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septembre 2020 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Les difficultés budgétaires du régime public

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé public — Chapitre : Les difficultés budgétaires du régime public)

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Comme Premier Ministre de la province canadienne de la Saskatchewan, Thomas Clement « Tommy » Douglas (1904 -1986) devint le premier chef nord-américain d’un gouvernement social-démocrate (1944).

Selon Douglas : « Nous y sommes tous ensemble dans ce monde, et la seule mesure valable de notre caractère se trouve dans la manière dont nous soutenons les moins favorisés de parmi nous. Tout ce qui importe, réellement, c’est n’est pas comment nous prenons soin de nous, mais comment nous prenons soin les uns des autres. »

Pourtant, M. Douglas illustre bien les bévues humanitaires dans la pensée progressiste et « scientifique » de l’époque. Car il était eugéniste, également, et sa thèse de maitrise, écrite en 1933 (coïncidente avec les famines provoquées en Ukraine par les Bolcheviks Russes dans la poursuite de leur programme de collectivisation agricole, et avec l’inauguration du Troisième Reich en Allemagne), détailla un programme pour rectifier les « Problèmes des familles sous-normales », c’est à dire les problèmes génétiques, qui serait infligés sur la collectivité, par des parents (des reproducteurs) munis d’une intelligence où d’une moralité inferieure. Selon Douglas (en harmonie avec la plupart des théoristes engagés de l’époque) le remède pour ces « problèmes » inclurait la relocation dans des fermes d’état (où autres camps de travail), ainsi que la stérilisation forcée.

En 1947, Tommy Douglas instaura, en Saskatchewan (pop. 830,000 ; 1946) le premier régime d’assurances universelles, au Canada, pour s’acquitter des frais d’hospitalisation.

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– Un service nouveau, engagé, au départ, dans un esprit rigoureux

      Avec la socialisation de la médecine, l’État s’engagea à garantir les frais des soins-santé des individus, aux dépens, et potentiellement au détriment, d’autres besoins d’infrastructure, d’éducation, etc., qui pouvaient être représentés en devoirs collectifs plus évidents, et dont les effets auraient pu possiblement paraitre plus bénéfiques dans l’ensemble. Mais il en fut ainsi, en raison d’une demande populaire apparemment incontournable. Et dans ces circonstances, il était aussi devenu logiquement nécessaire (et mème politiquement acceptable) de chercher plus de ressources auprès de la population imposable. Pourtant, personne n’aurait pu deviner jusqu’à où cette innovation nous mènerait à terme, ni dans la taille de l’industrie ainsi construite, ni dans la taille du budget requis pour faire vivre celle-ci.

     Évidemment, il y avait un désir, de part et d’autre (c’est à dire, du côté des contribuables individuels, autant que du côté des planificateurs collectivistes de l’état moderne) de délimiter soigneusement, au départ, les services consentis, et les ressources affectées. Et pour profiter au maximum des expériences existantes, les différents régimes d’assurances-santé, issus des diverses provinces canadiennes, se modelaient d’abord, sur les pratiques courantes dans l’industrie des assurances privées, là où un lien direct s’établissait entre les primes récoltées et les paiements appréhendés.

     De plus, pour équilibrer les revenus et les dépenses à long terme, et pour maintenir la solvabilité du régime, toutes les compagnies d’assurances privées devaient garder une fraction importante des primes encaissées, pour constituer une réserve suffisante pour satisfaire les réclamations futures. Et devant cet exemple bien compris de rigueur comptable, il n’y a pas de doute, que dans leurs débuts, les assurances-santés collectives des provinces canadiennes prétendaient, aussi, faire une corrélation conséquente entre les impôts récoltés (uniquement à cette fin) et les besoins courants du système, en plus de maintenir une réserve spécifique, suffisante pour rencontrer les obligations futures.

     Malheureusement, cependant, à partir de cette intention logique et limitée de soins personnels, deux influences se sont conspirées pour produire la situation de chaos financier dans laquelle nous nous trouvons actuellement : car premièrement, il y avait une croissance imprévisible (et foudroyante) de la demande ; mais deuxièmement, dans le jeu global des budgets gouvernementaux, il y avait aussi une tentation irrépressible pour détourner ces nouveaux fonds, aux fins des plus diverses.

— Une croissance débridée de la demande, alimentée par une évolution dans la nature des services

     Ce seraient impossible de continuer à suivre ici, l’histoire des changements médicaux qui nous séparent de la réalité d’un passé encore récent ; le volume en serait tout simplement prohibitif. Mais notons, tout de même, qu’à la fin, la notion d’hôpital en était devenue radicalement différente, scindée dans plusieurs sous-catégories. D’une part des institutions d’intervention clinique, comportant d’habitude des théâtres opératoires et des unités de soins intensifs, et d’autre part, des institutions de soins de longue durée, comportant une personnelle médicale apte à gérer des routines de traitement complexes mes possédant des capacités matérielles, d’intervention et de diagnostic, plus limitées.

     Le volet des soins à longue durée, en particulier, avait explosé dans ce lapse de temps, car les patients survivants — incapacités peut-être, mais toujours vivants dans une condition relativement stable sous surveillance active — sont devenus tellement nombreux, que nous les chiffrons aujourd’hui en pourcentage significatif de la population totale. Au Québec, par exemple, selon le recensement de 2006 : 8.5 % des personnes âgées de 65 ans, ou plus, demeuraient dans de telles institutions.

     Et pour comprendre l’importance économique de ce changement, attardons-nous lucidement au fait que presque toutes ces personnes se seraient rapidement expirées ne serait-ce qu’un demi-siècle auparavant (à l’instauration du régime public) et très certainement un siècle au complet (à l’époque de la Grand Guerre). Remarquons, aussi en passant, que la qualité de la protection que nous accordons à ces gens (bien que toujours en deçà de l’idéal), représente une dépense qui signale, de manière spectaculaire, l’étendue impressionnante de notre prospérité actuelle.

— Un mandat impossible

     Mais voilà que l’hébergement et la surveillance médicale des ainés ne représente qu’un parmi plusieurs volets des soins personnels. Souvenons-nous, surtout, du principe déjà cité qui se trouve à la base de toute notre démarche, soit : que nous ne pouvions pas, en société moderne, éthiquement permettre la mort d’une personne, aussi pauvre soit-elle, des suites d’une maladie dont le remède serait connu et couramment disponible.

     À la lumière de ce principe, je soumets — et dans la multiplication des soins présentement offerts — les causes de la crise budgétaire actuelle deviennent parfaitement compréhensibles. Nous devions rationnellement admettre, aussi, l’impossibilité de satisfaire littéralement le mandat énoncé : car dans l’état actuel des connaissances, cette satisfaction intégrale impliquerait un accès en tout temps — pour chacun des patients pensionnaires des unités de longue durée — aux technologies de pointe en matière des soins intensifs ; de sorte qu’ils pouvaient tous profiter des soins sophistiqués, et prolongés, qui sont déployés, actuellement, uniquement pour protéger l’existence des personnes les plus riches et puissantes.

     Clairement, un tel programme s’annonce impossible d’emblée. Et les demandes, alors, pour une justice sociale absolue en matière de soins-santé, ne font qu’un écho inopportun aux paroles ridicules associées à Marie-Antoinette (feue reine de Louis XVI, dont l’exécution couronna la Révolution française de 1789) à l’effet que l’on pouvait — à défaut de posséder suffisamment du pain — offrir du gâteau pour nourrir les masses affamées qui se rassemblaient devant son château.

     Et, bien… Non, Marie, (ainsi que tous ses successeurs sentimentaux et bienpensants, mais sans sophistication économique), même si ces offrandes existent bel et bien, et même s’ils sont couramment disponibles, ni le gâteau ni les technologies médicales de pointe n’existent en quantités suffisantes pour les donner à tout le monde, tout le temps.

     Pourtant, il ne faut pas se montrer trop critique à cet égard. Car on doit aussi reconnaître qu’à la base de nos réussites scientifiques actuelles se trouvent précisément cette sorte de pensée, magique et idéaliste, ancrée seulement dans un refus absolu d’admettre les contraintes du réel, suivant les pulsions d’une foi inébranlable dans la possibilité de trouver une solution à chaque problème rencontré. Et pour le futur, personne ne peut encore prédire jusqu’où un heureux mariage des technologies de l’information et de la robotique puisse éventuellement nous mener, surtout quand ils sont poursuivis à l’intérieur d’une économie libre.

— Une pénurie permanente

     Mais toujours est-il que maintenant, et pour le futur prévisible, les ressources disponibles pour la satisfaction des besoins actuels de soins-santé (pour ne pas parler des désirs futurs encore plus grands), sont mal appariées, et en déca de ses derniers, non pas de façon approximative, mais bien d’un ou de plusieurs ordres de grandeur. 

     Alors c’est simple : L’argent manque dans les budgets de santé.

     Mais le contraire est également vrai : que les sommes amassées à cette fin sont proprement énormes ; tellement énormes, enfin, que même devant les contraintes cataloguées ci-haut, nous sommes en droit de nous demander si le contribuable obtient réellement valeur pour son argent.

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« Fin tragique de Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France exécutée le 16 octobre 1793 », Gravure anonyme de la fin du dix-huitième siècle. Paris, musée Carnavalet.

Cette image de la « Belle autrichienne » devenue « La veuve Capet » (suite à l’exécution de son marie), nous renseigne sur la distance qui peut s’établir entre les préoccupations des gouverneurs et celles de leurs sujets, ainsi que les faits désagréables qui en soient parfois les résultats.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : Le régime canadien des soins-santé : un détournement constant des argents récoltés (à la fois subtil et grossier) — l’âne et la carotte)

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— L’instrumentalisation malavisée de la profession médicale

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : La crise effective des médecins : Voulez-vous entrez dans mon Salon, Madame (dit l’Araignée à la Mouche) ? — L’instrumentalisation malavisée de la profession médicale)

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Szylok i Jessyka (1876), Maurycy Gottlieb (1856–1879) Ce tableau figure comme entrée au catalogue des peintures enlevées de la Pologne, pendant les années 1939 – 1945, par les autorités de l’occupation allemande ; Ministère de la culture et de l’art, Varsovie.

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     Devant la volonté politique, arrêtée, d’offrir au peuple un nouveau service de mise à mort institutionnel, nos décideurs n’ont pas eu cette heureuse réflexion : qu’une telle innovation impliquerait, aussi, de nouvelles responsabilités, de nouvelles tâches, de nouvelles structures, bref, de nouveaux travailleurs, de nouveaux budgets et un nouveau cadre de travail. Non. L’étrange présomption fut acceptée, dès le départ, que ce fardeau ait pu être imposé, sans ménagement ni précaution, aux corps médicaux existants, en sus de l’accomplissement de leur mission première, et au détriment de celle-ci.

     Décidément, la profession médicale fut instrumentalisée, fortuitement peut-être, mais pas moins fatalement : par le juriste et par le législateur ; pour faciliter la normalisation de la mort assistée ; malgré les multiples dangers qui se présentent dans cette démarche.

     Premièrement, avec un faux appel à la compétence scientifique : car la motivation suicidaire (et sa justification) ne relèvent pas de facteurs objectivement quantifiables ; les critères d’admissibilité sont nécessairement flous ; le consensus professionnel n’existe pas ; les préférences exprimées restent subjectives, autant pour le médecin que pour le patient ; de la science il n’en reste, alors, que l’invocation creuse.

     Deuxièmement, avec un appel — mi naïf, mi cynique — à la mystique occulte du médecin : Est-ce que la définition d’un régime objectif nous échappe ? Peu importe. Le médecin est là, en Sage Supérieur, pour trancher chaque cas avec une parfaite justice sur le fait. Existe-il des inquiétudes au sujet de la psychologie du tueur ? De sa sélection ? De son suivie ? Des séquelles à craindre pour l’individu ou pour la collectivité ? Heureusement que non ! La supériorité magique du médecin – de tout médecin — rendra ces questionnements inutiles. 

     Mais quelles que soient les motivations politiques qui aient pu militer pour l’instrumentalisation du manteau médical — à l’abstrait et collectivement — le poids de tout ce procédé se porte, dans l’immédiat et sur le terrain, par le médecin individuel : celui qui doit souffrir les blessures psychologiques indissociables du mandat homicide ; celui qui doit en porter la responsabilité intime ; celui qui doit s’exposer aux effets deshumanisants d’une participation à la mise à mort institutionnelle ; celui qui doit accepter l’opprobre de l’ostracisation qui frappe toute personne associée aux métiers de la mort.

— L’illusion du volontariat, et l’inefficacité du recours à la « conscience »

     La profession médicale se trouve chargée, dans son ensemble, du mandat homicide de l’euthanasie. Chaque médecin partage, formellement, le poids du devoir collectif. Comme seule porte de sortie, pour l’individu dissident, il ne serait restée que la « liberté de conscience » : ce droit qui garantisse, ostensiblement, la liberté de refus ; mais dont le propriétaire se trouve fortement entravé dans l’exercice :

     Par un discours théorique : qui exagère la pratique volontaire et qui minimise les contraintes.

     Par une mainmise politique : qui redéfinit la pratique médicale à l’encontre des avis médicaux majoritaires ; qui ignore l’opposition scientifique et professionnel ; qui réduit l’opposition admissible aux seules objections religieuses ; qui réduit la religion à l’irrationnelle ; qui réduit le sens moral inné de l’homme à la subjectivité inconséquente.

     Par une implémentation institutionnelle : qui se veuille universelle ; qui traduise la contrainte collective en contrainte personnelle ; qui empêche la formation d’équipes ou d’institutions vouées à la recherche de modèles thérapeutiques dont l’euthanasie serait exclue ; qui empêche, ainsi, la compétition scientifique et professionnelle ; qui empêche, même — de manière très important — la possibilité de pratiquer la médecine autrement, même en cabinet privé ; qui limite les options d’avancement pour ceux qui en ferait toujours l’essai ; qui éliminerait progressivement la présence des médecins hippocratiques aux paliers politiques supérieurs ; qui extirperait même cette tendance de la culture d’apprentissage médicale.

— L’épreuve inhumaine imposée aux médecins actuels (et aux médecins en devenir)

     Or, quel obstacle monstrueux se dresse, ainsi, devant celui qui désire toujours pratiquer une médecine dirigée sans ambiguïté vers la protection de la vie ? Celui qui ne veut pas devancer le sort ; celui qui ne veut pas permettre à ses propres doutes, ou à ses faiblesses personnelles, d’hypothéquer la relation thérapeutique de confiance, entretenue avec tant d’assiduité, jadis, face au patient ; celui qui veut permettre, aux clients et aux familles, ce répit nécessaire qui consiste à se fier, malgré leur désarroi naturel, aux compétences du médecin, confiantes et sûres. Celui qui informe honnêtement mais qui ne réprime jamais l’invocation de l’espoir. Celui dont les moindres gestes expriment une certitude, qu’il existe un sens et une valeur inaltérables à la vie, aussi difficile ou courte soit-elle.

     Celui qui peut possiblement provoquer, même, ce miracle subséquent : de transmettre au patient une confiance qui peut devenir la source d’un volonté renouvelée ; celui, enfin, qui puisse parfois solliciter un désir suffisant pour pencher la balance inscrutable du sort vers la vie prolongée ; celui qui est, pourtant, invité de nos jours — non, que dis-je, celui qui est officiellement contraint (en considération de l’option létale) —  à adopter une mine ambivalente et resignée, qu’il saurait être fatalement communicable à l’endroit du patient.

     Quel fardeau fortuit, encore (pour celui qui se consacre avec tant d’ardeur à la protection de la vie), que de se voir accorder, aussi (au moment de la certification professionnelle), un mandat homicide ! Sans ni le demander, ni le désirer ! Celui qui doit redouter la possibilité d’être interpellé ainsi (en fonction de ce mandat empoisonné), à n’importe quel moment, par n’importe quel patient ; celui qui craindrait la nécessité du choix ; celui qui sait intuitivement que le refus puisse s’avérer aussi traumatisant que le consentement ; celui qui ne sera pas protégé : ni par une sélection appropriée ; ni par un suivi conséquent ; ni par une intervention ponctuelle au besoin.

— Une réponse auto-protectrice du médecin type, nettement insuffisante, mais toujours compréhensible

     Bien sûr, la majorité objectent toujours, ils analysent ; ils multiplient les arguments désintéressés et les hypothèses inquiétantes ; ils présentent les évidences certaines de torts importants, dans un style lucide et impeccable ; ils résistent systématiquement, même, en sourdine. Mais par contre, ils n’affichent pas ce qui soit le seul comportement réellement approprié dans tel malheur ; c’est-à-dire le comportement naturel auquel nous nous attendrions de toute autre personne dans des circonstances semblables (et le comportement auquel, eux les premiers s’attendraient de tout patient interrogé en phase diagnostique) … Ils (les médecins) ne hurlent pas de douleur !

     Serait-ce une expression trop extrême ?  Imaginez, seulement un instant, que nous eussions demandé une telle obéissance morbide aux membres de n’importe quel autre corps de métier — de n’importe quelle autre communauté professionnelle. J’ose croire que la société entière eût été immédiatement mobilisée : avec les cris retentissants de détresse ; avec les manifestations orchestrées de colère ; et avec la violence du refus.

     En fait, dans cette circonstance tant extraordinaire, j’aimerais entendre les médecins admettre franchement leurs limites (et leur refus), devant l’octroi de ce mandat insupportable ; de ne réclamer, en tout simplicité, qu’un respect et une considération qui soient équivalents à ceux que nous accorderions, d’emblée, à tout autre être humain. J’aimerais, pour tout dire, les entendre exploser à la manière du Poète dans sa vision avant-garde de l’universalité humaine :

« …Nourris de la même nourriture, blessés des mêmes armes, sujets aux mêmes maladies, guéris par les mêmes moyens, échauffés et refroidis par le même été et par le même hiver …  Si vous nous piquez, est-ce que nous ne saignons pas ? » (Wm. Shakespeare 1564 – 1616, Le marchand de Venise : Acte III, scène 1)

     Mais c’est impossible. Les conditions particulières de ce métier (et les exigences particulières de ses praticiens) : la tradition; l’éducation; l’expérience; l’orgueil et le devoir — tous ces facteurs réels et mythiques — l’empêchent, absolument.

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Une représentation moderne du « Marchand de Venise », dont l’image peut nous servir de métaphore douloureuse pour souligner la position, peu enviable, qui soit occupée de nos jours par les professionnels médicaux, face au mandat de l’euthanasie, et devant l’autorité de l’État.

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À suivre …

— Gustave Flaubert : Réaliste, et Pessimiste moqueur

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo — Gustave Flaubert : Réaliste, et Pessimiste moqueur)

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Gustave Flaubert circa 1865, photographié par Gaspard-Félix Tournachon (1820 – 1910, pseudonyme « Nadar »)

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     Plusieurs, de nos jours, considèrent Gustave Flaubert (1821 – 1880) comme celui qui nous aurait légué le portrait le plus fidèle de la société française, dans ce siècle unique de transition, technologique, politique, et cultural, qui sépara la Révolution-Empire de la Première Guerre Mondiale. Mais même si le « Réalisme » fut le premier souci de l’auteur, ses sentiments propres transpercent limpidement à la vue du lecteur. Ce sont, en fait, ces jugements de l’auteur, face à son époque, qui nous concerne ici.

     Il en ressort une sophistication désabusée dont l’amertume se couche dans une raillerie peu satisfaisante.

— « L’éducation sentimentale »

     Au début de ce roman vaguement autobiographique (publié1869) nous faisons la rencontre d’une jeune variation de M. Flaubert qui exhibe une ambition certaine, assortie d’une opinion personnelle assez suffisante. Au moins devions-nous avouer que l’auteur savait, aussi, s’amuser à ses propres dépens :

 « M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier … pensait … au plan d’un drame, à des sujets de tableau, à des passions futures. Il trouvait que le bonheur mérité par l’excellence de son âme tardait à venir… ».

     D’entrée en matière, Frederic fait la connaissance d’un homme mûr, Jacques Arnoux, dont il connaît déjà le nom, l’œuvre et la réputation stellaire de personnage publique. Bref, Arnoux symbolise tout ce qui peut incarner la vie de succès à laquelle aspire Frederic.

 « Il était républicain ; il avait voyagé, il connaissait l’intérieur des théâtres, des restaurants, des journaux, et tous les artistes célèbres, qu’il appelait familièrement par leurs prénoms ; Frédéric lui confia bientôt ses projets ; il les encouragea. »

     En plus, l’épouse d’Arnoux, Sophie, fournit pour le jeune Frederic la première impression, idéale et indélébile, de l’attraction féminine :

« Ce fut comme une apparition : Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. »

     Suivant, alors, son désir de s’approcher de ces gens — qui lui semble tant supérieurs (et bien accueilli à son tour) — Frederic s’insinue dans la vie domestique et professionnel du couple au point, non seulement de gagner la confiance de tous les associés d’Arnoux, mais de déplacer, et même de devenir Arnoux, à maints égards.

     Ainsi, Il séduit (secrètement) non Sophie, la femme de Jacques Arnoux, mais bien Rosanette, sa maitresse, dont Frederic prend ouvertement la charge une fois que les déconfitures financières d’Arnoux lui rendent incapable de pallier plus longtemps à de telles fantaisies.

     Bien sûr, Sophie cède, également, devant les avances de Frederic. Mais, ni l’une, ni l’autre de ces relations ne lui suffit. Car dans le cas de Sophie, les sincères affections suscitées, chez elle, par les emportements littéraires de cet amant idéal, sont impossible de satisfaction dans la réalité ; et quant à Rosanette, le plaisir de posséder l’une des courtisanes les plus estimée de l’époque ne pouvait résister à ses propres impressions intimes :

« Elle avait un mauvais goût irrémédiable, une incompréhensible paresse, une ignorance de sauvage … »

     Et telles que furent les déceptions ressenties dans les intrigues romantiques, tout autant se révélèrent décevantes celles des manigances financières et politiques.

     Or, en ce qui concerne un jugement global sur l’époque, il faut seulement en retenir ce dernier détail : Que l’unique personnage du livre qui jouit d’une description entièrement élogieuse, de la part de l’auteur, s’agit d’un jeune homme issu de la classe populaire, talentueux, courageux, et surtout généreux – du nom de Dussardier – qui meurt dans un élan impétueux (et parfaitement inutile) de bravoure populaire, sur l’épée d’un Sergent de Ville, agent de répression, tel que décrit :

« Un des agents qui marchait en tête, le tricorne sur les yeux, le menaça de son épée. L’autre alors, s’avançant d’un pas, se mit à crier :

— « Vive la République ! »

Il tomba sur le dos, les bras en croix ».

     Voilà, alors, dans « L’éducation Sentimentale » une forte condamnation de la futilité de la poursuit élevée des idéaux humains, tous sans exception — amoureux, artistiques, politiques. Mais quoique Flaubert habite la même ville, en même temps qu’Alfred Musset ; connait la même société ; fréquente les mêmes lieux, « bons » et « mauvais » ; et en éprouve tour par tour les mêmes répugnances : la déception et le désespoir de Musset ne trouvent aucunement leur complément chez Flaubert. Car ce dernier semble suffire à lui-même et tirait, apparemment, une satisfaction compensatoire dans la possession et dans l’exercice de ses capacités propres.

     Musset, donc, se désespérait pour le monde, et pour l’époque. Tout pour lui était personnel ; Pour Flaubert… non.

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Flaubert, plus jeune

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— « Bouvard et Pécuchet »

     Cette attitude de détachement supérieur à la condition humaine s’affirme, d’ailleurs, avec la plus grande clarté, dans le ton d’amusement qui soit apparent dans le dernier roman de Gustave Flaubert, « Bouvard et Pécuchet » (publication posthume, 1881).

     Dans ce livre, un couple d’hommes mûrs, sans attaches, et sans besoin pécunier, s’exilent dans une petite ferme, et s’y donne à l’exploration libre des connaissances, des découvertes et des modes de leur époque. Absolument tout y passe au rythme du caprice de leurs intérêts : l’art, la littérature, la philosophie, la psychologie, l’électricité, l’agriculture moderne, la collection des roches et des cailloux, les antiquités, la médicine, la production dramaturge, etc. etc. Et ce faisant, Flaubert (qui était, très évidemment, bien renseigné au chef de chaque sujet abordé) trouve le moyen de se moquer de toutes les grandeurs passées de l’humanité, et plus encore, de toutes les nouveautés tant étonnantes de son vivant, ainsi que de tout le monde qui s’y intéressaient avec tant de passion. Car le message sous-entendu de ce livre en est une d’une humanité, très imparfaite, qui apparemment, ni changera, ni s’améliora, jamais.

     Cette conclusion se confirme, d’ailleurs au départ, dans un petit conte sans propos, qui se distribue dans quelques phrases courtes reparties à travers la première partie du livre.

— La feuille de route d’une « bonne » de campagne

 (Une introduction à la vie campagnarde)

« Une petite fille, les pieds nus dans des savates, et dont le corps se montrait par les déchirures de sa robe, donnait à boire aux femmes, en versant du cidre d’un broc qu’elle appuyait contre sa hanche. Le comte demanda d’où venait cette enfant ; on n’en savait rien. Les faneuses l’avaient recueillie pour les servir pendant la moisson. Il haussa les épaules et, tout en s’éloignant, proféra quelques plaintes sur l’immoralité de nos campagnes. »

 (Bouvard et Pécuchet apprennent à gérer le personnel sur leur ferme)

« De graves désordres eurent lieu. La fille de basse-cour devint enceinte. Ils prirent des gens mariés… »

 (À l’occasion d’une visite chez le voisin ; la bonne recyclée)

« Pourquoi leur bonne semblait-elle en avoir peur ?

Ils la questionnèrent, et elle conta qu’elle avait servi dans sa ferme. C’était cette petite fille qui versait à boire aux moissonneurs quand ils étaient venus, deux ans plus tôt. On l’avait prise comme aide au château et renvoyée « par suite de faux rapports ».

     Voilà en capsule la vie populaire telle qu’elle fut conçue par Flaubert. Et pour plus de sureté dans les conclusions, la fin du livre (tel qu’il existe dans son état inachevé) s’occupe des expériences d’éducation « moderne » entreprises à l’endroit d’un pair de jeunes enfants orphelins, adoptés officieusement à cette fin, par Bouvard et Pécuchet.

— L’éducation en projet d’amélioration sociale

 (Une première tentative de discipline)

« La correction n’avait point corrigé Victor. Il refusait d’apprendre son catéchisme, et Victorine proférait des mots sales. Bref, le garçon irait aux Jeunes Détenus, la petite fille dans un couvent. »

(À propos d’un chat dans une chaudiere)

« C’était Victor qui avait commis cette atrocité, et les deux bonshommes se reculèrent, pâles de stupéfaction et d’horreur. »

 (Le début d’un doute)

« Le sang paternel se manifestait. Que faire ? …

— La sœur ne vaut pas mieux, dit Bouvard.

Puis, cherchant à excuser Victor, il allégua l’opinion de Rousseau : « L’enfant n’a pas de responsabilité, ne peut être moral ou immoral. »

(Victorine et le colporteur)

« C’était un de ces tailleurs qui vont dans les fermes raccommoder les habits … le soir, s’épargnant les frais d’auberge, allait coucher dans le fournil.

Or, un matin, de très bonne heure, Bouvard ayant froid, vint y prendre des copeaux pour allumer son feu.

Un spectacle le pétrifia.

Derrière les débris du bahut, sur une paillasse, Romiche et Victorine dormaient ensemble. »

(Victor et le vol)

« Marcel les conduisit … dans la chambre de Victor et leur montra au fond de sa commode une pièce de vingt francs.

D’où provenait-elle ? D’un vol, bien sûr ! »

(Une conclusion tardive mais inévitable : la philosophie cède aux résolutions pratiques)

« — Peut-être ont-ils manqué d’une famille, des soins d’une mère.

— J’en étais une ! objecta Bouvard.

— Hélas ! reprit Pécuchet. Mais il y a des natures dénuées de sens moral, et l’éducation n’y peut rien.

Comme les orphelins ne savaient aucun métier, on leur chercherait deux places de domestiques ; et puis, à la grâce de Dieu ! ils ne s’en mêleraient plus. »

     Convenons-nous-en : C’est très drôle en lecture oisive ! Pourtant, c’est d’une drôlerie quelque peu amère qui trahisse les regrets de Flaubert, : mort sans famille ; habitué des « boites » et des bordels ; égaré, tout comme Musset, entre les jeunes espoirs d’un bonheur idéalisé — partagé librement entre âmes purs — et la réalité d’un monde apparemment vicieux en profondeur, peuplé de personnes dont les gestes sont contraints, soit par l’ambition, soit par la nature, soit par la misère. De bonheur simple, alors, on n’en trouve que très peu, ni chez l’un, ni chez l’autre.

     Toujours est-il qu’un fait significatif les sépare cependant : que Flaubert se complait dans la convention confortable et millénaire d’une humanité perdue, et immuable, dont le triste destin se répète éternellement ; tandis que Musset, lui, comprend d’une intuition et d’une sensibilité étonnante, que le monde eut été réellement en train de se transformer de son vivant.

     Musset se perdit carrément, ainsi, dans le déboussolage du dix-neuvième siècle. Flaubert préféra, au contraire, s’en moquer avec détachement.

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Élisa Schlésinger (1810 – 1888) fut l’amour déterminant de la vie de Gustave Flaubert, et l’inspiration pour « Sophie Arnoux ». Quand ils se sont rencontrés pour la première fois, Flaubert n’avait que quinze ans, Schlésinger, 26.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo — Victor Hugo : un puissant apôtre de la réforme sociale)

— Comme un massif rocher obstruant un cours d’eau, les implications de la théorie Matérialiste tombèrent à travers le chemin de la Civilisation

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Un aperçu du climat social dans lequel furent accueillies les nouvelles théories, moralement ambiguës, du matérialisme et de l’évolution : de la Mer au banc d’école — Comme un massif rocher obstruant un cours d’eau, les implications de la théorie Matérialiste tombèrent à travers le chemin de la Civilisation)

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À table, dans une « maison des pauvres » (workhouse) à Londres, circa 1900

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     La narration officiellement présentée, de nos jours (aux jeunes intelligences en devenir), est d’une limpidité parfaite : pendant la période moderne, la science empirique chassa la doctrine reçue (religion) ; l’univers naturel chassa la création ; le monde s’expliqua de manière mécanique, sans appel au spirituel ; la connaissance remplaça la superstition ; le pouvoir technique remplaça l’impotence.

      Soit. Pourtant, presque rien n’est dit au sujet de la crise profonde qui en fut produite dans notre conception essentielle du « bien », et des ramifications de cette crise dans notre vie en société, en toute circonstance, aujourd’hui.  

     Voilà en peu de mots, alors, l’ironie suprême de la science moderne telle qu’elle se présentait dans la transformation industrielle :

     Après tant d’efforts philosophiques et religieux — déployés dans l’espoir d’améliorer le sort de la race humaine (et dont l’aboutissement avait dépassé toujours à peine l’intention) — la méthode scientifique semblait fournir, enfin et tant miraculeusement, le moyen pratique pour réaliser ces rêves multimillénaires. Mais du même coup, elle sembla avoir invalidé, aussi, toute la conception spirituelle de l’homme qui se trouvait à la base de celles-ci, et qui avait servi jusqu’à lors, comme unique balise de référence intellectuelle (et de véhicule explicatif) dans la quête d’une dignité proprement humaine.

     Voilà, donc (et tout au contraire), sur fond de la suggestion inquiétante d’un nihilisme pure — apparemment inséparable des conclusions Newtoniennes — que la théorie matérialiste menaçât d’enlever tout souci, personnel ou politique, d’ordre morale ; tandis que la compréhension populaire de la théorie de l’évolution, elle, semblât valider — et justifier ouvertement pour qui le voulait — un recours aux mobiles les plus sombres !

     Car selon cette interprétation, toute souffrance subie par les perdants (dans la lutte pour la vie), incluant toutes les épreuves de guerre, de feu, de pestilence et de famine — sans exception – (ainsi que tous les sacrifices présents des gagnants éventuels), serait amplement récompensée par la victoire des « meilleurs » ; ce qui voulait dire, dans le lexique des Darwinistes : par l’émergence progressive d’une humanité, et d’un ordre social, supérieure.

    — Une contradiction fondamentale, et fatale

     Pourtant, la profondeur de la crise philosophique, ainsi produite, se révèle dans cette dernière image — tant naïvement présumée — de l’évolution naturelle en mécanisme de « progrès » vers le « bien ». Car le message fondamental du matérialisme réside — tout au contraire — dans l’affirmation première que le monde naturel ne possède aucun attribut de bien. Et en conséquence, l’enthousiasme progressiste investi dans ce nouvel paradigme fut rempli dès le départ (et peut-être heureusement) d’erreurs complaisantes et fondamentales.

     En fait, même cent cinquante ans après l’arrivée des « Origines » de Darwin (et quatre cents ans après les « Principia » de Newton) la réalité d’un tel principe (l’absence d’une morale transcendante) semble presqu’impossible pour l’être humain de créditer. Et c’est ainsi que nous observions, encore, des « matérialistes » travaillant toujours aussi assidument pour le « bien », sous les drapeaux socialistes et autres. Mais très peu nombreux sont ceux, même de nos jours, qui apprécient pleinement l’ironie inséparable de ces faits.

     En partant, alors, certainement au début (et encore très appréciablement aujourd’hui) l’arrivée de l’interprétation « matérielle » (ou mécanique) ne s’opéra pas comme un simple virage dans notre histoire sociale, mais plutôt, à l’image du massif rocher dans le cours d’eau, — d’un obstacle brut, que le désir positif, conscient, des divers acteurs sociaux se proposait (d’un optimisme instinctif et volontaire) à contourner, d’une manière ou d’une autre. Et le résultat en fut, non une nouvelle direction, mais plutôt une multiplicité de nouveaux chemins, qui procèdent encore, à tâtons, vers des buts qui demeurent contradictoires et incertaines.

— La récupération du traditionnel

     Au plus simple, et peut-être au mieux, il y avait une tendance majoritaire (et une foi traditionnaliste), voulant que la science et la « vérité » ait pu se complémenter, de sorte que les hommes de bonne volonté aient pu utiliser le premier pour en réaliser le seconde. Ce fut, aussi, pendant longtemps, l’école dominante. Mais elle n’était pas la seule pour autant. Et il se posait des problèmes très particuliers, pour ceux qui prétendaient rejeter (vraiment) le principe traditionnel de « bien », tout en espérant conserver la notion de « progrès » positif.

— Le déterminisme

     L’une des solutions les plus ingénieuses, à ce paradoxe, concerne la doctrine « déterministe » qui fut apparente, déjà, dans « la nécessité historique » des Marxistes (et de leurs prédécesseurs immédiats de la Révolution Française).

     Selon cette interprétation, les développements futurs de la société sont déjà « déterminés » (historiquement inévitables) ; et il s’ensuit une révérence, au-delà des buts et des principes, pour le processus en soi, dont les effets immédiats sont ainsi accueillis en bienfaits manifestes.

     Mais toujours est-il, que c’est la nature naïve de l’intelligence humaine que de s’investir dans la perception de l’inévitabilité : de fomenter, pour prendre cet exemple, une révolution, là où l’on en croit percevoir la nécessité (inévitable) ; et en accueillant, ainsi, les excès révolutionnaires comme des « biens » nécessaires, d’en redoubler les ardeurs et les violences (à l’instar de l’enthousiasme insatiable pour la guillotine en 1793). Il en ressort, alors, un constat inconfortable que l’interprétation matérialiste puisse non seulement favoriser l’éclosion de phénomènes normalement perçus en « mal », mais aussi, de contraindre la redéfinition perverse de ceux-ci, en bien !

— Une crise sans solution évidente mais impossible à éviter

     Quel qu’il en soit, l’arrivé de ces nouveaux idées (et la crise philosophique ainsi engendrée) étaient impossible à esquiver. Car, voir, c’est croire ! (comme l’on dit depuis toujours) ; et manifestement, à l’encontre des propositions spéculatives des métaphysiciens d’antan : les démonstrations de la science empiriques furent incontestables. Et quoique nous pouvions remarquer, rétrospectivement, que les conclusions théoriques (qui en furent logiquement tirées de celles-ci au dix-neuvième siècle) eussent été autrement plus discutables que les observations en soi, il n’en demeure pas moins que la pénétration de ces théories s’est montrée irrésistible.

     Sans préjudice, alors, nous nous devions de remarquer que ces principes théoriques (et surtout cette vision impitoyable de l’évolution) furent progressivement partagés — que ce soit de droit ou de gauche — par toutes les tendances proprement modernes. Or, force est de constater qu’il en soit résulté une liberté extraordinaire parmi les théoriciens de l’époque, qui se rivalisaient dans leur enthousiasme pour avancer, ainsi, de nouveaux programmes radicaux : des programmes d’inspiration fortement idéalistes ; et dont la poursuit pratique — en plus de nombreux miracles de notre modernité — ne pouvaient qu’aboutir (comme nous en ferons la description ci-bas) dans ce que nous qualifions aujourd’hui de crimes, massives, contre l’humain et contre l’humanité.

— Le visage sévère des œuvres philanthropiques « scientifiques »

     Pour reprendre seulement le thème de la charité et du secours aux pauvres, les efforts traditionnels d’assistance continuaient, et s’expansionnait même, avec un accès accru aux dons et aux fonds publics, qui augmentaient constamment en proportion avec les nouveaux surplus générés par l’industrialisation. Les promoteurs de ces initiatives se voulaient, aussi, « scientifiques » et désiraient aborder les problèmes sociaux dans une perspective moderne et rationnelle. De ce côté, alors, l’espoir battaient fort ; et l’ambition se portait vers l’allégresse.

     En même temps, cependant, dans sa forme la plus crue et la plus intransigeante, la pensée « moderne » à la base de cet enthousiasme (et qui y fournissait tous les moyens pratiques pour y réussir), suggérait carrément que tout apport aux pauvres (ces « indigents », les perdants de la compétition Darwinienne) représentait non seulement des dépenses inutiles, mais bien plus — constituait une entrave condamnable à l’accomplissement souhaitable du destin salutaire !

     Et c’est ainsi que la nouvelle vague de construction, d’institutions destinées au secours des misérables (et à la prévention de la misère), ait bel et bien eu lieu sous le signe d’un altruisme exemplaire : écoles, hôpitaux, asiles, refuges. Mais toujours est-il, aussi, que la nouvelle attitude d’objectivité clinique à l’égard de la souffrance — apparemment obligée par la science elle-même – communiquait un aspect exceptionnellement austère aux initiatives humanitaires entreprises à cette époque, empreint d’un visage rudement sévère, à l’intention des bénéficiaires. Et nous pouvions déceler, à cet égard, une politique implicite qui visait non seulement l’apport de secours auprès de ces individus malheureux, mais aussi – à défaut de pouvoir « réhabiliter » cette clientèle : l’évacuation de leur présence au sein du corps social.

     Aussi fut-il, dans ce climat de révolution sociale, et intellectuelle, que soit écloses les premières théories proprement modernes de l’euthanasie… aseptisée ; utilitaire.

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Le contingent féminin d’une maison des pauvres, Londres, circa 1910

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : L’individu perçu en fraction de l’ensemble : l’âme collective)