Deprecated: Le crochet jetpack_pre_connection_prompt_helpers est obsolète depuis la version jetpack-13.2.0, sans aucune alternative disponible. in /hermes/bosnacweb01/bosnacweb01an/b2067/nf.euthanasiediscussion/public_html/euthanasiediscussion/wp-includes/functions.php on line 6078
mars 2020 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— Le mépris de la faiblesse

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Les racines de l’euthanasie dans les idéologies du dix-neuvième siècle — Le mépris de la faiblesse)

.

Wolfgang Menzel (1798 – 1873) fut un poète, professeur, journaliste et critique ; plutôt centriste, d’adhérence politique changeante ; mais toujours fidèle à l’idéal germanique. Ses œuvres d’histoire incarnent une recherche passionnée et littéraire de l’âme allemande.

Traduite en anglais, son « Histoire de l’Allemagne » fut largement disséminée dans les grandes collections d’« histoires nationales » qui étaient tant populaire au tournant du vingtième siècle (P.F. Collier ; Encyclopedia Britannica ; National Alumni ; Co-operative Publication Society). Dans ces recueils exhaustifs, l’œuvre de Menzel fut choisi pour représenter le véritable esprit de la « nation » allemande (encore divisée, de son époque, dans de multiples états et principautés), au même titre que furent incluses la « Courte histoire du peuple anglais » de John Richard Green (1837 – 1883), et « l’Histoire de France, racontée à mes petits-enfants » de François Pierre Guillaume Guizot (1787 – 1874).

.

     Décidément, nous serions en droit de soupçonner que cette identification enthousiaste (avec un passé légendaire ou la violence régnait en valeur suprême), ait pu s’accompagner d’un certain risque de dérapage dans la douceur des mœurs. Et comme de fait, cette vision de l’humanité robuste (qui présentait la force pure des individus, et des états, comme la seule justification de leur dominance), exacerbait très certainement les préjugés humains, préexistants, face à la faiblesse dans toutes ses formes ; et en particulier : validait le mépris instinctif ressenti à l’égard de tous ceux, et celles, qui en exhiberaient les taures. Peu surprenante, alors, que ces citoyens-guerriers rêveurs, aient pu si facilement adopter une attitude intransigeante, voulant que la vie amoindrie ne méritât pas de vivre.

— Une description des traditions préhistoriques, de suicide (et d’homicide), glorifiées sur les bancs d’école

     Spécifiquement, en ce qui traite de l’euthanasie, nous trouvons, des 1849, la description suivante présentée aux écoliers Allemands (voir Britanniques, et Américains) comme un idéal ancestral digne d’émulation :

     « Au temps les plus lointains, ce fut l’usage Germanique de détruire les enfants chétifs ou difformes, de noyer dans les marécages les hommes dont les corps furent honteusement mutilés (corpore infames), et une fois rendus improductifs sous le poids de l’âge, de se priver, volontairement, de la vie. Une existence dépourvue de force et de beauté leur semblait sans valeur, et selon leur culte, les joies du paradis ne furent accordées qu’à ceux qui tombèrent devant l’épée.

     Au Nord, les malades furent transpercés au point de lance, selon leur propre requête, à fin qu’une blessure, et non la maladie, puisse fournir la cause de leur décès. Au Norvège il y avait un rocher, d’où les vieux hommes se jetèrent à la mer, ayant précédemment célébré des fêtes d’adieu au cours desquelles ils auraient divisé leurs biens parmi leurs enfants. »

     — « L’histoire de l’Allemagne depuis les temps les plus reculés, jusqu’à nos jours » (1849) par Wolfgang Menzel (1798 – 1873)

— La récupération moderne de ces contes lointains

     Le lecteur reconnaitrait ici, peut-être, les sources romaines de M. Menzel (surtout Tacites, 58 – 120 A.D.) Et il pourrait, certes, surgir, un petit sourire ironique (à l’idée que ces quelques maigres traces des ancêtres glorieux de l’historien, aient pu survivre, grâce uniquement à l’érudition et à l’intendance prudente de la Némésis Romaine. Et pourrait se poser aussi, possiblement, des questions quant à la sagesse de présenter un tel ramassis de stéréotypes, de préjugés, et d’anecdotes lointaines, comme un portrait fidèle des origines germaniques.

     Notre but, cependant, ne serait pas, réellement, de chercher la vérité dans la préhistoire. Ce serait seulement d’examiner, plutôt, l’usage fait de ces traces ancestrales par Menzel et ses contemporains – auteurs, poètes et savants du nouveau nationalisme — dans la promotion de leur vision moderne des hommes du passé. Et à ce chef, nous constaterions que la préoccupation principale de cet historien (reconnu, d’ailleurs, comme un esprit modéré, et non radical, de sa génération), fut la représentation, et l’idéalisation, d’un état d’esprit qui faciliterait le sacrifice — de leur sang et de leurs vies — par les jeunes hommes de l’Europe moderne : sur des champs de bataille également modernes ; régimentés et industrialisés (autre grande ironie) dans un degré jamais vu auparavant ; et ce, dans une émulation romantique des guerriers libres et sauvages du mythe païen d’antan !

     Car en fin du compte, l’aboutissement de cette recherche exaltée de la liberté dans l’action, deviendrait, bientôt, l’anéantissement personnelle dans « la conscience nationale » de Georg Hegel ; et l’asservissement total de la volonté individuelle, sous la hiérarchisation perfectionnée de la militarisme Prusse.

     Mais toujours est-il, qu’au cœur de cette vague d’enthousiasme ethno-nationaliste, nous trouvions encore la proposition ancestrale d’une humanité plus jeune — choquante et intransigeante dans sa simplicité : que la mort soit préférable à tout compromis vivant. Et puisque toute vie mène, inéluctablement, vers de tels compromis : il serait mieux (dirait-t-on) de courtiser activement la mort, maintenant, dans l’enthousiasme enivrante de la jeunesse ; avant que la survie prolongée ne dégénère dans une vie méprisable ; une vie dont tout homme embu de la fierté naturelle des siens, voudrait prestement s’en libérer — de sa propre main, ou avec l’assistance des tiers.

     Car les portes vénérables, de Walhalla, ne s’ouvrent, guère, qu’aux vaillants immortels.

— Une continuité avec nos idées contemporaines : le culte de la jeunesse ; le suicide préemptif ; l’euthanasie

     Nous ne possédons pas de nos jours, peut-être, la même motivation martiale pour propager ces idées parmi nos jeunes. Cependant, nous avons, tout de même – et tel que notre analyse économique l’aurait voulu démontrer –d’autres forts mobiles d’utilité collective qui nous pousserait à promouvoir le même mépris de la vie amoindrie ; un mépris toujours puissamment appuyé par la vision héroïque héritée de la période dont nous traitions ici ; un idéal romantique de la vie naturelle et robuste — assimilé souvent sans réflexion critique —  d’une jeunesse qui se dépasserait en se sacrifiant, sans retenue, à sa propre intensité.

     Alors, aussi pénible que nous pouvions possiblement considérer la similitude évidente, nous trouvons dans ces paragraphes, échos de la violence anarchique de la préhistoire, — ainsi que de la violence systématique de la période nationaliste moderne — à peu près les mêmes notions de mépris de la vie imparfaite, que nous voyons avancées, actuellement, par les promoteurs du suicide et de l’euthanasie — accompagnées, d’ailleurs, par les mêmes prescriptions de remède.

     Car on trouve, notamment, dans ces paragraphes vieux de cent-cinquante ans : le suicide ; le suicide assisté ; le suicide en fête d’adieu ; l’infanticide sélectif ; le culte de la force et de la beauté ; la honte de la dégénérescence dans la maladie ; et la honte d’une existence inutile à la collectivité.

.

Voici, écrit sur un mur allemand (circa 1939), l’appel universel qui fut lancé à tout sympathisant de l’idéal pangermanique, des Pays Bas à la Prague, et de Copenhague à Vienne :

Un peuple ; un état ; un chef

Voilà, l’aboutissement pratique des deux courants dominants, de l’idéologie du dix-neuvième siècle, tels qu’exposés brièvement dans ces pages :

1) La conscience collective de Georg Hegel : « L’état-nation modern (sic) est un individu spirituel … ce serait seulement comme membre de l’État que l’individu puisse posséder … une vie éthique … (et) au sein de l’État, le droit et le devoir sont unis dans un seul » (Principes de la philosophie du droit, G. Hegel, 1820)

2 ) La vision héroïque de l’histoire, dont le plus influent des partisans anglo-saxons fut Thomas Carlyle (1795 – 1881), ardent enthousiaste de Cromwell et de Napoléon : « Trouvez-moi le véritable Könning, le Roi, l’Homme Capable, et il aurait le droit divin de me commander… » (« Sur les Héros, le culte des Héros, et l’Héroïque au cours de l’histoire » T. Carlyle, 1840)

Et puis, comme une toute petite note, aux grands contours de cette histoire, nous trouvions également les racines du mouvement modern en faveur du suicide assisté et de l’euthanasie.

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : La science et l’idéologie : matérialisme, évolutionnisme, collectivisme)

Chapitre : Comment affranchir le subjectif du cadre traditionnel ; devions-nous choisir le tort limité du suicide ? ou celui, infiniment plus nocif, de l’euthanasie ?

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II: la morale et la loi — Sous-Section II b) : La morale dite « subjective » — Chapitre : Comment affranchir le subjectif du cadre traditionnel ; devions-nous choisir le tort limité du suicide ? ou celui, infiniment plus nocif, de l’euthanasie ?)

.

Une citation catégorique des temps révolus, qui capte bien (par analogie) la nature irréconciliable du différend qui oppose les principes moraux, objectifs et subjectifs

.

— Les qualités positives, de part et d’autre

     La morale objective, pour sa part, exige une discipline et une cohérence, dans la pensée et dans l’action, qui contraigne l’individu à considérer les besoins et les préférences d’autrui ; de se gouverner, alors, souvent à l’encontre de ses désirs, et parfois, même, à l’encontre de ses intérêts vitaux. Assurément, si ce système philosophique n’est pas issu d’une Autorité Supérieure, il doit se classer parmi les plus belles inventions humaines. Ou, comme Winston Churchill qualifia les exploits de Sainte Jeanne d’Arc devant les Tourelles d’Orleans (le 7 mai, 1429) : « Si ce ne fut pas un miracle, cela aurait dû en être un ! ». À tout le moins, il serait intuitivement prévisible, que dans une société imbue de tels principes, il y aurait un plus grand potentiel à gérer le conflit, et à limiter les manifestations de violence capricieuse, si souvent à la base des malheurs humains.

     Cette affirmation, d’ailleurs, ne tient pas de la spéculation seule : car la longue évolution dans l’adoucissement des mœurs, que nous observions au cours de la transition Européenne — à partir des tribus barbares, à travers le féodalisme, et arrivée aux temps modernes — s’est pratiqué, précisément, sous l’influence de tels principes objectifs, d’un jugement universellement applicable et personnellement désintéressé.

     Pourtant, les romantiques déjà cités (à la fois désabusés et idéalistes), nous enseignent que l’assujettissement de l’individu, à la morale générale, n’est en réalité que l’abnégation honteuse de soi : une trahison envers la vie elle-même. Et malgré un fort penchant humain vers l’ordre et la continuité, il n’en demeure pas moins vrai que le chaos, caractéristique de la poursuite de l’intérêt particulier, ait joué un rôle essentiel dans tous les avancements de notre société, non seulement dans les domaines artistiques, mais scientifiques, aussi, et surtout, économiques : cette épreuve empirique par excellence. Car la prospérité matérielle, inouïe, dont nous en bénéficions aujourd’hui, serait précisément le résultat du système chaotique, et personnellement intéressé, de l’entreprise libre (qui se serait montrée, en tout point — et contre toute attente intuitive — incommensurablement supérieure aux diverses expériences de planification, coordonnée et rationnelle, qui se seraient collaborativement pratiquées dans la recherche intégrale du bien commun).

     Alors, les adhérents de la morale objective auraient beau répliquer, que la prospérité — les familles stables, et la fierté dans la parole tenue — représentent une profondeur dans l’attache, et une évolution dans la vie, auxquelles les emportements capricieux des romantiques — vivant habituellement isolés et désabusés — ne peuvent jamais prétendre ; mais toujours est-il que l’attrait de la révolte, et l’affirmation inconditionnelle de soi, exerce une fascination certaine pour toute personne qui s’imagine opprimée, et, sans exception, dans un système de comportements imposés par l’autorité, nous nous sentirions tous et chacun — tôt ou tard — opprimés. Et c’est ainsi, à travers toutes les générations, qu’une bonne partie de la fleur de la jeunesse, se serait joyeusement sacrifiée sur l’autel de la liberté révoltée ; à la perte personnelle pure, évidement, mais possiblement, aussi, au plus grand bénéfice, éventuel, de la majorité.

— Les lacunes lamentées des deux

     Il y aurait clairement des vices, de l’un comme de l’autre côté. Les Romantiques (pour utiliser ce vocabulaire littéraire) accusent les doctrines conventionnelles d’être mauvaises — d’emblée et par nécessité — grâce à leur fonction d’alliées au pouvoir. Le philosophe germanique Arthur Schopenhauer (1788 -1860), par exemple, identifia la création de l’univers comme le véritable « pêché originel » (ce qui lui placerait dans le « parti du diable » imaginé par William Blake, 1757 – 1827), et il condamna son rival « arrivé », Georg Hegel (1770 -1831), comme un simple propagandiste, agent payé, de l’état Prusse.

     Mais surtout, les Romantiques n’admettent pas cette ironie fondamentale : que la moralité conventionnelle, elle-même, tient son autorité des choix exprimés de par le passé ; que l’adhésion aux idéaux partagés soit, elle-même, un exercice de la liberté. Ils sont amenés, donc, à nier toute possibilité, ou potentiel, de bon dans la « civilisation » humaine (même extrapolée vers le futur) ; et se trouvent, alors, obligés d’épouser une position qui soit opposée, en permanence, à l’ordre dominant. Souvent, cela descend, aussi, dans une prédilection pour les « causes perdues ». Ou, selon le célèbre couplet de John Milton (1608 – 1674) « …régner est digne d’ambition, même en enfer ; mieux vaut régner en enfer que servir le ciel. » : Le Paradis perdu, traduction de François-René (Vicomte) de Chateaubriand (1768 – 1848).

     Les traditionalistes, par contre, refusent trop souvent d’admettre que leurs doctrines puissent, réellement, se trouver infectées par d’intérêts oppressifs ; plus encore, ils peuvent oublier, aussi, que ce qui est opposé catégoriquement au changement, se trouve également, par définition, opposé à l’évolution positive contextuelle.

— Deux principes apparemment irréconciliables

      Voilà, enfin, la division primaire entre le Romantique et le Conventionnel, entre le Pouvoir et le Rebelle, entre le « Hip » et le « Straight ». Et au-delà des personnalités iconiques qui en incarnent les valeurs, ce serait une dualité qui existe, à l’état inachevé, à l’intérieur de chacun de nous. Car, tel que Mark Twain l’aurait si bien remarqué dans sa dernière année de vie (Lettres de la Terre, 1909), il existe des problèmes réellement inextricables ; où chaque argument (apparemment concluant en soi), ne serait destiné qu’à fournir la prémisse pour un autre, encore plus puissant, emmenant du coté adverse.

     Nous nous trouvions, ainsi, devant un débat de la première importance, entre deux pôles de logique séparément invincibles, et dont le dialogue, entre eux, se serait accouché d’une bonne partie du patrimoine intellectuel de notre espèce.

     À la fin, alors, prêt ou pas prêt, capables ou pas capables (et possiblement à plusieurs reprises au cours d’une seule vie) : chacun doit choisir. Et il en serait résulté, parmi les élites intellectuelles depuis toute l’époque historique, qu’une division pratique se serait ouverte entre ceux qui espèrent toujours raffiner et améliorer un code commun, vis-à-vis de ceux qui auraient perdu tout intérêt dans cette voie ; et qui se conçoivent, effectivement, comme des hors-la-loi permanents

— Placer le suicide assisté clairement dans un contexte subjectif ; éviter l’objectivisme de l’euthanasie ; minimiser les torts secondaires 

     Comme nous le savons, ce fut dans cette dernière tendance, subjective, que le « droit à mourir » aurait pris son essor. Nous nous trouvions, alors, loin ici de la préoccupation du moraliste social (de définir les termes d’un comportement général, calculé pour encourager le bien de tous, dans une entente d’harmonie collective). Car les penseurs de cette persuasion rejettent toute obligation imposée par la collectivité. Ils se trouvent, en fait (et peut-être sans toujours s’en rendre compte) sous l’emprise de cette idée contraire — si alléchante et si radicale dans son articulation moderne — d’une « surhomme » (selon Nietzche) qui soit au-dessus des notions conventionnelles ; mais une idée, aussi, qui se traduit le plus souvent par une simple validation de la tendance naturelle de suivre, en toute circonstance, les suggestions crues de l’intérêt personnel.

     Tel par exemple, dans le monde féodal du douzième siècle, fut l’image qui nous reste du feu Roi d’Angleterre, Richard I, (dit « Cœur de Lion »), qui avait l’habitude de se lancer dans la mêlée avec une rare témérité et adresse — comme véritable athlète et champion de la violence héraldique — devançant ses compagnons personnels en hurlant la devise royale célèbre de ces faits : « Dieu et mon Droit ». Inutile, franchement, que de penser qu’un homme, en telle posture, et avec de tels propos sur les lèvres, ait pu s’en préoccuper, outre-mesure, des droits ou des sentiments d’autrui.

     Dans le même esprit, les demandeurs des causes « Rodriguez » (1993) « Carter » (2015) et « Truchon-Gladu » (2019) se seraient représentés en agents autonomes, capables, et « non-vulnérables » (dans leur quête de mourir légalement avec l’assistance des tiers). Et au cas où d’autres personnes puissent en subir les torts : que cela les regarde ! Qu’elles s’arrangent ! Que la société en trouve des « sauvegardes » ! Ou encore, dans la langue courante : Cé pas mon problème !

     Or, quelle que soit notre opinion sur le fond de cette matière, nous nous trouverions, quand-même, devant une position morale, à la fois limpide et conséquente. Tout devoir envers la collectivité en serait exclu. Aucune obligation ne serait reconnue auprès d’autrui (à moins d’y consentir librement). Et en premier lieu, serait rejetée toute obligation collective imposée par la simple condition vivante — c’est-à-dire : par l’obligation (habituellement présumée) de vénérer cette entrée dans le monde, fortuite et involontaire, qui soit la naissance biologique.

     Clairement, il n’y a aucune possibilité d’accommoder de telles libertés à l’intérieure d’un system de consensus objectif, qui demanderait des sacrifices personnels dans l’intérêt commun. En particulier, les dangers aux personnes vulnérables, inséparables de toute légalisation du suicide assisté, sont trop évidents pour permettre ces pratiques ; une vérité qui fut réaffirmée, encore tout récemment, et par la Cour Supreme (1993), et par le Parlement du Canada (2010).

     Pour accorder rationnellement une telle liberté, en fait, il eut été nécessaire d’abandonner, explicitement, notre paradigme moral traditionnel. Et voilà, enfin, le véritable drame : car cette évidence n’aurait pas été franchement admise dés le départ ; et alors les tentatives absurdes qui s’ensuivirent — de ménager le chèvre avec le chou — se serait résolument poursuivies sans égard aux pertes encourues. Or, à travers toutes ces contorsions inutiles, nous nous sommes seulement enlisés, toujours d’avantage, dans des absurdités et des pénalités supplémentaires.

     Car pour être parfaitement clair : les tentatives mal avisées, de baliser le désire suicidaire avec l’objectivité médicale, nous aurait fait passer, tout bonnement, du poêlon au feu ; c’est à dire, du phénomène marginal et communément regretté de suicide (assisté ou autre), vers un nouveau régime d’euthanasie maximale, accueillie (objectivement) en bien médical et poursuivie avec toute l’efficacité  –ainsi que tout l’empressement intéressé — d’une industrie de santé gérée en monopole d’état !

     Alors, si l’acceptation sociale du suicide assisté serait réellement devenue incontournable de nos jours, exigeons au moins que la subjectivité en soit ouvertement indiquée, visible dans sa forme crue ! Car seulement, ainsi, pouvaient les torts collectifs afférents (toujours absolument inévitables ceux-ci) être confinés dans leurs dimensions minimales.

.

Richard I (dit « Cœur de Lion ») (1157 – 1199), roi d’Angleterre (1189 – 1199), duc de Normandie, duc d’Aquitaine, comte de Poitiers, comte du Maine, comte d’Anjou, et Seigneur de Chypre ; à droite, avec Philip II (dit « Auguste ») (1165 – 1223) roi de France (1180 – 1223) : haut, en discussion ; bas, sur le champ de bataille (troisième croisade)

Un témoin contemporain, le jongleur Ambroise, décrit Richard dans une lutte corps à corps, en infériorité numérique, devant la forteresse de Jaffa, le 4 aout, 1192 : « Il était un géant dans la bataille et se trouvait partout. […] Son épée brillait comme l’éclair et beaucoup de Turcs en sentirent le fil. Certains furent tranchés en deux, du casque jusqu’aux dents. […] Il moissonnait les hommes comme les paysans moissonnent avec leur faux. Quiconque recevait un de ses coups n’avait nul besoin d’un second. Il était Achille, Alexandre et Roland. »

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : L’euthanasie et la clientèle — Section II : La morale et la loi — Sous-Section II b) : La morale dite « subjective » — Chapitre : Le suicide assisté et l’euthanasie volontaire (aide médicale à mourir) regardés franchement, enfin, à travers la lorgnette du choix subjectif)

Rodriguez III : Les leçons apprises d’une conteste mal engagée

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle —  Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Rodriguez III : Les leçons apprises d’une conteste mal engagée)

.

Kathleen (Kay) Carter (19 août, 1920 – 15 janvier, 2010)

Le 6 février, 2015, la Cour suprême du Canada invalida partiellement le code criminel, au sujet de l’homicide, pour permettre le suicide assisté et l’euthanasie (dans des conditions qui dussent être précisées par le Parlement du Canada). Ce fut la cause célèbre « Carter vs Canada ».

Le 30 mai, 2016 fut adoptée, en conséquence, la loi C-14 qui permettait « l’aide médicale à mourir » sous certaines conditions.

Kay Carter, elle-même, par contre, fut déjà décédée au moment du jugement (et de la promulgation de loi qui en résulta), car elle aurait fait appel, plus tôt, aux services d’une clinique privée en Suisse (Dignitas) pour y mourir par voie de suicide assisté, le 15 janvier 2010.

Comble de l’ironie, cependant, même avec le passage de la loi C-14, Mme Carter n’aurait pas été éligible pour l’AMM au Canada, puisque « sa mort naturelle » ne fut pas « raisonnablement prévisible ».

Or, toujours aujourd’hui, le Canada ne permet pas un recours aussi large au suicide assisté que la Suisse. Pourtant, les Suisses n’auraient pas permis, non plus, la transformation totale de leur système de santé par l’euthanasie. Voilà qui met en lumière l’incohérence des motivations derrière la démarche canadienne.

.

— L’ébauche d’un chemin qui se révéla tortueux

     Il existe un vieux dictum, courant parmi les légistes, voulant que : « les mauvaises causes font mauvaise loi ». Or, il y aurait fort à croire que cette phrase s’applique, à merveille, aux procès juridiques entreprises autour du droit au suicide assisté (et à l’euthanasie), en commençante avec « Rodriguez » et en cheminant, par « Carter » et « Truchon Gladu » jusqu’à nos discussions présentes.

     Car la logique au fond de toutes ces causes semble exhiber un nature schizophrène, dont les deux caractères se trouvent en opposition irréconciliable. Il eut été très difficile alors (voir impossible), pour les contemporains de la cause originale « Rodriguez » d’en comprendre la véritable signification.

     De plus, le point focal du différend se serait déplacé, dans ces vingt ans de litiges : à partir des arguments plus rationnels et défensables (d’égalité des personnes malades et handicapées), vers ceux qui sont plus émotifs, moins informés, empreints de notions péjoratives de variabilité dans la valeur de la vie humaine, et qui nous conduisit, à terme, vers une redéfinition complète de la mission médicale.

     Comment, en fait, des initiatives originalement présentées pour favoriser l’autonomie personnelle, auraient-elles pu se transformer en régime d’euthanasie systématique, imposé essentiellement contre le gré des personnes admissibles ?

— deux populations ; deux visions

     D’abord, nous trouvions la logique pure de la discrimination, à l’endroit des personnes incapables de se suicider seules. Tel fut (pour remémorer ce fait crucial) le seul élément de la demande Rodriguez qui eut était appuyée par la communauté handicapée. Elle fut prise au sérieux, aussi, par la cour ; mais fut rejetée, cependant, en considération des dommages appréhendés à l’endroit de la société plus large.

     De plus, il fut remarqué, par la cour, que le suicide ne serait pas un « bien » (en soit), auquel les personnes handicapées pouvaient prétendre avoir droit, puisque la décriminalisation des tentatives de suicide (qui permettaient le suicide des bien-portants depuis 1972) s’inscrivit uniquement dans une logique de « réduction de torts » devant un phénomène toujours communément regretté.

     Essentiellement, alors, pour renverser le refus de la cour devant cet argument, aurait-il fallu que le suicide soit admis comme un droit, à toute personne, pour toute raison, ou pour raison aucune. Et jusqu’à présent, au Canada, cette proposition n’aurait jamais su gagner un appui suffisant (hors de la communauté restreinte des activistes qui réclament ouvertement cet option).

     Deuxièmement, cependant, il y avait la prétention qu’une « malade (souffrante) en phase terminale » eût dû avoir la possibilité de « se donner la mort avec l’aide d’un médecin » (sans quoi ladite malade se trouverait « soumise par l’État à une forme … de peine ou traitement cruels ou inusités »).

     En bref, nous retrouvions ici le sentiment tant répandu, parmi les personnes indemnes : que la compassion nous enjoindrait à tuer les souffrantes. Dans l’occurrence, cet argument fut rejeté par la cour, sans plus. Par contre ce serait, néanmoins, cette vision de souffrance qui trouva la plus grande résonance chez l’ensemble des bien-portants contemporains. Et même la cours, intransigeante dans son jugement final, fut sympathique dans sa considération de ces sentiments, telles qu’en témoignent les toutes premières phrases de sa décision :

     L’appelante, mère de famille de 42 ans, est atteinte de sclérose latérale amyotrophique.  Son état se détériore rapidement et bientôt elle sera incapable d’avaler, de parler, de marcher et de bouger sans aide.  Elle perdra ensuite la capacité de respirer sans respirateur, de manger sans subir de gastrotomie et sera finalement alitée en permanence.

     Voilà la description classique d’une « vie invivable ». Et malgré la décision rendue, ce furent les notions de « condition médicale » de « handicap » et de « souffrance » qui demeuraient toujours au cœur du procès. Elles l’imprimèrent, indélébilement, avec une image idéalisée de la mort miséricordieuse, prodiguée non par principe d’égalité, mais en privilège exceptionnel. Et ce qui plus est, cela devint impossible, par la suite, d’effacer la conviction fortement partagée, qu’injustice eut été fait, en ordonnant à cette femme de renoncer à son dessin suicidaire.

— L’évolution d’une loi de « compassion » tragiquement égarée

     Et c’est ainsi que pendant les vingt années qui séparait « Rodriguez » (cause infructueuse, 1993) de « Carter » (intégralement réussie, 2015), les esprits subtils auraient travaillé, avec méthode et patience, pour réarticuler leurs plaidoyers de manière à transformer la défaite en victoire.

     Dans ce court espace de temps, le droit de suicide proposé se serait transformé en accès à « l’aide médicale à mourir » ; toute prétention d’égalité fut écartée, avec une exception explicite, limitée aux seules « conditions médicales » ; l’ambiguïté morale du geste aurait disparu avec l’abandon du mot « suicide » ; et en plus, les scrupules de la morale commune se seraient définitivement esquivés en y substituant l’éthique médical (elle-même redéfinie, non par des médecins, mais par des légistes).

     Tactiquement, aussi, l’idée fut soigneusement privilégiée du caractère « rare » de l’aide médicale à mourir, et de son caractère uniquement volontaire. Pour renforcer cette impression, des critères d’accessibilité sévères (mais impossibles dans la pratique) furent suggérés ; et des procédures onéreuses furent avancées qui aient pu aller jusqu’à l’exigence d’une autorisation judicaire, unique, dans chaque cas. Bien sûr, rien de cela ne tenait du réalisme. Mais comme nous le savions, cette vision séductrice aurait éventuellement emporté la bataille ; invalidé la loi ; et permis, ironiquement, l’inauguration du système normalisé de l’euthanasie maximale, tel que nous la découvrions, au Canada, aujourd’hui.

— Le rejet de ce « privilège » empoisonné, par les bénéficiaires désignés

     Telle que décrite, dans la cause Rodriguez (et par la suite), la clarté des enjeux fut sérieusement compromise par le mélange confus de deux principes : de l’autonomie personnelle ; et du devoir de compassion collective. En apparence, ces deux idées auraient pu sembler complémentaires, puisqu’elles se combinèrent dans un appui mutuel à la demande de Sue Rodriguez. Il s’est produit, même, une malheureuse perception populaire (totalement fausse) que « les handicapés » réclamaient le droit de mourir pour échapper à leur souffrance ; et que la collectivité en porterait le devoir d’assouvir ces désirs. La décision « Carter » d’ailleurs (qui inaugura notre régime d’euthanasie vingt ans plus tard), fut accueillie dans le média comme un « victoire » depuis longtemps attendue, par les souffrants.

     Pourtant, ces deux principes sont tout à fait disparates et naturellement antagonistes. Cette opposition, d’ailleurs, s’est amplement manifestée dans l’évolution pratique des lois que nous connaissions. Car au cours des litiges subséquents, même si l’idée centrale de l’autonomie fut retenue en justification cosmétique, tous les corollaires nécessaires à son accomplissement furent abandonnés. Et en particulier, l’exigence autonomiste d’un geste de suicide, souverain et non-équivoque, fut abandonnée en faveur de la soumission passive, devant l’euthanasie.

     Avec une parfaite prévisibilité, alors, et parallèlement à l’acceptation populaire toujours grandissante (de la médicalisation du suicide), les personnes malades et handicapées, eux, se seraient unifiées dans leur opposition.  Car des supporteurs circonspects de l’autonomie égalitaire (telles que certaines se seraient manifestées devant « Rodriguez ») elles se sont transformées en adversaires féroces de l’euthanasie (à l’occasion de « Carter »). Et en particulier, l’organisme successeur de la « Coalition des organisations provinciales des personnes handicapées », soit le « Conseil des Canadiens avec déficience » (CCD) s’est intervenu pour opposer la cause « Carter ». Plus encore, cette grande organisation parapluie s’est intervenue, de nouveau, pour opposer toute expansion subséquente des critères d’admissibilité à l’euthanasie (notamment, pour inclure des personnes dont la mort ne serait pas « raisonnablement prévisible »).

— La correction d’un malentendu coriace

     Il peut encore subsister, je crains, une perception d’inconstance à l’égard de cette dernière prise de position. Car au cours de la cause « Rodriguez », tel que souligné, la COPOH aurait rejeté l’exigence proposée, à l’effet que le suicidaire demandeur dût être « en phase terminale ». Mais loin d’être une contradiction, nous voyions ici, je soumets, l’ensemble du malentendu limpidement exposé : car ce que la COPOH opposait, en fait, fut la médicalisation du suicide qui soit implicite dans tout critère de ce genre ; et par-dessus tout, elle s’opposa à la médicalisation du suicide par excellence, qui soit l’euthanasie.

     De contradiction, alors, il n’y en a point : l’ensemble des malades et des handicapés aurait toujours rejeté l’euthanasie. Et une fois l’euthanasie légalisée, ils s’en seraient opposés, également, à toute expansion de cette pratique. Si bien, d’ailleurs, qu’à la conclusion de la cause « Truchon-Gladu » (qui cautionna cette expansion, malgré les avis exprimés), elle s’est manifestée une coalition comprenant pas moins de 60 différentes organisations, représentatives des personnes malades et handicapés (c’est à dire un regroupement de taille nettement sans précédent dans ce domaine) et avec le « Conseil des Canadiens avec déficience » en premièr — pour sommer (sans succès) le gouvernement du Canada à porter ce jugement dangereux en appel, ou encore, de passé franchement outre à celui-ci, par voie de législation spéciale.

     Nous nous en apercevions ainsi, de preuves indéniables de l’opposition quasi-unanime, des personnes malades et handicapées, au principe même de l’euthanasie : une opposition constante et explicite, depuis le factum de 1993.

     Cependant, nous nous découvrions, également, devant une volonté politique, toute aussi inébranlable, et apparemment partagée par une majorité des citoyens bien-portants : de promouvoir l’euthanasie — partout et toujours – dans la satisfaction des attentes, présumées, de personnes qui n’en veulent pas ; qui s’en croient, au contraire, menacées dans leur sécurité physique.

     Et c’est ainsi que des très mauvaises causes, « Rodriguez », « Carter » et « Truchon-Gladu », auraient donné naissance, au Canada, à des très mauvaises lois.

.

Les juges de la Cour suprême du Canada au moment du décès de Kay Carter (le 15 Janvier 2010) : (en avant) Marie Deschamps, William Ian Corneil Binnie, Beverley McLachlin, Louis LeBel, Morris Fish, (derrière) Marshall Rothstein, Rosalie Silberman Abella, Louise Charron et Thomas Cromwell

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Rodriguez III : Les leçons apprises d’une conteste mal engagée — L’épisode « Hofsess » : un rejet, sans plus, des volontés de la personne, infirme ou dépendante, et la substitution du jugement exécutif du bien-portant/accompagnateur/soignant)

Chapitre : Différencier la santé publique de la santé personnelle : une différence dans les priorités qui découlent des sources, différentes, de financement

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : Différencier la santé publique de la santé personnelle : une différence dans les priorités qui découlent des sources, différentes, de financement)

.

Chef-d’œuvre de la santé publique pre-moderne : « Cloaca Maxima » (le Grand Égout), Rome

.

— un premier regard sur la santé publique et sur la responsabilité collective

     Dans la section précédente, nous aurions dépeint une vaste industrie de la « santé personnelle », qui fut encadrée, surtout, par l’interaction du médecin avec le patient individuel. Tel fut le cas, très certainement, à travers tous les siècles précédant la nôtre ; et ainsi en serait-il encore, en grande partie, de nos jours. Par contre, il existe, aussi, un tout autre domaine de recherche et d’intervention médicale ou l’objet de l’exercice serait une amélioration de la santé, non des individus, mais des collectivités élargies, et mêmes, des populations entières. En complémentarité à la santé personnelle, alors, nous entreprendrons, maintenant la description de la « santé publique », dont la première caractéristique serait la prise en charge collective des frais encourus.

     Il semblerait en fait que la « santé publique » existe depuis toujours, tout autant que les efforts accordés à la guérison des individus. Originalement, par exemple, la collectivité agissait ensemble pour jouir des bienfaits, réels ou imaginaires, de rites et de cérémonies récurrents, destinés à garantir la fécondité, la santé et la prospérité générale des gens.  En plus, il y avait des épisodes de supplication et de sacrifice plus extrêmes aux moments de pestilence et de famine. Toutes ces formes se seraient raffinées avec le temps, sous les auspices des divers chefs, rois, prêtres et sages ; et l’observation spéculative que ces cérémonies aient pu être largement inutiles ne change en rien le fait qu’il y avait perception d’une responsabilité princière (et plus tard étatique) face à la santé collective.

     Dans un deuxième temps, aussi, la santé publique s’est poursuivie dans une logique d’infrastructure. Les technologies nécessaires à la gérance des ressources d’eau, par exemple, permettait non seulement l’irrigation des cultures et le drainage des marécages, mais aussi la conduite de l’eau potable vers des centres de population mal dotés dans cette ressource. L’effet d’éviter l’utilisation des eaux fétides, dans ces circonstances, fut extrêmement important pour la santé publique, et les mêmes remarques s’appliquent aux mesures prises pour l’évacuation des eaux usées et autres déchets. Dans le monde préindustriel, ces technologies furent particulièrement bien signalées dans les ouvrages romains d’aqueduc et d’égout, accompagnés, dans certains lieux, par la collecte des ordures domestiques.

     Plus tard, à l’aube de notre ère, et confronté avec l’évidence scientifique des causes épidémiques inséparables de la promiscuité confuse, qui existait toujours entre les égouts et les sources d’eau, le principe était facilement admis (à la lumière des précédents historiques établis), que le pouvoir public avait bel et bien une responsabilité d’intervenir pour corriger ce genre de problème. Le résultat en fut un d’expansion massive des infrastructures, et d’un renforcement équivalent de l’idée que l’état soit responsable pour la santé des citoyens.

     Aussi, et toujours suite aux doctrines révolutionnaires de la microbiologie, des questionnements analogues se sont produits, concernant une nouvelle compréhension des dangers dans la préparation de la nourriture, de sorte qu’une autre responsabilité publique, de réglementation, soit peu à peu apparue pour gouverner, notamment, les pratiques sanitaires dans l’abatage des animaux, et même la pasteurisation des produits laitiers. En même temps, les avantages évidents pour la collectivité, d’une amélioration générale de l’hygiène personnelle semblaient imposer la nécessité d’une initiative d’éducation large à ce sujet, et donc, un devoir public d’information.

     De la même façon, de nouveaux programmes apparaissaient pour prévenir la transmission des infections. Il y avait, bien sûr, une expansion sur l’ancienne pratique de la « quarantaine », qui incluaient l’isolement modern des lépreux, aux États Unis (jusqu’en 1969) et au Canada (jusqu’en 1965). Mais également, il y avait des programmes de dépistage systématique de maladies transmissibles, dont le plus célèbre, au Canada, visait le contrôle de la syphilis par l’imposition de tests sanguins à tous les couples qui cherchaient l’autorisation à se marier.

     Et finalement, les nouvelles notions épidémiologiques de l’interaction entre la santé individuelle et celle des populations, amenait, à terme, une forte pression pour implémenter des programmes de vaccination publique, car mêmes les personnes les plus « indépendantes » en seraient venues à comprendre le risque personnel qui soit implicite dans le risque collectif.

     Nous apercevions, donc, à travers cette période, une importante augmentation dans les dépenses collectives reliées à la santé publique, tout en remarquant que ces dépenses s’inscrivaient, toujours, dans une logique fondée sur la tradition ancestrale.

.

L’aqueduc romain à Nîmes (France) ; Imperator Claudius ; 1ier Siècle

— la responsabilité privée pour la santé personnelle

     En opposition avec les initiatives publiques décrites ci-haut, au départ et jusqu’à très récemment, la santé individuelle restait presque exclusivement l’affaire des premiers concernés.

      De fait, à travers la période préscientifique, les dépenses de santé n’étaient pas encore perçues comme une nécessité, demeurant un luxe seulement. Pour illustrer ce point : même au début de la période révolutionnaire, à l’approche de l’année 1800 l’accès aux soins de santé ne figurait, proportionnellement, pour à peu près rien dans les agitations populaires qui visaient, en France notamment, la liberté, l’égalité devant la loi, et la répartition des terres –ou, aux moments des crises aiguës, de la nourriture seulement. Voilà qui est très vigoureusement en contradiction avec les priorités progressistes de notre époque ou l’accès aux soins de santé demeure, d’élection en élection, toujours parmi les enjeux les plus importants, et souvent le premier de tous.

     Alors nous pouvions, naturellement, vouloir nous demander pourquoi. Et je pense que la réponse en serait aussi simple qu’elle en soit gênante pour les praticiens médicaux de cette période : les remèdes disponibles ne fonctionnaient tout simplement pas.

— Une égalité parfaite des consommateurs, qui se fonda sur l’inefficacité des remèdes proposées

     Bien sûr, les services achetés par les grands personnages coûtaient infiniment plus cher que les services, équivalents, achetés par les personnes ordinaires. Et sans contredire, les riches et puissants dépensaient, dans leur quête personnelle de l’auto-préservation, des sommes énormes qui provenaient (vues de notre perspective moderne) des argents publics. Il y avait donc injustice évidente.

     Mais ironiquement, je crois que nous pouvions, aussi, nous réconforter avec la compréhension qu’à cette époque les pauvres furent normalement tout aussi bien servis que les riches et influents. Car il existait, couramment disponibles, des remèdes pour littéralement toutes les bourses ; et objectivement, il n’y avait à peu près rien à choisir entre les résultats obtenus. Avec quelques exceptions presque triviales dans l’ensemble des faits : que la malade ait pu être un grand noble qui buvait une potion fabriquée à partir de matériaux précieux, importés de l’Orient au prix inimaginable ; ou encore, un paysan, qui en prenait un autre, concoctée par son voisin, avec des crapauds et de la verdure trouvés dans son jardin : le résultat restait sensiblement le même.

     Il y avait, ainsi, une égalité sublime de par les âges révolus en ce qui concerne la santé personnelle : car dans les faits, tout le monde, du plus haut au plus bas, fut réellement égal devant la main capricieuse de la maladie et la mort ; une égalité toujours présente à l’intuition populaire, et à maintes reprises exprimée par les poètes et les philosophes, depuis les siècles et les millénaires.

     Nous nous retrouvions, donc, et jusqu’à très récemment, devant deux régimes de santé entièrement différents, dont l’un fut le fait de dépenses purement personnelles, tandis que l’autre reflétait les besoins collectifs, et dépendait des fonds communs.

— La confusion moderne des priorités et des budgets (de la santé privée et de la santé publique) : un facteur contribuant aux attitudes différentes, affichées par divers pays, face à l’euthanasie

    Quoique les programmes de santé publique impliquent, parfois, des interventions bénéfiques auprès d’individus particuliers ; et quoique les attentions et les habitudes d’un bon régime de santé personnelle puissent produire, parfois, des effets heureux pour la collectivité : ce sont, fondamentalement, deux phénomènes distincts, qui résultent de raisonnements et de priorités, également différents. En conséquence, l’indépendance budgétaire, de l’un vis à vis de l’autre, serait la première condition pour la satisfaction harmonieuse des deux.

     Toujours est-il, cependant, qu’avec le développement récent de l’état « Providence » (dans certains pays dont le Canada), il s’est trouvé une dynamique puissante pour nous orienter vers la primauté de la santé publique, jusqu’au point où la santé personnelle en serait devenue entièrement dépendante de la bourse publique.

     Dans d’autres pays, par contre (comme aux États Unis), une plus forte attache aux libertés du citoyen aurait joué contre cette tendance, de sorte que les dépenses de santé personnelles y aient demeuré largement l’affaire des individus, et reflètent plus fidèlement, alors, les désirs/demandes des patients/consommateurs.

     Pour simplifier au maximum cette comparaison : le suicide assisté fut légalisé aux E.U. en 1994 (l’état d’Oregon), c’est à dire vingt ans plus tôt qu’au Canada (2016). Cependant, quoique de nombreux états américains permettent, aujourd’hui, le suicide assisté, l’euthanasie demeure toujours illégale (avec certains exceptions et nuances), et en conséquence, le nombre de morts/an produites dans ce pays serait triviale en comparaison avec le nombre canadien équivalent.

     Dans le premier tome de cet ouvrage, j’aurais insisté longuement sur les effets nocifs (pour le patient-type non-suicidaire) du nouveau système canadien de recours maximal à l’euthanasie. Je tiens, d’ailleurs, la conviction intime que la différence de politique entre ces deux pays — à l’égard de l’euthanasie (et surtout à l’égard de la normalisation institutionnelle de l’euthanasie) — découle principalement des différences dans la gérance des budgets au sein des deux sociétés. Pour être parfaitement clair : Je crois que la promotion privilégiée de l’euthanasie, au Canada, ne fait que refléter la dominance des priorités budgétaires collectives, aux dépens des désirs et des intérêts du patient/contribuable.

     Or, dans ce qui suit, ici, je tenterais d’élucider : 1) pourquoi l’industrie de la santé personnelle aurait passé sous l’autorité publique (au Canada) ; 2) de quelle manière cette autorité nous pousse, organiquement, vers la médecine de la mort dénoncé dans ces pages ; et finalement, 3) comment les déboires répertoriés – les résultats regrettables des improvisations politico-économiques du passé — peuvent maintenant être corrigés, au bénéfice du patient/consommateur/contribuable.

     Je me dois de demander pardon, toujours, auprès des lecteurs américains, pour lesquels cette matière pourrait sembler excessivement spécifique au Canada. Cependant, je crois que cette discussion se révèlera, aussi, très utile face aux questions pressantes de « payeur unique » et de « Medicare pour tous » qui semble perdurer aux E.U. Car une étude lucide de l’expérience canadienne aiderait beaucoup, je soumets, pour éviter des pièges maintenant bien connues (aussi prévisibles que pénibles) dans la recherche d’un régime de santé qui soit, à la fois, économiquement libre et acceptablement inclusif.

.

Une station d’isolement pour lépreux fut inaugurée (1844), sur l’île Sheldrake à Nouveau Brunswick (Canada), dans une ancienne station de quarantaine pour la cholera. Les malades furent presqu’abandonnés à leur sort pendant les premiers 10 ans ; hommes, femmes et enfants ; dans des conditions horribles. La station s’est faite rebâtir ca 1855 et un premier médecin résident y fut nommé en 1863. En 1868, sept sœurs de St Jean (Montréal) s’y sont installées. Les derniers résidents/prisonniers y furent consignés en 1937. Le site fut fermé en 1965. Photo ca 1916.

Décidément, les souffrances infligées sur les malades isolés dans ce lieu pendant 120 ans, furent plus que considérables. Mais le but de la santé publique n’est pas le confort, ni même la survie, de l’individu.

Il serait plus qu’utile de tenir cette évidence présente à l’esprit au cours de notre étude de l’euthanasie au Canada. Car seulement ainsi peut-on espérer comprendre la stratégie canadienne que nous pouvions nommer, en tout logique : « l’euthanasie maximale »
.

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : La santé personnelle se transforme progressivement en charge publique : comment et pourquoi)

À la défense des traditions du métier médical

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : À la défense des traditions du métier médical)

.

HMS Discovery (1789) : Longueur – 30 mètres ; Personnel – 94 ; Armement – 10 canons (4 livres), 10 pièces pivotantes (½ livre) ; Maitre à bord – le Capitaine George Vancouver (1757 – 1798) ; montage d’après une aquarelle par Steve Mayo (Canadien, contemporain) et un portrait anonyme (18eme siècle)

.

— Responsabilité ; liberté ; et conscience professionnelle

     Au cœur de la tradition médicale — et en contrepartie symétrique avec la responsabilité totale assumée par le médecin devant les attentes du patient (et de son entourage) — se trouvent la prétention millénaire, à peu près unique à cette profession, que chaque docteur puisse agir à sa guise : à l’intérieure de limites des plus larges ; selon sa méthode choisie ; et selon son évaluation personnelle des intérêts du patient. Ce serait, en effet, le principe de la « conscience professionnelle », deuxième en importance dans la hiérarchie de l’éthique médicale ; qui suit immédiatement après le « bien du patient » ; et qui serait, en quelque sorte, le corollaire nécessaire de la poursuite fidèle de ce dernier.

     C’est un principe qui soit représenté, tantôt en droit, tantôt en devoir. Il serait utilisé, parfois, pour affirmer — dans le grand style héroïque — un refus de toute trahison à l’égard du patient, même devant la largesse ou l’intimidation du pouvoir. Mais plus souvent (et bien plus humblement, dans la pratique ordinaire), il signifierait la simple promesse de poursuivre véritablement le bien du patient, non pas dans un esprit tordu de sophisme intéressé, mais sincèrement, dans la pureté idéalisée de son « âme et conscience ».

— Une éthique où l’intention prime par nécessité

     Pourtant, cette profession d’intention identitaire, tant élevée en soi, porte également en elle le reflet d’une conclusion, nécessaire peut-être, mais aussi quelque peu amère : un constat né dans les millénaires d’expérience, vécus devant la complexité — je dirais même devant l’impossibilité — de l’entreprise médicale : la conclusion que nous nous devions de juger ces professionnelles, plutôt sur l’intention, que sur le résultat de leur travail.

     Car sans une telle générosité lucide, témoignée à l’intérieur de la profession — par chaque pratiquant à son propre égard, et parmi tous à l’égard de leurs pairs – il serait impossible d’imaginer la poursuite pratique de cette quête médicale idéalisée — multimillénaire, toujours renouvelée dans les pires conditions—mais accompagnée, aussi, par des souffrances inestimables.

     Or, de nos jours aussi, ce serait une largesse d’esprit qui nous permette à départager notre dégout instinctif devant la négligence – devant la mal pratique, et l’incompétence simple — d’un sentiment beaucoup plus généreux à l’égard des gestes et des décisions, possiblement désastreuses dans la suite, mais qui sont, à l’origine, les manifestations d’un effort — sincère, rational, et courageux — de poursuivre le bien du patient.

     À la fin, alors, nous ne demandons pas du praticien médical qu’il puisse réussir toujours, ou même qu’il puisse toujours faire les meilleurs choix. Par contre, nous ne pardonnons pas (aussi facilement) les écarts sordides de « conscience » inferieure.

— La médecine préscientifique : un métier sans consignes normatives ; exhibant plus de solidarité que d’homogénéité

     En conséquence, ce que l’on appelait, jadis, l’Art Médical (ainsi que les personnes qui s’y donnaient), n’ait jamais pu être rigoureusement comparé aux autres Guildes, Syndicats ou Corporations. Car le plus souvent, le but de ces rassemblements professionnels fut de garantir la crédibilité de leurs membres, auprès des consommateurs, avec la promesse implicite que leur travail serait uniformément réalisé — d’après la formule d’usage — « selon les Règles de l’Art ». Cependant, en dehors du Serment hippocratique (qui ne régissait que la dimension éthique de la pratique médicale), il n’existait (au moins jusqu’à tout récemment) aucune « règle » qui eut pu garantir la qualité du travail médical accompli ; et certainement pas, du moins, dans le sens que l’on peut indiquer des méthodes millénaires, et universellement reconnues, par exemple, pour assurer la stabilité des murs de maçonnerie.

     Au contraire : à travers la longue période préscientifique, la pauvreté des résultats obtenus encourageait la coexistence de méthodes, aussi ingénieuses — ou fantaisistes — les unes que les autres ; et très souvent : franchement contradictoires parmi elles. Dans ces circonstances il n’eût été à l’avantage de personne à tirer l’attention sur ces faits.  Car selon le proverbe bien connu au sujet des coups de pierre, et des maisons en vitre : les médecins, jadis, favorisaient le sage reflexe de s’abstenir de trop insister sur les faiblesses de leurs confrères, de peur d’inviter de critiques analogues à l’endroit de toute la profession, et donc, à leur endroit personnellement.

— Une continuité dans la période scientifique

     Et si, par chance, nous entendions ici l’objection, que les « normes » de traitement soient devenues plus standardisées de nos jours ; que le côté libre de la pratique médicale s’est restreint d’autant ; que la période de diversité fantaisiste dans la pratique de l’Art Médicale se trouve, maintenant, définitivement derrière nous : je répondrais simplement en indiquant la progression constante des médecines dit « alternatives », avec la prolifération parallèle des « Docteurs », dument formés dans des institutions attitrées, mais dont la dérivation scientifique se trouvent, candidement, en contradiction permanente avec l’école dominante.

     Et la raison en serait toujours évidente : car dans trop de cas (et éventuellement dans tous les cas), les remèdes réelles — capables de tricher à la mortalité — n’existent pas, tout bonnement. Et autant que des remèdes « miracles » se découvrent dans les faits, et repoussent réellement les échéances inévitables, autant la limite des ces remèdes, c’est à dire notre mort éventuelle, reste immuable. Il en résulte, alors, que la créativité inventive, à la rencontre de la crédulité du désespoir, produit toujours des propositions thérapeutiques, des plus variées, qui ne sont pas vraiment contrôlées (et qui ne peuvent jamais vraiment l’être).

     Même à l’intérieure de l’orthodoxie scientifique la plus parfaite, d’ailleurs, et munie de ses outils les plus impressionnants, l’unanimité dans la pratique demeure beaucoup moindre que les observateurs plus crédules seraient portés à croire. Il faudrait, par exemple, avouer sans détour, que la complexité de la tâche médicale se solde encore de nos jours par de différends d’opinion, entre des praticiens également respectés, sans que personne ne peut catégoriquement faire la démonstration que l’un ait raison ou l’autre tort, et ce, concernant des décisions aussi simples, et quotidiennement répétées, que de choisir une prescription pharmacologique appropriée ; de savoir si tel ou tel patient aurait avantage à se reposer plutôt que de s’efforcer au travail ; ou encore, pour citer une situation particulièrement courante et significative : de subir une opération chirurgicale, ou de s’en abstenir.

     Paradoxalement, d’ailleurs (pour ceux qui chercherait une simplicité évidente dans les « faits ») : les libertés, de pensée et d’expérimentation, sont centrales à l’entreprise scientifique ; des hypothèses antithétiques peuvent longtemps coexister dans l’impossibilité d’en établir des conclusions définitives ; et l’émergence de « consensus » précoces peut souvent se révéler plus nuisible, aux connaissances futures, qu’une pluralité de préjugés courants. Et c’est ainsi que la différence, et le respect dans la différence –c’est à dire la liberté maximale des praticiens — serait depuis toujours la première condition de la poursuite scientifique.

— La nature particulière de la médecine clinique

     Cependant, la liberté revendiquée par le médecin clinicien, est d’un ordre tout autre. Car il n’est pas principalement question, ici, d’une science théorique, pratiquée dans la récolte ordonnée de données ; dans l’avancement tranquille d’hypothèses qui trouveraient, peut-être, des applications utiles dans un future plus ou moins rapproché. Non. Le cas particulier, le patient particulier — la vie particulière — se présente habituellement comme un problème unique d’une urgence et d’une complexité qui amènent le clinicien, rapidement, au-delà des certitudes confortables. Assisté, au mieux, par des indices statistiques souvent contradictoires, le médecin doit choisir.

      Dans la majorité des cas, les suites seront incertaines ; et dans beaucoup, la réussite serait impossible sans redéfinir le sens de ce mot. Mais nous nous attendons, tout de même, à ce que le médecin accepte de soigner son patient, et d’en assumer, devant nous, la responsabilité de ses gestes et de leurs séquelles.

— La responsabilité solitaire

     Comprise de cette façon, je crois, la liberté de conscience professionnelle – je dirais même l’honneur intellectuel et éthique du médecin – ainsi que la liberté d’action, et l’autorité sans compromis, qui en résulte dans la pratique, sont non seulement compréhensibles, mais inévitables dans les faits.

     Une analogie utile existe, à cet effet, avec l’équilibre similaire exhibé par le capitaine de navire : qui jouisse aussi, traditionnellement, d’une liberté et d’une autorité essentiellement illimitée ; mais seulement parce qu’il accepte, lui aussi, la responsabilité complète pour le destin de son navire, dont il s’en porterait garant, à la fin, seul, devant l’histoire.

— Le respect, et un réflexe de protection mutuelle

     Peut-on, alors, se surprendre, s’il en eut résulté une situation de fait ou les médecins se seraient protégés mutuellement, en défendant, non une ligne de traitement unique, mais plutôt la liberté pour chaque médecin de chercher une stratégie de traitement appropriée — traditionnellement tempérée, seulement, par le cadre éthique d’inspiration Hippocratique — à la lumière de son expérience personnelle, de son jugement… de sa conscience ?

     Voilà, je crois, dans son essence, la signification et la dignité du statut professionnel médical : tel qu’il s’est développé à travers les siècles ; et tel qu’il serait fièrement vécu — et jalousement défendu — encore de nos jours.

— La relation auprès du patient : la promesse essentielle

     Telle serait, également, la source traditionnelle de la relation de confiance qui fut, idéalement, établie entre le médecin et son patient ; et ce serait dans la construction de cette relation –dans cette équation de liberté professionnelle et de responsabilité – que nous découvrons toute l’importance historique des principes hippocratiques. Car le plus souvent, ce ne furent que ces principes qui pouvaient produire, chez le patient, l’attitude souhaitée de calme devant le destin ; une attitude fondée dans la foi simple, mais puissante, que son médecin — même s’il ne pouvait rien pour le soustraire à la mortalité — agirait scrupuleusement, et avec le plus grand respect, devant le peu de vie qui lui resta.

     Or, ultimement, la fidélité avec laquelle le médecin remplit cette promesse serait la seule constante, qu’il peut réellement garantir, à l’égard de son client.

     Devant le caractère terrible et inévitable de la mortalité humaine, les patients et leurs familles savent intuitivement qu’ils ne peuvent pas toujours attendre un dénouement heureux. Alors, encore plus que le miracle tant espéré (mais si douteux de réalisation) — les clients désirent obtenir les preuves d’une pureté d’intention dans sa recherche ; et pour le médecin, conscient des limites cruelles de ses pouvoirs d’intervention thérapeutiques, la cultivation délibérée d’une réputation incontestable d’intégrité dans cette intention, deviendrait sa qualification professionnelle la plus chère.

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : La position épousée, passivement, par la profession médicale)