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Les Années Folles se transforment en Crise profonde - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Les Années Folles se transforment en Crise profonde

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Les Années Folles se transforment en Crise profonde)

Hermann Hesse (1877 – 1962) : auteur “Le Loup des steppes”; Prix Nobel de la littérature (1946)

— En Allemagne d’abord

En 1919, l’Allemagne s’est vue frappée le plus rapidement et le plus profondément (voire : immédiatement) par la crise économique émergente : d’abord par l’épuisement matériel qui accompagnait une résistance futile, maintenue bien au-delà des limites nationales (notamment dans la dernière “offensive du printemps”, dite “bataille du Kaiser”, 1918); et ensuite, par une politique française “revancharde” postulée sur le fantasme, irréaliste en tout point, que les Allemands, objectivement défaits et ruinés, aient pu payer des réparations, égales à la totale des pertes et des dépenses souffertes par les vainqueurs. Bien-sûr, les tentatives malavisées, d’appliquer cette politique, entraîna la désolation complète du peuple allemand. Mais plus encore, étant les partenaires économiques, principaux et nécessaires, des Français, des Belges, et d’autres nations européens, la ruine des Allemands entraîna celle des vainqueurs, également. Et puisque tous les efforts véritablement fournis, dans cet exercice de réparations, étaient uniquement possibles grâce aux fonds avancés, à l’Allemagne, par les États-Unis, l’effondrement des économies européennes contribua fortement, à son tour, à la crise bancaire qui frappa l’Amérique en 1929.

— Eric Maria Remarque et le chemin de retour

Pour décrire cette expérience nationale, nous trouvons notamment les ouvrages inoubliables d’Erich Maria Remarque (1898 – 1970) dont « Trois Camarades » (Drei Kameraden, 1936). Dans ce roman, qui décrit la vie des soldats allemands, péniblement réintégrés à la vie civile (au cours des désastres, politiques et économiques, de la République de Weimar, 1918 – 1933), la violence banale, individuelle et collective, se trouve partout. D’entrée en matière, une voiture aperçue en panne, à coté de la route, fournit l’occasion d’une bataille rangée entre les “trois camarades” (d’anciens frères des tranchées, associés maintenant en mécaniciens d’automobiles) et les ouvriers d’un garage rival, pour en disputer le contrat de réparation; ensuite, la tentative d’avancer un véhicule, à la tête d’une file de taxis en attente de clients devant une porte d’hôtel, demande, nécessairement, un autre combat; et même se lier d’amour implique, au préalable, la libération violente de la femme désirée, des griffes de son ancien « protecteur ».

L’un des trois camarades (mais seulement un) affectionne les rassemblements politiques, de gauche et de droit, qui animent et perturbent toute cette période. Malheureusement, aussi, il se fait mortellement tiré par balles dans une affrontement de factions rivales au cours d’une telle occasion. Or, le plus vieux et le plus sérieux, des trois amis, en fait tout de suite une affaire personnelle. Il s’absente pour trois jours, et retourne, au but de ce délai, indiquant sans précisions que l’affaire était « conclue ».

À aucun moment, le lecteur ne connaît l’appartenance politique ni de l’un, ni de l’autre, et ce détail ne possède aucun intérêt pour les deux camarades restants. Seules comptent la loyauté, et la survie. La consommation constante et grossièrement immodérée de la boisson, ainsi qu’une atmosphère évidente, d’éphémère dans l’existence humaine, habite le tout. Tout y est pour signaler la fragilité de l’homme.

Pourtant, le sentiment où nous remarquons la véritable profondeur analytique de ce livre, se trouve dans la répudiation quasi-complète de l’autorité, autant du passé Impérial, que du Fascisme (ou du Socialisme) en devenir. Car à l’encontre des sentiments nostalgiques du dix-neuvième siècle en France (pour la Monarchie, pour la Révolution, pour l’Empire), les protagonistes de cette histoire, ne consentiraient jamais à échanger les difficultés de leur présent, incertain, pour une retour à la société précédente (solide, rangée et relativement prospère), qui les avait soudainement jeté (selon une logique interne apparemment inéluctable), dans les horreurs d’une « Grande guerre pour en finir avec toutes les guerres ». Alors, obligés, à accepter le présent précaire, ils l’étaient de force, certes ; mais ils choisissaient, aussi, agressivement cette obligation.

Personnellement, Eric Maria Remarque n’avait que vingt ans, en 1918, à la fin des hostilités. Par la suite, il avait passé dix années pour produire son chef d’œuvre, “À l’Ouest rien de nouveau” (1929), devenu le plus remémoré des romans décrivant la vie des soldats au cours de cette guerre (et le plus grand succès de la littérature allemand dans sa génération); il en prit deux ans de plus pour écrire “Le Chemin de retour” (1931) qui parle, en alternance, des souvenirs de la guerre, et de l’aliénation des soldats dans leur expérience de démobilisation. “Trois camarades”, qui ne parle plus de la guerre qu’en référence au passé, et où les protagonistes font pleinement partie de leur société présente, n’apparaît qu’en 1936 (dix-huit ans après l’Armistice) un excellent indice du temps nécessaire, à l’ancien combattant, pour réussir cet exploit psychologique. Tous ces livres se trouvent, d’ailleurs, dans une catégorie de littérature qui se veuille “réaliste”, et ils exercent, ainsi, un attrait impérissable pour ceux qui désirent comprendre ce chapitre du passé. Surtout, cet œuvre marque l’arrivée d’une jeunesse ayant formé toute sa compréhension, de la vie et du monde, en réaction à cette guerre unique, et à la crise qui y succéda.

— Hermann Hesse et le théâtre magique

Au contraire de E. M. Remarque (notre auteur précédent), Hermann Hesse (1877 – 1962) avait déjà 37 ans au début des hostilités en août 1914. Plutôt pacifique, mais toujours patriote, Il s’est quand-même porté volontaire, mais fut jugé inapte pour le service actif, et passa son service dans la surveillance de prisonniers de guerre. Hesse était, aussi à l’époque, un auteur très bien connu (grâce à “Peter Camenzind”, 1904, et plusieurs autres romans). Pour lui la guerre représenta, donc, non un univers en soi, mais un épisode, seulement, dans une vie déjà bien engagée; et il semblait, d’abord, que son œuvre fortement introspectif (voire: mystique) ait pu procéder dans la même veine, avec l’arrivée de la paix.

Portant, avec son retour à la vie civile en 1919, Hesse se trouva en rupture avec sa femme, et séparé de ses enfants. Puis, après quelques années de travail dans un isolement intellectuel volontaire (“Demian”, 1919; “Siddhartha”, 1922), il souffre de ce que nous appelons aujourd’hui une “crise de la mi-vie”, où, d’après son description romancée: il se retrouve à quarante ans, devant son miroir, accablé par la futilité de sa vie d’homme (et d’écrivain), se demandant, même, si ce ne serait pas mieux, après tout, de subir “un accident en se rasant”.

Or, devant cette question, existentielle, il délaissa passivement sa discipline habituelle d’intellectuel et d’écrivain, (des certitudes rigoureuses qui eurent incarné, pour lui, toute la stabilité de l’Allemagne d’antan), pour observer, à la manière d’un touriste en terre étrangère, le monde actuel autour de lui. En fait, il s’est mis à flâner, tout simplement. Et en errant, ainsi, dans les rues, sans direction ni but — de jour et de nuit — il avait fini par rejoindre, inévitablement, de manière subjective et immédiate, sa version personnelle de la crise de vie qui accaparait, en ce moment, toute une génération de jeunes adultes sur deux continents. Car accablé à sa manière, comme tout le monde était accablé à cette époque, que ce soit F.Scott Fitzgerald (dans le luxe frénétique, prohibitionniste, des Années Folles), jusqu’à Erich Maria Remarque (dans ses descriptions de la survie précaire des soldats démobilisés); Hermann Hesse se livra au floue menaçante de ce bref moment d’agitation populaire généralisé, sur fond de misère endémique (1919 – 1939); un moment subséquemment surnommé, en toute simplicité : “l’Entre-deux-guerres”.

— Steppenwolf

Le produit littéraire éventuel, de cette expérience, s’intitula “Le Loup des steppes” (Der Steppenwolf, 1927). Hesse y raconte comment il se trouva, au fond de sa désarroi dépressive insurmontable, étrangement attiré par certaines lumières féeriques, rencontrées, la nuit, dans une ruelle desserte. À la source de ces lumières, il donne le nom séduisant de “théâtre magique”, et quoiqu’il ne cherchent pas à y pénétrer les mystères sur le coup, une obsession irrépressible lui oblige à ce faire, dans les jours qui suivent. Car la matière narrative, de ce chef d’œuvre de la littérature du vingtième siècle, concerne non seulement l’avènement de cet nouvel espèce d’homme, aliéné de la société (selon Hesse, le “Loup” solitaire des steppes), mais aussi, son initiation au monde interlope, de rêve, de consommation, d’illusion et de débauche, qui trace ses origines à travers tous les lieux de divertissement résolument “gais” — des cabarets clandestins de la Prohibition, des moulins de la Belle Époque, des tavernes de Gin Lane, et jusqu’à l’auberge, “bien éclairée”, du conte folklorique des frères Grimm (“l’Oiseau d’or”).

En homme mur, donc, l’alter ego littéraire de Hermann Hesse abandonne délibérément les vestiges résiduels de l’Allemagne de l’Avant-guerre, dans lesquels sa jeunesse et sa carrière étaient enracinés; et en ce faisant, il rejoignit, en observateur quelque peu détaché, la société des plus jeunes qui avaient été, pour leur part, expulsés de force de cette même civilisation révolue. Hesse décrit, ainsi, son association de client matériellement privilégié, avec les habitués du « théâtre magique ». Or, comme les initiés de tout temps le savent, ce dernier se révèle en société amorphe, s’articulant autour de nuits animées par la musique, la poésie, la chair, et la drogue; une culture que Hesse perçoit pourtant (ou encore se berne à représenter), non en débauche simple (à la manière d’un de Musset ou d’un Baudelaire), mais en initiation spirituelle (ce qui lui eût mérité, rétrospectivement, une place de première importance parmi les avant-coureurs du mouvement contre-culturel des années soixante).

Cependant (et même en dépit de son penchant de mystique individualiste) ce qui distingue Hermann Hesse, de tant d’autres libertins accidentels, se trouve dans le contexte, collectif et civilisationnel, de son conte allégorique. Car beaucoup de personnes, parmi nous, ont goûté aux plaisirs illicites du monde interlope, surtout suite à des tournures d’événement extraordinaires, de nature personnellement perturbantes; et beaucoup, aussi, sont ceux qui s’y trouvent fatalement ensevelis. Mais pour les survivants de tels épisodes, le chemin de la réhabilitation mène, toute naturellement, par une réintégration aux certitudes sociétales environnantes. Or, telle fut précisément la singularité de ce moment fatidique de l’histoire : car ni pour Hermann Hesse, ni pour Erich Maria Remarque, ni mème pour F. Scott Fitzgerald (ni par extension pour toute cette génération élargie) il n’exista plus de certitude sociétale à laquelle ils auraient pu construire un véritable “Chemin de retour”.

Même pour être plus précis : et Hesse, et Remarque, ont vu leurs œuvres bannies et détruites dans leur Allemagne natale; et tous deux, définitivement déracinés, ont du chercher exile ailleurs.

Voilà, alors, la réalité du sobriquet: “génération perdue”.

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Erich Maria Remarque, né Erich Paul Remark (1898 – 1970), auteur “À l’Ouest rien de nouveau”, “Le Chemin de retour”, “Trois camarades”

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : « L’Ange bleu » de Heinrich Mann, Joseph Sternberg et Marlene Dietrich)

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