Deprecated: Le crochet jetpack_pre_connection_prompt_helpers est obsolète depuis la version jetpack-13.2.0, sans aucune alternative disponible. in /hermes/bosnacweb01/bosnacweb01an/b2067/nf.euthanasiediscussion/public_html/euthanasiediscussion/wp-includes/functions.php on line 6078
Le profil littéraire des années Vingt et Trente : une vie de paix, à peine plus certaine que la guerre précedente - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Le profil littéraire des années Vingt et Trente : une vie de paix, à peine plus certaine que la guerre précedente

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : L’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Le profil littéraire des années Vingt et Trente : une vie de paix, à peine plus certaine que la guerre précédente)

.

F. Scott Fitzgerald (1896 – 1940) : succès littéraire tout jeune, et voix consacrée de ce qu’il appela, “l’Âge de Jazz”.

Zelda Sayre (1900 – 1948) : aristocrate de souche Sudiste. Elle fréquente Fizgerald dès 1918, mais rompe leur engagement présomptif devant les pauvres prospects financiers de ce dernier. Les deux se marient, pourtant, en 1920 suite à la réussite d’un premier roman, “L’Envers du paradis”. À 19 et 23 ans, alors, les Fitzgerald deviennent l’un des couples iconiques de la société mondaine des “Années folles”.

— 1919 : une profondeur de rupture pas encore devinée

Avec l’urgence universelle, produite par la Première Guerre, il s’est manifesté l’éclosion franche d’une culture parallèle, dite « gaie » (selon l’ancien usage de ce mot), qui se positionna en opposition ouverte à tous les fondements acceptés du devoir social. Ce fut, certes, une culture déjà bien vivace en souterraine, depuis très longtemps (et peut-être même depuis toujours). Mais elle fut, aussi conventionnellement supprimée : au moins dans la diaspora Anglo-Saxon ; et au moins en surface. Or, devant cet effondrement contextuel (et devant les doutes si profondément insufflés dans les certitudes reçues), ces influences ont pu se répandre, pour s’épanouir dans la place publique. Et cette mouvement, aussi, n’était que le symptôme d’une désintégration culturale, plus profonde, qui prendrait au-delà de cent ans pour se réaliser, et pas entièrement même, encore aujourd’hui.

Car les modes dominantes dans la culture humaine se dirigent comme des grands paquebots sur la mer : il peuvent changer de direction, certes, mais ces changements — même quand ils sont franchement engagés — prennent beaucoup de temps, et beaucoup d’espace, pour s’accomplir.

Au début de l’année 1919, donc, au moment du retour des soldats américains des champs de bataille européens, la direction générale de la société plus large restait franchement celle du moralisme progressiste (ce qui explique le passage immédiat des amendements jumeaux — de la Suffrage féminine, et de la Prohibition des boissons alcoolisées — tous deux dans le plus grand enthousiasme).

Le ton populaire, cependant, n’était aucunement porté vers la modération. Aussi, en Amérique, la crise économique n’arriva pas, comme en Allemagne, tout de suite avec les séquelles de la défaite ; ni comme en France, bientôt, en conséquence inévitable de l’appauvrissement de leur voisin prépondérant, principal producteur (et consommateur) de toute l’Europe. Au Nouveau-monde, il y avait un période de dix ans heureux, de 1919 à 1929, au cours de laquelle les Américains savouraient leur victoire dans un moment prolongé de prospérité impressionnant, mais très fébrile, auquel fut accordé le sobriquet tant descriptif des « Années Folles ». Dix ans, alors, dans lesquels la nouvelle tendance hédoniste pouvaient mûrir (ironiquement) dans l’expérience illicite de délinquance volontaire, par excellence, qui fut la Prohibition

Visiblement, cependant, l’ancien courant progressiste dominant, toujours universellement crédité de manière collective, accepta cette période “folle” comme une effervescence normale et passagère, parmi une jeunesse détournée des considérations sérieuses de la vie, de façon seulement ponctuelle et temporaire.

Comme les faits ne tardèrent pas à le signaler, pourtant : il n’en était rien.

— La difficulté de séparer la réalité de la représentation des faits

Toujours est-il : que notre fenêtre sur ces réalités passe par la conscience des auteurs, des intellectuels, et des artistes qui les documentèrent de leur manière ; que ce sont, d’emblée, des personnes assez exceptionnelles (voire : marginales aussi) ; et que les préjugés personnels très particuliers de ces personnes — sans changer la nature essentielle des phénomènes décrits — en colorie très certainement les impressions que nous en recevons. Il se peut fortement, en particulier, que l’excitation ressentie en énergie artistique positive (parmi une certaine intelligentsia bien nantie et leurs protégés) n’ait pu que très pauvrement communiquer la véritable dimension dramatique de cette période, vécue par des personnes plus ordinaires.

Mais avec cet avertissement présent à l’esprit, je tenterais toujours de rappeler quelques uns des plus influents dans la formation des mythes que nous en retenons.

— F. Scott Fitzgerald

L’ouvrage le plus souvent sélectionné en icône de cette période “folle” (non seulement de la Prohibition mais aussi de l’émergence d’une véritable culture populaire), livre largement enseigné à l’école, aujourd’hui, est “Gatsby le magnifique” (The Great Gatsby, 1925) de F. Scott Fitzgerald (1896 – 1940).

Ce livre n’est aucunement un éloge à l’hédonisme décadent. Il en est une dénonciation. Aussi, présent-t-il cette particularité que Fitzgerald ne fait pas sa critique à la maniéré habituelle, en condamnation de l’aristocratie : même si le caractère principale, Jay Gatsby, est ultra-riche ; et même si plusieurs des flèches littéraires sont dirigées à l’endroit des pique-assiettes attirés par sa richesse. L’originalité de “Gatsby”, au contraire, demeure dans le fait que ce livre fournit une première dénonciation du matérialisme supposément typique de l’Ère Industrielle, et des “nouveaux riches”, culturellement analphabètes, qui en sont devenus les représentations littéraires. En somme, F. S. Fitzgerald ne faisait plus la critique de l’Ancien Régime mais de la Nouvelle Ordre (une création fondamentalement Américaine). Et à sa grande renommée subséquente, il fut celui qui définissait, en premier (et à tout jamais) cette caricature des Américains (et de la société américaine) comme étant riches et puissants, uniquement à la mesure de leur ignorance, et de leur superficialité.

(Un caractérisation, d’ailleurs, que je trouve grossièrement injuste. Car sinon : comment expliquer les sources d’une auto-critique — typiquement américaine elle-même — tant exigeante ?)

La description de Gatsby, comme personnage, est celle d’un homme essentiellement gentil ; garçon de famille “bien”, mais modeste ; devenu riche par la commerce d’alcool illicite. Il désire bien paraître, et son goût — dans l’architecture de sa maison, dans les meubles, dans le vêtement, et dans l’art — se résume à acheter ce qui est le plus cher, sans exprimer de préférence personnelle. Les personnes qui l’entoure, d’ailleurs, pratique la même stratégie au niveau des fréquentations, s’attachant à Gatsby pour la simple raison qu’il soit le plus riche, et qu’il accepte la générosité d’un grand train de vie, ouvert à tous, comme une dépense nécessaire à l’image sociale qu’il désire projeter.

Il s’ensuit des descriptions d’excès — de consommation, de débauche, et de vulgarité — non extravagants, mais ternes seulement, auxquelles Fitzgerald ne donne le moindre cachet, ni de sophistication ni de noblesse décadente. Au contraire, il dépeint une vacuité de petitesse, et de prétention grotesque, où les beautés figurantes manquent les moindres traces d’éducation et de culture, et ou l’émulation des comportements se fait plutôt du plus haut vers le plus bas, au contraire de l’usage attendue.

Fitzgerald lui-même, quoique de statut modestement “bien” (comme son anti-héro à l’origine), exhiba des caractéristiques exactement contraires. Car il était de nature romantique. Il avait fait des études universitaires coupées courtes par le service militaire (passé aux E.U. en études d’officier de 1917 à 1918). Il n’avait pas combattu, donc, mais la guerre avait tout de même brisé la trajectoire de sa vie. Il faisait partie, alors, de cette génération qui se prétendit “perdue”. Or, en artiste rapidement arrivé (des vingt-deux ans avec un premier roman de grand succès), notre auteur connaissaient très bien la vie sociale, instable et fondamentalement illicite de la Prohibition. Il en était, aussi, profondément rebuté. Comme tant d’autres, cependant, il céda à l’alcoolisme ambiant et en mourut à l’âge de 43 ans. Il incarna, donc, les contradictions de sa génération, possiblement autant dans sa propre vie que dans son œuvre littéraire

L’une des métaphores récurrentes qu’utilisa Fitzgerald pour traduire son impression de cette société, éblouissante mais fade, employait l’image grise et poussiéreuse des terres desséchées de la nouvelle zone industrielle du Nord-Est américain, étendues sans vie sous les hautes tours exhalant les fumées, âcres, de charbon, d’acier, et des raffineries pétrolières ; une teinte grise que Fitzgerald disait retrouver dans les visages autour de lui.

Gatsby le Magnifique se présent, alors, en plainte personnelle et en condamnation collective, essentiellement réactionnaire. Car malgré son importance de témoin, Fitzgerald faisait toujours partie (au moins par les sentiments) des moralistes déconfits de l’Avant-guerre. Il avait, cependant, la lucidité et l’honnêteté pour identifier dans cette déchéance sociale, tant évidente, une nouvelle direction dominante.

Car au fur et à mesure que la crise économique s’avança, et plus que la vraie vie devint pénible, plus aussi, que l’idéal populaire nourrissait l’ambition, et le désir, de se joindre aux plaisirs des riches (ou au moins d’en singer les tendances et les attitudes).

— Derrière le mythe extravagant, un fond fortement nuancé

Décidément, notre image rétrospective des années vingt en est une de gaieté et de libération généralisées. L’expérience des personnes concernées, pourtant, fut tout autre. Un nouveau cynisme dans les mœurs et dans les attentes, importé par les jeunes hommes de leurs expériences insolites en Europe, ainsi que l’adoption instinctive d’une délinquance révoltée face à la Prohibition, exposa, certes, toute la jeunesse ordinaire à un niveau de tentation sensuelle jusqu’alors inconnue ; une tentation qui se transforma, aussi, avec la pauvreté de la crise des années trente, dans un obligation difficilement contournable pour grand nombre de la gent féminine.

Car selon la coutume reçue, fallait-il se marier pour jouir des plaisirs conjugaux. Mais très nombreux furent les jeunes hommes, incapables, pour raison émotive ou pécuniaire d’entreprendre une telle responsabilité. Alors les mariages ne se faisaient pas en nombre suffisant. Et pourtant, les imperatifs biologiques de la jeunesse ne furent en rien réduites pour autant. Inévitablement, alors, les limites de la convention (et de la prudence) furent étirées et dépassées. Pour les personnes romantiques ce fut un drame intolérable ; pour d’autres moins raffinées, une opportunité de plus pour profiter des moins fortes ; d’où l’origine présumée de cette plaisanterie typique de l’époque : “pourquoi acheter une vache quand je peut avoir le lait pour rien ?”

Mais avant de conclure d’une dissolution général de comportements, attardons-nous à ce fait remarquable : qu’entre 1920 et la fin de la crise en 1940, le taux de natalité américain avait tombé de 3.3 enfants (par femme) à seulement 2.0, un nadir historique à l’époque, bien en déca du taux de 3.7 enregistré vingt ans plus tard en 1960 (et à peine plus haut que le taux actuel). Aussi, en regardant ces chiffres faut-il s’en souvenir que les antibiotiques (et donc l’avortement sécuritaire) n’existait pas dans les années trente ; et la pilule anticonceptionnelle, non plus. Alors il semblerait, en réalité, et loin des mythes reçues, que les jeunes adultes faisaient des efforts d’abstinence tout à fait extraordinaires à ce moment.

Évidemment, cependant, les écarts isolés se produisirent, nombreux, de nécessité. Et ces épisodes, dont les résultats dépendaient surtout de la chance, marquaient profondément les vies des personnes concernées. F. Scott Fitzgerald, même, tout artiste mondain qu’il fut, parle de “inconscience” (en anglais : “sexual recklessness”) dans le fait d’avoir consommé les relations avec sa femme, Zelda, avant le mariage, et après seulement quelques mois de fréquentations amoureuses ! Or, telle réflexion, parmi telle compagnie, nous semblerait inconcevable aujourd’hui.

— La description cinématographique : Bad Girl (1932)

Trouver le courage pour croire au bonheur

.

Ainsi, cette nouvelle culture délinquante, qui se développa avec énergie dans les Années Folles (et qui se précisa avec la crise), se propagea largement au-delà des intellectuels, et des fortunes supérieurs, pour atteindre la masse des classes moyennes et ouvrières, dans les romans, et chose nouvelle : sur les écrans de cinéma (dont la capacité de communication — non-littéraire, et non-analytique, d’un message qui se mêle à l’expérience sensuelle — ne peut être ignorée).

Il y avait, à cet égard, surtout des récits légers où les protagonistes (mâles ou femelles) devaient survivre, d’abord, aux épreuves de passage, pour pouvoir trouver, enfin, la sagesse requise pour reconnaître le “bon” garçon ou la “bonne” fille. Mais il y avait aussi des tableaux plus sérieux, de critique sociale plus sombre, de perdition et de rédemption (voire : “Back Street”, Universal Pictures, 1932, avec versions subséquentes, 1941, 1961).

Or, entre ces deux pôles, se positionne une film comme “Bad Girl” (Fox, 1932) qui affront directement les questions de l’époque avec une perspective et avec un vocabulaire populaire : en mettant en scène deux jeunes caractères (Eddie et Dorothy), pleinement imbus des préjugés de l’âge ; chacun affichant un dédaigne pessimiste à l’égard des mobiles et des intentions de l’autre sexe ; et chacun (Eddie surtout) désabusé catégoriquement de tout intérêt familial. À ce sujet (selon l’opinion en vogue) Eddie prétexte la pauvreté de sa propre enfance comme raison pour éviter la venue d’une nouvelle génération destinée à souffrir les même torts.

En caractère secondaire se présente l’amie, collègue de travail, compagne des aventures, et conseillère de Dorothy, Edna, qui nous est révélée en mère célibataire (sans plus d’explications), au moment que Dorothy quitte de force l’appartement de son frère, pour s’installer chez sa complice. Or, l’un des principaux changements dans les attitudes sociales qui ressortirent de cette période, fut, justement, une perception plus sympathique (voire : plus réaliste) des mères seules, qui se concrétisa même dans l’extension de certaines formes d’assistance publique — jusqu’alors réservées aux veuves uniquement — à l’intention de femmes qui ne furent que simplement “abandonnées”.

Dorothy (« Dot »), pour sa part (avant de connaître Eddie), est une très belle jeune femme, qui excite et qui exploite, sciemment, les prétentions et les faiblesses de l’espèce masculin, en s’approchant, elle-même comme papillon, de plus en plus près de la flamme qui s’ouvre devant son orgueil propre — désinvolte et aigri — qui (comme devine le spectateur) la perdrait inévitablement.

Et pourtant… Les deux se rencontre, et ne cesse de découvrir, l’un dans l’autre — malgré toutes les présomptions de tort (surtout de Dot à l’égard d’Eddie) — un fond d’intégrité solide que l’extérieur désabusé cache, certes, mais ne changent pas. En particulier, la question fondamentale de l’enfantement, ayant provoqué les plus violentes disputes entre les deux, fondées sur des fausses présomptions d’intentions étrangères à chacun, est finalement résolue dans le bonheur complet.

Et c’est ainsi que se révèle, dans le médium le plus sensible aux émotions populaires : que ce qui désirait cette jeunesse, supposément tant sophistiquée, n’était rien d’autre que le simple bonheur conjugal, traditionnellement compris, et cela, même si, pour plusieurs, cet idéal resterait tristement inatteignable.

Paradoxe, par dessus paradoxe ; révolte, persévérance ; fatalité du sort.

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Les Années Folles se transforment en Crise profonde)

Laisser un commentaire