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- La confirmation fortuite de préjugés ancestraux - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

– La confirmation fortuite de préjugés ancestraux

(Tome Premier : l’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi — Chapitre : L’Exception érigée en règle, ou : Ce qu’Alice trouva de l’autre côté du miroir — La confirmation fortuite de préjugés ancestraux)

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Carcassonne, France, XIV ieme siècle : L’entrée de la ville refusée aux lépreux

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     J’aurais commencé cette discussion, sur les exceptions à l’interdit dans le cadre de la morale traditionnelle (ainsi que les effets de bâtir de nouveaux textes de loi sur de telles exceptions), pour montrer que les peurs exprimées par grand nombre de malades et d’handicapés, face à la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie volontaire, ne sont pas sans fondement. Et je crois que la problématique inéluctable pour ces gens non-suicidaires, de se voir inclure, malgré eux, dans une catégorie de personnes dont le suicide — c’est à dire la mort — serait dorénavant largement accueilli en « bien », personnel et sociétal, fait amplement la démonstration que ces peurs soient fondées.

   Voilà l’indice, enfin (bien que de nature indirecte), que l’on puisse identifier comme étant le plus préjudiciable à l’égard de la forme mal bouclée de la reforme retenue : le fait qu’elle s’accorde, si mystérieusement – à merveille dirait-on — avec les pires dispositions antérieures de notre espèce à l’égard de l’individu dépendant !

     Car, tel que nous l’aurions déjà précisé : la légalisation du suicide médicalisé (aide médicale à mourir) s’est fait dans un esprit de morale plurielle pour valider des décisions, personnelles, qui procèdent d’une motivation interne et subjective ; mais la forme de loi employée, par contre, en fut une d’exception, objectivement justifiée, à l’endroit d’une interdit catégorique ; or, une fois pris dans cet étau de logique morale il serait devenu nécessaire de reconnaitre la volonté suicidaire en bien extraordinaire – accordant non seulement la permission demandée, mais effectivement, une précédence morale à l’égard de l’interdit existante.

     On donne, ainsi, raison à la personne suicidaire.

     Pourtant, la volonté suicidaire n’est exprimée, comme nous le savons, que par une maigre minorité des personnes qui soient admissibles à l’aide médicale à mourir, tandis que même dans la catégorie la plus plausiblement portée vers un recours éventuel (les cancéreux en phase terminale) pas moins de 90% (au sein des pays qui en possèdent la plus d’expérience) refusent l’euthanasie offerte.

     Comment serait-ce possible, alors, d’expliquer l’enthousiasme avec laquelle la population ait réclamé cette loi – et l’enthousiasme avec laquelle elle aurait substitué sa propre perception des faits pour celle de la majorité des personnes directement visées — autrement qu’en postulant l’existence d’un préjugé public largement partagé, qui s’accorde d’emblée avec la malheureuse conclusion morale fortuitement retenue : que le suicide des malades et des handicapés soit un « bien », généralement et en principe ?

     Soyons francs à cet égard ! Nous avons une histoire ancestrale de comportements lamentables, à l’endroit des malades et des handicapés, qui remonte jusqu’aux origines de notre espèce et au-delà ; qui se révèle, même, dans l’habitude générale des animaux sociaux à tourner, avec une fureur meurtrière instinctive, sur les individus anormaux parmi eux. Tout autant de nos jours, d’ailleurs, la peur de la déficience, de la difformité, de la souffrance et de la dépendance, sont des émotions irrationnellement fortes chez l’individu bien-portant. Et ces peurs se traduisent, tout naturellement, par des réactions de dégoût, de pitié, de recule, et même trop souvent (il faut l’avouer) – de l’agression — face à l’être déficient, déforme, souffrant et dépendent.

     Il se trouve, donc, une tendance préexistante – et très forte — dans l’histoire intellectuelle de notre race, vers une vision, de la valeur (variable) de la vie humaine, qui soit articulée en termes de la force et de l’intégrité physique ; et par opposition, les vies caractérisées par la faiblesse, la difformité et la déficience, sont considérées comme étant imbues d’une moindre valeur (souvent, enfin, sans valeur du tout) ; et malgré l’interdiction traditionnelle, du suicide et de l’homicide, la mort de tels individus ait été, également, souvent perçue en bien.

     Pire encore, la superstition humaine qui s’obstine à chercher des explications là où il n’y en a peut-être pas, nous amène souvent à proposer des « raisons » morales pour les accidents de parcours (ou de génétique) : blâmant l’être affligé pour son affliction ; invoquant la justice divine ou une juste revanche de la nature.

    Évidement de tels propos, et de tels faits, sont officiellement bannis de nos jours. Mais cette contrainte de discours ne fait que maquiller la réalité sociale, ou tous ces préjugés existent, et existeront probablement toujours.

     Tel était, d’ailleurs, l’intention de l’interdit catégorique (maintenant abrogé), à l’égard de l’assistance au suicide : car contre un danger jugé de nature permanente, fut érigée une barrière à laquelle on aurait voulu accorder une permanence égale.

     Le lecteur plus sceptique trouvera, je soumets, un excellent récit de ces faits, limpide dans l’honnêteté inconsciente qui fut caractéristique du temps, moins systématiquement auto-censuré, du dix-neuvième siècle : Le Gueux, Contes du jour et de la nuit, Guy de Maupassant C. Marpon et E. Flammarion, 1885 (p. 217-228).

     « Dans les villages, on ne lui donnait guère : on le connaissait trop; on était fatigué de lui depuis quarante ans qu’on le voyait promener de masure en masure son corps loqueteux et difforme… Te r’voilà encore, vieille pratique ! Je s’rons donc jamais débarrassés de té ? … De porte en porte on le rudoya, on le renvoya… Il continuait cependant sa tournée, patient et obstiné. »

     Or, par contraste avec le vocabulaire simple de ce conte naturel, je prétendrais, même, que la profondeur de ces instincts, de nos jours, se trouve trahie, et même renforcie (ironiquement), par les pénibles contorsions linguistiques qui sont couramment employées — avec les meilleures intentions, certes — pour tenter d’occulter, dans toute discussion politiquement correcte, la réalité palpable et déroutante de la maladie, de l’infirmité – c’est-à-dire : de la déficience.

     Face à ce discours, nouvellement aseptisé, nous serions encouragés à imaginer qu’il n’y ait rien d’horrible dans la maladie, rien d’amoindrissant dans la dépendance, rien de dégoutant dans la perte de maitrise sur les fonctions organiques. Eh bien, détrompons-nous ! Car horreur, amoindrissement et dégout, il y en a, inéluctablement. Et le désir de nier ces faits — d’évacuer ce langage — ne fait que renforcir la véritable conséquence de ces astuces confortables : de renier et d’évacuer les personnes qui persistent à présenter — malgré la vision officielle épurée — les caractéristiques répugnantes dont nous aimerions nier l’existence ; et alors, pour chasser ces phénomènes – ces textures, ces couleurs, ces bruits, ces odeurs — nous finirions, effectivement, par chasser les personnes qui nous les imposent !

     Mais quelle ironie, en effet, quand nous nous acharnerions tant, à censurer ne serait-ce que les vilains mots (qui puissent choquer ou agresser), tout en imaginant un système universel d’accès à l’euthanasie, dont l’effet sera d’éliminer physiquement les personnes offensantes !

     Et pourrions-nous, à la fin, oser affirmer positivement : que le recours sociétal à « l’aide médicale à mourir » ne soit aucunement teinte d’une telle intention ?

     Chose certaine, l’enthousiasme populaire à l’endroit de l’euthanasie s’est nourrie de préjugés ataviques (et lamentables) à l’égard de l’être dépendent, tandis que ces mêmes préjugés se trouvent fortement renforcés, à leur tour, par la normalisation de l’euthanasie.

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Quatre mendiants sur le Pont-au-change, Jean Henry Marlet (1771 – 1847)

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