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gordon friesen, auteur sur Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

L’art rhétorique de manipuler son auditoire

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV: La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: L’art rhétorique de manipuler son auditoire)

–Convaincre par les sentiments troubles, la où des appels à la raison –ou à la vertu– ne suffisent plus

Les règles de la rhétorique pratique sont très différentes des règles pures de la logique. Car si, dans ce dernier cas, le but du logicien serait de faire la démonstration rigoureuse de sa thèse (c’est-à-dire, au mieux, d’en faire une preuve véritable), dans le premier, le rhétoricien n’essaie que de persuader son auditoire.

La logique joue un rôle important, certes, dans la rhétorique pragmatique (tant lamentée par Aristote au quatrième siècle av. J.-C, dans son manuel dédié à l’exercice idéal de cet Art); mais en réalité ce rôle demeure accessoire aux effets des préjugés, et des instincts irrationnels, excités délibérément par le rhétoricien dans la passion primaire.

Car, le rhétoricien n’hésite pas, dans son but persuasif, à employer des appels à toutes les forces, et à toutes les faiblesses, de l’esprit humaine –ses peurs, ses convoitises, et sa lâcheté autant que sa générosité et son courage– en exploitant l’ensemble des mobiles secrets du cœur humain, tant criminels que vertueux.

Dans le cas qui nous concerne ici, en présentant sa justification économique pour l’évacuation des nouveau-nés défectueux (glissée minimalement dans le texte avec deux ou trois mots ici et là), Helen Keller avait vite fait d’avoir épuisé son argument direct.

Admettons, que c’est un argument puissant; un argument sournois qui se recommande à tout le monde de manière instinctive; un argument, dans son application générale, qui permettrait bientôt la mise en marche de révolutions profondes à travers le monde. Aussi, les personnes qui épousaient cette vision éthique étaient gagnées d’emblée, facilement et définitivement. Mais c’était aussi, dans l’Amérique des années 1900, un argument minoritaire.

Car Helen Keller faisait toujours face à un consensus moral puissant, issu de l’Ère chrétienne, voulant que la vie humaine soit catégoriquement “sacrée” (considérée dans le général); et que les plus faibles demandent une protection charitable impérative (dans le particulier). Telle était l’opposition naturelle des traditionalistes, pour lesquels le meurtre d’un enfant handicapé (et plus encore, dans le seul but d’épargner de l’argent), devait être immédiatement répudié en crime honteuse.

Décidément, pour réussir dans ces conditions, la rhétorique de Mlle Keller devait prendre une forme plus complexe, plus émotive et moralement plus ambiguë.

–Dénaturer la Règle d’or, de sorte que “secours” signifie “destruction”

La tâche qui attendait ici notre auteure serait apparemment très difficile,

En premier lieu, la motivation de ses adversaires traditionnels se fixait dans un désir sincère d’agir pour le bien, non seulement de façon collective, mais dans une perspective de compassion individuelle; qui les demandait d’accorder la même importance à la subjectivité, de l’autre, qu’ils aient voulu accorder à leur subjectivité propre (« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux »—Matthieu 7 :12)

Pour justifier la mort des enfants handicapés, il aurait fallu qu’Helen Keller ait pu parvenir à susciter, chez son auditeur, le sentiment sincère que celui-ci souhaiterait lui-même mourir, au cas où il se trouverait dans les mêmes circonstances que la victime désignée.

Essentiellement, il s’agirait de peindre le sort des souffrants dans les couleurs les plus noires possibles dans le but de susciter chez le lecteur un maximum d’émotions primaires –peur, dégoût, pitié, répugnance –tous confondus dans une volonté aussi vague qu’impérative d’échapper au supplice d’horreur ainsi projetée, par toutes les manières possible, et même au besoin (dans les fantasmes imaginaires fomentés par les polémistes de la trempe de notre héroïne): par le mort.

–Cette même stratégie poursuivie face à l’euthanasie volontaire

De nos jours, nous avons une grande familiarité avec cette stratégie appliquée au sujet du suicide assisté, et de l’euthanasie. Car dans ce contexte, les apologistes de la mort salutaire agitent, avec grande énergie, l’épouvantail caricatural du mourant mythique dont les souffrances sont, à la fois, d’une atrocité incompréhensible, et totalement incoercibles. Vous aussi (dit-on par inférence) pouvez être ainsi affligés. Et vous aussi, choisiriez le mort.

Le but immédiat, bien sur, n’est que l’avancement politique du programme euthanasique. Mais les armes rhétoriques, autant que les armes physiques, sont porteuses de dommages collatéraux. Et dans cette instance, les effets secondaires ont été d’ordre bien plus large, se manifestant dans une sorte d’hystérie collective, terrorisée devant l’inévitabilité de la mortalité et de la souffrance qui puisse l’accompagner.

Peu importe si la grande majorité des mourants (aussi souffrants soient-ils) ne craignent que la mort elle-même; et peu importe, aussi, si les protocoles de contrôle de la douleur soient incomparablement plus avancés que jamais auparavant: les champions modernes de l’euthanasie n’hésitent pas à propager une véritable psychose de peur imaginaire, d’autant plus extrême qu’elle ne soit éloignée de la réalité.

Or, étant de nature spéculative, au sujet de souffrances purement hypothétiques, les arguments de la peur anticipée peuvent frapper à très grande distance du mal appréhendé. Il en résulte que la mort assistée soit proposée, de nos jours, auprès de gens dont la souffrance est surtout psychologique; atteintes peut-être de conditions sérieuses, mais sans en avoir encore éprouvé les véritables effets; et surtout: sans avoir eu la possibilité d’expérimenter, personnellement, les pouvoirs formidables d’adaptation humaine qui se manifeste devant de tels épreuves.

Constatons, alors, que mème chez les patients proprement suicidaires (et pour la grande majorité ils ne le sont pas) l’inconfort réellement vécu concerne, surtout, une peur spéculative articulée autour de l’inconnu: le désarroi naturel d’un diagnostic sérieux, décuplé par des préjugés aussi féroces que prématurés.

Voilà les séquelles pratiques de toute cette littérature culte de la souffrance (parfois presque pornographique dans son attrait et dans son intensité) qui s’est déployé inlassablement dans l’espace publique, dans le seul but de valider les choix suicidaires d’une petite minorité.

Mais que fait-on des autres ? Que fait-on des non-suicidaires ?

–Culpabilité par association: le danger pour les souffrants non-suicidaires

Tragiquement, à mon avis, il serait impossible à décrire, adéquatement, le tort ainsi fait –dans l’estime personnelle autant que dans le regard publique– à l’ensemble d’individus (très majoritaires ceux-ci) qui ne désirent que de partager, encore, ce miracle qui soit la vie: aussi longue, aussi exigeante, ou aussi éphémère qu’elle puisse l’être.

Et pourtant, telle est l’implication incontournable dans l’argument des euthanasistes: que ce soit une miséricorde éthiquement louable, que de tuer ces personnes. Telle est l’impression, indélébile, créée par cette rhétorique.

Alors nous pouvons bien en regretter l’irresponsabilité de poursuivre cette piste d’argument (ainsi que les torts subits en conséquence par toute une classe de personnes déjà des plus éprouvées). Mais les faits restent: dans les débats politiques, on choisit son camp, et on chauffe à tout bois.

–L’avantage stratégique de s’attaquer, d’abord, aux jeunes enfants

Tout comme aujourd’hui, les enthousiastes du début du vingtième siècle proposaient un modèle de “euthanasie volontaire” pour les mourants matures (et éventuellement pour les infirmes non-mourant aussi). Mais l’argument voulant que la Règle d’or nous enjointe à tuer ces personnes (puisque dans une situation similaire nous choisirions de mourir nous-même), n’est pas si facilement gagné. Car, parmi les personnes matures et volontaires il en existe grande nombre capables de s’exprimer sur leurs propres volontés vitales; et très peu de gens désirent mourir.

Voilà, donc, qui recommanda le choix des enfants nouveau-nés pour pratiquer une première brèche dans la perception d’un besoin sociétal, catégorique, de protéger l’idéal de vie “sacrée”. Car les apologistes comme Helen Keller pouvaient vigoureusement affirmer (sans autre démonstration) que la personne liquidée en était réellement le premier bénéficiaire, et donc, qu’une stricte application de la Règle d’or nous obligerait à la tuer.

Et au contraire des souffrants adultes: les nouveau-nés ne sont pas capables de formuler des avis contraires.

À suivre…

Le véritable “Américain à Paris” : Henry Valentine Miller

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Sous-section III a) : L’Entre-deux-guerres, la Dépression et la Prohibition — Chapitre: Le véritable “Américain à Paris” : Henry Valentine Miller)

–Une grande influence du vingtième siècle: ignorée dans sa génération mais adulée par la suivante

C’est possible que de tous les artistes actifs, pendant l’Entre-deux-guerres, Henry Miller était éventuellement le plus influent.

Je dit bien “éventuellement” puisque les écrits de Miller étaient proscrits en Amérique, pour raison de “obscénité”, jusqu’à l’an 1964. Dans cette année, La Cour Suprême prennait acte d’une série de litiges judiciaires provoqués par la publication délibérément subversive de son roman-culte “Tropique of Cancer” (1961) et arbitra en faveur de l’auteur.

Seulement à la suite de cette décision, était publié le reste de l’œuvre de Henry Miller (à l’Ouest de l’Atlantique) faisant immédiatement de lui une icône de la contre-culture de l’Après-guerre. Non seulement tenait-il de l’avant-garde, alors, mais d’une avant-garde largement ignorée de son époque.

–Une indifférence atypique devant le grand conflit de sont temps

Un premier indice du détachement qui sépara Henry Miller, de ses contemporains, réside dans le fait qu’il ne servit pas pendant la Première Guerre Mondiale (ayant 26 ans quand l’Amérique entra dans ce conflit), et ce, à la différence de tous les autres auteurs cités dans ces pages (qui avait été en age de ce faire, et tout penchant idéologique confondu) incluant: Hesse, Hemingway, Remarque, Heinrich Mann, Tolkien, Fitzgerald, Sternberg, Churchill et Graves.

Le fait de s’abstenir de participer dans les plus importants événements de son époque en dit très longue, je soumet, sur le caractère de l’homme. Apparemment, les grands crises existentielles du vingtième siècle ne le concernait pas; ou au moins: pas au point de s’y impliquer personnellement.

En fait, le trait principal du caractère de Miller semble résider dans une attention exclusive aux désirs et aux intérêts qui lui étaient propres, incluant, certes, des intérêts philosophiques et idéologiques (dans l’abstrait) mais sans se préoccuper, pratiquement, des besoins d’autrui. Car dans l’affirmation de sa liberté personnelle, Henry Miller se montrait tout aussi prêt à ignorer les besoins de son pays, que d’abandonner femme et enfant, ou de tromper la confiance de ses amis en fréquentant leurs partenaires intimes.

En somme: selon le paradigme moral du passé, Henry Miller avait tout d’un vaut-rien égoïste (ce qui lui qualifia éminemment pour un rôle de héros –ou plutôt de anti-héros– au sein de la contre-culture à venir).

–Le jeune Henry Miller en “proto-Hippie”

Il est étonnant à voir avec quelle précision Miller annonça le profil-type des “décrocheurs” des Années Soixante: fils urbain de famille petite-bourgeoise; papa propriétaire d’un atelier de tailleurs; termine des études secondaires mais abandonne après quelques mois le Collège; embrasse le Socialisme; travail comme “prolétaire”; tente de s’échapper à la ville en faisant essai du travail agricole; retourne à New York; et enfin: réintègre la famille en travaillant dans l’entreprise de son père.

Voilà le trajet d’une vie entre 18 et 25 ans. Voilà, aussi (dans une variation améliorée des faits) qui ait pu fournir la matière d’un ou deux romans instructifs; qui (en montrant la réalité absurde d’un tel parcours) aurait possiblement épargné le même gaspillage de ces premières années, tant actives, à beaucoup de successeurs crédules, incluant (je dois le dire à contrecœur) l’auteur de ces lignes.

La réintégration à la vie normale ne se poursuivit pas, cependant, sans heurte. À 28 ans, Miller pousse son réadaptation sociale jusqu’au point de se marier; et à 30 ans, d’accueillir un enfant. Mais il en est suivie une période de désaffection grandissante (voire: roman “Clipped Wings” –Les Ailes coupés) qui s’est soldée (1924) par l’abandon de sa femme (et de son enfant) à la faveur d’une danseuse “taxi” (nom accordé, autrefois, aux employées de certaines salles de danse, dont les clients louaient les services, une danse à la fois).

De par la même occasion Miller s’est voué à la vocation artistique sans compromis, se jurant de ne jamais plus travailler “indignement”; il lâcha son dernier emploi et se livra avec confiance à la protection de sa nouvelle conjointe: June Miller (1902-1978); lui a 35 ans, elle à 22.

–Henry Miller à Paris (1928-1939)

C’est dans la compagnie de June (Smerth, Smerdt, Mansfield, Smith, Miller), et grâce à l’argent récolté par celle-ci, auprès d’un admirateur plus fortuné, que Henry Miller a pu passer une première année en Europe, principalement à Paris (1928). Ensuite, Miller retourna seul à Paris (1930) et se lia intimement avec Anais Nin (1903-1977) (autre auteure éventuellement influente dans la révolution sexuelle), lui à 40 ans elle à 27.

Une année plus tard Henry fut rejoint par June Miller, qui séduisit Anais à son tour.

Apparemment, ce fut au frais du mari abusé de Nin, le banquier Hugh Parker Guiler (1898 – 1985) que vivait tout ce ménage complexe (jusqu’au divorce de June et Henry, 1934). Tandis que Miller, seul, vivait au dépens du mécène Nin/Guiler pendant plusieurs années encore.

Et c’est ainsi que Henry Miller à su enchaîner sa révolte de jeunesse, presque immédiatement, avec une crise de mi-vie; et de mélanger les deux –de façon très actuelle aujourd’hui– dans un simple refus d’assumer la vie adulte.

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À suivre …

La Reforme protestante: une remise en cause, nourrie en grande partie par la lecture populaire des Saintes écritures

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: La Reforme protestante: une remise en cause, nourrie en grande partie par la lecture populaire des Saintes Écritures)

“La captivité babylonienne de l’église”, est un pamphlet dans lequel Martin Luther prétend que l’église chrétienne était tenue en esclavage par Rome, à la manière des Israélites à Babylone. Nous y trouvons la première suggestion de l’épithète célèbre (lancée par des générations de Protestants à l’endroit de l’Église romaine): “La putain de Babylone”; phrase qui fait référence à la “grande prostituée” de “Babylone la grande, mère des prostituées et des abominations de la terre.” (Livre de l’Apocalypse, chapitre 17)

Reproduite ici: page couverture, gravure sur bois (1520) par Hans Baldung Grien (c. 1480-1545), d’après un portrait de Luther comme frère Augustin, par Lucas Cranach l’Ancien (1472 – 1553)

–La critique d’une Église qui s’était manifestement égarée de ses préceptes originaux

À partir de l’adoption formelle du Christianisme par l’Empire Romain, le reflet institutionnel de ce culte, c’est à dire l’Église catholique Romaine, s’égara peu à peu de la doctrine désintéressée de Jésus à l’égard du pouvoir temporel (« Ma royauté n’est pas de ce monde… » Jean 18:35) dont la description iconique se conserve dans le récit poétique des Tentations du Christ.

Matthieu 4: (8) Le diable le transporta encore sur une montagne très élevée, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire, (9) et lui dit: Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m’adores.

(10) Jésus lui dit: Retire-toi, Satan! Car il est écrit: Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul. (11) Alors le diable le laissa. Et voici, des anges vinrent auprès de Jésus, et le servaient.

Il serait impossible, je soumets, d’éviter des sentiments inconfortables dans la comparaison de cette doctrine, tant limpide, avec la splendeur et le pouvoir de l’Église Catholique au cours de la période féodale; ainsi qu’avec son rôle de collaboration, d’influence –et parfois de domination– dans les conseils des potentats de l’époque

Plus tard, le grand écrivain Russe, Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski (1821 – 1881) décrivit cette splendeur institutionnelle (de façon ironique mais pas moins condamnatoire) comme rien de moins que la réalisation blasphématoire du pacte démoniaque: offert jadis à Jésus; refusé par ce dernier; mais accepté, après sa mort, par ceux qui se disaient ses disciples.

(Dans un autre place, d’ailleurs, cet auteur inimitable invente une version imaginaire, du retour du Christ, où celui-ci se fait immédiatement arrêter par l’autorité ecclésiastique; et, où le Grand Inquisiteur –parfaitement connaissant de son identité divine– lui somme de partir sur le champ, et de ne jamais revenir.)

Ce sont des plaisanteries qui s’accordaient bien avec certaines opinions exprimées depuis déjà très longtemps à la fin des années quatorze-cents. Par contre, il y a différence entre regretter les abus perpétrés par des personnes condamnables à l’intérieur de l’institution de l’Église, et de créditer ces abus à l’institution même.

Or, au début du seizième siècle, c’étaient réellement de telles critiques –livrées à l’endroit de l’Église catholique comme telle– qui provoquèrent ce que nous appelons la Réforme protestante.

–Usurpation, par l’Église, des prérogatives réservées à Dieu seul

Outre le luxe et l’immoralité souvent associés avec le clergé (et les ordres monastiques en particulier), les réformateurs s’attaquaient à ce qu’ils croyaient être une appropriation, par l’Église, de pouvoirs qui ne relevaient (selon eux) que de Dieu. L’exemple par excellence de cet abus concernait la vente des “indulgences”, ou “lettres de pardon”, qui se voulaient les garanties écrites de la rémission de péchés, accordée par les agents du Pape, en retour d’une contribution monétaire.

Cette pratique était longtemps condamnée, notamment, par John Wycliffe (1330-1384), reformater Anglais, et par le Tchèque, Jan Huss (1373-1415) tout deux des prédicateurs précurseurs de la Reforme comme telle. Le premier fut excommunié de manière posthume, tandis que le deuxième fut brûlé vif en hérétique –bien que les adhérents “Hussite” se défendaient toujours (et dominaient largement) en Bohème et en Moravie, jusqu’à l’an 1620 quand ils furent enfin annihilés par les forces Catholiques, au tout début de la Guerre de Trente Ans (1618-1648).

Martin Luther (1483 – 1546) –communément considéré comme le véritable auteur de la Reforme proprement dite– s’exprima longuement sur la vente d’indulgences dans ses célèbres “Quatre-vingt-quinze thèses”, théâtralement clouées sur la porte de l’Église du château de Wittenberg, le 31 October 1517.

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John Wycliffe (1328-1384) était un réformateur anglais, et traducteur de la Bible dans cette langue. Son exemple servait fortement d’inspiration à Jan Hus, et Wycliffe fut condamné d’hérésie, au même moment que ce dernier, au cours du concile de Constance (1415). Bien que décédé quarante-cinq ans plus tôt, ses dépouilles étaient exhumées (1428) et brûlé sur l’ordre du Pape Martin V.

Portrait 1493.

–Luther et les indulgences

Luther affirma, d’abord, que ni les agents du Pape, ni le Pape lui-même, n’aient pu se porter garants de la rémission des pêchés, car cette rémission ne peut se vendre ni s’acheter: étant uniquement dépendante de la volonté divine.

52. Il est vain de croire à un salut acquis par les lettres d’indulgences, même si le commissaire des indulgences ou, mieux, le pape, donnaient pour cela leur âme en gage.

28. Il est certain que dès que la pièce tinte dans la caisse, le gain et la cupidité peuvent être augmentés; mais l’intercession de l’Église dépend du jugement de Dieu seul.

Ensuite, Luther dénonce le fait de détourner les fidèles, ainsi, de leur seule véritable voie de salut, soit: la contrition et la charité (et ce, en leur proposant d’acheter, tout bonnement, la rémission de leurs pêchés).

39.Il est extrêmement difficile, même aux plus savants théologiens, d’exalter en même temps auprès du peuple la profusion des indulgences et la vérité de la contrition.

43. Il faut apprendre aux chrétiens que celui qui donne aux pauvres ou prête à celui qui est dans le besoin fait mieux que s’il achetait des indulgences.

Finalement, il est remarqué qu’il soit inutile, pour les vrais chrétiens, d’acheter des indulgences, car la rémission des pêchés leur revient, déjà, de plein droit de par la promesse divine, sans aucune nécessité d’intercession papale.

36 N’importe quel chrétien, vraiment repentant, a pleine rémission de la peine et de la faute; elle lui est due même sans lettres d’indulgences.

87. De même: que remet ou répartit le pape à ceux qui, par la contrition parfaite, ont droit à une pleine rémission et participation?

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Jan Hus, associé de près avec les discours de John Wycliffe, et en particulier aux doctrines d’une “pauvreté nécessaire” de l’Église, ainsi que d’une présence uniquement “sacramentelle” du corps du Christ (dans le pain et le vin de l’eucharistie), fut excommunié en 1411.

Fort du sauf-conduit de l’Empereur du Sainte empire romain germanique, Sigismond (1368-1437), Hus s’est rendu au concile de Constance (1414-1415) pour expliquer ses enseignements. Malheureusement cependant, Il fut emprisonné à cette occasion et brûlé en hérétique, le 6 juillet, 1415.

–La résolution des controverses doctrinales: l’autorité biblique contre celle de l’Église

La vente des indulgences, étant la monétisation directe de la rémission des pêchés (et donc la monétisation crue de l’entrée à la paix éternelle), était facilement indiquée comme une usurpation scandaleuse (par l’Église) des pouvoirs divins. Mais le principe en était beaucoup plus large.

Où, par exemple, trouverait-on l’autorité pour trancher dans les interprétations doctrinales?

Or, les deux sources d’autorité communément admises étaient les saintes écritures (la Bible) et les dires des potentats de l’Église (les prêtres, les evêques, et en dernier lieu le Pape). Mais qu’adviendrait-il au cas qu’un différend opposerait les dires des ecclésiastiques et le texte de la Bible?

De manière pratique, ces problèmes avaient toujours été résolues au bénéfice de l’autorité pastorale et pontificale. Car la signification des écrits bibliques était fixée par l’interprétation de ces mêmes ecclésiastiques, étant essentiellement les seuls capables de lire (ou même de approcher physiquement) les rares manuscrits existants.

Pendant des siècles, alors, et malgré l’apparition (et la suppression) de quelques souches divergerantes importantes, l’Église avait toujours réussi à garder un grand contrôle doctrinal. Or, elle favorisait dans ce but (et très délibérément) une image de l’homme en brebis; membre obéissant d’un troupeau intellectuel; sous la tutelle du prêtre/berger. Et elle réprimait aussi, instinctivement, toute originalité dans la pensée populaire (et toute autonomie d’analyse chez l’individu).

Les premiers réformateurs, par contre, s’appuyaient sur une lecture directe des textes saints, pour élaborer une critique biblique de l’Église, comme Luther lui-même faisait face aux indulgences.

La propagation générale de ces arguments demeurait très difficile, cependant, du fait que la Bible n’existait qu’en langue antique (et en forme manuscrite) et donc sa lecture était inaccessible, non seulement au peuple, mais à beaucoup parmi le clergé lui-même.

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William Tyndale est renommé surtout pour avoir produit la première Bible (Nouveau Testament) imprimée en Anglais (1526). Plus significatif encore, cependant: Tyndale utilisa le mot “congrégation” plutôt que “église” dans sa traduction, ce qui favorisait la thèse radicale voulant que “l’église” chrétienne se trouve partout où des chrétiens se rencontre (et donc que la notion d’Église Romaine “unique” soit un non-sens).

En exile dès 1520, Tyndale était éventuellement étranglé et brûlé en hérétique, 1536, à Vilvoorde (Belgique).


Ci-haut: L’Évangile de St. Jean, William Tyndale,1526

–La traduction et l’impression de la Bible: la vulgarisation (démocratisation) des controverses doctrinales

Or, pour pallier à cette déficience, et malgré un interdit catégorique assorti des plus sévères sanctions: Wycliffe traduisit la Bible en Anglais: les successeurs de Hus en firent autant en Tchèque: et Luther en Allemand.

Aussi, la difficulté extrême de reproduire la Bible en forme manuscrite posait obstacle à sa diffusion élargie. Or, tel était précisément le fruit premier de la révolution de l’imprimerie: car Johannes Guttenberg (1400-1468) publia la Bible en Latin vulgaire (1455); tandis que William Tyndale (1484-1536) en fut de même en Anglais (1526); et que la traduction allemande de Martin Luther fut imprimée en 1522 (Nouveau Testament) et 1534 (intégrale).

Sans doute, la traduction, et l’impression de la Bible favorisaient l’éclosion de nouvelles critiques (au sujet des comportements de la classe ecclésiastique et des doctrines de l’Église); mais surtout: elles augmentèrent, prodigieusement, le nombre de personnes qui pouvait y prendre part.

Enfin, toute la trame critique de la Reforme dépendait de cet accès de plus en plus large au Textes saints; et de leur analyse libre, de plus en plus populaire.

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La Reforme protestante ne peut se comprendre sans référence à l’évolution politique contemporaine. D’abord Roi de Hongrie, Sigismond (1368-1437) Empereur du Saint empire romain germanique, était le patron séculaire du concile de Constance (1414) qui mit fin au Grand schisme d’Occident opposant Papes et Anti-papes dans des “croisades” partisanes scandaleuses (à l’intérieur même de l’Église Catholique) entre 1378 et 1417.

Ironiquement, ce concile condamna, aussi –au bûcher– Jan Hus, qui enseignait que “aucun Pape ni Évêque ne possède le droit de prendre l’épée au non de l’Église”.

Portrait de Albrecht Dürer (1471-1538)

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À Suivre …

La suite des choses: Une deuxième génération sacrifiée, et la Contre-culture

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Sous-section III b) : La suite des choses: Une deuxième génération sacrifiée à la guerre, et la Contre-culture des Années Soixante)

–“Le début d’un temps nouveau” (1970): Auteur-compositeur Stéphane Venne (1941-); Artiste-interprète Renée Claude (1939-2020)

Chapitre: L’Après-guerre: un retour au “normal” désiré (et largement attendu) mais impossible dans les faits

–Une brave apparence sur des blessures profondes et partout ressenties

Regardée superficiellement, la société ne présenta pas, à ce moment, les symptômes évidents d’une tourmente aussi profonde que celle dont j’aurais tenté, ici, de tracer les lignes : le paradigme de crime-et-châtiment se poursuivait avec un recours généreux à la peine capitale; le devoir patriotique du soldat ne fut pas encore largement contesté (au moins pas en principe); les gens fréquentaient assidûment les divers lieux de culte et ils enseignaient toujours à leurs enfants un credo inchangé de « bien » universel; la chasteté, le mariage et l’enfantement « légitime » furent les conditions requises pour bénéficier d’un statut de femme « respectée » (ou mème minimalement sécuritaire); le divorce fut un phénomène marginal qui ne toucha, essentiellement, que les riches. Mème l’échec de la Prohibition ne démentit pas, visiblement, cette apparence de continuité dans les formes traditionnelles, puisque cet échec ne représenta pas un recul par rapport aux devoirs préalablement reconnus de l’individu devant la société. Au contraire, il a pu être présenté comme le rejet d’une innovation proposée, et donc, comme la réaffirmation du statu quo, et des valeurs du passé.

Mais l’état d’une société ne se découvre pas dans une image immobile telle une photographie unique. Au contraire, la société possède aussi, à tout moment, une direction et un élan dans son évolution. Et je prétends, qu’ici, c’était précisément cet élan, cette direction –ce mouvement– qui fut brisé dans le désabusement de l’Entre-deux-guerres, épitomé et symbolisé pour nous dans la défaite de la Prohibition.

De notre point de vue rétrospectif, en fait, les signes sont évidents : dans le malaise omniprésent affiché par les ouvrages culturels dits « sérieux » contrasté avec la gaieté facile (et souvent cynique) de la culture populaire; ou encore, dans la morosité générale de la population au sujet des prospects futurs de sécurité économique; dans un monde ou il n’y avait pas encore d’avortement généralement disponible, mais où il y avait tout de même un taux de natalité aussi bas que celui que nous connaissons aujourd’hui; dans un monde, enfin, où la formule électorale célèbre du Président Franklin D. Roosevelt — « Un poulet, dans chaque pot, à chaque dimanche » — passait, dans l’esprit populaire pour l’image d’une opulence idyllique et somptueuse !

Mais considérons un instant: Un poulet ? Une fois par semaine ? Parmi une famille de 5 ou de 15 ? Est-ce une suffisance alimentaire digne d’être proposée en but idéal de faste sociétal ? Et le reste du temps on mangeait quoi ? Des fèves au riz et du riz aux fèves ? Et encore! Puisque dans la réalité des Années Trente il manquait même ces nécessités minimales.

–une fenêtre qui s’ouvre sur le vrai, obliquement, par voie d’humour

Pour illustrer la profondeur de la psychologie pessimiste du moment, il y avait une plaisanterie très populaire qui se répétait encore parmi les survivants (et parmi les enfants des survivants) des décennies plus tard. Elle se dit comme suit: « Si nous avions du jambon, nous pourrions faire des œufs aux jambon…si nous avions des œufs… ».

Imaginons, je vous prie, la mentalité des personnes pour lesquelles de tels propos aient pu servir pour provoquer le rire, et la gaieté !

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Paul-Émile Borduas, peintre-sculpteur (1905 – 1960); auteur du “Refus globale” (paru août 1948)

–Une fissure sociale qui s’ouvre visiblement avec l’arrivée de nouveaux enfants, tant différents de leurs frères (et sœurs) aînés

Voilà, en fait, un monde où les gens avaient peu, et qui ambitionnaient peu; mais qui s’attendaient néanmoins à ce que même ces ambitions des plus modestes eussent été frustrées dans l’occurrence. Et encore! Cette description s’applique aux conditions de paix… Qu’en serait-il (fantôme qui hanta toujours la pensée inconsciente) avec un retour aux exigences de la guerre ?

Nous assistions, donc, au spectacle d’une compétition entre la fortitude (extérieure) et le malaise (du dedans). Et, tel que nous le savions: une courte génération plus tard la carapace apparemment indestructible de cette société millénaire était destinée à éclater en lambeaux devant le refus simple de ses membres.

C’est comme si la civilisation occidentale s’était efforcée de fournir le meilleur d’elle-même (comme un arbre dont s’écoule sa meilleure –et sa dernière– sève) dans la jeunesse qui gagna la Deuxième Guerre mondiale (nommée aujourd’hui “la plus grande des générations”). Et à l’apogée de ce zénith apparent, le Président John F. Kennedy, ce bel homme typique de sa cohorte, croyait pouvoir proclamer, le 20 Janvier 1961 (dans une affirmation suprême de la confiance et de la résolution nationale; inébranlable même devant la nouvelle menace d’une guerre illimitée aux armes nucléaires):  

“Nous payerons n’importe quel prix; nous porterons n’importe quel fardeau; nous supporterons n’importe quelle privation; nous soutiendrons tout ami; nous opposerons tout adversaire… Alors, mes compères Américains: Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays!”

Et pourtant! Seulement deux ou trois années plus tard, les rues se remplissaient de jeunes gens qui scandaient leur refus du sacrifice. Que ce soit celui de la guerre: « Au Diable votre loi ! Nous n’irons pas » ( “Hell no, We wont go!”); ou encore celui de la reproduction: « L’avortement sur demande ! Sur demande et gratuitement ! » (“Free abortion on demand”).

Au Québec, un manifeste artistique précurseur de ce mouvement fut publié, dès 1948, par le peintre/sculpteur Paul-Émile Borduas (1905 – 1960) sous le titre “Refus global”. Ce texte illustre extrêmement bien la rupture civilisationnelle décrite dans ces pages, perçue, toujours, à l’intérieure des particularités Québecoises.

–Des spéculations toujours séduisantes (mais contraires aux faits vécus)

Nous pouvons spéculer, toujours, sur la possibilité que notre société ait pu retrouver son équilibre –et sa confiance– après la Première Guerre mondiale: au cas qu’elle ait pu temporiser suffisamment pour résoudre tranquillement la crise économique; au cas qu’elle ait pu –peu à peu– oublier les pertes, et cicatriser les blessures de la guerre elle-même; au cas que la nouvelle Société des Nations fondée sur les ruines de la catastrophe récente, eut pu véritablement remplir sa mission de prévenir les affrontements futurs; et au cas, surtout, que cette société ait pu trouver une réponse philosophique adéquate pour neutraliser l’attaque nihiliste (apparemment inséparable du matérialisme scientifique) qui s’est abattue sur le paradigme traditionnel d’intention divine, absolue et transcendante.

Mais, tragiquement, comme nous ne le savons que trop bien: la trame réelle de notre histoire en fut toute autre.

(Et, malheureusement — fait accessoire mais toujours significatif: la réputation et l’autorité de notre vénérable ami grec, Hippocrate de Cos, en furent aussi destinées à souffrir, fortuitement –et je le soumets: inutilement– comme dommage collatéral suite à la furie qui accompagna ces changements sociaux séismiques.)

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À Suivre …

Le contexte de crise nihiliste où le suicide et l’euthanasie ont trouvé leur essor

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie D : L’euthanasie et la société — Section I (T2-D-I): Dans quelle mesure est-il possible d’intégrer un « droit de mourir » sans abandonner nos principes humanitaires? — Chapitre: Le contexte de crise nihiliste où le suicide et l’euthanasie ont trouvé leur essor)

–L’impossibilité post-moderne de chercher une solution partagée d’origine “morale”

À travers ces pages, nous avons cru nécessaire d’esquisser les grandes lignes de la crise civilisationnelle qui perturbe, depuis plusieurs générations déjà, la société occidentale: cette crise de fondation morale qui nous empêche, apparemment, d’affirmer la nature (ou l’existence même) du “bien” dans l’absolu.

En tentant d’argumenter le “bien” de l’euthanasie, par exemple, il s’est constamment posée la question préalable, à savoir: le “bien” selon qui ? Car, en ce moment, il n’existe pas de système moral suffisamment universel pour que les conclusions pratiques en soient généralement acceptées.

Jadis, bien sûr, la proposition était unanimement admise que la vie humaine possèdent une valeur “intrinsèque” ou “sacrée”; et en conséquence: que la vie de chacun dut (idéalement) être protégée contre tous, et au besoin, même contre soi. Selon cette doctrine, le suicide assisté enfreint l’interdiction du suicide, et l’euthanasie enfreint celle de l’homicide. Tous deux demeuraient, donc, des impossibilités sociales.

Comme résultat pratique de la crise moderne, cependant, nous nous trouvons privés de certitudes semblables.

–La perte de certitude morale comme résultat de l’abandon religieux; la compétition armée des substituts idéologiques

C’était le génie de Friedrich Nietzsche (1844 -1900) de comprendre que la morale Chrétienne ne pouvait survivre sans son Dieu. Et donc: que l’abandon de ce Dieux (par une fraction de plus en plus importante parmi l’intelligentsia) signifia, aussi, la fin de cet ensemble moral. Plusieurs intellectuels aussi divers et influents que François-Marie Arouet (Voltaire,1694 -1778), Benjamin Franklin (1706 – 1790) et Ernest Renan (1823 – 1892) n’arrivèrent pas, eux, à faire cette connexion, croyant qu’une notion non-spécifique de “Providence” pouvait aussi bien appuyer ce qui leur semblaient des préceptes moraux “naturels” (et donc à l’abri de critique).

Et pourtant ! Il y avait déjà des principes moraux fortement disputés à l’époque, tel l’état marital exclusif (renié par les révolutionnaires français dans leur revendication du divorce et de “l’union libre”). Or, si ces règles n’était que le fait de l’Église Catholique, (disait certains incluant Voltaire lui-même), la déconfiture de cette Église (et le rejet de son Dieux) représenterait une opportunité de s’en affranchir (et selon les vœux des philosophes dominants: de se rapprocher de vérités morales supérieures et améliorées).

Soit. Il y avait grand nombre de personnes pour applaudir cette nouvelle liberté d’autodétermination morale. La génération de Helen Keller (1880 – 1968) en particulier, s’enthousiasma pour inventer des principes profonds et nouveaux, que ces membres imaginaient, sincèrement, être choisis en accord avec la “nature” essentielle du monde.

Sauf que… Sans une source universellement réputée infaillible (voire divine), il n’y a rien pour trancher entre des propositions en compétition, dont les conclusions s’opposent de manière pratique et importante.

Voila comment et pourquoi nous assistâmes à des luttes idéologiques du vingtième siècle dont la destruction dépassa tout des guerres de religion les ayant précédé! Car il peut éventuellement sembler rationnel, entre les fidèles de cultes divergents (et épuisés par les pertes et par les misères d’un conflit sans issue), de s’accorder mutuellement un droit de vivre et de pratiquer leurs religions à leur guise. Mais entre le Totalitarisme et la Liberté, entre Bolchevik, Fasciste et Capitaliste, il ne peut y avoir de “vivre et laisser vivre”! Au-delà des compromis démocratiques, il ne reste que le tranchant des armes.

–Une mécompréhension toujours importante de l’ampleur de ce changement

Tout ces conflits ne semblaient concerner, pourtant, que la nature du “bien” comme tel, car ils furent entrepris par des personnes qui n’en doutèrent pas de la réalité absolue de celui-ci; des personnes qui avaient été élevées dans la tradition de bien immuable; et des personnes qui se donnèrent volontiers en sacrifice dans son nom. Même les Marxistes à cet égard, ayant répudié le Dieu des Chrétiens, se consolaient toujours avec la notion “d’inévitabilité historique”, qui n’est d’autre chose (selon des philosophes de la trempe d’un Bertrand Russell, 1872 – 1970) que l’idée plus ancienne de “volonté divine”, présentée sous un nom nouveau.

L’idée encore plus radicale, que de volonté divine, de providence, d’intention historique, (voire de “bien” immuable dans l’absolu) il n’y en a pas –d’aucun genre– n’avait pénétré la conscience collective que très imparfaitement à l’époque (à part quelques esprits particulièrement originaux comme Nietzsche lui-même). Car pour tout dire: cette idée a toujours parue, au plus grand nombre, comme une conclusion intuitivement irrecevable.

Mais n’empêche! Telle est, au fond, la signification finale de l’interprétation matérielle suggérée par l’œuvre scientifique depuis le temps d’Isaac Newton (1643 – 1727) et dont toutes les innovations subséquentes sont les fruits: que les forces physiques, perceptibles, suffisent pour expliquer toutes les actions de l’univers (à partir du “big bang” jusqu’au fonctionnement du cerveau humain); qu’il n’y a aucune nécessité d’invoquer d’autres facteurs, ni d’intention, ni de dessin. Car selon cette interprétation: tout se passe de façon rigidement mécanique; les êtres humains ne possèdent aucun attribut “spirituel”; la mort est finale; et l’oubli (parmi les vivants) signifie l’oubli absolu.

À la plus grande échelle, la disparition d’une planète entière (comme notre Terre) –avec toute son histoire, et avec tous ses habitants– ne porterait aucun signification. Et ainsi serait-il pour la disparition de notre Univers au complet. Car comment un phénomène peut-il se vouloir “significatif” au cas où personne n’en serait consciente ?

Sans conscience transcendantale, alors, de signification il n’y en a pas. Et sans signification, de moralité il ne peut y en avoir non plus. Les gestes humaines, donc, ne portent aucune importance au-delà de celle accordée par les personnes responsables ou affectées; et le jugement d’aucun de ces individus ne peut réclamer de primauté sur celui d’aucun autre.

Voilà les conséquences inconfortables de l’interprétation matérialiste (aujourd’hui dite “mécanique”), qui n’étaient saisies (que très confusément) par les martyres des idéologies modernes; martyres qui se donnèrent dans leurs milliers (et dans leurs millions) pour défendre leurs visions du “bien” supérieur, avec tout autant d’enthousiasme que leurs ancêtres religieux d’antan.

–Une analyse plus rigoureuse (et plus courageuse): Jack London

Nous avons examiné, plus avant, le cas extraordinaire du penseur autodidacte Jack London (1876 – 1916) qui cherchait, lui, à travers tout le savoir connu de la race humaine, autant occidental que oriental, sans pouvoir trouver un antidote au pessimisme matérialiste; sans pouvoir trouver un sens profond à la vie qui eut été suffisant pour lui permettre –sinon à guérir– au moins à démentir la validité de sa dépression chronique (appelée par lui “la longue maladie”), ainsi que la voix hyper-lucide de ses transports alcooliques (nommée “la logique blanche”).

Tristement, ceux qui se contentent à blâmer uniquement la dépression (ou l’alcoolisme) pour la dissolution et la mort de Jack London, ne saisissent pas (peut-être) l’importance unique de cette vie, et de cette œuvre, soit: le fait d’avoir prouvé (selon les repaires scientifiques et philosophiques qui lui furent disponibles au début du vingtième siècle) que ce soit le nihilisme total (et non l’espoir, ni la confiance, naïfs ou savants) qui est objectivement validé face à la vie humaine, autant face à la vie individuelle que devant celle de la race au complet.

Aussi, le drame essentiel du temps post-moderne demeure dans ce fait déroutant: que personne, encore, n’ait pu vraiment réussir à démentir cette vision accablante.

Car si les prémisses matérialistes sont devenues de véritables articles de foi pour la classe gérante, il ne s’est trouvé que très peu de confort dans la considération sérieuse des conclusions conséquentes.

Or, voilà l’arrière-fond de philosophie sociétale devant lequel il nous a fallu expliquer l’approbation progressive, au Canada, du suicide (1972), et du suicide assisté (2016).

À suivre...

Helen Keller et l’aveuglement rationalisant du subjectif

(Tome Deuxième: Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C: L’euthanasie et l’idéologie — Section IV: La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: Helen Keller et l’aveuglement rationalisant du subjectif)

— Juxtaposition de la condition du personnage et ses opinions promulguées: Un paradoxe apparemment impossible

D’abord je dois dire sans qualification: j’estime énormément cette femme. Son optimisme, son courage, sa capacité de se réjouir dans les aspects de la vie qui lui était ouverts (plutôt que de se morfondre des opportunités perdues) fournissent un exemple iconique dans le genre et serviront d’inspiration aux générations à venir.

Encore plus: j’estime la capacité inusitée de son génie à surmonter suffisamment son statut personnel d’handicapé pour rejoindre d’autres intelligences supérieures de son époque (et des subséquentes aussi); pour les faire prendre connaissance, à la fin, de leur propres limites et de concevoir, dans cette intuition partagée, une recognition de l’identité humaine au plus compréhensif.

Je prévois même, qu’avec le temps, ses agitations politiques seront de moins en moins remémorées (au fur et à mesure que les mots « eugéniste » et « bolchevik » deviendront de plus en plus difficile à comprendre pour les enfants de demain), mais que son autobiographie, ainsi que ses aphorismes et ses discussions plus larges de la condition humaine, feront toujours partie du patrimoine essentiel de la littérature de notre espèce. Car paradoxalement, et en dépit du fait qu’elle s’est permise à postuler l’existence d’une vie qui ne mérite pas de vivre, Helen Keller nous à aussi donné ce qu’il y a du mieux dans l’articulation d’une philosophie de la valeur inconditionnelle de l’expérience consciente de la vie humaine.

Il en surgit un paradoxe inexorable, cependant, dès que nous nous attardons à la nature, hautement personnelle, des risques auxquels Helen Keller se montrait prête à s’exposer, elle, et tous ses semblables.

Car dans son rôle consacré, comme le plus influent des militants handicapés –non seulement de sa génération, mais jusqu’alors connu (et peut-être mème de tous les temps)– il semble presque inconcevable qu’elle ait pu avancer si éloquemment les intérêts des sourds et des aveugles, et en même temps proposer un système d’infanticide utilitaire dont le but serait d’éliminer les personnes vivant en situation de dépendance de par leurs déficiences mentales où physiques.

Spécifiquement, il me semble impossible que Mlle Keller ait pu elle-même survivre, comme enfant, à sa propre rencontre fatidique avec le « jury de médecins ».

Comment comprendre, alors, tous ses écrits éminemment optimistes au sujet d’une vie gagnée au prix de batailles épiques, entreprises avec confiance devant des contraintes extrêmes? Comment concilier ces écrits avec sa promotion de l’eugénique et de l’infanticide? Comment imaginer qu’elle n’ait pu réaliser le potentiel, dans son idéologie, pour éliminer systématiquement ses semblables au futur (sinon elle-même dans le présent) avec tout les pertes qu’une telle élimination puisse impliquer pour l’humanité?

Comme cela se produit occasionnellement dans ces pages, je tenterais, ici, de hasarder quelques spéculations, nourries de mon expérience propre d’individu handicapé, pour résoudre cette énigme.

— Personnage héroïque et pieds d’argile: Helen Keller ne peut entièrement échapper aux préjugés ambiants

Tout d’abord, et quelque soient nos attentes idéalisées au sujet de la psychologie de cette personnage unique, force serait d’admettre (et possiblement à regret) que Helen Keller était également une simple personne, avec tous les défauts que cela puisse impliquer.

D’abord, elle était unique à son époque, comme intellectuelle présentant des déficiences aussi évidentes, et elle était nécessairement entourée de gens –aussi gentils et aussi affectueux qu’ils aient pu être– qui partageaient inconsciemment, et sans réfléchir, les préjugés les plus grossiers à l’égard des personnes handicapées. Ce qui plus est, ces gens familiers partageraient, aussi, les explications (c’est-à-dire les contre-préjugés), tout aussi grossiers qui leurs étaient requis pour réconcilier l’amour et le respect qu’ils ressentaient pour Helen, personnellement, avec l’horreur qu’ils aient pu toujours éprouver devant la déficience en soi; devant la difformité, la maladie, et ultimement: devant leur propre mortalité dans l’absolu.

Inévitablement, ces attitudes et ces explications furent intériorisés, par Helen aussi, ce qui créa (j’imagine) une dissonance importante (et inavouée) entre le regard intérieur, et l’objectivisation de soi.

Il y avait (il faut remarquer ce fait) une circonstance particulière qui atténuait considérablement cette dynamique, cependant, car la personne la plus impliquée dans les soins et dans l’éducation de Helen n’était pas un individu “normal”, mais bien un autre être affligé de handicaps visuels importants, Anne Sullivan (1866 -1936). En fait, c’est mon opinion que le phénomène Keller doit être proprement compris comme une collaboration entre deux individus (extraordinairement doués) et que les difficultés, physiques, sociales, et même institutionnelles, surmontées par Anne Sullivan avaient été, dans leur genre, aussi accablantes que celles subis par Helen Keller elle-même.

Il s’en est résulté de cette relation une capacité spéciale, chez Helen, de fréquenter et d’assister dans l’éducation d’autres personnes sourdes et aveugles; de transmettre sa détermination et son optimisme; et de réjouir sincèrement dans leurs succès comme Anne l’avait fait à son égard. Mais même ainsi, les préjugés normaux des personnes indemnes (ainsi que les préjugés proprement innés à l’endroit de l’infirmité), ne pouvaient être entièrement exclus de la conscience de la cellule Keller-Sullivan.

–Le convenance fictif (ou bien la délusion naïve) d’être “différent”

Première parmi ces délusions si commodes pour réconcilier l’irréconciliable, serait sûrement la notion facile qu’Helen était fondamentalement « différente » des autres handicapés. Soit. Je peux dire, de ma propre expérience, comment il peut être flatteur que de se faire répéter à quel point nous sommes supérieurs à nos semblables. Sauf que… Ce n’est pas vrai; et nous le savons.

Mais peu importe! Par facilité et par lâcheté, nous sommes quand-même amenés à permettre cette fiction, et de permettre également, autour de nous, un discours (ouvert ou tacite) au sujet des handicapés que nous avions (idéalement) un devoir de contester, mais dont la contestation efficace, dans le milieu social intime qui nous touche de plus près, peut nous sembler pratiquement au-delà de nos capacités.

C’est un peu à l’image d’une seule femme acceptée dans un milieu exclusivement masculin, ou encore, d’un seul homme évoluant dans un univers peuplé de femmes: d’un part nous bénéficions de la présomption que nous sommes « différents », et d’autre part nous ne pouvons que permettre, passivement, la validation de discours préjudiciables à notre genre (dont nous sommes personnellement censés être exemptés des intentions). Dans un mot: il y avait à l’époque, et il y à toujours aujourd’hui, une motivation extrêmement forte pour qu’un handicapé actif agisse en quelque sorte comme collaborateur (dans le sens péjoratif du terme) à l’endroit des gens normaux.

Imaginez, à cet égard, un handicapé assis à son bureau à l’entrée d’un édifice (ou encore assis à la table exécutive), dont la présence masque effectivement l’absence quasi complète de handicapés dans l’ensemble de l’organisation. Cette personne bénéficierait en toute probabilité d’un statut d’handicapé fétiche au sein du groupe concerné. Et même lui serait permise (très souvent) l’audace de cultiver une personnalité de bête noire, voire d’enfant terrible! Car l’accommodement jovial d’un tel personnage ne représente, somme tout, qu’un petit prix à payer pour valider tacitement l’amour propre de ses associés, et de permettre à ceux-ci de se croire libre de préjugés.

Je ne peux douter (encore de mon expérience propre) qu’Helen Keller ait entretenu des relations avec l’élite intellectuelle progressiste, de l’an 1915, qui étaient fortement imbues de cette dynamique. Car dans le contexte contemporain de la mode darwiniste, les préjugés eugéniques exprimés contre l’anormalité fonctionnelle étaient partagés avec une telle unanimité, par les meilleurs éléments du mouvement progressiste, que leur validation constituait, probablement, rien de moins que le prix d’entrée, obligatoire, pour Helen d’accéder à ce milieu. Et vue l’importance pour elle de rayonner sur la scène intellectuelle, il ne devrait pas nous surprendre que, consciemment ou non, elle eût été prête, aussi, a payer ce prix de collaboratrice: tirant une ligne (et une ligne potentiellement meurtrière) entre elle-même (handicapée viable) et les autres (pauvres déficients dont l’existence simple seraient, selon elle, une aberration blasphématoire devant le sacré de la vie humaine).

— La logique de collaboration bénigne

Il est également possible que Helen Keller s’expliquait son rôle de collaboratrice dans des termes positifs, à la manière de moult personnages historiques chargés avec la responsabilité exécutive d’accomplir la victimisation des leurs pour le compte de leurs conquérants, des personnages qui prétendirent pouvoir faire une différence utile en pratiquant eux-mêmes la persécution demandée (plus tôt que de laisser ce travail sensible à d’autres, encore moins éthiques et plus rapaces).

Le nom de Vidkun Quisling (1887 – 1945) vient à l’esprit (Ministre-président de la Norvège de 1942 à 1945 sous l’occupation allemande) ainsi que celui du Maréchal Philippe Pétain (1856 – 1951) (qui joua ce rôle indigne en France à la même époque).

Autrement dit, c’est possible que Mlle Keller croyait, au cas où ce serait elle qui fixerait les définitions des vies indignes, qu’elle en eût pu épargner le plus grand nombre.

— Des explications éclipsées par le phénomène

Ou encore plus simplement (et avec la naïveté caractéristique de gens dans de telles circonstances) il est même possible que Helen possédait une confiance tellement forte dans sa propre supériorité qu’elle ne s’imaginait même pas touchée par ses propres définitions, du fait que (littéralement): elle ne manquait pas de « pouvoir » (étant capable de bouger tous les membres de son corps); et qu’elle ne manquait évidement pas d’intelligence. Mais si tel était réellement le cas, je ne peut m’empêcher de remarquer l’absurdité de cette pensée! Car la notion voulant qu’un vrai « jury de Médecins », eugéniste et utilitaire, ait pu épargner une petite fille comme Helen Keller l’était à ses origines, relève, selon moi, de la plus haute fantaisie.

Mais permettez-moi d’abandonner maintenant ces spéculations, peut-été trop personnelles et (certainement trop libres), pour revenir au moment précis de notre discussion (1915), où toutes les potentialités de cette question (et beaucoup d’autres de première importance) se trouvaient ouvertes, inachevées, en flux dynamique devant un auditoire fortement divisé.

Or, dans ce contexte turbulent, la préoccupation principale de Helen Keller en combattante idéologique déclarée (personnellement impliquée dans sa réputation et dans son orgueil), était nul autre –pour dire les choses franchement– que de manier ses armes finement aiguisées de gladiatrice rhétoricienne, avec le plus grand effet possible, dans un but non-équivoque de prévaloir.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV: La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: L’art rhétorique de manipuler son auditoire)

L’Église Catholique: Un millénaire d’hégémonie en Europe Occidentale

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: L’Église Catholique: Un millénaire d’hégémonie en Europe Occidentale)

— Une contradiction paradoxale entre l’expérience personnelle du présence divine, et l’autorité hiérarchique (voire: mondaine) de l’Église en devenir

La relation du Chrétien à l’endroit de l’Église à toujours été quelque peu compliquée du fait qu’il existe un paradoxe constant qui oppose le principe de division, des autorités temporelles de leur contrepartie éternelle (signalé par Jésus devant le pouvoir romain), et la réalité du pouvoir pratique, exercé dans la vie de chacun par les autorités communautaires (issus de la congrégation). Dans un mot: les Chrétiens, en communauté, devaient (et doivent toujours) s’expliquer le pouvoir temporel manié par certains de parmi eux –un pouvoir fondé ultimement sur des prétentions d’autorité spirituelle– quand tout pouvoir exercé par les hommes est présumé distinct du spirituel (et corrompu d’emblée). Ce n’est pas, nous en conviendrons, un paradoxe de résolution facile.

Selon les mots de Jésus “Je vous dis encore que … là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux.” (Matthieu 18: 19-20).

Il en ressorte (au moins pour moi) une compréhension que l’idée de communauté fut présumée d’abord, et considérée nécessaire, même, pour vivre pleinement la foi. Cependant, cette expérience de communauté était, aussi, réduite souvent à ses dimensions minimales.

Les révolutionnaires modernes y reconnaîtront, possiblement, un reflet antique de l’organisation moderne dite “cellulaire”. Mais quel qu’il en soit: il s’agit d’un modèle d’association à la fois robuste et rebelle. Car dans la mesure où le Chrétien individuel se voit ultimement à part des structures politiques qui l’entourent –incluant celles de sa congrégation religieuse au besoin– la destruction ou l’égarement d’un État (ou d’une Église) n’implique en rien la destruction du Christianisme.

Il nous serait permis d’imaginer, donc, que l’association des croyants était, à ses débuts, passablement chaotique.

Très naturellement, cependant, vue la nature sociale de l’homme et de sa prédisposition vers l’autorité hiérarchique, il était inévitable qu’une évolution se pratiquerait au sein de l’Église dite “primitive” pour rassembler tous les croyants et pour mettre de l’ordre dans la diversité doctrinale (qui ne cessait de s’élargir parmi eux).

En particulier, la conversion officielle de l’Empire Romain, tant salutaire pour la sécurité et la prolifération du Christianisme, signala la fin, aussi, de cette Église embryonnaire que de nombreuses personnes (s’affichant en “fondamentalistes”) idéalisent encore, comme l’apogée de l’expérience personnelle, et communale, de leur religion.

L’Empereur Constantin I, par exemple, celui qui avait légalisé le Christianisme par l’Édit de Milan (313), convoqua aussi le Premier Concile (œcuménique) de Nicée (325) qui commença un processus destiné à rassembler la plus grand partie des fidèles (sur la base de doctrines officielles et de hérésies supprimées) tout en provoquant les premières dissensions et fractures du Christianisme. L’Empereur Théodose I, en fit de même, à Constantinople (381) une année seulement après sa déclaration du Christianisme en culte officiel.

Et c’est ainsi que l’Église, mise sous la protection des Romains, a également hérité des traditions Romaines, d’ordre, et d’organisation administrative.

— L’Église Catholique et son rôle modérateur au cours de la transition médiévale

Personne ne peut deviner ce que serait devenu le Christianisme comme religion officielle d’un Empire Romain stable, car la réalité ne fut pas ainsi. Tout au contraire, le démembrement complet de l’Empire Occidental s’est consacré moins de cent ans plus tard (476) avec l’abdication du dernier Empereur, Romulus Augustule.

Pourtant, le démantèlement des structures politiques romaines ne signifia pas un effondrement équivalent de celles de l’Église. Et c’est ainsi que l’Église Catholique Romaine entreprit la carrière tant extraordinaire –de conservation et de continuité dans le désordre général– que nous connaissions.

Pourvue, comme elle l’était de membres éduqués dans tous les domaines; pourvue, aussi, de capacités de communication diplomatique (et de transfert de fonds) uniques: les avantages d’entretenir des relations étroites avec l’Église sont devenus rapidement évidents à tous les nouveaux potentats régionaux. Il s’en est résulté que l’Église bénéficiait d’un statut protégé et jouait d’un rôle politique de premier importance, dans la transition des tribus Teutonnes vers la société féodale, et par la suite.

Ce statut protégé permit à l’Église d’amasser des biens, c’est à dire des terres, d’une étendue phénoménale. Car dans un monde où la possession dépendait surtout de la violence, beaucoup de chefs locaux, incapables de se défendre, préférèrent céder leurs terres à l’Église plutôt qu’a leurs ennemis. Aussi, les populations paysannes, chassées par les caprices de la migration, et de la guerre, ont pu chercher leur seul refuge sur ces terres. De sorte que, selon la théorie classique: si les Rois et les Nobles contrôlaient chacun un tiers, des terres et des paysannes au cours de le Haut Moyen Âge, le tiers restant –des ressources, des personnes, et de la production économique– se trouvait sous la gestion de l’Église Romaine.

Au milieu, alors, d’une société où tout pouvoir, possession et prestige, procédaient directement de la prouesse guerrier, survint le spectacle fascinant d’un pouvoir alternatif, établi ultimement sur rien de plus qu’une autorité morale, secondée par le savoir, et par l’organisation rendus possibles par celle-ci. Or, au contraire des critiques faciles et intransigeantes de certains sécularistes post-modernes, il serait impossible de surestimer les bienfaits réalisés par ce fait: qu’il existait (pendant tout ce millénaire troublé) un vaste espace physique et économique où ce fut possible de poursuivre des travaux des plus divers, à l’écart des exigences économiques normales; et que ces travaux aient pu procéder sous l’intendance de personnes (dans une large proportion) habitées par des mobiles sincères (et même franchement illuminés) de transcender personnellement l’état humain, et (en attendant) d’améliorer délibérément le sort du monde.

Est-ce qu’il en résulta de la corruption ? De l’exploitation ? Sans aucun doute. Mais aussi faudrait-il poser ces questions essentielles:

Est-ce que cette corruption, et cette exploitation, se démarquaient des équivalents observés de manière contemporaine parmi les autres classes privilégiées de l’époque, nobles et princières?

Est-ce que le joug subi par les serfs des terres de l’Église était-il plus rude que celui de leurs voisins des terres royales?

Est-ce que les abus intimes et personnels, visités par l’ensemble des prêtres, des moines (et des autres titulaires religieux) sur les personnes dépendantes de l’Église, étaient-ils plus courants, ou plus graves, que les outrages pratiqués, par les nobles (et par leurs soldats), à l’endroit des personnes qui leur furent dépendantes ?

Ou encore, en imaginant l’absence simple de l’Église comme refuge unique pour les personnes déplacées et abandonnées: est-ce que la disparition simple de ces gens (seule alternative alors possible) eut été une fin meilleure que leur accueille dans les conditions imparfaites que nous connaissions ?

Les réponses, je l’espère, sont plutôt évidentes.

Or, ce qui puisse nous sembler plus intéressant, je soumet (que ce constat trivial d’un partage inévitable des torts et des injustices universels à l’époque), se trouve plutôt dans la capacité (et dans l’habitude) d’auto critique qui se manifestait à l’endroit (et à l’intérieur) de l’Église même: car ce fut un phénomène de réflexion sociale presque inconnu ailleurs.

— Une dynamique d’équilibre, rompue à l’aube de l’ère moderne (circa 1500 A.D.)

Manifestement, l’Église Catholique s’est nourrie, de tout temps, des énergies de personnes dont le dévouement à l’idéal Chrétien ne peut être qualifié autrement que de transcendant, et même de militant dans sa transcendance. Pendant génération après génération, donc, dans ce terrain de morale humaine expérimentale, il s’est élevé des âmes qui se voulaient résolument Chrétiennes et qui critiquaient les profiteurs, de l’Église institutionnelle, à la mème manière que Jésus, jadis, avait ragé contre les marchands dans le Temple Juif (Jean 2:13-16).

Nombreux, d’ailleurs, furent les potentats ecclésiastiques qui se voulaient eux-mêmes de ce nombre. Nous pouvons indiquer en particulier, le caractère des fondateurs des abbayes et des ordres religieux, qui désirait, très évidement, créer un espace et un cadre de vie où la perfection pouvait se réaliser sur terre. Telle fut l’origine des ordres dont les noms sont connus de tous (Bénédictins 529, Dominicains 1216, Franciscains 1210, Jésuites 1540) mais aussi de communautés innombrables remontant jusqu’aux temps des Romains, et qui ne cessent de se former encore de nos jours.

Personne, je soumets, ne peut douter de la sincérité des intentions des personnalités fondatrices de ces ordres, ni de celles qui s’efforcèrent à suivre dans leurs traces, ni de celles qui entreprenaient la reforme de leurs communautés aux besoin.

Des éléments vénaux, ambitieux (voire: franchement criminels) s’y établirent aussi, certes, et trop souvent s’en emparèrent des postes de commandement. Aussi, les pires contrastes se produisaient, très naturellement, là où les jeux politiques de l’Église rencontrait ceux du monde extérieur, c’est a dire dans les pouvoirs des Évêques, des Cardinaux, et des Papes, dont tous les potentats temporels voulait accaparer l’autorité. Mais pourquoi chercher une finalité de jugement uniquement dans ces crimes? Est-ce que la corruption introduite dans l’Église, par voie de richesse et d’influence, était ultimement plus importante que les bienfaits civilisationnels réalisés par cette même Église ? Et lequel des deux –corruption ou bienfait– représentait une continuation passive du paradigme passé? Lequel marquait une trame de progrès nouveau?

Car à vrai dire, le paradoxe ressenti par les adeptes sincères à l’égard du pouvoir temporel (celui qui s’exerça sournoisement à l’intérieur, et au nom, de l’Église) s’imposait tout aussi rudement pour ceux qui désirait cyniquement manier ce pouvoir –s’en profiter et s’en abuser. Car la réputation et le pouvoir de l’Église dépendait ultimement du soutien des âmes idéalistes à sa base. Les voix et les attentes de ces personnes ne pouvaient être ignorées. Les Papes devaient tenir compte des revendications morales et spirituelles de leurs sujets d’une manière dont les tyrans traditionnels –Empereurs et Rois– n’avait eu que très peu d’expérience. Et l’influence de l’Église auprès des tyrans contemporains portait, très souvent, des résultats civilisateurs certains. Alors même aux moments les plus condamnables dans l’histoire de l’Église, des forces importantes d’auto-critique et de reforme s’exerçaient à travers le tout.

Et pourtant, nous ne pouvons que constater ces faits: que vers le tournant du quinzième au seizième siècle, les contradictions décrites ici éclatèrent avec une force qui ébranla les assises du Catholicisme, et qui mit définitivement fin à son hégémonie. Pour des raisons à la fois évidentes et impénétrables (grâce à leur diversité et à leur étendue; passant du politique globale jusqu’aux moindres détails de la vie quotidienne) cet équilibre dans la perception du bien et du mal, à l’égard de l’Église et de ses serviteurs, avait basculé vers un sentiment irréparablement négatif, parmi une grande partie de la population européenne.

Il ne s’agissait aucunement d’une répudiation du Christianisme pourtant; tout au contraire: la reforme exigée en était une de purification, poursuivie avec le plus grand zèle, autant à l’intérieur de l’Église que parmi ses ennemis. Seulement, il était devenu impossible, pour plusieurs à cette époque, d’accepter la séparation évidente qui se manifestait entre les aspirations apostoliques sincères et les réalités institutionnelles crues.

Or, il s’en est surgi de cette inconfort une crise globale de foi et de politique impériale; qui engouffra toute l’Europe dans les pires convulsions de violence: continuellement pendant deux cents ans; et avec des relents perceptibles jusqu’à nos jours (Irlande et autres).

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section III : Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre: La Reforme protestante: une remise en cause, nourrie en grande partie par la lecture populaire des Saintes Écritures)

Un Américain à Paris: version cinématographique: Gene Kelly

(Tome Premier: L’euthanasie et le choix — Partie C: l’Euthanasie et la médecine — Section III: Une société en rupture — Chapitre: Un Américain à Paris: Gene Kelly contre Henry Miller)

Gene Kelly, Leslie Caron, Nina foch, Metro-Goldwyn-Mayer 1951.

Une comédie musicale situé après la Libération; les voitures en arrière plan sont celles de l’Entre-deux-guerres.

–La culture française stéréotypée

Dans l’esprit Américain, ce fut la France, et surtout Paris, qui avaient toujours représenté le véritable cœur de la culture européenne. Aussi, l’attrait de la culture européenne était devenu énormément plus présent, à la suite des expériences personnelles des soldats Américains déployés en France de 1917 à 1919. Il en résultat un mythe (et une mode) francophile important. Or, entre les deux guerres (ainsi que pendant et après la Deuxième), les artistes Nord-américains furent légion qui traversèrent l’Atlantique pour s’abreuver à cette source.

Mais ce fut, aussi, un mythe fortement subjectif, car la mode ainsi adoptée n’était pas une véritable mode de culture française, mais une mode plutôt, de l’expérience américaine devant une culture (largement imaginaire) qui fut seulement créditée aux français. Objectivement, même, la culture française y était réduite à une caricature d’elle-même.

–Un Américain à Paris, 1951: Un pastiche d’époques, de mythes et de légendes

En 1951 il est apparu un film dans cette veine qui s’appelle “Un Américain à Paris” (An American in Paris, MGM). Ce film musical était mis en scène par Vincente Minnelli (1903 – 1988) qui était aussi (détail intéressant) le père de Liza Minnelli, vedette de “Cabaret”. Le premier rôle du film est celui du jeune artiste-peintre, Jerry Mulligan (Gene Kelly, 1912 – 1996), qui s’exila à Paris (selon la mode) pour approfondir son métier (et pour rencontrer les personnes influentes du milieu).

Comme vraie composition mythique, “Un Américain à Paris” est un pastiche littéraire qui contient des éléments –des clichés et des caractères– tirés de toutes les périodes pertinentes. Le titre même du film annonce cette intention, car il est emprunté à l’œuvre symphonique du compositeur américain George Gershwin (œuvre associée avec son séjour à Paris en 1928); mais l’action y est supposément située après 1945. Manifestement, les idées reçues qui y sont exhibées relèvent autant des souvenirs de la Belle Époque que de ceux de la rassemblement des troupes Alliées (pendant la Première Guerre); de ceux de L’Entre-deux-Guerres; et de ceux de la Libération de la France (à la fin de la Deuxième). Nous y trouvons, ainsi, tous les images-types, si bien connues au sujet des français (et des françaises) telle la fameuse “putain-au-cœur-d’or”, qui se montre, à la fois: abusée, démunie, et généreuse.

Ce serait ainsi, d’ailleurs, que “Jerry” déniche son modèle féminin de peinture d’observation (accessoire indispensable pour quiconque suivrait les traces des “moulins” du dix-neuvième): en libérant une voisine de chambre, prostituée, des griffes de son souteneur; libération qu’il effectue avec une démonstration concluante de la supériorité masculine (toute attendue par l’auditoire domestique du film) de l’Américain-type, devant son équivalent Français.

Et c’est la-dedans, justement, que nous trouvions la contradiction inévitable, qui se cache au centre de cette mythologie continentale. Car au cas où tout (de la France) était inférieur à sa contre-partie américaine (étant au mieux d’une saveur caractéristique agréablement amusante) pourquoi tant d’Américains, issus des classes intellectuelles et fortunées, y passèrent-t-ils tant de temps pendant la période houleuse de l’Entre-deux-guerres ?

— Une réalité qui dément la certitude suffisante de supériorité américaine

Pourquoi, au juste, Jerry Mulligan se sentit-il obligé de s’installer à Paris pour réussir sa carrière d’artiste? Pour trouver Milo Roberts (Nina Foch, 1924 – 2008), cette mécène-héritière (autre stéréo-type inéluctable): qui lui fait les premiers achats de ses peintures; qui lui fournit ses entrées auprès des collectionneurs; et qui promet de financer son premier véritable vernissage (tout en tentant de l’accaparer –selon l’échange habituel– en amant-gigolo)? Pourquoi, d’ailleurs, ce personnage caricatural de l’élite américaine s’y trouva-t-elle?

Était-ce uniquement parce que certaines personnes pouvaient assouvir, plus ouvertement à Paris (ou à Berlin), des goûts sexuels qui se trouvaient encore interdits chez-eux? Se procurer plus facilement des stupéfiants? Ou simplement y vivre à moindre frais (à l’image du tourisme Thaïlandais de nos jours, alimenté –d’après la légende– par des pédophiles, par des adeptes de la drogue, et par des bohèmes aux moyens des plus modestes)?

Avec respect: Cela ne se peut pas. Car au-delà des questions de mode, de préférence artistique –ou de tourisme d’élite– il existait aussi des réalités plus concrètes, et plus profondes:

–L’importance toujours centrale, de l’Europe, dans le destin mondial

À cette époque encore, outre l’Amérique (et le Japon): tous les Grands Puissances du monde (l’Allemagne, la Grande Bretagne, la France, l’Italie, et même la Russie par sa partie occidentale), se trouvaient collées ensembles, de manière fortement armée et manifestent instable, dans ce tout petit sous-continent Européen.

Oui, les tribulations du passage vers la modernité avait fait de l’Europe un pays appauvri –presque pathétique– où tous les moyens (et tous les trafics) étaient devenus des stratégies de la vie courante. Mais le poids prépondérant de la population occidentale y était toujours; l’histoire et les artefacts de son histoire s’y trouvaient; les innovateurs des tendances dominantes contemporaines s’y trouvaient également en grand nombre (dont certains Américains en exile). Et circonstance tant significative: l’Europe ne se résignait aucunement au dépérissement annoncé; car ses habitants luttaient –âprement encore– contre les revers de leur Destin troublant.

Et c’est ainsi que s’est produite cette confluence historique extraordinaire: Dans une seule génération, non seulement Adolf Hitler (1885-1945) mais Benito Mussolini (1883-1945), et Joseph Staline (1878-1953), s’y trouvèrent activement à l’œuvre au mème moment (comme un trio infernal de Bonapartes en puissance); et non ces hommes charismatiques, seulement: mais les souches, les adeptes (et les futurs) de leurs idéologies respectives. Manifestement, alors, en s’approchant de la reprise des hostilités (1939), l’Europe se trouvait toujours au centre du monde (autant géo-politique que culturel); et c’était manifestement leur état psychologique –des Européens– qui devait déterminer le futur planétaire immédiat.

Voilà, donc, pourquoi les enfants sur-doués de l’Angleterre et de l’Amérique –les artistes en devenir et les élites instruites– se réunissait à Berlin, et à Paris, pendant l’Entre-deux-guerres. C’était un simple déplacement, instinctif, vers les couleurs vives et vers les bruits forts: pour témoigner du drame en devenir.

Malheureusement, aussi, cette psychologie européenne en était une des plus ameres possibles: une amertume découverte par de Musset après la déroute de la rêve Impériale (1814); une amertume redoublée dans la frustration du rêve Teuton (1918); une amertume devenue palpable, même dans un Empire Britannique déjà chancelant sur le bord du banqueroute avant la Deuxième Guerre; et une amertume ressentie dans les attentes déçues de la Révolution Russe.

À la fin, ce fut cette amertume profonde qui faisait son irruption fatale, et de la part des Fascistes, et de la part des Socialistes –Teutons et Slaves– qui produisit une destruction humaine et matérielle tellement énorme que ce qui semblait impossible (tout dernièrement encore) devint réalité; c’est à dire: la descente des grandes puissances européennes au rang réduit de pouvoirs régionaux (à la seule exception de la Russie) après 1945. À ce moment, et à ce moment seulement, la dominance américaine fut véritablement établie.

Et pourtant ! Les artistes et les penseurs américains pouvaient toujours relativiser (et idéaliser) l’expérience européenne, à la maniéré de “Un Américain à Paris”, ou encore, de “Gigi” (un autre des grands films musicaux du même auteur, Alan Jay Lerner, 1918 – 1986); mais l’Amérique était une branche sur le même arbre civilisationnel; la même flèche fatidique lui avait pénétré tout aussi profondément (quoique de façon moins visible); et le mème sens de futilité qui avait été découvert devant la guerre industrialisée (par les Anglais, par les Français et par les Allemands) –cette même perte de confiance paralysante, cette même perte de mission nationale– deviendrait maintenant le lot des américains.

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Un moment exquis d’équilibre, de force, et de grâce éthérée: Gene Kelly (1912-1996); Leslie Caron (1931- ).

Les décors et les costumes (des figurants) sont ceux de la Belle Époque.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Sous-section III a) : L’Entre-deux-guerres, la Dépression et la Prohibition — Chapitre: Le véritable “Américain à Paris” : Henry Valentine Miller)

H.K. : La conclusion d’une introduction

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre: H.K. : La conclusion d’une introduction)

-Un devoir de dépasser les impressions superficielles

Malheureusement pour Helen Keller –et aussi pour notre compréhension présente de sa contribution à la pensée de notre espèce– les préjugés du départ qui entourent ce personnage, étaient (et seront toujours) extrêmement difficile à surmonter.

En examinant les témoignages vidéos existants (archives 1, archives 2) par exemple, nous constatons immédiatement l’effet de ce qu’elle qualifiait, elle-même, de son plus grand regret personnel –non sa surdité, ni son aveuglement– mais bien la pauvre qualité de ses paroles livrées à haut voix. Car en raison de ce défaut, Helen se trouvait dans l’obligation d’utiliser, toujours, une assistante pour répéter plus convenablement ce qu’elle disait; et cette circonstance lui imposait, de par le fait même, un filtre et une distance dans son rapport avec son auditoire (en plus de produire une image visuelle suggérant, d’avantage, le caractère d’une personne à part, sous la protection –et sous la tutelle– des tiers).

Mais essayons quand-même à dépasser ces préjugées indissociables (autant à l’époque que de nos jours) de la personne handicapée (et surtout de la personne dont le handicap résulte dans une faculté de parole largement incompréhensible). Essayons de considérer les faits, plutôt, tels qu’ils devaient apparaître au premier concerné. Soyons assez perspicaces à l’étude des vidéos survivantes, pour retenir cette image, plutôt, d’une femme souriante: possédant un posture vertical de danseuse; enjouée; utilisant chaque atome d’avantage –d’intelligence et de grâce– dont elle pouvait se prévaloir. Créditons cette image comme indice fidèle de la vraie Helen Keller, et non s’attarder à la voix, décevante, qui nous rejoint à travers la barrière de la surdité.

Admettons, au contraire, et même dans cette instance, la grandeur de l’exploit: d’avoir cultivé la parole jusqu’à ce point avancé sans pouvoir s’ajuster, ni selon les sons émis, et ni même par l’étude visuelle de ses interlocuteurs.

— Une époque où l’on risqua tout, et Helen encore plus qu’un autre

Pour Helen Keller, et tel que décrit, les luttes du vingtième siècle étaient franchement engagées, et non comme simple témoin impuissant de passage, mais bien comme idéologue influente. Et au-delà des sacrifices spéculatifs ultérieurs (acceptés d’emblée par tout combattant lucide), Helen s’était engagée aussi, dans l’immédiat, avec des risques de pertes financières appréciables, qui serait spécifiques à elle.

Car tout le personnage public de cette demoiselle avait été bâti sur la légende (et sur la réalité) de son miracle personnel. Ce fut un caractère qui lui gagnait une sympathie universelle; qui lui ouvrait toutes les portes; et qui, en particulier, lui garantissait, et les fonds requis pour vivre, et ceux employés pour poursuivre ses œuvres dans le domaine de l’éducation des sourdes et des aveugles. Or, des déclarations publiques et partisanes, comme celles rapportées ci-avant, ne pouvaient qu’aliéner des intérêts et des donateurs importants.

Souvenons nous, à cet escient, que Helen avait publiquement proclamé sa lutte “à finir” comme étant une contre “le système économique sous lequel nous vivons” et rien de moins. Très certainement, les pertes financières auxquelles elle s’exposait en utilisant une telle rhétorique (quoique impossible à estimer avec précision) risquaient d’être très appréciables –et peut-être même déterminantes– pour sa carrière de récolteuse de fonds charitables.

Souvenons-nous également des implications financières de l’handicap: Car pour Helen Keller, dans sa précarité première, les risques de pauvreté seraient toujours infiniment plus grands que celles de ses concitoyennes « normales » tandis que les besoins minimaux de sa survie, dans la dignité, seraient d’autant plus grands, de sorte que toute perte subie serait plus importante pour elle que pour un autre.

Il serait toujours facile de se berner dans l’imagination que Mlle Keller était tout simplement inconsciente des conséquences de ces gestes, de la portée de ses dires. Mais aux contraire: elle en était lucidement consciente; et consciente, aussi, du fardeau de la lucidité; une conscience, d’ailleurs, qu’elle partage avec nous dans les mots suivants:

“Les gens (sic) n’aiment pas penser. Si nous pensons, nous devons arriver a des conclusions. Les conclusions ne sont pas toujours plaisantes.”

À la fin, en essayant de me représenter la réalité de cette femme, à Carnegie Hall en 1916, qui se présentait devant des milliers de personnes: incapables de les voir; incapable même d’entendre les réactions à son discours (mais finement sensible à toute vibration ambiante, et submergée, donc dans les tonnerres de la foule); guidée par sa compagne fidèle; seule devant le microphone où elle prononça son discours dans le silence absolu; incapable surtout d’entendre sa propre voix –et de livrer par l’occasion un message d’une telle combativité!

Le tout me semble presque impossible de description.

— Un dernier regard sur la stature du personnage

Décidément, nous sommes ici (et je le répète sans peur de contradiction) devant un esprit proprement héroïque: qui habita une période historique particulièrement bien adaptée à son caractère; où elle figurera, à tout jamais, parmi les personnages les mieux remémorés.

Exagération ? Eh bien, considérons les faits:

Albert Einstein, celui qui passera toujours pour la première intelligence de sa génération, disait lui-même que cette place appartenait plutôt à Mlle. Keller.

Aussi, le premier homme d’action contemporain, celui qui scella les destins de millions d’hommes sous les armes, en Europe comme en Russie; celui qui aurait certainement réalisé une victoire Allemande sans l’intervention Américaine (et qui fut élu, plus tard, à la Présidence de la République Allemande) était Paul von Beneckendorff und von Hindenburg. Mais lequel, des deux, est le mieux connu de nos jours : le nom d’Helen Keller ? Ou celui de Von Hindenberg ?

La réponse, apparemment, se détermine seulement par la compagnie dans laquelle serait posée cette question. Car ma fille cadette connaît très bien (à quinze ans) le personnage d’Helen Keller –tandis qu’elle ignore, encore, tout du Général.

Mais peu importe. Ces deux personnages partageaient, de toute évidence, des caractères spécialement accordés à cette époque d’exception (qui fut celle de la Grand Guerre). Et aussi surprenant que cela puisse nous paraître, il paraîtrait qu’ils partageaient, également, une capacité importante d’embrasser la mort, industriellement administrée, en sous-produit inéluctable de ce qu’ils croyaient, tous les deux, être des réponses rationnelles aux défis de leur époque. Car c’était cette époque elle-même qui les sélectionna.

En ce qui concerne notre sujet premier, c’est à dire l’euthanasie (et plus particulièrement l’euthanasie utilitaire), je crois que seulement le climat de violence et de mort, extraordinaire, de 1915 –préparé depuis cinquante ans dans l’extrême militarisation nationaliste; articulé avec les moyens techniques de l’industrialisation moderne; et normalisé, finalement, au quotidien d’une Guerre Totale de durée indéfinie– ait pu expliquer, adéquatement, l’irruption soudaine (dans un pays pourtant dédié à la proposition de l’égalité des personnes) d’un débat sérieux au sujet de l’euthanasie utilitaire des enfants handicapés.

Or, qu’Helen Keller ait été choisie pour être celle qui définirait, pour toujours, les paramètres de ce débat –par le sort, par l’histoire, par ses capacités particulières, ou par son ambition propre– est un simple constat du fait. Et de ce fait, elle aurait gagné le droit, indéniable, que l’on transcende les croyances et les préjugés superficiels entourant son personnage mythique, pour s’attarder froidement sur le sens exacte de ses paroles.

Enfin, c’est n’est rien d’autre que cela, qu’elle nous demande directement dans ses dires; et nous avons le devoir, je le répète (dans le respect que nous la tiendrons toujours): à la prendre au mot.

Mais avant de pouvoir procéder dans ce sens, et pour mieux comprendre le tout, j’inviterais le lecteur à s’attarder brièvement, dans la suite, sur les traditions philosophiques (encore largement dominantes à son époque) contre lesquelles Mlle Keller devait se mesurer, pour avancer sa thèse révolutionnaire.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie – Section III – Le patrimoine philosophique ancestral : le caractère sacré de la vie ; la valeur intrinsèque de l’individu humain ; les origines divines de « l’égalité » politique — Chapitre : Une heureuse occasion pour décrire, enfin, une tradition plus positive)

“Bonheur”, “Intelligence”, et “Pouvoir” versus “Espoir”, “Foi”, et “Amour”: une fausse représentation de la satisfaction véritable, autant dans la vie “normale” que dans celle des personnes handicapées

(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section IV : La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: “Bonheur”, “Intelligence”, et “Pouvoir” versus “Espoir”, “Foi”, et “Amour”: une fausse représentation de la satisfaction véritable, autant dans la vie “normale” que dans celle des personnes handicapées)

–Au-delà de l’économie utilitaire: des préjugés coriaces

Tel que relaté dans notre dernier chapitre, les objectifs de notre héroïne (en proposant un régime d’infanticide sélectif) relevaient, avant tout, des exigences utilitaires de l’économie collective.

Dans son environnement contemporain, cependant –toujours dominé par la morale chrétienne– l’argument économique direct était conventionnellement irrecevable. Et c’est ainsi que Helen ait voulu utilisé le lexique eugénique: pour contourner les scrupules moraux de son auditoire traditionnel, en s’adressant simultanément à ses aspirations les plus élevées, et à ses préjugés les plus sombres.

En particulier, face à la notion de valeur “sacrée” (de la vie): la réception favorable des conclusions de Mlle Keller dépendrait du fait préalable que son auditoire eût été bien persuadé que ces êtres dépendants ne sont pas de véritables “personnes”. Or, pour tirer cette distinction, Mlle Keller présenta sa liste, personnelle, des qualités nécessaires à la vie « sacrée », et dont certains handicapés en sont (selon elle) dépourvus.

–Des charges morales: qui demandent une réponse sur leurs mérites propres; mais qui servent, surtout, de digression pour masquer l’économique cru

Clairement, cette liste de qualités positives est très révélatrice au sujet des préjugés partout partagés (d’antan et d’aujourd’hui) concernant les vies qui méritent (et qui ne méritent pas) de vivre. Décidément, aussi, il nous serait tout autant profitable de nous attarder sur le fondement de ces idées reçues.

Malheureusement, je sais très pertinemment, aussi, qu’en ce faisant nous nous prêtons volontiers au jeu préparé par Mlle Keller, qui consiste tout simplement à “noyer le poisson”: en multipliant à l’infini les digressions dans le discours; et en détournant notre regarde du seul élément réellement essentiel (l’argument économique): qui agit sans cesse en sourdine, avec un effet d’autant plus formidable qu’il ne soit si peu soumis à l’attention directe.

Souffrant moi-même, pourtant, de handicaps importants, je me sens viscéralement incapable de laisser passer ces calomnies; de permettre que cette discussion de la valeur humaine soit articulée, seulement, au niveau du regard extérieur. Je souhaiterais, donc, que le lecteur bénéficie d’une analyse qui ne soit pas bâtie, uniquement, à partir de peurs irrationnelles émanant des personnes indemnes; de peurs fondées, essentiellement, dans l’ignorance.

Ou encore: considérant que ce débat nous présente un choix fondamental entre des systèmes éthiques de souches opposées (centrées pour l’une dans la subjectivité personnelle, et pour l’autre dans l’objectivité collective), je ne peux m’empêcher –au moins un instant– de parler dans le langage de la subjectivité.

Alors (une fois de plus): quels sont (selon Helen Keller) les attributs nécessaires à la vie « sacrée » ?

–Le bonheur

Premièrement on y trouve « le bonheur », avec la suggestion sous-jacente qu’une vie malheureuse ne vaudrait pas la peine d’être vécue.

Mais quel énoncé extraordinaire !

J’ignorerais, pour l’instant, l’énormité de la présomption que l’on puisse porter un jugement extérieur sur ce fait des plus subjectifs qui soit l’expérience du bonheur. Je me contenterais simplement à signaler que le bonheur est une émotion contextuelle. Comme nous le savons tous, la même personne serait plus facilement heureuse (ou le contraire) dépendant des circonstances qui l’entourent, sans que soient altérées les caractéristiques qui la définissent pour elle-même; ou autrement dit: sans qu’elle ne soit plus ou moins intelligente, ou plus ou moins puissante (pour reprendre les caractéristiques spécialement retenues par notre auteure).

En fait, les apôtres des droits des personnes handicapées prétendent, et non sans raison: que l’état malheureux, si généralement associé (dans l’imagination populaire) avec la vie handicapée, soit d’abord, et avant tout, le résultat des piètres conditions dans lesquelles la collectivité aurait choisi –par mégarde, par impuissance, ou par dessin– que ces mêmes handicapés ont dû, si souvent, poursuive leurs vies.

Mais surtout, l’idée sous-entendue (qu’une vie malheureuse ne vaudrait pas la peine d’être vécue) est une proposition aberrante, très évidement rejetée dans la pratique –partout et toujours– par tous ceux et celles qui s’obstinent à vivre, malgré leurs chagrins particuliers.

— L’intelligence

Considérons maintenant l’intelligence: choisie par Mlle Keller, certes, du fait qu’elle possédait cette faculté dans un degré supérieur; et qu’elle serait, donc, portée naturellement à créditer cette intelligence comme le moyen par lequel elle était parvenue, elle-même, à réaliser une certaine mesure de bonheur.

Mais imaginons, un instant, qu’Helen n’eût pas été entourée de personnes motivées par l’amour (et qui plus est: des personnes pourvues de moyens substantiels qu’elles s’efforcèrent à déployer pour son bien). Imaginons, au contraire, qu’elle eût été assujettie –comme tant d’autres « déficients »– à la négligence (sinon à l’abus grossier) de la part d’un entourage indifférent, ou franchement hostile ?

Eût-elle été aussi « heureuse » ?

Imaginons ,enfin, une autre jeune fille similairement sourde et aveugle, peut-être moins douée de l’intelligence celle-là, mais qui eût eu, aussi, la chance d’être entourée d’amour et de tendresse, respectueux et protecteurs. N’est-ce pas possible que cette fillette ait été encore plus heureuse qu’une Helen Keller négligée ou activement abusée –aussi intelligente soit-elle– et même pour tout dire (dans les limites de son destin moins extraordinaire) toute aussi heureuse qu’Helen Keller, telle que nous l’ayons réellement connu ?

–Le pouvoir

Finalement, considérons le « pouvoir », troisième attribut choisi par Mlle. Keller pour définir la vie dans son caractère « sacré ».

Dépassons rapidement les associations évidentes de ce mot avec la poétique rustre du néo-primitivisme romantique, tant influente dans sa génération (et citée ailleurs dans ce pages); le culte Teuton de la jouissance dans la force primaire de la jeunesse, par exemple (raconté par Tacitus et repris par Mendel). Admettons, surtout, que cette phase de vie magique ne dure qu’un moment, éphémère, dans l’expérience de l’individu type; et dont la plein valeur serait appréciée, d’habitude, seulement après son passage.

Que signifie, alors, le “pouvoir” (ou la “puissance”) dans la vie normale?

Est-ce le pouvoir de vivre de façon entièrement indépendant de l’aide d’autrui ? (Mais combien de personnes peuvent ou voudraient réellement vivre ainsi ?) Ou est-ce, au contraire, le pouvoir d’engager et de commander le travail d’autres personnes, de sorte que nos impuissances soient masquées et même éliminées (c’est-à-dire le pouvoir tel qu’Helen –et tous les autres membres des castes supérieures, passées et présentes– l’ait réellement connu, avec la dévotion de ses servants, et de ses amis) ? Ou est-ce les deux à la fois, un pouvoir (toujours déficient) de l’individu humain: partiellement amélioré (dans notre modernité) par un entrepreneuriat engagé dans le développement constant de machines et d’applications toujours plus performantes (dans la sphère de l’autonomie personnelle); mais ultimement soutenu par un engagement social pour pallier aux déficiences résiduelles (manifesté parmi l’entourage intime d’abord, mais public au besoin), un engagement informé non par le mépris, mais par le respect de la personne assistée ?

Il y aurait, donc (et tel que déjà remarqué), un argument très fort à présenter du perspective des droits de la personne handicapée, à l’effet que le « pouvoir » (de toute personne) n’est pas déterminé par son état physique, ou mental, autant que par la place qu’il lui soit permis d’occuper dans la société environnante.

–Un monde où la normalité et l’état handicapé se confondent dans les faits

Pour constater plus généralement les niveaux, typiques, de “pouvoir”, “d’intelligence”, et de “bonheur”, convenons-nous seulement des faits suivants:

Nous vivons actuellement dans un monde habité de personnes dites « normales » dont la moitié (par définition) présente des quotients intellectuels de moins de 100, et pour le quart, inférieur a 90; nous vivons, aussi, dans un monde peuplé de personnes “normales” qui sont objectivement incapables d’imposer leur volonté (ni d’échapper à l’imposition des volontés extérieures), et cela, quelque soit la qualité de leurs capacités physiques; et finalement, nous vivons dans un monde ou grand nombre de personnes –parfaitement “normales”– se qualifient de malheureux.

Nous vivons, donc, dans un monde qui comporte une fraction importante de personnes n’ayant ni “l’intelligence” ni le “pouvoir” valorisés par Mlle Keller, et dont le bonheur –dans la mesure où elles le possèdent– ne dépendent pas de ces caractéristiques. Il dépend plutôt, de certaines forces positives de la psychologie humaine, traditionnellement nommées “l’espoir” (une attente positive toujours renouvelée); la “foi” (une confiance transcendante); et “l’amour” (qui en est l’expérience et l’expression: un lien de bienveillance –à l’égard du tout– qui dépasse l’intérêt personnel); des forces, enfin, qui rendent l’esprit heureux: dans l’absence, même, du “bonheur”.

–En dernier lieu: l’amour

Ce sont des mots (avec tous leurs synonymes) qui sont partout présentes dans les écrits de Mlle Keller (cette dame qui les vivait –et qui les personnifiait même– dans un degré tant exceptionnel). Son récit des bienfaits de l’euthanasie, cependant, s’en trouve entièrement dépourvu; et plus particulièrement: en est

absent “l’amour”, ce mot dont le sentiment sert de moteur ultime pour tous les actions, positives, de nature sociale.

Car Helen (malheureusement) s’est apparemment décidée –lucidement et froidement– de refuser cet amour (tant évident partout ailleurs dans son discours) à ce qu’elle appelle des « pauvres créatures, malformées, paralysées, et idiotes », sauf (bien sur) dans la mesure où le geste de tuer peut, lui-même, s’interpréter en geste d’amour.

–Un commentaire personnel en guise de conclusion

Cher(e)s lecteurs et lectrices: j’avoue que ce sont mes propres expériences de la vie “déficiente” qui me fait ainsi insurger contre les préjugés arrogants véhiculés par Mlle Keller. Et pour m’y objecter –en fait pour me protéger personnellement, des conséquences fatales ici suggérées– il me semble nécessaire d’offrir une fenêtre plus directe sur la subjectivité des personnes concernées, et sur nos désirs, presque universels, de survivre.

Pour écarter toute ambiguïté : je veux vivre.

Aussi, sachant que ma survie dépendent ultimement de la volonté des tiers: j’aimerais faire tout mon possible pour stimuler, chez le lecteur, une sympathie protectrice qui soit fondée dans l’expérience de notre humanité commune.

Mais toujours est-il –dans la logique de l’euthanasie utilitaire– de telles considérations subjectives sont entièrement sans rapport.

Car selon l’ethos social de Mlle Keller –c’est-à-dire pour tout collectiviste lucide et conséquent (voire tout marxiste, ou fasciste, “réaliste”)– seulement la valeur objective de l’individu (à l’égard de la collectivité) peut justifier son existence.

Or, perçus ainsi: les handicapés –intellectuels ou physiques– exigent l’octroi de ressources importantes, sans pouvoir contribuer dans une mesure équivalente.

Tel serait, sans détour, la justification profonde de tout régime d’euthanasie utilitaire. Le reste ne consiste, malheureusement, que d’astuces rhétoriques et de digressions dans l’argument.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire: (Tome Deuxième: Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C: L’euthanasie et l’idéologie — Section IV: La proposition d’infanticide, avancée par Helen Keller, 1915 — Chapitre: Helen Keller et l’aveuglement rationalisant du subjectif)