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octobre 2021 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

1915, année propice pour le sentiment eugéniste: Une dévalorisation générale de la vie; Des chefs à caractère intransigeante

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre: 1915, année propice pour le sentiment eugéniste: Une dévalorisation générale de la vie; Des chefs à caractère intransigeante)

— L’état exceptionnel du monde

Les États Unis d’Helen Keller, quoique toujours en paix de façon nominale, partageait déjà la psychologie de guerre totale, devenue subitement universelle. Au niveau mondial (tel que répertorié dans le premier tome de cette ouvrage) ce fut une période où des idéologies violemment opposées –tantôt nationalistes et militairistes, tantôt internationalistes et révolutionnaires– s’étaient largement perfectionnés pendant au moins un demi-siècle de débat, et d’organisation, sur le terrain. Autant dans les agitations locales, alors, que sur le plan international : des lignes de conflit étaient vivement tirées sur des axes multiples.

La nouvelle maîtrise, technique et administrative, fournissait, certes, les moyens industriels pour soutenir cette folie destructrice sur une échelle inouïe, mais plus importantes encore, furent les innovations philosophiques connexes, du matérialisme scientifique Newtonien, et des inférences sociales, impitoyables, de Charles Darwin. Car les intellectuels modernes furent privés des certitudes théologiques d’un Père bienveillant, et s’efforçaient, depuis Rousseau, à chercher une nouvelle signification à la vie humaine, sous le signe de la Nature Primaire. Or, c’est à cet enseigne qu’ils eurent finalement improvisé –avec tout le courage de la nécessité, et du désespoir– un nouveau départ littéraire, cultural, et mythique, peuplé de valeurs héroïques puisées à la source de l’homme primitif, dans toute la gloire de sa violence naturelle. Tragiquement, à la fin, la rencontre de tous ces facteurs –idéologiques, technologiques, et psychologiques– s’est produite au moment décrit, avec l’éclat d’une foudre historique de premier ordre.

Le temps de préparation de la catastrophe européenne était maintenant passé. Le wagon des montagnes-russes, que j’aurais dépeint plus tôt dans sa montée inéluctable et mécanique vers son point d’équilibre fatidique, avaient définitivement basculé en avant pour échapper en chute libre, sur une tracée sans bornes, vers une destination inconnaissable. Dans cette occasion exceptionnelle, donc, l’écrivain peut se laisser emporter sans gêne, avec tous les adjectifs et avec toutes les images hyperboliques, car dans cette instance précise il n’y aurait aucune possibilité d’exagération: Les Quatre Chevaliers de l’Apocalypse (Guerre, Famine, Pestilence et Mort), courraient déjà librement en Europe (et dans les zones limitrophes) tandis que les tranchées et les tombeaux attendait, aussi sous peu, bon nombre des 2.8 millions de soldats Américains qui y apparaîtrait à leur tout (à partir d’avril, 1917). Pour tout dire: 1915, c’était une année où six des plus grandes puissances du monde –la Grande Bretagne avec ses colonies (dont le Canada), la France, l’Allemagne, la Russie, la Turquie et l’Empire Austro-hongrois– se trouvaient aux prises dans une guerre sans merci, et apparemment sans issue autre que l’épuisement total, des réserves humaines, d’un camp ou de l’autre. C’était un moment ou chaque nation, chaque classe –presque chaque personne active– caressaient l’un des idéaux décrits ci-haut (de nationalisme, de révolution — ou des deux à la fois), tant reluisants et d’inspiration si grandiose; mais dont le chemin engagé passerait dans chaque cas par les plus grands sacrifices: par de véritables chemins de cadavres.

Je n’ose seulement insister, ici, sur ces circonstances déplaisantes, du fait que ce fut dans ce monde précis que la question de l’euthanasie enfantine s’est avancée soudainement sur la place publique grâce aux agissements du Dr Harry J. Haiselden, Chirurgien en Chef du German-American Hospital, Chicago, Illinois. Quel contexte social, en effet, aurait pu se montrer plus accueillant à cette proposition, de sacrifier systématiquement les enfants déficients aux idéaux de la purification sociale ? Car dans le contexte réel de 1915, des millions de précieux hommes, et garçons, étaient déjà tombés, volontairement, en sacrifice idéaliste, dans la poursuit de ce même but. Et si les meilleurs éléments de la société –ses plus grands trésors humains– s’étaient montrés prêts à mourir, sans hésitation, dans leurs milliers et dans leurs millions, pour le renouveau collectif, ne pourrait-on pas demander ce même sacrifice aux pires éléments ? c’est-à-dire à ces éléments « anormaux » dont la simple « tolérance » représenterait (comme nous le verrons plus tard) une atteinte quasi-blasphématoire à la perception du « sacré » dans la vie normale ?

C’était un moment, pour tout dire, ou la perte de vie était devenue d’une banalité absolument triviale, et en conséquence, où les discours publics pouvaient s’engager sur des terrains jusqu’alors pratiquement interdits. Je dirais même que ce soit dans ce simple phénomène de banalisation, et de désensibilisation, à la souffrance et à la mort, que nous puissions identifier la véritable « Pente Glissante » humaine dans toutes les périodes de notre histoire. Car autant que la mort — et la mise à mort — deviennent suffisamment communes dans la vie quotidienne, pour obliger nos penseurs d’en chercher des explications, articulées en termes rationaux de nécessité désirable, autant la porte conceptuelle s’ouvre vers la normalisation du tragique, de l’absurde et de l’atroce. Et telle, je crois, serait l’explication ponctuelle des paroles d’Helen Keller rapportées ici; paroles qui débordent nettement du discours classique sur la miséricorde offerte, peut-être, par voie de négligence bénigne; pour aborder (à ma connaissance pour la première fois) l’idée d’un programme systématique, et obligatoire, d’infanticide préventif, institutionnellement implémenté au sens moderne des mots.

Très certainement, ce ne sont pas toutes les caractères d’homme (ou de femme), qui peuvent monter à l’avant scène des affaires publiques, dans de tels tournants rudes de l’histoire. Et avant de continuer avec la description de sa proposition il serait peut-être intéressant, préalablement, d’examiner comment Helen Keller se trouva si évidemment à sa place, dans cette conjoncture exceptionnelle.

— La caractère dur des hommes qui héritèrent du pouvoir exécutif dans cette extrémité historique

La société est vaste, profonde et pluraliste. Elle contient à l’intérieur d’elle-même une gamme infinie de types individuels, et elle peut, ainsi, produire au besoin des chefs, et des gens actifs, capables de répondre aux exigences les plus diverses. En ce qui traite de la période qui nous concerne: très peu de personnes seraient capables de vivre (voire: de supporter) de telles émotions, et encore moins, de fonctionner avec efficacité dans les circonstances dépeintes. Au contraire, ceux qui peuvent le faire forment un petit groupe à part. Il sont des gens souvent mal adaptés à la vie paisible; des gens dont la caractère particulière peut empêcher la réussite en temps normal, malgré des talents évidents. Mais ce sont aussi, des gens qui peuvent sortir opportunément de l’obscurité dans les moments de crise extrêmes (à l’image d’un Ulysses S. Grant, plusieurs fois raté dans la vie civile, mais vainqueur de la Guerre Civile Américaine, et dix-huitième Président des États Unis). Car aux moment où les cœurs plus tendres fléchissent, où les paroles inspirantes ne suffisent plus, quand les théoriciens normalement en autorité perdent le sang-froid: une certaine sorte d’être particulièrement résilient (ou tout simplement insensible à la souffrance immédiate), se révèle indispensable à la survie de tous.

Or, tel est le portrait des hommes et des femmes, d’action, qui montaient au premier plan de la société dans ce deuxième décennie difficile du vingtième siècle; un portrait dont la marque principale se résumaient (outre la capacité de fonctionner de façon efficace dans les moments les plus exigeantes), dans une sorte de détermination inconditionnelle, accompagnée dans la circonstance par une sévérité intransigeante et impitoyable.

C’était un caractère qui permettait, par exemple, à l’Haut commandement allemand d’affirmer que ses 140,000 soldats morts, dans la seule bataille de Verdun (février à décembre, 1916) — aussi longue et farouche qu’insatisfaisant — avaient gagné une victoire objective dans le fait qu’ils avaient tué 167,000 Français; tandis que ces derniers réclamait la même victoire, du fait qu’après cette carnage, incroyable, ils possédaient toujours le gros de leurs positions dans ce secteur, et que la perte de presque 400,000 soldats Français (incluant aussi les blessés et les perdus) était un « prix » rationnel à payer; puisque la France et ses Alliés pouvaient plus facilement remplacer ceux-ci que leurs ennemis, Allemands, ne pouvaient remplacer les 350,000 perdus, des leurs. C’était une caractère enfin, en 1918, après plus de trois ans et demi de guerre — après la mort combiné de presque 10,000,000 d’hommes combattants (et autant de civiles en plus) — qui permettrait au Generalfeldmarschalle Paul Von Hindenberg (1847-1934) et à son chef major Erich Ludendorff (1865 – 1937), de promettre qu’ils pouvaient toujours briser la ligne française, à la seule condition qu’ils soient autorisés à « dépenser » un demi-million de plus ! Et finalement, tragiquement, c’était une caractère (ou peut-être seulement l’affectation d’une caractère) qui permit au Kaiser Wilhelm II d’accepter cette promesse en plan réaliste, et d’autorisé la dernière grande offensive allemande du printemps 1918 (nommé Bataille du Kaiser, ou Kaiserschlacht), aussi meurtrière qu’inutile, lancée par une Allemagne objectivement épuisée et défaite. Manifestement alors, cette caractère –et ces événements– s’étaient combinés pour produire, en ce moment, un climat général de calculs, froids et « réalistes », qui tendait à réduire la valeur comptable des vies individuelles, à presque rien.

Or, pour placer un contrepoids vivant, en opposition à ce type humain, possiblement nécessaire, mais toujours quelque peu sinistre: comment pourrait-on trouver mieux, que la figure d’une jeune femme, belle, brillante (et handicapée de surcroît), qui épousait les causes exactement opposées, de progrès social, d’union internationale et de paix ?

Et pourtant! Comme les apparences peuvent s’avérer trompeuses! Car il semblerait, au contraire, que Helen Keller ait été tout à fait adapté à son instant de l’histoire; et que derrière les manipulations rhétoriques employées pour prêter une mine de supériorité morale à ses intentions idéologiques: la caractère d’Helen Keller présenta beaucoup plus de similarités, que de différences, avec celles des dirigeants, “durs”, qui accédaient organiquement au pouvoir, au même moment.

Paul von Beneckendorff und von Hindenburg (1847-1934) (à gauche) et Erich Friedrich Wilhelm Ludendorff (1865 – 1937) (à droite). À partir de 1916, ce duo exerça une véritable dictature militaire en Allemagne.

Renversant la stratégie défensive de leur prédécesseurs, ils réussirent, 1917, à vaincre la Russie, et à concentrer les soldats ainsi libérées, sur le Front de l’Ouest. Sans l’intervention, en masse, des forces Américaines, il est très probable que l’issue de la guerre eut été différente.

Sans être des partisans d’Adolf Hitler, Hindenburg et Ludendorff partageaient, avec celui-ci, les sentiments militaristes. Ludendorff, par exemple, était associé avec Hitler dans le “Putsch de la Brasserie” (1923), tandis que ce fut Hindenburg, comme Président du Reich, qui nomma Hitler en Chancelier (1933).

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Un personnage politique tout à fait extraordinaire : Féministe, Marxiste, et Eugéniste)

Le Décalogue (ou Dix Commandements) : Le point de départ pour une véritable morale catégorique, de confession personnelle

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre : Le Décalogue (ou Dix Commandements) : Le point de départ pour une véritable morale catégorique, de confession personnelle)

Moïse et les Dix Commandements (1648) de Philippe de Champaigne (1602 – 1674)

— Un histoire ancestrale dont la familiarité nous obscurcit l’essence révolutionnaire

Après le sacrifice d’Issac (décommandé par Jéhovah dans sa caractère miséricordieux de Dieu paternel), je signalerait, aussi, le récit du don des Dix Commandements, par Jéhovah à Moise, comme l’un des bijoux bibliques ayant le plus contribué à l’idée traditionnelle d’une valeur sacrée (ou intrinsèque) à la vie humaine; et en particulier, cette injonction universellement connue :

Tu ne tueras point.

Pour le lecteur présent, cette injonction peut sembler évidente, comme la condition nécessaire de toute société harmonieuse. Mais cette impression, cependant, vient surtout de la pénétration historique de cette idée, dans les profondeurs de la psyché collective, suite à trente-cinq siècles de répétition. Ainsi, le lecteur typique, en Occident, se serait très largement formé dans cette tradition morale, qu’il n’en ait, ou qu’il n’en ait pas, été conscient. Et cette formation se serait typiquement produite, aussi, avec ou sans connaissances, directes, des sources religieuses à sa base. Mais en réalité, et très loin des certitudes encore ambiantes, ces admonitions morales se portent objectivement en contresens: et, aux présomptions qui dominaient les comportements humains au moment de leur énoncé; et aux principes fondamentaux des idéologies modernes.

Il s’en dégage, donc, un constat, aussi significatif que surprenant, au sujet de la nature radicale des commandements livrés à Moise, non seulement dans ce contexte lointain, mais bien, dans notre présent également.

— Les reflets du passé

Au sein de toutes les sociétés réellement primitives (ainsi que d’autres, quelque peu plus sophistiquées mais toujours non sujets à l’autorité des hiérarchies civilisées): la violence personnelle sert, en dernier ressort, comme le moyen privilégié pour régler tout différend. Pour s’en persuader, d’ailleurs, il suffit de regarder les comportements compétitifs de nos proches cousins — chimpanzés et gorilles — et

de transposer mentalement leurs manifestations vigoureuses, d’affirmation personnelle, dans une société humaine dont l’attribut principal s’illustrait, par excellence, dans le perfectionnement des armes. Car, tristement, la réalité ne diverge, aucunement, des attentes soulevées par un tel exercice imaginaire.

Habituellement, donc, la dominance sociale (ainsi que tous les circonstances qui s’y rattachent), dépendait d’une intimidation implicite, et au besoin: d’une démonstration ouverte de la force. La possession d’un objet de valeur, d’un emplacement physique (stratégique ou fertile), d’une femme en particulier (ou simplement le droit de choisir en premier), tout cela (en plus du pouvoir discrétionnaire exécutif lui-même, dépendait des capacités de violence personnelles, ou à tout le moins, du support d’individus munis de telles capacités.

Visiblement, l’accès au statut social de membre entier, passait, au moins par l’empressement (présumé) de s’engager dans des combats mortels; et dans grand nombre de peuplades, cette appartenance au corps adulte fut réservée, uniquement, pour ceux qui en avaient réellement livré. Sans détour alors: il s’agissait souvent de tribus au sein desquelles l’homicide se présentait simplement en droit de passage adolescent, et où, en tout cas, l’estime réservée pour chaque membre adulte en dépendait très fortement.

James A. Michener (1907 – 1997) nous en parle dans son livre, “Pacifique sud” (Tales of the South Pacific, 1948), de ses propres observations, auprès de tribus encore peu connues, des Îles Salomon et la Mer de Corail, subitement envahies par la présence moderne des Américains et des Japonais, au cours de la Deuxième Guerre Mondiale. Il nous apprend, ainsi, que les notables locaux avaient l’habitude de décorer les sentiers menant à leurs demeures avec des pierres en bordure, dont chacune représentait un ennemi abattu. Michener raconte, en particulier, comment un certain personnage très illustre des environs, exhibant pas moins de douze pierres, avait été tué de manière inattendu par un rival, qui n’affichait, pourtant, que trois seulement.

En fait les exemples de tels comportements — exhibant des bijoux, des tatouages, des trophées devant (et dans) les résidences (et cela, chez les habitants de tous les continents) — sont parfaitement bien documentés, et nous enseignent que le fait de tuer ne faisait aucunement une occasion de remords, normalement, mais de grande fierté plutôt.

Il nous serait permis, alors, de remarquer, encore, sur la nature tout à fait extraordinaire d’une proscription catégorique d’homicide, parmi des personnes vivant au moment où Jéhovah est réputé avoir visité Moise (voire : 13-15 siècles av. J.-C.). Car même si nous stipulons que l’application pratique de cet interdit ait toujours comporté d’importantes nuances, force serait d’admettre que la prohibition, elle-même, fut couchée dans une forme qui suggère, très clairement, une intention absolue; intention (comme nous l’avons déjà remarqué) d’un radicalisme presque inconcevable quand elle serait considérée à la lumière des comportements humains réellement observés.

— Un système qui se veuille des plus compréhensifs

En partant, d’ailleurs, non seulement l’acte homicide, mais aussi les mobiles les plus fréquents avaient été ciblés par le Décalogue, avec l’interdiction parallèle du vol (Tu ne volera point). Et pourtant ! L’acte de tuer, pour s’emparer des biens et des avantages d’autrui, était une pratique quasi-universelle, et habituellement représentée, aussi, comme une exploite glorieuse. De plus, nous nous apercevons de toute l’énergie sophiste employée pour signaler les homicides “biens”; pour se convaincre, par exemple, que la franche utilisation de la violence — dans la conquête, la rapine, et l’extermination des voisins — soit une poursuite noble, aucunement apparentée aux mèmes actions louchement perpétrées, en meurtres furtifs, et en vols dérobés. (Ou comme disait ce chef de pirates, sur la côte syrienne, qui avait réussi à capturer, et même à extorquer une riche rançon de Jules César — mais qui fut tout de même crucifié par ce dernier dans une occasion subséquente: “Celui qui se place à la tète des légions, pour voler, s’appelle un grand conquérant. Mais celui qui fait la mème chose avec six navires s’appelle un criminel…”).

Selon cette vision de l’homme, donc, les mauvaises intentions sont présumées d’abord.

— Solliciter une adhésion volontaire, où l’on juge non seulement des gestes, mes des intentions

Or, d’après l’esprit apparent des Dix Commandements, il n’en est rien. Car dans cet esprit, intentions et gestes ne font qu’un. Le Décalogue s’adresse, donc, non seulement aux comportements, mais bien, aux sentiments des fidèles; et exige, ainsi, rien de moins qu’une pureté d’intention, qui dépasse, et de loin, le simple évitement de gestes formellement criminalisés:

Tu ne convoiteras point — la maison de ton prochain… la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune chose qui lui appartienne.

Clairement, ce qui est recherché dans ce texte, c’est la sollicitation d’un respect réel, chez l’auditeur à l’égard de son prochain, qui ne consiste pas dans un simple observance des édits répressifs (prodigués pour gouverner une compétition présumée outrancière, sanguinaire et apparemment permanente); mais qui relève, au contraire, d’une sincère bénévolence à son endroit.

— Une distinction essentielle entre l’exhortation morale et la répression criminelle

Voilà, dans cette intention, la différence fondamentale qui distingue le Décalogue face aux codes de loi séculaires du même période, tel celui du roi Hammourabi (Babylone, 1792 – 1750 Av. J.-C.): Car le Décalogue ne distingue pas de cas précis (la morale énoncée n’étant pas de nature relative ou contextuelle), et il ne définit pas de pénalité (puisque son objet n’est pas d’imposer la paix civile par voie de répression temporelle). Les Commandements indiquent, plutôt, un chemin vers la vie morale, fournit à l’intention de ceux qui épouseraient d’eux-mêmes cette voie idéelle, en signe d’appartenance au dieu Jéhovah. L’effet éventuellement produit, alors, ne s’est aucunement restreint à une contrôle minimale des pulsions criminelles, mais se serait élargi progressivement vers la satisfaction de ce désir positivement éveillé, de chasser l’homicide catégoriquement; désir qui s’est manifesté, en maints lieux et de maintes façons: par une délégitimisation de la peine capitale; par un respect des personnes malades et mourantes; par une importante résistance au conflit armé; et même (parmi certaines factions héritières de cette tendance) par un pacifisme intégral.

Et c’est ainsi que je me permettrait, ici, d’inviter le lecteur à oublier les diverses controverses érudites à l’égard du Décalogue: les incertitudes chronologiques; les sources multiples; les influences extérieures (contemporaines et antérieures). Car quelque soit l’intérêt propre à ces questions périphériques, elles ne changent en rien l’importance extraordinaire du phénomène comme tel.

— Le patrimoine abondant du Décalogue

Considérant les tendances naturelles de l’être humain — et les évidences constantes de notre histoire — qui nous déconseilleraient, comme absurde, tout espoir de supprimer l’homicide (et par extension de supprimer tous les méfaits à l’égard d’autrui);

Considérant, aussi, les effets incalculables de l’application volontaire de ce simple modèle de comportement personnel;

Considérant, enfin, que cet idéal ait réellement pénétré la conscience collective, au point de devenir (après plus de trois millénaires) une simple évidence reçue pour la plus grande partie des gens, sur au moins deux continents:

Il semblerait indiscutable, alors : que cette tentative d’enrayer non seulement les mauvais comportements, mais les mauvaises intentions, aussi; non conditionnellement, mais de fond en comble; de manière nette, véritable, active et volontaire: ait constitué un point de départ tout aussi important, pour la spéculation morale, que celui produit par l’invention de la roue s’était révélé, dans le domaine technique.

Aussi, sans y faire directement référence, cette innovation s’inscrit, très clairement, dans la voie d’une présomption de valeur intrinsèque à l’être humain; une présomption qui s’exprime par un respect, à l’égard de l’autre, de la même essence divine que les fidèles croient découvrir, chacun, à l’intérieur de soi; un respect nourri par la conscience d’une relation filiale partagée, à l’endroit du Père commun.

Pacifique sud (1947, Prix Pulitzer), premier roman de James A. Michener : une fenêtre sur la guerre, et sur la vie des îles Pacifiques, subitement envahies par le monde moderne

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre : Du génocide tribal au Bon Samaritain : La notion de “valeur” humaine s’universalise)

Échapper définitivement à la fatalité historique : les avantages de soutenir une pratique médicale, néo-hippocratique

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV : Hippocrate bis — Sous-section IV b) : La médecine perçue du coté obscur — Chapitre : Échapper définitivement à la fatalité historique : l’opportunité de soutenir une pratique médicale, néo-hippocratique)

— La possibilité d’une nouveaux départ, conceptuel et pratique

Décidément, la légalisation des désires suicidaires nous ouvrent des voies logiques tout à fait nouvelles, puisque ces suicides procèdent d’une éthique (de choix subjectif) qui n’est pas fondamentalement médicale. De plus, en étant légaux, tels suicides n’ont plus besoin de cette discrétion particulière qui eût parfois été sollicitée, jadis, auprès de médecins plus accommodants. En somme, il n’y aurait actuellement aucune inévitabilité — ni théorique, ni pratique — dans la politique observée de médicalisation étroite du suicide assisté; et aucune inévitabilité, surtout, dans sa conversion en soin médical, objectivement indiqué, d’euthanasie.

Pourtant, dans l’histoire comme dans l’univers physique, l’effet d’élan se révèle souvent déterminant. Or, dans le cas présent, la manifestation négative de l’élan, c’est à dire l’inertie sociale, joue fortement en faveur d’un maintien du lien, préexistant, entre l’art de l’empoisonneur et la profession médicale.

— Des présomptions nées d’une longue tradition

D’abord, chez les professionnels médicaux: autant que l’ensemble des médecins se soient toujours montrées fondamentalement hippocratique, nous pouvons, aussi, remarquer une faction qui manifestent une prétention quelque peu jalouse — de propriétaire légitime — à l’égard de ces pratiques. Ce sont, bien sûr, les héritiers philosophiques de ceux qui aient eu le courage (d’après leur perception des faits) pour donner le coup final de douce miséricorde aux souffrants dépassés, à travers de longues siècles de noirceur, quand d’autres restaient figés dans leurs sentiments d’impotence. Ce sont, donc, les successeurs de ceux qui placèrent ce débat devant la réflexion collective; et de ceux qui avaient élaboré, avec la plus grande finesse, les arguments que l’on connaît, en faveur d’une interprétation humanitaire de telles actions.

Derrière ce visage rassurant, cependant, il se positionne, aussi, les partisans d’une médecine proprement utilitaire (telle que nous en voyons l’émergence aujourd’hui). Il en résulte, alors, que les tentatives de vouloir restreindre l’exercice d’un véritable droit de mourir, au seul contexte médical, obscurcit considérablement la compréhension publique de ce nouveau programme en devenir : un programme d’euthanasie institutionnelle qui se fond, non dans l’autonomie des patients, mais dans des prétendus indices objectifs; qui reflète, non nécessairement les intérêts du patient, mais bien, ceux aussi de l’utilité collective. Et c’est ainsi que l’attachement nostalgique aux débats du passé, entretenu sous le signe de l’inertie sociétale, nous propulse, au contraire, vers un paradigme radicalement nouveau, et largement à notre insu.

En dehors des professionnels de la santé, encore: l’association des médecins aux interventions homicides semble se présenter tout bonnement en évidence reçue, sans plus; du fait que toutes les discussions passées, sur la moralité de la mort assistée, auraient pris naissance dans la considération (judiciaire et médiatique) de circonstances impliquant la participation de ces professionnels.

— Des malencontreux effets contextuels, sur l’évolution législative de la mort assistée

À tel escient, il se dit souvent que “les mauvais cas font de la mauvaise loi”. Or, je soumettrais que cela n’ait jamais été plus vrai que dans le traitement juridico-législatif de la mort assistée. Car, à chaque fois, en jugeant de la moralité des libertés proposées, les mêmes questions ont surgit sur la place publique, à savoir : Quels seraient les droits et les obligations des médecins ? Jusqu’à ou pourraient aller les médecins ? C’est comme si, en ajustant l’aiguille du consensus légal — un peu plus à droit, ou un peu plus à gauche — l’on croyais pouvoir trouver une ligne de compromis, idéale, concernant les interventions médicales; un compromis qui satisferait, à la fois : la diversité dans l’opinion publique; le respect du droit subjectif des individus suicidaires; et l’attachement profond des médecins à leurs traditions hippocratiques.

Manifestement, cependant, il n’en est rien. Car de nos jours, en autant qu’elle puisse indiquer l’opinion publique (relative au droit, sous-entendu, de disposer de sa propre personne ), notre aiguille métaphorique débord nettement de la zone fixée par les médecins (même aujourd’hui) pour circonscrire les limites de la pratique médicale. Et la difficulté, je crois, réside tout simplement dans les vices contextuels de la présentation de la question. Car au lieu de demander : Jusqu’à où peuvent aller les médecins ? Demandons plutôt : Jusqu’à où peut aller la société ? Et au lieu de demander : Quelle est la responsabilité du médecin ? Demandons, plutôt : Quelle est la responsabilité de cette société ?

— Une solution qui passe par le cloisonnement

En procédant ainsi, nous nous apercevons rapidement, je crois, de deux choses intéressantes:

Primo, que la morale publique, et l’éthique médicale, ne sont pas nécessairement identiques; et secundo, que la perspective sociétale, étant plus large, permettrait des options de beaucoup préférables à la série d’ajustements improvisés — ponctuels et mal ficelés — que nous nous sommes obstinés à pratiquer aux mandats médicaux. Car pour être exact, l’ensemble sociale peut très logiquement contenir plus d’un modèle de service auprès du citoyen: des modèles procédant de souches éthiques parfaitement distinctes; et possédant, chacun, des infrastructures de livraison qui le soient tout autant.

Il paraîtrait alors, et tel que cette conclusion eut été déjà mainte fois suggérée dans ces pages: que la satisfaction des désirs suicidaires puisse plus logiquement se faire à l’extérieur de la pratique médicale (ou à tout le moins dans une nouvelle division de celle-ci), sous la responsabilité de nouvelles structures institutionnelles, dont nous aurions tout le loisir de définir les paramètres, au plus grand avantage de tous.

Imaginons, enfin, pour rendre ce principe encore plus évident, un chemin de fer destiné à transporter, à la fois: du charbon brut, des passagers, et du bétail.

L’utilisation de trains distincts serait optimale, certes; et l’emploi de wagons à part serait un stricte minimum; mais personne (j’ose bien y croire) ne songerait à combiner ces trois éléments, sans distinction ni compartimentage, à l’intérieur des même wagons, distribués de manière homogène à travers tout le train !

Ne devrait-on pas, alors, faire preuve de la même délicatesse à l’intérieur de nos institutions médicales ?

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV : Hippocrate bis — Sous-section IV c) Une pratique hippocratique, malgré tout — Chapitre: Le cloisonnement institutionnel qui soit nécessaire pour soutenir la médecine Hippocratique)

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Les Années Folles se transforment en Crise profonde

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Les Années Folles se transforment en Crise profonde)

Hermann Hesse (1877 – 1962) : auteur “Le Loup des steppes”; Prix Nobel de la littérature (1946)

— En Allemagne d’abord

En 1919, l’Allemagne s’est vue frappée le plus rapidement et le plus profondément (voire : immédiatement) par la crise économique émergente : d’abord par l’épuisement matériel qui accompagnait une résistance futile, maintenue bien au-delà des limites nationales (notamment dans la dernière “offensive du printemps”, dite “bataille du Kaiser”, 1918); et ensuite, par une politique française “revancharde” postulée sur le fantasme, irréaliste en tout point, que les Allemands, objectivement défaits et ruinés, aient pu payer des réparations, égales à la totale des pertes et des dépenses souffertes par les vainqueurs. Bien-sûr, les tentatives malavisées, d’appliquer cette politique, entraîna la désolation complète du peuple allemand. Mais plus encore, étant les partenaires économiques, principaux et nécessaires, des Français, des Belges, et d’autres nations européens, la ruine des Allemands entraîna celle des vainqueurs, également. Et puisque tous les efforts véritablement fournis, dans cet exercice de réparations, étaient uniquement possibles grâce aux fonds avancés, à l’Allemagne, par les États-Unis, l’effondrement des économies européennes contribua fortement, à son tour, à la crise bancaire qui frappa l’Amérique en 1929.

— Eric Maria Remarque et le chemin de retour

Pour décrire cette expérience nationale, nous trouvons notamment les ouvrages inoubliables d’Erich Maria Remarque (1898 – 1970) dont « Trois Camarades » (Drei Kameraden, 1936). Dans ce roman, qui décrit la vie des soldats allemands, péniblement réintégrés à la vie civile (au cours des désastres, politiques et économiques, de la République de Weimar, 1918 – 1933), la violence banale, individuelle et collective, se trouve partout. D’entrée en matière, une voiture aperçue en panne, à coté de la route, fournit l’occasion d’une bataille rangée entre les “trois camarades” (d’anciens frères des tranchées, associés maintenant en mécaniciens d’automobiles) et les ouvriers d’un garage rival, pour en disputer le contrat de réparation; ensuite, la tentative d’avancer un véhicule, à la tête d’une file de taxis en attente de clients devant une porte d’hôtel, demande, nécessairement, un autre combat; et même se lier d’amour implique, au préalable, la libération violente de la femme désirée, des griffes de son ancien « protecteur ».

L’un des trois camarades (mais seulement un) affectionne les rassemblements politiques, de gauche et de droit, qui animent et perturbent toute cette période. Malheureusement, aussi, il se fait mortellement tiré par balles dans une affrontement de factions rivales au cours d’une telle occasion. Or, le plus vieux et le plus sérieux, des trois amis, en fait tout de suite une affaire personnelle. Il s’absente pour trois jours, et retourne, au but de ce délai, indiquant sans précisions que l’affaire était « conclue ».

À aucun moment, le lecteur ne connaît l’appartenance politique ni de l’un, ni de l’autre, et ce détail ne possède aucun intérêt pour les deux camarades restants. Seules comptent la loyauté, et la survie. La consommation constante et grossièrement immodérée de la boisson, ainsi qu’une atmosphère évidente, d’éphémère dans l’existence humaine, habite le tout. Tout y est pour signaler la fragilité de l’homme.

Pourtant, le sentiment où nous remarquons la véritable profondeur analytique de ce livre, se trouve dans la répudiation quasi-complète de l’autorité, autant du passé Impérial, que du Fascisme (ou du Socialisme) en devenir. Car à l’encontre des sentiments nostalgiques du dix-neuvième siècle en France (pour la Monarchie, pour la Révolution, pour l’Empire), les protagonistes de cette histoire, ne consentiraient jamais à échanger les difficultés de leur présent, incertain, pour une retour à la société précédente (solide, rangée et relativement prospère), qui les avait soudainement jeté (selon une logique interne apparemment inéluctable), dans les horreurs d’une « Grande guerre pour en finir avec toutes les guerres ». Alors, obligés, à accepter le présent précaire, ils l’étaient de force, certes ; mais ils choisissaient, aussi, agressivement cette obligation.

Personnellement, Eric Maria Remarque n’avait que vingt ans, en 1918, à la fin des hostilités. Par la suite, il avait passé dix années pour produire son chef d’œuvre, “À l’Ouest rien de nouveau” (1929), devenu le plus remémoré des romans décrivant la vie des soldats au cours de cette guerre (et le plus grand succès de la littérature allemand dans sa génération); il en prit deux ans de plus pour écrire “Le Chemin de retour” (1931) qui parle, en alternance, des souvenirs de la guerre, et de l’aliénation des soldats dans leur expérience de démobilisation. “Trois camarades”, qui ne parle plus de la guerre qu’en référence au passé, et où les protagonistes font pleinement partie de leur société présente, n’apparaît qu’en 1936 (dix-huit ans après l’Armistice) un excellent indice du temps nécessaire, à l’ancien combattant, pour réussir cet exploit psychologique. Tous ces livres se trouvent, d’ailleurs, dans une catégorie de littérature qui se veuille “réaliste”, et ils exercent, ainsi, un attrait impérissable pour ceux qui désirent comprendre ce chapitre du passé. Surtout, cet œuvre marque l’arrivée d’une jeunesse ayant formé toute sa compréhension, de la vie et du monde, en réaction à cette guerre unique, et à la crise qui y succéda.

— Hermann Hesse et le théâtre magique

Au contraire de E. M. Remarque (notre auteur précédent), Hermann Hesse (1877 – 1962) avait déjà 37 ans au début des hostilités en août 1914. Plutôt pacifique, mais toujours patriote, Il s’est quand-même porté volontaire, mais fut jugé inapte pour le service actif, et passa son service dans la surveillance de prisonniers de guerre. Hesse était, aussi à l’époque, un auteur très bien connu (grâce à “Peter Camenzind”, 1904, et plusieurs autres romans). Pour lui la guerre représenta, donc, non un univers en soi, mais un épisode, seulement, dans une vie déjà bien engagée; et il semblait, d’abord, que son œuvre fortement introspectif (voire: mystique) ait pu procéder dans la même veine, avec l’arrivée de la paix.

Portant, avec son retour à la vie civile en 1919, Hesse se trouva en rupture avec sa femme, et séparé de ses enfants. Puis, après quelques années de travail dans un isolement intellectuel volontaire (“Demian”, 1919; “Siddhartha”, 1922), il souffre de ce que nous appelons aujourd’hui une “crise de la mi-vie”, où, d’après son description romancée: il se retrouve à quarante ans, devant son miroir, accablé par la futilité de sa vie d’homme (et d’écrivain), se demandant, même, si ce ne serait pas mieux, après tout, de subir “un accident en se rasant”.

Or, devant cette question, existentielle, il délaissa passivement sa discipline habituelle d’intellectuel et d’écrivain, (des certitudes rigoureuses qui eurent incarné, pour lui, toute la stabilité de l’Allemagne d’antan), pour observer, à la manière d’un touriste en terre étrangère, le monde actuel autour de lui. En fait, il s’est mis à flâner, tout simplement. Et en errant, ainsi, dans les rues, sans direction ni but — de jour et de nuit — il avait fini par rejoindre, inévitablement, de manière subjective et immédiate, sa version personnelle de la crise de vie qui accaparait, en ce moment, toute une génération de jeunes adultes sur deux continents. Car accablé à sa manière, comme tout le monde était accablé à cette époque, que ce soit F.Scott Fitzgerald (dans le luxe frénétique, prohibitionniste, des Années Folles), jusqu’à Erich Maria Remarque (dans ses descriptions de la survie précaire des soldats démobilisés); Hermann Hesse se livra au floue menaçante de ce bref moment d’agitation populaire généralisé, sur fond de misère endémique (1919 – 1939); un moment subséquemment surnommé, en toute simplicité : “l’Entre-deux-guerres”.

— Steppenwolf

Le produit littéraire éventuel, de cette expérience, s’intitula “Le Loup des steppes” (Der Steppenwolf, 1927). Hesse y raconte comment il se trouva, au fond de sa désarroi dépressive insurmontable, étrangement attiré par certaines lumières féeriques, rencontrées, la nuit, dans une ruelle desserte. À la source de ces lumières, il donne le nom séduisant de “théâtre magique”, et quoiqu’il ne cherchent pas à y pénétrer les mystères sur le coup, une obsession irrépressible lui oblige à ce faire, dans les jours qui suivent. Car la matière narrative, de ce chef d’œuvre de la littérature du vingtième siècle, concerne non seulement l’avènement de cet nouvel espèce d’homme, aliéné de la société (selon Hesse, le “Loup” solitaire des steppes), mais aussi, son initiation au monde interlope, de rêve, de consommation, d’illusion et de débauche, qui trace ses origines à travers tous les lieux de divertissement résolument “gais” — des cabarets clandestins de la Prohibition, des moulins de la Belle Époque, des tavernes de Gin Lane, et jusqu’à l’auberge, “bien éclairée”, du conte folklorique des frères Grimm (“l’Oiseau d’or”).

En homme mur, donc, l’alter ego littéraire de Hermann Hesse abandonne délibérément les vestiges résiduels de l’Allemagne de l’Avant-guerre, dans lesquels sa jeunesse et sa carrière étaient enracinés; et en ce faisant, il rejoignit, en observateur quelque peu détaché, la société des plus jeunes qui avaient été, pour leur part, expulsés de force de cette même civilisation révolue. Hesse décrit, ainsi, son association de client matériellement privilégié, avec les habitués du « théâtre magique ». Or, comme les initiés de tout temps le savent, ce dernier se révèle en société amorphe, s’articulant autour de nuits animées par la musique, la poésie, la chair, et la drogue; une culture que Hesse perçoit pourtant (ou encore se berne à représenter), non en débauche simple (à la manière d’un de Musset ou d’un Baudelaire), mais en initiation spirituelle (ce qui lui eût mérité, rétrospectivement, une place de première importance parmi les avant-coureurs du mouvement contre-culturel des années soixante).

Cependant (et même en dépit de son penchant de mystique individualiste) ce qui distingue Hermann Hesse, de tant d’autres libertins accidentels, se trouve dans le contexte, collectif et civilisationnel, de son conte allégorique. Car beaucoup de personnes, parmi nous, ont goûté aux plaisirs illicites du monde interlope, surtout suite à des tournures d’événement extraordinaires, de nature personnellement perturbantes; et beaucoup, aussi, sont ceux qui s’y trouvent fatalement ensevelis. Mais pour les survivants de tels épisodes, le chemin de la réhabilitation mène, toute naturellement, par une réintégration aux certitudes sociétales environnantes. Or, telle fut précisément la singularité de ce moment fatidique de l’histoire : car ni pour Hermann Hesse, ni pour Erich Maria Remarque, ni mème pour F. Scott Fitzgerald (ni par extension pour toute cette génération élargie) il n’exista plus de certitude sociétale à laquelle ils auraient pu construire un véritable “Chemin de retour”.

Même pour être plus précis : et Hesse, et Remarque, ont vu leurs œuvres bannies et détruites dans leur Allemagne natale; et tous deux, définitivement déracinés, ont du chercher exile ailleurs.

Voilà, alors, la réalité du sobriquet: “génération perdue”.

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Erich Maria Remarque, né Erich Paul Remark (1898 – 1970), auteur “À l’Ouest rien de nouveau”, “Le Chemin de retour”, “Trois camarades”

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : « L’Ange bleu » de Heinrich Mann, Joseph Sternberg et Marlene Dietrich)