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mars 2022 - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Un Américain à Paris: version cinématographique: Gene Kelly

(Tome Premier: L’euthanasie et le choix — Partie C: l’Euthanasie et la médecine — Section III: Une société en rupture — Chapitre: Un Américain à Paris: Gene Kelly contre Henry Miller)

Gene Kelly, Leslie Caron, Nina foch, Metro-Goldwyn-Mayer 1951.

Une comédie musicale situé après la Libération; les voitures en arrière plan sont celles de l’Entre-deux-guerres.

–La culture française stéréotypée

Dans l’esprit Américain, ce fut la France, et surtout Paris, qui avaient toujours représenté le véritable cœur de la culture européenne. Aussi, l’attrait de la culture européenne était devenu énormément plus présent, à la suite des expériences personnelles des soldats Américains déployés en France de 1917 à 1919. Il en résultat un mythe (et une mode) francophile important. Or, entre les deux guerres (ainsi que pendant et après la Deuxième), les artistes Nord-américains furent légion qui traversèrent l’Atlantique pour s’abreuver à cette source.

Mais ce fut, aussi, un mythe fortement subjectif, car la mode ainsi adoptée n’était pas une véritable mode de culture française, mais une mode plutôt, de l’expérience américaine devant une culture (largement imaginaire) qui fut seulement créditée aux français. Objectivement, même, la culture française y était réduite à une caricature d’elle-même.

–Un Américain à Paris, 1951: Un pastiche d’époques, de mythes et de légendes

En 1951 il est apparu un film dans cette veine qui s’appelle “Un Américain à Paris” (An American in Paris, MGM). Ce film musical était mis en scène par Vincente Minnelli (1903 – 1988) qui était aussi (détail intéressant) le père de Liza Minnelli, vedette de “Cabaret”. Le premier rôle du film est celui du jeune artiste-peintre, Jerry Mulligan (Gene Kelly, 1912 – 1996), qui s’exila à Paris (selon la mode) pour approfondir son métier (et pour rencontrer les personnes influentes du milieu).

Comme vraie composition mythique, “Un Américain à Paris” est un pastiche littéraire qui contient des éléments –des clichés et des caractères– tirés de toutes les périodes pertinentes. Le titre même du film annonce cette intention, car il est emprunté à l’œuvre symphonique du compositeur américain George Gershwin (œuvre associée avec son séjour à Paris en 1928); mais l’action y est supposément située après 1945. Manifestement, les idées reçues qui y sont exhibées relèvent autant des souvenirs de la Belle Époque que de ceux de la rassemblement des troupes Alliées (pendant la Première Guerre); de ceux de L’Entre-deux-Guerres; et de ceux de la Libération de la France (à la fin de la Deuxième). Nous y trouvons, ainsi, tous les images-types, si bien connues au sujet des français (et des françaises) telle la fameuse “putain-au-cœur-d’or”, qui se montre, à la fois: abusée, démunie, et généreuse.

Ce serait ainsi, d’ailleurs, que “Jerry” déniche son modèle féminin de peinture d’observation (accessoire indispensable pour quiconque suivrait les traces des “moulins” du dix-neuvième): en libérant une voisine de chambre, prostituée, des griffes de son souteneur; libération qu’il effectue avec une démonstration concluante de la supériorité masculine (toute attendue par l’auditoire domestique du film) de l’Américain-type, devant son équivalent Français.

Et c’est la-dedans, justement, que nous trouvions la contradiction inévitable, qui se cache au centre de cette mythologie continentale. Car au cas où tout (de la France) était inférieur à sa contre-partie américaine (étant au mieux d’une saveur caractéristique agréablement amusante) pourquoi tant d’Américains, issus des classes intellectuelles et fortunées, y passèrent-t-ils tant de temps pendant la période houleuse de l’Entre-deux-guerres ?

— Une réalité qui dément la certitude suffisante de supériorité américaine

Pourquoi, au juste, Jerry Mulligan se sentit-il obligé de s’installer à Paris pour réussir sa carrière d’artiste? Pour trouver Milo Roberts (Nina Foch, 1924 – 2008), cette mécène-héritière (autre stéréo-type inéluctable): qui lui fait les premiers achats de ses peintures; qui lui fournit ses entrées auprès des collectionneurs; et qui promet de financer son premier véritable vernissage (tout en tentant de l’accaparer –selon l’échange habituel– en amant-gigolo)? Pourquoi, d’ailleurs, ce personnage caricatural de l’élite américaine s’y trouva-t-elle?

Était-ce uniquement parce que certaines personnes pouvaient assouvir, plus ouvertement à Paris (ou à Berlin), des goûts sexuels qui se trouvaient encore interdits chez-eux? Se procurer plus facilement des stupéfiants? Ou simplement y vivre à moindre frais (à l’image du tourisme Thaïlandais de nos jours, alimenté –d’après la légende– par des pédophiles, par des adeptes de la drogue, et par des bohèmes aux moyens des plus modestes)?

Avec respect: Cela ne se peut pas. Car au-delà des questions de mode, de préférence artistique –ou de tourisme d’élite– il existait aussi des réalités plus concrètes, et plus profondes:

–L’importance toujours centrale, de l’Europe, dans le destin mondial

À cette époque encore, outre l’Amérique (et le Japon): tous les Grands Puissances du monde (l’Allemagne, la Grande Bretagne, la France, l’Italie, et même la Russie par sa partie occidentale), se trouvaient collées ensembles, de manière fortement armée et manifestent instable, dans ce tout petit sous-continent Européen.

Oui, les tribulations du passage vers la modernité avait fait de l’Europe un pays appauvri –presque pathétique– où tous les moyens (et tous les trafics) étaient devenus des stratégies de la vie courante. Mais le poids prépondérant de la population occidentale y était toujours; l’histoire et les artefacts de son histoire s’y trouvaient; les innovateurs des tendances dominantes contemporaines s’y trouvaient également en grand nombre (dont certains Américains en exile). Et circonstance tant significative: l’Europe ne se résignait aucunement au dépérissement annoncé; car ses habitants luttaient –âprement encore– contre les revers de leur Destin troublant.

Et c’est ainsi que s’est produite cette confluence historique extraordinaire: Dans une seule génération, non seulement Adolf Hitler (1885-1945) mais Benito Mussolini (1883-1945), et Joseph Staline (1878-1953), s’y trouvèrent activement à l’œuvre au mème moment (comme un trio infernal de Bonapartes en puissance); et non ces hommes charismatiques, seulement: mais les souches, les adeptes (et les futurs) de leurs idéologies respectives. Manifestement, alors, en s’approchant de la reprise des hostilités (1939), l’Europe se trouvait toujours au centre du monde (autant géo-politique que culturel); et c’était manifestement leur état psychologique –des Européens– qui devait déterminer le futur planétaire immédiat.

Voilà, donc, pourquoi les enfants sur-doués de l’Angleterre et de l’Amérique –les artistes en devenir et les élites instruites– se réunissait à Berlin, et à Paris, pendant l’Entre-deux-guerres. C’était un simple déplacement, instinctif, vers les couleurs vives et vers les bruits forts: pour témoigner du drame en devenir.

Malheureusement, aussi, cette psychologie européenne en était une des plus ameres possibles: une amertume découverte par de Musset après la déroute de la rêve Impériale (1814); une amertume redoublée dans la frustration du rêve Teuton (1918); une amertume devenue palpable, même dans un Empire Britannique déjà chancelant sur le bord du banqueroute avant la Deuxième Guerre; et une amertume ressentie dans les attentes déçues de la Révolution Russe.

À la fin, ce fut cette amertume profonde qui faisait son irruption fatale, et de la part des Fascistes, et de la part des Socialistes –Teutons et Slaves– qui produisit une destruction humaine et matérielle tellement énorme que ce qui semblait impossible (tout dernièrement encore) devint réalité; c’est à dire: la descente des grandes puissances européennes au rang réduit de pouvoirs régionaux (à la seule exception de la Russie) après 1945. À ce moment, et à ce moment seulement, la dominance américaine fut véritablement établie.

Et pourtant ! Les artistes et les penseurs américains pouvaient toujours relativiser (et idéaliser) l’expérience européenne, à la maniéré de “Un Américain à Paris”, ou encore, de “Gigi” (un autre des grands films musicaux du même auteur, Alan Jay Lerner, 1918 – 1986); mais l’Amérique était une branche sur le même arbre civilisationnel; la même flèche fatidique lui avait pénétré tout aussi profondément (quoique de façon moins visible); et le mème sens de futilité qui avait été découvert devant la guerre industrialisée (par les Anglais, par les Français et par les Allemands) –cette même perte de confiance paralysante, cette même perte de mission nationale– deviendrait maintenant le lot des américains.

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Un moment exquis d’équilibre, de force, et de grâce éthérée: Gene Kelly (1912-1996); Leslie Caron (1931- ).

Les décors et les costumes (des figurants) sont ceux de la Belle Époque.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Sous-section III a) : L’Entre-deux-guerres, la Dépression et la Prohibition — Chapitre: Le véritable “Américain à Paris” : Henry Valentine Miller)

H.K. : La conclusion d’une introduction

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre: H.K. : La conclusion d’une introduction)

-Un devoir de dépasser les impressions superficielles

Malheureusement pour Helen Keller –et aussi pour notre compréhension présente de sa contribution à la pensée de notre espèce– les préjugés du départ qui entourent ce personnage, étaient (et seront toujours) extrêmement difficile à surmonter.

En examinant les témoignages vidéos existants (archives 1, archives 2) par exemple, nous constatons immédiatement l’effet de ce qu’elle qualifiait, elle-même, de son plus grand regret personnel –non sa surdité, ni son aveuglement– mais bien la pauvre qualité de ses paroles livrées à haut voix. Car en raison de ce défaut, Helen se trouvait dans l’obligation d’utiliser, toujours, une assistante pour répéter plus convenablement ce qu’elle disait; et cette circonstance lui imposait, de par le fait même, un filtre et une distance dans son rapport avec son auditoire (en plus de produire une image visuelle suggérant, d’avantage, le caractère d’une personne à part, sous la protection –et sous la tutelle– des tiers).

Mais essayons quand-même à dépasser ces préjugées indissociables (autant à l’époque que de nos jours) de la personne handicapée (et surtout de la personne dont le handicap résulte dans une faculté de parole largement incompréhensible). Essayons de considérer les faits, plutôt, tels qu’ils devaient apparaître au premier concerné. Soyons assez perspicaces à l’étude des vidéos survivantes, pour retenir cette image, plutôt, d’une femme souriante: possédant un posture vertical de danseuse; enjouée; utilisant chaque atome d’avantage –d’intelligence et de grâce– dont elle pouvait se prévaloir. Créditons cette image comme indice fidèle de la vraie Helen Keller, et non s’attarder à la voix, décevante, qui nous rejoint à travers la barrière de la surdité.

Admettons, au contraire, et même dans cette instance, la grandeur de l’exploit: d’avoir cultivé la parole jusqu’à ce point avancé sans pouvoir s’ajuster, ni selon les sons émis, et ni même par l’étude visuelle de ses interlocuteurs.

— Une époque où l’on risqua tout, et Helen encore plus qu’un autre

Pour Helen Keller, et tel que décrit, les luttes du vingtième siècle étaient franchement engagées, et non comme simple témoin impuissant de passage, mais bien comme idéologue influente. Et au-delà des sacrifices spéculatifs ultérieurs (acceptés d’emblée par tout combattant lucide), Helen s’était engagée aussi, dans l’immédiat, avec des risques de pertes financières appréciables, qui serait spécifiques à elle.

Car tout le personnage public de cette demoiselle avait été bâti sur la légende (et sur la réalité) de son miracle personnel. Ce fut un caractère qui lui gagnait une sympathie universelle; qui lui ouvrait toutes les portes; et qui, en particulier, lui garantissait, et les fonds requis pour vivre, et ceux employés pour poursuivre ses œuvres dans le domaine de l’éducation des sourdes et des aveugles. Or, des déclarations publiques et partisanes, comme celles rapportées ci-avant, ne pouvaient qu’aliéner des intérêts et des donateurs importants.

Souvenons nous, à cet escient, que Helen avait publiquement proclamé sa lutte “à finir” comme étant une contre “le système économique sous lequel nous vivons” et rien de moins. Très certainement, les pertes financières auxquelles elle s’exposait en utilisant une telle rhétorique (quoique impossible à estimer avec précision) risquaient d’être très appréciables –et peut-être même déterminantes– pour sa carrière de récolteuse de fonds charitables.

Souvenons-nous également des implications financières de l’handicap: Car pour Helen Keller, dans sa précarité première, les risques de pauvreté seraient toujours infiniment plus grands que celles de ses concitoyennes « normales » tandis que les besoins minimaux de sa survie, dans la dignité, seraient d’autant plus grands, de sorte que toute perte subie serait plus importante pour elle que pour un autre.

Il serait toujours facile de se berner dans l’imagination que Mlle Keller était tout simplement inconsciente des conséquences de ces gestes, de la portée de ses dires. Mais aux contraire: elle en était lucidement consciente; et consciente, aussi, du fardeau de la lucidité; une conscience, d’ailleurs, qu’elle partage avec nous dans les mots suivants:

“Les gens (sic) n’aiment pas penser. Si nous pensons, nous devons arriver a des conclusions. Les conclusions ne sont pas toujours plaisantes.”

À la fin, en essayant de me représenter la réalité de cette femme, à Carnegie Hall en 1916, qui se présentait devant des milliers de personnes: incapables de les voir; incapable même d’entendre les réactions à son discours (mais finement sensible à toute vibration ambiante, et submergée, donc dans les tonnerres de la foule); guidée par sa compagne fidèle; seule devant le microphone où elle prononça son discours dans le silence absolu; incapable surtout d’entendre sa propre voix –et de livrer par l’occasion un message d’une telle combativité!

Le tout me semble presque impossible de description.

— Un dernier regard sur la stature du personnage

Décidément, nous sommes ici (et je le répète sans peur de contradiction) devant un esprit proprement héroïque: qui habita une période historique particulièrement bien adaptée à son caractère; où elle figurera, à tout jamais, parmi les personnages les mieux remémorés.

Exagération ? Eh bien, considérons les faits:

Albert Einstein, celui qui passera toujours pour la première intelligence de sa génération, disait lui-même que cette place appartenait plutôt à Mlle. Keller.

Aussi, le premier homme d’action contemporain, celui qui scella les destins de millions d’hommes sous les armes, en Europe comme en Russie; celui qui aurait certainement réalisé une victoire Allemande sans l’intervention Américaine (et qui fut élu, plus tard, à la Présidence de la République Allemande) était Paul von Beneckendorff und von Hindenburg. Mais lequel, des deux, est le mieux connu de nos jours : le nom d’Helen Keller ? Ou celui de Von Hindenberg ?

La réponse, apparemment, se détermine seulement par la compagnie dans laquelle serait posée cette question. Car ma fille cadette connaît très bien (à quinze ans) le personnage d’Helen Keller –tandis qu’elle ignore, encore, tout du Général.

Mais peu importe. Ces deux personnages partageaient, de toute évidence, des caractères spécialement accordés à cette époque d’exception (qui fut celle de la Grand Guerre). Et aussi surprenant que cela puisse nous paraître, il paraîtrait qu’ils partageaient, également, une capacité importante d’embrasser la mort, industriellement administrée, en sous-produit inéluctable de ce qu’ils croyaient, tous les deux, être des réponses rationnelles aux défis de leur époque. Car c’était cette époque elle-même qui les sélectionna.

En ce qui concerne notre sujet premier, c’est à dire l’euthanasie (et plus particulièrement l’euthanasie utilitaire), je crois que seulement le climat de violence et de mort, extraordinaire, de 1915 –préparé depuis cinquante ans dans l’extrême militarisation nationaliste; articulé avec les moyens techniques de l’industrialisation moderne; et normalisé, finalement, au quotidien d’une Guerre Totale de durée indéfinie– ait pu expliquer, adéquatement, l’irruption soudaine (dans un pays pourtant dédié à la proposition de l’égalité des personnes) d’un débat sérieux au sujet de l’euthanasie utilitaire des enfants handicapés.

Or, qu’Helen Keller ait été choisie pour être celle qui définirait, pour toujours, les paramètres de ce débat –par le sort, par l’histoire, par ses capacités particulières, ou par son ambition propre– est un simple constat du fait. Et de ce fait, elle aurait gagné le droit, indéniable, que l’on transcende les croyances et les préjugés superficiels entourant son personnage mythique, pour s’attarder froidement sur le sens exacte de ses paroles.

Enfin, c’est n’est rien d’autre que cela, qu’elle nous demande directement dans ses dires; et nous avons le devoir, je le répète (dans le respect que nous la tiendrons toujours): à la prendre au mot.

Mais avant de pouvoir procéder dans ce sens, et pour mieux comprendre le tout, j’inviterais le lecteur à s’attarder brièvement, dans la suite, sur les traditions philosophiques (encore largement dominantes à son époque) contre lesquelles Mlle Keller devait se mesurer, pour avancer sa thèse révolutionnaire.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie – Section III – Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre : Une heureuse occasion pour décrire, enfin, une tradition plus positive)

“Bonheur”, “Intelligence”, et “Pouvoir” versus “Espoir”, “Foi”, et “Amour”: une fausse représentation de la satisfaction véritable, autant dans la vie “normale” que dans celle des personnes handicapées

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV : La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: “Bonheur”, “Intelligence”, et “Pouvoir” versus “Espoir”, “Foi”, et “Amour”: une fausse représentation de la satisfaction véritable, autant dans la vie “normale” que dans celle des personnes handicapées)

–Au-delà de l’économie utilitaire: des préjugés coriaces

Tel que relaté dans notre dernier chapitre, les objectifs de notre héroïne (en proposant un régime d’infanticide sélectif) relevaient, avant tout, des exigences utilitaires de l’économie collective.

Dans son environnement contemporain, cependant –toujours dominé par la morale chrétienne– l’argument économique direct était conventionnellement irrecevable. Et c’est ainsi que Helen ait voulu utilisé le lexique eugénique: pour contourner les scrupules moraux de son auditoire traditionnel, en s’adressant simultanément à ses aspirations les plus élevées, et à ses préjugés les plus sombres.

En particulier, face à la notion de valeur “sacrée” (de la vie): la réception favorable des conclusions de Mlle Keller dépendrait du fait préalable que son auditoire eût été bien persuadé que ces êtres dépendants ne sont pas de véritables “personnes”. Or, pour tirer cette distinction, Mlle Keller présenta sa liste, personnelle, des qualités nécessaires à la vie « sacrée », et dont certains handicapés en sont (selon elle) dépourvus.

–Des charges morales: qui demandent une réponse sur leurs mérites propres; mais qui servent, surtout, de digression pour masquer l’économique cru

Clairement, cette liste de qualités positives est très révélatrice au sujet des préjugés partout partagés (d’antan et d’aujourd’hui) concernant les vies qui méritent (et qui ne méritent pas) de vivre. Décidément, aussi, il nous serait tout autant profitable de nous attarder sur le fondement de ces idées reçues.

Malheureusement, je sais très pertinemment, aussi, qu’en ce faisant nous nous prêtons volontiers au jeu préparé par Mlle Keller, qui consiste tout simplement à “noyer le poisson”: en multipliant à l’infini les digressions dans le discours; et en détournant notre regarde du seul élément réellement essentiel (l’argument économique): qui agit sans cesse en sourdine, avec un effet d’autant plus formidable qu’il ne soit si peu soumis à l’attention directe.

Souffrant moi-même, pourtant, de handicaps importants, je me sens viscéralement incapable de laisser passer ces calomnies; de permettre que cette discussion de la valeur humaine soit articulée, seulement, au niveau du regard extérieur. Je souhaiterais, donc, que le lecteur bénéficie d’une analyse qui ne soit pas bâtie, uniquement, à partir de peurs irrationnelles émanant des personnes indemnes; de peurs fondées, essentiellement, dans l’ignorance.

Ou encore: considérant que ce débat nous présente un choix fondamental entre des systèmes éthiques de souches opposées (centrées pour l’une dans la subjectivité personnelle, et pour l’autre dans l’objectivité collective), je ne peux m’empêcher –au moins un instant– de parler dans le langage de la subjectivité.

Alors (une fois de plus): quels sont (selon Helen Keller) les attributs nécessaires à la vie « sacrée » ?

–Le bonheur

Premièrement on y trouve « le bonheur », avec la suggestion sous-jacente qu’une vie malheureuse ne vaudrait pas la peine d’être vécue.

Mais quel énoncé extraordinaire !

J’ignorerais, pour l’instant, l’énormité de la présomption que l’on puisse porter un jugement extérieur sur ce fait des plus subjectifs qui soit l’expérience du bonheur. Je me contenterais simplement à signaler que le bonheur est une émotion contextuelle. Comme nous le savons tous, la même personne serait plus facilement heureuse (ou le contraire) dépendant des circonstances qui l’entourent, sans que soient altérées les caractéristiques qui la définissent pour elle-même; ou autrement dit: sans qu’elle ne soit plus ou moins intelligente, ou plus ou moins puissante (pour reprendre les caractéristiques spécialement retenues par notre auteure).

En fait, les apôtres des droits des personnes handicapées prétendent, et non sans raison: que l’état malheureux, si généralement associé (dans l’imagination populaire) avec la vie handicapée, soit d’abord, et avant tout, le résultat des piètres conditions dans lesquelles la collectivité aurait choisi –par mégarde, par impuissance, ou par dessin– que ces mêmes handicapés ont dû, si souvent, poursuive leurs vies.

Mais surtout, l’idée sous-entendue (qu’une vie malheureuse ne vaudrait pas la peine d’être vécue) est une proposition aberrante, très évidement rejetée dans la pratique –partout et toujours– par tous ceux et celles qui s’obstinent à vivre, malgré leurs chagrins particuliers.

— L’intelligence

Considérons maintenant l’intelligence: choisie par Mlle Keller, certes, du fait qu’elle possédait cette faculté dans un degré supérieur; et qu’elle serait, donc, portée naturellement à créditer cette intelligence comme le moyen par lequel elle était parvenue, elle-même, à réaliser une certaine mesure de bonheur.

Mais imaginons, un instant, qu’Helen n’eût pas été entourée de personnes motivées par l’amour (et qui plus est: des personnes pourvues de moyens substantiels qu’elles s’efforcèrent à déployer pour son bien). Imaginons, au contraire, qu’elle eût été assujettie –comme tant d’autres « déficients »– à la négligence (sinon à l’abus grossier) de la part d’un entourage indifférent, ou franchement hostile ?

Eût-elle été aussi « heureuse » ?

Imaginons ,enfin, une autre jeune fille similairement sourde et aveugle, peut-être moins douée de l’intelligence celle-là, mais qui eût eu, aussi, la chance d’être entourée d’amour et de tendresse, respectueux et protecteurs. N’est-ce pas possible que cette fillette ait été encore plus heureuse qu’une Helen Keller négligée ou activement abusée –aussi intelligente soit-elle– et même pour tout dire (dans les limites de son destin moins extraordinaire) toute aussi heureuse qu’Helen Keller, telle que nous l’ayons réellement connu ?

–Le pouvoir

Finalement, considérons le « pouvoir », troisième attribut choisi par Mlle. Keller pour définir la vie dans son caractère « sacré ».

Dépassons rapidement les associations évidentes de ce mot avec la poétique rustre du néo-primitivisme romantique, tant influente dans sa génération (et citée ailleurs dans ce pages); le culte Teuton de la jouissance dans la force primaire de la jeunesse, par exemple (raconté par Tacitus et repris par Mendel). Admettons, surtout, que cette phase de vie magique ne dure qu’un moment, éphémère, dans l’expérience de l’individu type; et dont la plein valeur serait appréciée, d’habitude, seulement après son passage.

Que signifie, alors, le “pouvoir” (ou la “puissance”) dans la vie normale?

Est-ce le pouvoir de vivre de façon entièrement indépendant de l’aide d’autrui ? (Mais combien de personnes peuvent ou voudraient réellement vivre ainsi ?) Ou est-ce, au contraire, le pouvoir d’engager et de commander le travail d’autres personnes, de sorte que nos impuissances soient masquées et même éliminées (c’est-à-dire le pouvoir tel qu’Helen –et tous les autres membres des castes supérieures, passées et présentes– l’ait réellement connu, avec la dévotion de ses servants, et de ses amis) ? Ou est-ce les deux à la fois, un pouvoir (toujours déficient) de l’individu humain: partiellement amélioré (dans notre modernité) par un entrepreneuriat engagé dans le développement constant de machines et d’applications toujours plus performantes (dans la sphère de l’autonomie personnelle); mais ultimement soutenu par un engagement social pour pallier aux déficiences résiduelles (manifesté parmi l’entourage intime d’abord, mais public au besoin), un engagement informé non par le mépris, mais par le respect de la personne assistée ?

Il y aurait, donc (et tel que déjà remarqué), un argument très fort à présenter du perspective des droits de la personne handicapée, à l’effet que le « pouvoir » (de toute personne) n’est pas déterminé par son état physique, ou mental, autant que par la place qu’il lui soit permis d’occuper dans la société environnante.

–Un monde où la normalité et l’état handicapé se confondent dans les faits

Pour constater plus généralement les niveaux, typiques, de “pouvoir”, “d’intelligence”, et de “bonheur”, convenons-nous seulement des faits suivants:

Nous vivons actuellement dans un monde habité de personnes dites « normales » dont la moitié (par définition) présente des quotients intellectuels de moins de 100, et pour le quart, inférieur a 90; nous vivons, aussi, dans un monde peuplé de personnes “normales” qui sont objectivement incapables d’imposer leur volonté (ni d’échapper à l’imposition des volontés extérieures), et cela, quelque soit la qualité de leurs capacités physiques; et finalement, nous vivons dans un monde ou grand nombre de personnes –parfaitement “normales”– se qualifient de malheureux.

Nous vivons, donc, dans un monde qui comporte une fraction importante de personnes n’ayant ni “l’intelligence” ni le “pouvoir” valorisés par Mlle Keller, et dont le bonheur –dans la mesure où elles le possèdent– ne dépendent pas de ces caractéristiques. Il dépend plutôt, de certaines forces positives de la psychologie humaine, traditionnellement nommées “l’espoir” (une attente positive toujours renouvelée); la “foi” (une confiance transcendante); et “l’amour” (qui en est l’expérience et l’expression: un lien de bienveillance –à l’égard du tout– qui dépasse l’intérêt personnel); des forces, enfin, qui rendent l’esprit heureux: dans l’absence, même, du “bonheur”.

–En dernier lieu: l’amour

Ce sont des mots (avec tous leurs synonymes) qui sont partout présentes dans les écrits de Mlle Keller (cette dame qui les vivait –et qui les personnifiait même– dans un degré tant exceptionnel). Son récit des bienfaits de l’euthanasie, cependant, s’en trouve entièrement dépourvu; et plus particulièrement: en est

absent “l’amour”, ce mot dont le sentiment sert de moteur ultime pour tous les actions, positives, de nature sociale.

Car Helen (malheureusement) s’est apparemment décidée –lucidement et froidement– de refuser cet amour (tant évident partout ailleurs dans son discours) à ce qu’elle appelle des « pauvres créatures, malformées, paralysées, et idiotes », sauf (bien sur) dans la mesure où le geste de tuer peut, lui-même, s’interpréter en geste d’amour.

–Un commentaire personnel en guise de conclusion

Cher(e)s lecteurs et lectrices: j’avoue que ce sont mes propres expériences de la vie “déficiente” qui me fait ainsi insurger contre les préjugés arrogants véhiculés par Mlle Keller. Et pour m’y objecter –en fait pour me protéger personnellement, des conséquences fatales ici suggérées– il me semble nécessaire d’offrir une fenêtre plus directe sur la subjectivité des personnes concernées, et sur nos désirs, presque universels, de survivre.

Pour écarter toute ambiguïté : je veux vivre.

Aussi, sachant que ma survie dépendent ultimement de la volonté des tiers: j’aimerais faire tout mon possible pour stimuler, chez le lecteur, une sympathie protectrice qui soit fondée dans l’expérience de notre humanité commune.

Mais toujours est-il –dans la logique de l’euthanasie utilitaire– de telles considérations subjectives sont entièrement sans rapport.

Car selon l’ethos social de Mlle Keller –c’est-à-dire pour tout collectiviste lucide et conséquent (voire tout marxiste, ou fasciste, “réaliste”)– seulement la valeur objective de l’individu (à l’égard de la collectivité) peut justifier son existence.

Or, perçus ainsi: les handicapés –intellectuels ou physiques– exigent l’octroi de ressources importantes, sans pouvoir contribuer dans une mesure équivalente.

Tel serait, sans détour, la justification profonde de tout régime d’euthanasie utilitaire. Le reste ne consiste, malheureusement, que d’astuces rhétoriques et de digressions dans l’argument.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire: (Tome Deuxième: Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C: L’euthanasie et l’idéologie — Section IV: La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: Helen Keller et l’aveuglement rationalisant du subjectif)