculin avec une caractère féminine qui ait pu ajouter, à l’intérêt du film (et à sa réussite populaire), un cachet accessoire.

–La contribution extraordinaire de Marlene Dietrich

Or, dans l’occurrence, ces messieurs ont réussi cet exploit au delà de toute attente. Car la puissance sensuelle de la séductrice Lola Lola (Marlène Dietrich) se projeta à merveille dans le medium cinématographique, tandis qu’il en fut tout autrement pour les subtilités conceptuelles du livre, ou des qualités cérébrales du professeur !Dans une mesure tout à fait surprenante (et possiblement tout autant pour les responsables), l’histoire projetée –d’un homme autant fort que détestable, détruit par ses propres faiblesses, en interaction avec un simple objet de désire (maléfique de destin, certes, mais trivial en soi)– fut remplacée par une toute autre: d’un homme faible (même pathétique), qui fut sciemment manipulé et exploité (voir entièrement consommé), par une caractère plutôt sympathique de femme dominante. Et la preuve de ce tour de force (au moins partiellement accidentel, je crois), s’affirme dans l’oubli, relatif, qui entoure aujourd’hui le nom de la vedette consacrée du film, Emil Jannings (jadis tant célèbre, et premier lauréat masculin du prix Oscar), face à celui de Marlène Dietrich (inconnue alors, mais subséquemment devenue le personnage fétiche d’un culte toujours actif et régulièrement renouvelé).

Pourtant, la transformation, tant radicale, de ce conte psychologique (aux ramifications sociales étendues), n’était pas uniquement due à l’apport verbal nécessairement limité du cinéma, ni aux seules qualités théâtrales de Mme Dietrich. Il faut également tenir compte des nouvelles conditions sociales de l’Entre-deux-guerres, ainsi que de la participation américaine dans la production de ce film. Car le réalisateur Josef von Sternberg (né Jonas Sternberg) avait été formé dans les studios UA, MGM, et Paramount, et travaillait toujours pour ce dernier. Or, par cette voie, tout un bagage culturel de l’ère prohibitionniste américaine fut injecté dans la réalisation de “L’Ange bleu”.

— La leçon morale des gangsters et des courtisanes

Plus spécifiquement, Sternberg était étroitement associé avec les débuts du genre “Gangster”, où les studios de Hollywood avait largement repris le traitement traditionnel du héros insoumis –tragiquement contraint à la vie criminelle (selon les exemples de Jean Valjean ou de Robin des Bois)– et avait poussé cette convention narrative vers une nouvelle célébration ouverte du malfaiteur, transformé en objet positif d’émulation populaire. Il n’y aurait rien de plus naturel, je soumets, que le transfert de ce principe pour embrasser la caractère prédatrice de Lola Lola, et par extension, toute une classe “exotique” de la gent féminine. Or, avec la complicité du réalisateur Sternberg, la sexualité toujours explicite, et toujours volontaire de Marlene Dietrich, fut brillamment employée à cette fin.

De plus, le tout s’est passé en temps réel, du fait que Marlene Dietrich n’était pas seulement une vedette pour Josef Sternberg. Pas du tout. Au cours de ce tournage elle avait également séduit celui-ci aussi complètement que Lola ait séduit le Professeur Raat (fournissant, même, la cause publique du divorce du réalisateur).

Selon la théorie artistique “d’émergence”, alors, il semblerait que les tendances ambiantes de l’Entre-deux-guerres –aidées par les personnalités particulières de Sternberg et de Dietrich– aient conspiré, en cette instance unique, pour éclore spontanément dans la production du film; pour transformer celui-ci dans un aperçu, avant-coureur, des tendances à venir. Car la veille fable tragique, de chute humaine devant la tentation, fut presque occultée dans L’Ange bleu, par un discours parallèle de délinquance, volontaire et triomphale. Et la leçon allégorique de Heinrich Mann, ostensiblement présentée pour exhorter l’évitement du destin tragique de Professeur Raat, fut largement occulter, à son tour, par une forte invitation implicite d’émuler la puissance amorale de Lola (dans le film) et de Marlene (dans la vie).

Oubliée, donc, fut la chute terne de Raat; éclipsée par la montée éclatante de Lola! Et Emil Jannings, pour sa part, a bien pu faire des crises de vedette histrioniques (allant jusqu’aux menaces de se retirer du projet) mais la dominance manifeste, de Marlene auprès de Josef, assura que l’Hero désigné du film (Jannings) ait été définitivement remplacé par son Héroïne (Dietrich);

Josef Von Sternberg (1894 – 1969) avait une enfance partagée entre Vienne et New York. Pendant la Première Guerre, au sein des forces Americaines il travaillait à la production de films d’entraînement. Ses œuvres artistiques traversent, à la fois, les périodes de films muets, et parlants. Sa collaboration avec Marlene Dietrich occupe une place particulièrement importante dans sa carrière. Globalement, Sternberg fut un réalisateur plus affectionné par les connaisseurs du film, que par la grande publique.

— La signification générale de ces circonstances: la prétendue “délinquance de nécessité”, remplacée peu à peu, par une délinquance de choix

Avant la Première Guerre, tout le monde s’accordait pour lamenter les fléaux de la délinquance et du vice. Les explications (voire les excuses) pour ces écarts de conduite, procédèrent de deux perceptions différentes des faits.

La première, de souche religieuse, s’articule en termes de responsabilité personnelle, d’âme éternelle, de nature humaine imparfaite, de tentation, de péché, de chute et (possiblement): de salut trouvé dans le repentir et la grâce divine. Un exemple excellent du traitement littéraire de ce paradigme se trouve dans “Crime et Châtiment” de Feodor Dostoïevski (1821 – 1881). Le professeur Unrat, aussi, s’inscrit explicitement dans cette tradition (même si le salut d’Unrat n’y figure point).

La deuxième perspective, par contre, relève d’une inspiration purement sociale, voulant que la délinquance trouve presque invariablement ses sources dans la nécessité. Parmi ce dernier groupe, il existait, aussi, un plus petit nombre, adhérents d’une proposition formulée de manière positive: que dans l’incapacité de vivre décemment, mieux valait embrasser franchement la vie délinquante (voire criminelle).

Or, dans l’alchimie culturelle du vingtième siècle, qui combina les effets de la guerre, de la prospérité “folle”, de la prohibition, de la crise, ainsi que l’avènement des media de masse (dont surtout le cinéma, la radio, et la chanson enregistrée) il fut progressivement né un principe autrement plus radical : que la délinquance (crime ou péché) ne fut ni un phénomène à expliquer, ni à excuser, ni à justifier, mais plutôt: un bien en soi.

.

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre: « Adieu à Berlin », « Cabaret », Christopher Isherwood, et Jean Ross: enfants d’élite au cœur d’une mode multi-générationnelle)