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juillet 2021 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

l’Idéologie versus la Religion

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre : l’Idéologie versus la Religion)

— La pierre d’achoppement des systèmes idéologiques modernes : des axiomes invérifiables

Décidément, les principes politiques et économiques qui passionnent les penseurs idéologiques, se trouvent nettement à l’extérieur des limites de la science. Car l’homme agit, normalement — suivant ses intuitions — dans un contexte de complexité qui rend impossible l’identification assurée des bons choix, même quand le but visé soit clairement défini ; tandis que le choix primaire des buts recherchés, lui, échappe totalement à la rationalité.

Pour tout dire, les systèmes modernes d’idéologies dites “scientifiques” présentent précisément les inconvénients qu’ils ont l’habitude de reprocher (voire: de projeter) à l’endroit de leurs compétiteurs religieux.

Tristement, alors, la grande masse d’adeptes des nouvelles théories politiques ne sont pas des gens moins ignorants, ni même moins superstitieux, que leurs contreparties des générations précédentes. Surtout, ce sont tout autant des gens de foi ; seulement, ils croient maintenant posséder la certitude flatteuse d’être prodigieusement supérieurs à leurs arrière-grands-pères, du simple fait que leur foi ait été placé dans une affirmation de rigueur rationnelle — indémontrable — plutôt que dans un ordre divin souffrant du même défaut. De plus, ils ne sont pas plus connaissants, d’habitude, ni des limites, ni des détails de leur nouveau catéchisme, se contentant de présumer que d’autres, de leurs camarades plus instruits, comprendrons ces choses à leur place.

Et c’est ainsi que nous constatons des impositions, des plus grosses, sur la crédulité des gens réceptifs, pratiquées par de nouvelles générations de prédicateurs sociaux.

En particulier, les objections essentielles de la morale humaine, qui nous donnent tant souvent pause devant les prescriptions intransigeantes de l’idéologie théorique, sont rencontrées avec rien de plus qu’une simple esquisse de sourire, ajoutée à la prononciation ironique du mot « religion » ; ce qui parait pleinement suffisant pour fixer la supériorité du bien “rationnel” dans les esprits moins critiques (et disons le franchement : positivement empressés de surmonter leur superficialité d’analyse en se ralliant à la pensée des plus assurés).

— la faute initiale se propage dans l’action : rapidement, et avec détermination

Néanmoins, pour la plupart, les adeptes de l’idéologie sont des personnes rapidement vouées à l’action ; et ne sont que peu enclins vers des problèmes théoriques sans solution. Dans la mesure, alors, qu’ils comprennent les limites de la démonstration rationnelle : ils l’acceptent et l’outrepassent dans une seule enjambée. Car selon la pensée magique, voulant qu’il puissent exister des “exceptions qui prouvent la règle”, ces personnes se permettent, consciemment ou non, un seul acte de foi (tant significatif) qui est celle d’un choix de fondation idéologique.

Par la suite, par contre, toute politique subséquente serait âprement défendue comme une extension “scientifiquement inévitable” ; et ayant ainsi épousé une conception particulière du “bien”, ils se montreront prêts (et empressés) à tout faire dans l’accomplissement de leur idéal, quelque soient les torts et souffrances produits en ce faisant.

— Un environnement intellectuel schismatique à l’extrême

Il y a, souvent, grand cas fait du sectarisme religieux, et des événements horrifiques des guerres de religion qui y sont attribuées. Nous ne pouvons, certes, esquiver entièrement ces faits. Cependant, les épisodes les plus cités, comme les Croisades des Moyens Ages (ou les Conquêtes, des Musulmanes Arabes, les ayant précédé), ressemblent plus à des entrechoquements civilisationnels, d’origine géographique, plutôt que des luttes d’idées, religieux ou autres. Et le pire des affrontements de ce genre, c’est à dire la Reformation Protestante, faisait partie de la transformation moderne qui détruisit, à la fin, non seulement l’hégémonie de l’Église Catholique, mais aussi, tout le système agraire préindustriel et aristocratique que nous appelons “l’ancien régime”. Or, dans ce sens, nous pouvons considérer la Reformation, elle-même (au moins en partie), en affrontement idéologique.

Les luttes du vingtième siècle, par contre, nous montrent un visage tout autre. Car contrairement aux guerres tribales (qui opposent toujours les religionnaires de l’Irlande), ou encore aux guerres nationales, classiques et géographiques (comme celle d’Inde-Pakistan) : même si les luttes proprement idéologiques se disputent aussi, à la fois entre pays — et en guerres civiles à l’intérieur de ceux-ci — l’appartenance aux factions ne se fait plus, surtout, sur une base ethnique ou territoriale, mais plutôt (selon le terme “idéologie”) sur un fond qui soit véritablement un des “idées”.

Apparemment, aussi, le conflit (et même le conflit violent) est presque inévitable pour toute idéologie qui se veut structurellement transformateur.

— Où les armes de l’argument cèdent leur place à l’argument des armes

En premier lieu, les adeptes d’une vision donnée sont unies dans une lutte solidaire pour avancer les axiomes qui différencient leur vision idéologique de tout compétiteur. Mais ce factionnalisme se manifeste, également, aux niveaux de plus en plus détaillés ; car tous ces compagnons engagés luttent, aussi, avec leurs plus proches collaborateurs, sur la dérivation conséquente des politiques ponctuelles.

Un grand effort serait déployé, certes, pour représenter des contradictions apparentes comme étant véritablement compatibles au sein du système (à l’instar de la “dialectique” Hégélienne et Marxiste) ; mais à la fin, il s’agit de départager, par la raison, le “vrai” du “faux”. Et en conséquence, les idéologues se démarquent par leur propension innée de se séparer en tribus distinctes. Or, vue l’importance sacrée des principes en jeu, ces luttes intestines se solde, très souvent, par la violence et par le meurtre.

Les différentes écoles deviennent exclusives, alors, d’une façon qui n’admet pas d’appartenance commune autre que l’affectation du modèle empirique lui-même ; et étant donné que les propositions au fond de leurs croyances ne sont pas (ultimement) susceptibles d’un tel traitement : l’idéologue orthodoxe tient, finalement, les adeptes d’autres systèmes pour des infidèles, et les plus flexibles de ses collègues, mêmes, pour des hérétiques et des apostats !

Bien-sûr, cela se prête facilement à l’absurde ; pourtant, ces méthodes et ces personnes sont caractérisées par la plus profonde sincérité.

— Les conséquences terribles de poursuivre des buts irrationnels, avec tout la puissance des sciences modernes

Et voilà, de nouveau, le défaut central des prétendus systèmes “scientifiques” : que les axiomes sont exemptes de critique rationnelle, et en conséquence : que les torts produits dans leur poursuite ne peuvent jamais être ni évités, ni réparés ; que cette méthode hyper-rationnelle s’avère incapable, à la fin, de pratiquer des ajustements substantiels ; que tout effet néfaste, des politiques choisies, s’attribue d’emblée, aux erreurs présumées dans la traduction fidèle des axiomes primaires (tandis que ces derniers sont considérés, d’un commun accord, comme indiscutables) ; que la confiance naïve (et le consensus obligatoire) s’efforcent toujours à se croire capables de corriger — la prochaine fois — les mauvais calculs commis dans la quête de buts idéels (et dont l’impossibilité ne sera jamais lucidement avouée). En résultent, alors, des tragédies, réelles, dont l’histoire du vingtième siècle nous présente d’exemples innombrables ; effets catastrophiques de cette obstination terrible à répéter les mêmes erreurs, de fond, en espérant corriger de simples fautes d’exécution.

La Révolution Russe (1917) représente, certes, la plus grande victoire de l’école Marxiste (elle-même, de loin, la plus importante des idéologies modernes). En conséquence, les déboires tant décevants du régime Communiste dans ce pays furent tour à tour : niés, cachés, expliqués, et finalement répudiés comme des “erreurs”, et même comme des “crimes”. Rien, pourtant, n’avait diminué l’enthousiasme des supporteurs Marxistes face à la théorie en soi. Car le même plan (à peu près) a été imposé par la suite : en Corée du Nord (1945), en Chine (1949), au Vietnam (du Nord 1954, du Sud 1975), à Cuba (1959), au Cambodge (1975), au Nicaragua (1979), et au Venezuela (1999). Dans chaque cas, sans exception, le résultat fut un désastre économique.

(Il est vraie que la Chine a réussi à s’intégrer économiquement avec le monde libre, et s’est énormément enrichie de cette façon. Cependant, sans les transferts massifs de fonds ainsi générés — c’est à dire sans l’existence des économies libres ailleurs — la Chine ne serait pas plus prospère que sa dépendance alliée, la Corée du Nord. Car comble de l’ironie tragique, au cas très possible où la Chine remporte la lutte géopolitique et militaire en cours : le parasite victorieux — autant que l’hôte détruit — sera appauvri fatalement. Car le monde entier ne pourrait jamais produire, en régime Marxiste, la richesse dont disposent, actuellement, les habitants des grandes démocraties en hommes libres.)

Mais surtout, le bilan monstrueuse des idéologies Marxiste (et Fasciste) se compte dans les centaines de millions de personnes qui ont péri dans l’établissement et dans le maintien de ces régimes.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre : Isaac épargné par Jéhovah : La première ébauche d’une notion de vie sacrée, ou de valeur intrinsèque)

La normalisation du triage extraordinaire

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section II : Le régime de santé publique — Chapitre : Le triage médical : un outil d’exception employé dorénavant de façon ordinaire — La normalisation du triage extraordinaire)

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Célébration de la Messe Orthodoxe, parmi les soldats/patients d’un hôpital en Ukraine, 1914, pendant la première année de la Grande Guerre.

Au cours de son magnum opus, La guerre et la paix (1863 – 1869), Léon (Lev Nikolaïevitch) Tolstoï (1828 – 1910), dépeigne une scène presque identique mais située cent ans plus tôt (1813) au cours de l’invasion de la Russie par L’Empereur Napoléon I :


“L’odeur y était encore plus acre et plus violente, car c’était là le foyer même de l’infection…


“(il) jeta un coup d’œil … et vit des malades et des blessés couchés par terre sur de la paille, ou sur leurs manteaux.


“Dans une longue salle, exposée à un soleil ardent, étaient alignés, la tête contre le mur et laissant un passage au milieu, les blessés et les malades, dont la plupart avaient le délire et ne s’inquiétaient guère des survenants. Les autres, relevant la tête en les voyant entrer, tournèrent vers eux leurs figures de cire, sur lesquelles on lisait l’espérance d’un secours providentiel, et une jalousie involontaire…”


Comment expliquer — face à ce courage patient — qu’au vingt-et-uniéme siècle l’euthanasie (c’est à dire la mort) ait été proposée en remède pour la “souffrance” ?

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J’oserais suggérer, à la lumière des réalités économiques déjà cataloguées, que le contexte actuel ressemble de plus en plus à une situation d’urgence permanente, dans laquelle le triage d’urgence, lui aussi, s’insinue toujours plus ouvertement dans la pratique dite “normale” ; qu’il serait indûment rassurant, aujourd’hui, de créditer des vérités reçues voulant que nous en serons entièrement épargnés des visions apocalyptiques, du triage, sauf en présence des crises extrêmes : car objectivement, certains éléments de crise sembleraient bel et bien être installés — sinon de façon normale — au moins de façon chronique.

Bien sûr, nous ne voyons pas de patient abandonné, à l’extérieur des institutions, couché à même le sol à l’instar des hôpitaux militaires improvisés, jadis, sur les champs de bataille ; mais en revanche, nous en voyons à tous les jours, qui sont envoyés des centres d’hébergement à l’urgence (suite à des crises qui seraient tout à fait évitable en présence de soins appropriés), et, une fois arrivés, qui sont entassés dans les couloirs ; minimalement soignés ; et exposés aux risques imminents de maux contextuels comme les plaies de lit et les infections ambiantes. Or, dans le cas heureux qu’ils survivent à la crise immédiate, ces patients seront retournés, aussi vite que possible, là ou la capacité d’en faire le suivi cohérent n’existe tout simplement pas.

Nous en voyons, également, qui sont incapables de fonctionner des mois durant, en attente d’opérations dites électives, mais essentielles, pourtant, à la maintien d’une vie optimale ; et nous en voyons, finalement, qui meurent –en oncologie, en cardiologie, et ailleurs — en attente de traitement, sinon en attente, même, d’un diagnostic.

Est-ce trop alarmiste que de voir dans ce dernier groupe (de malades critiques abandonnés passivement à la mort) les victimes d’un tri non-avoué qui se cache dans le travail, apparemment impersonnel, d’un ensemble médical fonctionnant sous le stresse extrême de ressources limités ?

Aucunement.

De pénurie en pénurie, de bouchon en bouchon, de crise en crise, le triage s’impose de partout : de façon formelle à l’entrée de chaque établissement ; et informellement, à tout virage de couloir. Il devient, ainsi, un élément toujours plus important dans la pratique médicale, non d’exception, mais de routine.

Et encore, n’est-ce pas un tri d’urgence catastrophique (qui abandonne les cas difficiles au bénéfice des plus légers) plutôt qu’un tri bénin, qui s’occupe, tout au contraire, des cas extrêmes en premier lieu ?

Assurément.

Car nous observons, aujourd’hui, le recours toujours plus présent aux méthodes qui servent, non à soigner, mais à éviter l’octroi des soins, c’est à dire : le triage préemptif ; le retrait précoce des soins ; et omniprésentes entre les deux : les listes d’attente interminables. Tel est le triste sort des médecins d’aujourd’hui, contraints, de plus en plus souvent — et normalement bien malgré eux — à conseiller ou à justifier le refus de soins, plutôt que de répondre activement aux besoins et aux désirs de leurs patients.

— Les limites respectées, jadis, par le tri hippocratique

Sans doute, Il en ressort, de ces faits, une comparaison quelque peu déroutante, entre le triage de souche traditionnelle, et le nouveau régime de rationnement des soins ; une comparaison qui se révèle très peu flatteuse à l’endroit de ce dernier.

Car malgré notre portrait sombre de la responsabilité imposée sur la communauté médicale, il restait jadis (et encore … jusqu’à tout dernièrement) un point non-négligeable de lumière dans cette détresse, soit : que nous pouvions toujours prendre confort dans la position morale — aussi simple que solide — sur laquelle cette pratique était fondée ; une éthique strictement régie sous l’égide des principes hippocratiques.

Pour être parfaitement claire : dans son ancien rôle de fournisseur de soins auprès du client/patient — et même devant la nécessité terrible de triage — la tâche du médecin consistait uniquement dans la tentative de soigner celui-ci, au mieux, avec les habilités et les ressources dont il disposait.

Oui. Ce médecin pouvait bel et bien se voir contraint à refuser des soins (parce qu’il lui manqua les argents/ressources nécessaires pour les fournir ; ou encore, parce qu’il croyait que ces argents/ressources aient pu protéger plus de vies quand employées ailleurs). Mais aucun médecin, fidèle aux principes traditionnels de sa profession, ne substituerait d’autres priorités au bien de ses patients ; il n’en serait absolument pas question, par exemple, que l’exercice du tri puisse servir de mécanisme pour rejeter des cas lourds dans le seul but d’augmenter la profitabilité des soins fournis — ce qui serait (libre de toute autre considération) l’intérêt administratif évident de toute entreprise, publique ou privée.

(Pas — je me précipite à préciser — que les professionnels médicaux soient des saints, collectivement au-dessus de tout reproche ! Il en existeraient très certainement — comme parmi tout classe de commerçants — qui s’avantagent délibérément au dépends de leur clientèle ; ou encore — comme parmi toute classe de fonctionnaires — qui s’en défilent sordidement des responsabilités de leur fonctions : mais, il n’en reste pas moins, qu’ensemble, et individuellement, une volonté sérieuse et consciente aient existé parmi les médecins (et existe encore aujourd’hui), d’agir uniquement en fonction des principes cités, même si, comme devant tout idéal moral, l’individu risque toujours de s’en écarter dans des circonstances précises.)

Par malheur cependant, dans sa nouvelle capacité de gérant des avoirs publiques, le médecin-type subit, aujourd’hui, des pressions considérables pour obtenir précisément ce résultat, c’est à dire : pour refuser sélectivement des soins dans le seul but d’épargner de l’argent, par principe. Car tout intendant de la richesse collective demeure conscient de l’exiguïté globale des ressources ; toute épargne représente une bénéfice pour l’ensemble ; et dans ce rôle : les médecins sont sommés à fournir une épargne maximale en tout temps.

Pourtant, même là, nous n’avions pas tout dit. Car ce n’est pas le simple refus de soins qui fait éthiquement le plus mal — ni même le retrait précoce de ceux-ci ; ce qui démarque l’ancien pratique du nouvelle, avec la plus grande clarté — ce qui constitue le plus important bienfait de l’héritage Hippocratique — se confirme dans le sort réservé, justement, à ceux qui furent rejetés par le tri.

— Une tournure ultime, du couteau dans la plaie : la mise à mort des patients sacrifiés

Naguère, ces malheureusement auraient pu être soignés (de manière palliative, dans la mesure des ressources disponibles) ; ou encore, ils pouvaient être totalement abandonnés. Mais dans aucun cas, ils n’étaient mis à mort, ceux-la, par leurs médecins. Personne, il faut y insister, ne se faisaient voler les derniers moments de sa vie dans le contexte du tri hippocratique : ni pour satisfaire aux préjugés impertinents des tiers (concernant la valeur moindre de sa vie) ; ni pour évacuer les manifestations d’une souffrance devenue gênante (parmi les élus survivants). Tels étaient, rappelons-nous, la promesse faite, et le serment solennellement juré, sur lequel reposait, jadis, la confiance de tout mourant devant la profession médicale.

L’introduction de l’euthanasie en soin bénin, cependant, change radicalement le paysage médical. Car sa promotion offre un mécanisme positif pour faciliter l’implémentation institutionnelle d’un véritable triage catastrophique de routine ; tout en dissimulant son opération : puisqu’il ne reste aucun souffrant dont la présence peut en témoigner des faits.

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Aristocrate. Soldat. Auteur. Philosophe. En nomination à plusieurs reprises pour les Prix Nobels : de Littérature, et de la Paix. Léon Tolstoï (1828 – 1910)

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie B : L’euthanasie et l’économie — Section III : La médecine de la mort)

La médecine perçue de la coté obscur

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Section IV : Hippocrate bis — Sous-section IV b) La médecine perçue de la coté obscur)

Telle la Lune, la profession médicale possède, elle aussi, une face cachée

Chaptire : Pourquoi l’assistance au suicide fut-elle considérée, d’emblée, comme le domaine présomptif des médecins ?

— Brouiller, de nouveau, les distinctions à la base de la réussite hippocratique

Vue les effets, tant salutaires, qui s’étaient produits, jadis, avec l’arrivée de la médecine hippocratique, il peut nous sembler difficilement compréhensible que l’on ait voulu compromettre cette profession, de nouveau, en y introduisant des fonctions homicides qui lui soient logiquement étrangères.

Pourquoi, en effet, avoir capricieusement hypothéqué les relations de confiance — entre patient et médecin — en ayant voulu combiner, de nouveau, les deux visages (guérisseur et homicide) de l’ancien personnage sorcier ? Pourquoi n’a-t-on pas insisté, dans notre sophistication moderne, sur la création de nouveaux métiers pour répondre aux volontés non-médicales des clients ? Et surtout… pour accomplir les volontés fatales ?

N’avions-nous pas déjà remarqué, à ce sujet, que la médecine (encore instinctivement hippocratique), aient largement réussi à évacuer l’avortement (et même la chirurgie esthétique) de son espace premier ?

Or, quel indice puissant ! Car le phénomène constaté (cette spécialisation des marchés distincts) s’illustre ici dans des pratiques dont presque tout le monde s’accorde pour admettre un lien inévitable, et nécessaire, avec la médecine hippocratique : avec les cas proprement thérapeutiques d’abord ; et avec la sécurité des interventions discrétionnaires ensuite.

Mais que dire de l’euthanasie ? Dans ce cas il n’y a aucune question de « sécurité » ; aucune vie à protéger ; aucun besoin des connaissances approfondies du médecin ; ou selon plusieurs : aucun besoin de médecin du tout !

Pourquoi, donc, s’obstiner à pousser ce mandat incongru sur la profession médicale ?

Comment faillir s’apercevoir de la force inhérente de ces marchés dissimilaires ? Non seulement celui de la minorité, qui veuille accéder à des services de suicide assisté, mais plus pertinemment : celui de la majorité qui n’en veulent pas ; celui de la majorité dont l’intérêt exige un service qui n’en soit pas compromis ?

Comment imaginer que les clients de l’un puissent se faire agencés parmi les clients de l’autre ? Entassés pêle-mêle dans les mêmes institutions ? Dans les mêmes départements ? Dans les mêmes chambres ?

— La promiscuité des clientèles : un environnement franchement hostile aux patients non-suicidaires

Au cours des discussions passées, plusieurs auraient fait grand cas du patient suicidaire, affirmant que la collectivité ait dû protéger celui-ci contre les préjugés des médecins hippocratiques. Mais qu’en est-il, maintenant, de la situation inverse ?

Comment se vouloir tellement obtus, face à l’émotivité humaine, que d’imaginer un patient aucunement suicidaire, désireux seulement de vivre ses derniers instants en harmonie paisible (dans la mesure où cela lui serait possible), mais obligé, malgré tout, à l’intérieur de cette expérience, tant intime et tant significative, d’écouter — c’est à dire : d’être positivement incapable de ne pas entendre— la famille de son voisin de chambre (et peut-être même la sienne, aussi) en discussion au sujet des avantages d’une mort accélérée ? (Et ça, en tête à tête avec les mêmes infirmières — avec les mêmes médecins — dans lesquels il doit, lui, reposer sa confiance ultime ? Sur lesquelles il dépend, en dernier lieu, pour tout espoir de sursis, ou de vie ?)

Sommes-nous tellement éloignés des réalités humaines –et pour tout dire : des réalités animales et préhumaines — que nous refuserions aux patients en milieu hospitalier les dernières considérations accordées, par le boucher ou le chasseur, aux bêtes qui leurs servent de proies et de victimes ?

Car, ils savent bien ces derniers, depuis toujours et d’expérience ancestrale, ce que nos législateurs, nos juristes et nos bureaucrates auraient semblé vouloir ignorer  : que la peur de la mort est instinctive et viscérale ; qu’elle est contagieuse ; et qu’elle soit d’effet imprévisible.

Le chasseur, par exemple, nous dirait que la viande des bêtes effarées soit gâchée par la présence d’hormones secrétées sous l’influence de la peur ; et le boucher nous raconterait, pour sa part, le danger inhérent dans une bête qui devine trop vite son intention. Mais surtout (selon l’un et l’autre), faut-il éviter la transmission de cette connaissance (et cette peur) aux autres bêtes à proximité.

Comment ignorer, alors, que la première règle de ces métiers consiste à garder les victimes scrupuleusement isolées : de l’odeur du chasseur ; du sang de l’abattoir. Elles ne doivent pas voir ; elles ne doivent pas entendre ; elles ne doivent pas douter ; elles ne doivent pas flairer la mort.

— De la bête à l’humain

Or, le patient non-suicidaire se trouve, aujourd’hui, en proie à précisément les mêmes pressions psychologiques qui puissent affliger notre bête-victime, qui s’achemine, métaphoriquement, vers la mort en embuscade. Sauf que ce soit bien pire pour l’humain ! Car le patient sait d’emblée –au contraire de la bête– que la mort soit proche. Il sait où il se trouve ; et il sait pourquoi. Il comprend, aussi — de compréhension exclusivement humaine — le sens des paroles, des personnes qui l’entourent.

Déjà, en temps normaux, la fatigue, les médicaments, et le stress brut produisent (chez certains patients plus fragiles) des crises d’angoisse, accompagnées parfois de comportements agités et même violents ; des crises qui sont caractérisées par d’affirmations (voire : de cris et de hurlements) à l’effet que l’on « tue du monde ».

Puis-je avoir la témérité, alors, de suggérer ici, que le fait de d’héberger ces patients dans des lieux où l’on tue réellement du monde — de les placer, en fait, sous la responsabilité de médecins et d’infirmières qui sont, effectivement, les agents responsables de ces morts puis-je intimer, enfin : que ces faits ne servent en rien pour diminuer l’angoisse des patients, ni pour réduire la fréquence ou le sérieux de telles épisodes de terreur ?

— Une insensibilité générale qui soit impossible de justification raisonnable

Que le lecteur me pardonne cette plaisanterie ironique. Je comprends très bien la logique qui nous ait amené vers la satisfaction d’une demande minoritaire d’assistance au suicide. Seulement, j’oserais aussi questionner la sagesse de transformer l’ensemble de nos institutions, de soins-santé, dans des lieux qui soient psychologiquement hostiles aux attentes de la majorité ; des lieux ou les peurs profondes du patient — des peurs devant la vie, la mort, et l’épouvantable personnage du sorcier-guérisseur  — deviennent des peurs parfaitement fondées : non dans la délire, ni dans la paranoïa, mais dans les fait objectifs ; des faits ouverts à l’observation de tout le monde — staff, patients, visiteurs — et surtout (grâce au côtoiement promiscue de la clientèle) : un élément psychologique incontournable pour le patient-type de la majorité non-suicidaire.

Ce sont des circonstances, à mes yeux, qui prennent une direction tout à fait insensée et impossible de justification.

— Affirmer la force commerciale de la majorité non-suicidaire

Que fait-on, alors, du droit strict de la majorité ? Non du droit moral, d’imposer sa pensée ; ni même du droit légal, d’imposer ses comportements préférés ; mais simplement de son droit commercial, fondé dans une prépondérance du marché : de s’assurer que ses attentes (aussi) soient réalisées ?

Je ne peux m’imaginer qu’un tel état de fait puisse longtemps durer dans une société libre et démocratique. Même que je ressens, déjà, une certaine confiance que la clientèle, les familles, ainsi que les professionnels soignants — tous réunis dans l’affirmation de leur force commerciale spécifique — parviendront, éventuellement, à imposer la nécessité d’institutions intégralement hippocratiques ; et possiblement aussi : à l’expulsion des pratiques homicides de l’espace médicale.

Non, je me précipite a répéter, que les pratiques homicides soient nécessairement supprimées (car telle serait une discussion toute autre), mais seulement, comme l’un de mes amis se plaît à exprimer la chose : que les pratiques homicides soient expulsées de la “Maison de la Médecine”

— Un problème, pourtant, firmament enracinée

Mais toujours est-il, que dans l’immédiate (et pour une durée indéterminée), nous sommes accablés d’un problème sérieux. Car le pouvoir s’est apparemment convaincu (largement en vertu du précédent fourni par la décriminalisation de l’avortement) : que les oppositions hippocratiques, au sujet des interventions homicides, soient dorénavant tombées caduques, sans plus ; que le refus hippocratique de pratiquer, de conseiller, ou de référer des patients vers l’euthanasie ne résulte, à la fin, que d’une déférence malsaine devant l’autorité reçue ; que l’éthique hippocratique ne soit qu’un substitut médical pour la moralité religieuse (elle-même réputée vestige, des relents ataviques et irrationnels, d’une tradition prémoderne) ; qu’en attaquant l’un, il soit possible, aussi, de balayer l’autre.

Or, ce sont des conclusions entièrement fausses (les souches culturelles et les méthodes philosophiques étant parfaitement distinctes), mais la perception n’en est pas moins empreinte, indélébilement.

On peut alors se choquer. Mais, comme dit l’Empereur-philosophe Marc Aurèle (au sujet de certaines comportements ignobles — mais habituels — parmi sa proche parenté) : « (sic) Même si j’explosais (d’indignation, et de colère) ils feraient toujours pareil ». On pourrait, alors — que dis-je — à la manière ancienne : se déchirer les vêtements, s’arracher les cheveux (et maudire les dieux).

Mais la réalité reste.

On pourrait, aussi, se demander avec véhémence, et humour noir : pourquoi ce serait aux médecins de tuer les suicidaires ? Pourquoi pas les barbiers ? les esthéticiennes ? les barmans tant qu’y être ? Pourquoi, diable, faut-il installer le meurtre dans la pratique médicale ?

Mais la réponse à cette dernière question serait plutôt déroutante, sérieuse, et éventuellement sans réplique : Le meurtre n’a aucun besoin de « se faire » installer dans l’espace médical ; nous ne parlons pas « d’innovation » ni « d’introduction » au sujet de l’euthanasie ; nous parlons seulement de « décriminalisation ». Car le mal, il s’y trouve déjà — et depuis toujours.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Le Livre en devenir — Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV : Hippocrate bis — Sous-section IV b) : La médecine perçue de la coté obscur — Chapitre : Une tradition médicale d’homicide : où l’occasion fait le larron)

À la rassemblement des Alliés : un choc de cultures

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : La rencontre des cultures, américaine et continentale, occasionnée par la rassemblent des armées alliées sur le sol français, 1914 – 1918) — À la rassemblement des Alliés : un choc de cultures)

La Première Guerre Mondiale créa une étrange culture d’exception en France où la pauvreté d’une population en guerre rencontrait la prodigalité des soldats étrangers, et où la pénurie masculine se combla par la présence de plusieurs millions d’hommes, déracinés de la trame de leur vie ordinaire — en Angleterre, en Océanie, en Afrique, en Asie, au Canada et en Amérique — déployés pendant quatre longues années dans la boue et dans le sang ; dans la cicatrice infernale des tranchées d’une guerre féroce mais immobile, qui s’étendait de la Manche jusqu’aux Montagnes Suisses (sans parler des millions, encore, qui s’affrontèrent à l’Est : sur le Front Russe, dans la Péninsule balkanique, et au long des Alpes italo-autrichiennes).

Aussi, en arrivant sur le vieux continent, les soldats Alliés des contingents outre-mers se sentirent profondément dépaysés devant une société dont les usages étaient très différents des leurs.

— L’Europe en héritière de la civilisation classique, de conquête et d’oppression

Transportés des sociétés nouvelles de l’Amérique, ces hommes prenaient subitement connaissance de peuples directement ancrés dans un continuum historique qui les relia, de maniéré organique, avec la civilisation classique des empires du bassin Méditerrané. Ils faisaient, ainsi, la découverte d’une société beaucoup plus ancienne : plus “civilisée”, plus “sophistiquée”, plus “raffinée”, et je prétendrait aussi : fondamentalement plus cruelle.

Car l’Europe sortait encore avec grande difficulté, elle, d’un système fondé sur l’asservissement explicite des paysans, qui avaient jadis appartenu comme esclaves — en bétail de service — à une classe maître d’origine militaire. Dans d’autre mots, ces populations avaient vécu, jusqu’à très récemment, sous le joug des armées d’une caste guerrière d’occupation. Et même à la fin du dix-neuvième siècle, beaucoup d’entre elles (incluant notamment celles de la Russie, ainsi que la partie européenne de L’Empire Ottoman), y vivaient encore.

— En Amérique, un nouveaux départ, sur fond capitaliste et égalitaire

En Amérique, cependant, cette organisation tant ancienne — strictement stratifiée, d’esclave et de maître — n’a pas su prévaloir.

Au contraire : elle fut répudiée d’emblée par grand nombre de colons fuyant précisément cette oppression ; et par la suite, la tentative malheureuse d’installer une société similaire (bâtie cette fois sur l’importation d’esclaves africains), fut constamment opposée et éventuellement arrêtée, aux cours d’une longue bataille politique, convertie ultimement en guerre existentielle (1861 – 1865) ; un conflit qui opposait deux visions de l’homme, et deux modèles incompatibles de l’économie — de capital industriel, et d’esclavagisme classique — dont l’issue s’est déterminée au désavantage de ce dernier.

Pour tout dire, les colonisateurs hollandais et anglo-saxons, émissaires d’une société en forte transition technologique, n’avaient pas réussi à transporter, au Nouveau Monde, leur ancien modèle civilisationnel d’économie agraire et pré-industrielle. Avec justesse, donc, les Américains se prétendaient libre (et égalitaire) d’une manière toujours inconnue ailleurs. Car (hors des séquelles perdurant de l’esclavage raciale) les rôles traditionnels de l’assujettissement dépendant — des laquais, des paysans inféodés, et des domestiques — ne s’étaient jamais affichés, chez eux, avec la supériorité manifestée de l’autre coté de l’Atlantique.

— Une perception d’infériorité culturelle, mais de supériorité morale

Les soldats Alliés débarquèrent en France, alors, comme les rustres Croisés Normands étaient arrivés à Constantinople en 1097. Ils se sentaient éblouis, et intimidés à la fois : par la culture, par l’histoire, par la subtilité de l’interaction sociale ; mais aussi, il se sentaient insultés : par l’attitude condescendante de tous les habitants, incluant même les plus minables des domestiques.

Car tout en prenant connaissance de la plus grand finesse du modèle européen, les troupes alliées se sentaient confiants, aussi, de la supériorité morale (et économique) du leur.

— Une différence dans la perception morale de la force, et des femmes

En Amérique, surtout, il n’y n’avait rien eu de semblable à la marche et la contremarche incessante d’armées féodales et nationales qui avaient occupé l’Europe entière, de Charlemagne à Napoléon. En conséquence, il manquait, aussi, l’empreinte profonde de cette moralité légère, et prédatrice — de noble et de soldat, de cour et de caserne — qui fut si généralement apparente en Europe.

En particulier, les seules femmes jusqu’alors connues, par la plupart des soldats arrivés de l’Amérique, avaient été leurs mères, leurs épouses, leurs sœurs. Et s’ils avaient connu des prostituées, ce fut dans des circonstances extraordinaires — de foire, de voyage, ou des emplacements de l’industrie purement masculine (maritimes, forestiers, ou miniers) — des épisodes nettement isolés de la vie normale.

Le caractère social, immémorial (et omniprésent) de la courtisane, par contre — à partir des maîtresses célébrés de l’élite, jusqu’aux filles dans les rues de Paris qui portaient avec elles des plaques numérotées de permis municipales (à l’instar des fiacres et des taxis publics) — n’avait aucun équivalent dans l’expérience américaine, et hors du domaine littéraire, demeuraient presque inconnu.

— L’exception morale, convertie en règle

Or, ce qui étaient extraordinaire dans l’expérience de la Première Guerre, en France, sous l’occupation fraternelle des soldats Alliés, c’était la transformation de l’exception en norme : que le besoin extrême se manifestait partout ; que les hommes typiques se présentaient “normalement” en soldat ; que les femmes typiques se rendaient “normalement” accessibles : non pas quelques jours seulement, comme aux siècles passés, pendant le passage d’une armée en marche (ni même pour une période de quelques semaines dans des zones de concentration ponctuelles) mais pendant des années : à travers toutes les régions en support de cet énorme théâtre de conflit stationnaire ; et aussi selon la dispersion : encombrées d’un nombre prodigieux de réfugiés civils (fuyant la destruction et l’occupation allemande).

Dans de telles circonstances, les définitions normales — de prostitution et de fréquentation légitime — se confondirent dans un contexte où les jeunes hommes (et souvent des hommes à peine) découvraient l’urgence irrésistible de l’amour, sous la menace d’une extinction imminente ; où la satisfaction de cette urgence devait se voler — au caprice de l’opportunité, au dépens de la discipline, et au cours de brefs répits en arrière des lignes — en compagnie de femmes, inconnues, dont ils ne partageaient même pas la langue ; où l’on s’attendait à ce que les filles aient été toujours amoureuses ; mais où les filles s’attendaient, aussi, à ce que les garçons soient toujours munis de cadeaux nécessaires (de nourriture, de vêtements, de tabac, de boisson) ; où des pères et des mères de famille, même, recevaient gracieusement, à domicile, les prétendants passagers de femmes dont les frères (et même les maris), étaient eux-mêmes en service au front : qui recevaient leurs cadeaux ; qui leur préparaient à manger ; qui leur cédaient leurs lits.

Paris, en particulier, fut transformé dans un énorme rassemblement d’exception (de militaires, de blessés, d’habitants et de réfugiés) constitué (selon l’expression du temps) pour la “duration”, c’est à dire : aussi longtemps qu’ait pu continuer cette pause irréelle dans la vie des personnes et des peuples.

Les troupes Anglo-Saxons assez chanceux pour y accédaient rencontrèrent, là-dedans, les braises encore chaudes de la Belle Époque, et ramenèrent chez eux, non seulement les toiles et la littérature françaises, mais aussi, une idéalisation de la culture de ce pays, qui était postulée sur la normalisation des comportements les plus libres, et donc, les plus excessifs.

— Une idéalisation artificielle (mais universellement partagée) dont l’influence future se révélera on ne peut plus réelle

Car le caractère français rencontré par les soldats alliés n’était pas vraiment celui de la France, ni même celui de Paris. Cela se présenta, plutôt, dans la traduction et dans la compréhension des hôtes étrangers, comme une sorte de caricature extrême, où se mêlaient les notions préconçues (de romans, de carte-postales, de cuisine, et d’amour “français”), dans un amalgame titillant qui comprenait tout ce qui ait été proscrit chez eux ; mais qui leur semblait, aussi, parfaitement naturel à la source.

Alors tandis que les étrangers se félicitaient à la découverte de cette sensualité inconnue, les français (et les françaises) — pris, entre les impératifs matériels d’un présent catastrophique, et la réputation longtemps gagnée d’une culture de plaisir frivole — consentirent (pour les uns passivement, et pour les autres avec méthode) à se présenter en imitation parodique d’eux-mêmes.

Or, telle fut l’impression ramenée en Amérique par les soldats rapatriés, qui préservaient chacun — avec un enthousiasme mêlé d’humour quelque peu gêné (et parfois presque incrédule) — des souvenirs de la France, et des françaises “typiques”, aussi durables que ceux de leur calvaire militaire ; impression même, avec laquelle se colorie involontairement la description présente : cent ans plus tard, au souvenir non des faits, mais seulement des communications, inoubliables, reçues en partage.

Ce fut, d’ailleurs, une impression de grande importance civilisationnelle. Car dans ce sentiment double (de plaisir insouciant, et d’horreur solennelle) qui fut ressenti par les soldats du nouveau continent, à la rencontre de l’ancien), nous trouverons la racine fusionnée du mouvement subséquent vers un véritable “refus global” (de toute contrainte et de toute responsabilité sociale), qui ait caractérisé la contre-culture dominante depuis ce moment.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : L’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Le profil littéraire des années Vingt et Trente : une vie de paix, à peine plus certaine que la guerre précédente)