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- Comment expliquer cette abdication du plus fort devant le plus faible ? - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— Comment expliquer cette abdication du plus fort devant le plus faible ?

(Tome Premier : l’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Société en rupture – Chapitre : Prohibition III : Une démission fonctionnelle de l’autorité répressive — Comment expliquer cette abdication du plus fort devant le plus faible ?)

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Évolution de la vie paysanne sur la grand plaine continentale (Manitoba, Canada, 1889) ; Ordre, discipline, foi, progrès et prospérité

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     Comme nous le savons, la défaite de la Prohibition fut d’une nature tellement décisive que le tout semblerait se présenter à nous, rétrospectivement, en aboutissement inévitable. Pourtant, cette inévitabilité restait entièrement opaque pour les parties prenantes dans ce drame monumental.

     Tel serait, en fait, la mesure, énorme, de la rupture qui s’est éventuellement manifestée face aux normes sociétales du passé ; et tel serait l’importance des leçons acquises dans l’étude de cette époque.

— Un rappel du cours, normal, des luttes civiles d’envergure

     Typiquement, les affrontements idéologiques de cette importance — internes, intestins, de castes, de partis civils ou de générations – furent (et le sont toujours) marqués par des luttes illimitées dans lesquelles la société dominante tente à réaffirmer son autorité face aux « asociaux » — « délinquants » ou « hérétiques » — sans se préoccuper des pertes humaines encourues. Les enjeux dépassent rapidement les circonstances immédiates ; et la bataille en devient une de survie de la part d’un régime soucieux de défendre son existence même.

     À ce chef, il faudrait simplement penser à la responsabilisation de l’individu qui résultat de la lecture directe de la Bible (Gutenberg 1450, Erasmus 1516, Bible de Genève 1560), et les luttes d’interprétation qui s’ensuivirent, entre nations, entre cantons, entre quartiers, entre voisins — entre frères et sœurs, et père et fils – au sujet de questions qui serait aussi peu engageantes (pour nombre d’observateurs actuels) que la transsubstantiation de l’Hôte, à savoir : que le pain partagé par les fidèles au moment de l’Eucharistie (ainsi que le vin imbibé cérémonieusement à cette occasion), furent réellement la chair et le sang du Christ, — miraculeusement transformés au cours du sacrement observé — ou au contraire, qu’ils n’aient été demeurés de simples aliments, utilisés seulement au fin symbolique, pour représenter ce sang, et cette chaire ?

     Impossible, pour nous, de nos jours, d’apprécier, de comprendre — ou même de créditer — le nombre d’hommes et de femmes outragés et assassinés ; de maisons, villages et villes brûlées ; de populations déplacées ; d’armées décimées, au cours des trois ou quatre siècles qu’aurait duré la contestation généralisée, âpre et violente, de tels principes.

     Est-ce un exemple trop lointain ? Considérons, alors, l’abolition de l’esclavage qui fut si récemment réalisée à l’intérieure de cette même société qui ait projeté la prohibition : seulement l’épuisement total de l’un des combattants aurait suffi pour résoudre cette dispute, qui concerna, elle aussi, une question de rupture morale avec les certitudes du passé.  

     La férocité, d’ailleurs, avec laquelle la tradition affirme (habituellement) ses droits et réprime son opposition, (ou avec laquelle la nouveauté affirme sa maitrise révolutionnaire) s’est paradoxalement vue accepter, assez facilement, par les populations éprouvées, à cette condition seulement : que la violence utilisée ait été suffisamment massive pour rendre toute opposition impossible, et alors, pour produire un résultat définitif. Nombreux, en conséquence, sont les exemples de grands chefs historiques, révoltés ou réactionnaires (tel le réputé dieu vivant, Caesar Auguste, 63 Av-J.C. – 14 A.D.), dont les actions sanglantes — certainement qualifiables de crimes contre l’humanité — furent rapidement oubliées dans une perception adulatrice, grâce à la stabilité, c’est-à-dire grâce à la clarté et à la sécurité sociale, qu’ils aient su imposer.

Ou pour revenir plus étroitement à nos références culturelles immédiates : nous nous souvenons également, à ce titre, du célèbre Général William Tecumseh Sherman (des forces Nordistes), qui brûla tout sur son passage victorieux dans les derniers mois de la Guerre civile américaine (1861 – 1865) : maison et récolte, plantation ou cabane ; et qui répondit fameusement, quand on lui demanda ce qu’il entendait laisser aux Sudistes défaites : Nous ne les laisserons que les yeux de la tête, à fin qu’ils puissent pleurer leurs morts.

     Décidément, l’abandon de la réforme moraliste de la Prohibition s’inscrit en faux devant une telle histoire.

William T. Sherman (1820 – 1891), Secrétaire de la Guerre (par intérim), partisan modern de la stratégie militaire et économique dite « guerre totale »

— L’espace moral des comportements intimes

     D’aucuns pourraient, possiblement, s’objecter face à ces exemples en remarquant que la consommation des boissons alcoolisées ne concerne que les habitudes personnelles et domestiques, non de vraies questions de société, politiques et idéologiques, capables de soulever les grandes passions collectives.

     Or, il n’existe aucune tradition d’exemption, des mœurs intimes, face à la puissance répressive de la collectivité. Toute au contraire. On dirait même, que devant la cohue humaine – devant ce désir naturel de tous et de chacun à faire exactement ce qu’il veut bien (et rien d’autre) — que les sociétés humaines, autant primitives que sophistiquées, auraient tenté de contenir ce chaos en précisant les comportements attendus dans une prescription des plus détaillées : nous savons ainsi, par exemple, non seulement que le bon paysan Anglo-Saxon ait eu le droit de corriger sa femme, mais également, qu’il lui en fut défendu d’employer, à cette fin, tout bâton ayant une diamètre supérieure à celle de sa pousse !

     Mais avant de nous complaire dans une affectation d’hilarité condescendante, ou encore d’indignation inconciliable devant ces faits, essayons préalablement de comprendre, honnêtement, la vie de ces gens et sous quelle menace constante elle dut se gagner.

— L’imposition collective des mœurs personnelles

     À l’époque agricole préindustrielle, la survie demandait de la persévérance, inconditionnelle, dans une routine dont les taches se succédaient sans fin ni relâche. Et pendant que les chefs de guerre s’amusaient avec leurs jeux de possession et de dominance, les hommes et les femmes ordinaires, eux, s’assujettirent dans leur vaste majorité à une discipline sans compromis : car rater les rendez-vous quotidiens avec les besoins des bêtes et des bestioles, ou encore rater les rendez-vous annuels des semences et des récoltes — de charrue, de fléau et de fauche — signifia un manque de nourriture. Un manque de nourriture signifia la mort. Simplicité de constat. Finalité sans appel.

     Jamais, pour être précis, l’intendant le plus cruel, n’aurait réussi à forcer le travail d’esclaves au même cadence que les paysans préindustriels travaillaient, sans supervision aucune, pour subvenir à leur maigre besoin.

     Évidemment, à l’encontre de ces impératifs, le vice signifia le désordre. Le désordre signifia la destitution. Et le désordre qui se répand signifia la destitution collective : de famille, de village. La collectivité se défendait, alors, sans gêne et sans retenue contre les sources de désordre, dont tous les écarts dans les mœurs personnelles furent agressivement punis.

     La violence physique informelle, (pour différencier ce châtiment habituel de la justice proprement dite), fut universelle : les adultes (hommes et femmes) corrigeaient les enfants ; les hommes corrigeaient les femmes ; les hommes en position de dépendance souffraient la correction de leurs patrons ; et même les chefs de famille, détenteurs du statut social dominant, se faisaient corriger, au besoin, par leurs paires. Personne ne brava, avec immunité, la contrainte collective.

     Mais paradoxalement, toutes ces violences personnelles, qu’elles fussent systématiques ou passagères, ne représentaient que la punition la plus facilement acceptée et la moins crainte. La punition plus sévère, la punition réelle, la vraie punition, fut la simple rupture du lien social : l’expulsion de l’individu de sa collectivité d’origine. Car l’expulsion, aussi, signifia la mort.

    Surtout, et dans tous les cas, cette opération ponctuelle de purification se pratiquait dans le but de protéger la collectivité, et non de rendre justice à l’individu délinquant. Car à la manière du chirurgien qui affecte le débridement d’un membre infecté, ou encore l’amputation du membre au complet : le seul but serait de protéger la vie du corps restant ; le sort des tissus et des cellules sacrifiés ne commande aucun souci.

    En conséquence, il n’y avait, à vrai dire, aucune excuse recevable pour justifier ni le crime, ni le vice. La famine ne pouvait aucunement excuser le vol ; et le viol, l’inceste, l’âge mineur, ou l’âge enfantin même, n’excuseraient point l’adultère.

     Car d’après cette vision sociale, la misère et le mal seraient endémiques et inexpugnables. Le devoir du moraliste ne serait pas d’imposer, véritablement, les comportements désirés, mais seulement d’indiquer, avec clarté, la séparation entre le bien et le mal. La répression, elle, servait à déraciner périodiquement le mal à la même manière que le paysan déracine les mauvaises herbes. Le but ne fut pas de rendre justice, mais seulement de marginaliser, continuellement, la présence du mal ; d’assurer, de génération en génération — par des efforts toujours renouvelés, à l’image du travail agricole — que la croissance saine de la communauté ne soit pas étouffée par le chaos, le désordre… la mort.

     De manière intuitive et logique à la fois, de par un instinct profond de souche ancienne, nos aïeux comprenaient avec unanimité, que la promotion significative des dictats de la morale — et cela, même si l’imposition de ceux-ci soit incomplète ou inefficace – dépendrait d’une volonté firme, qui s’exprime dans une répression pratiquée avec intransigeance, quelles que soient les circonstances d’injustice rencontrées. Car au cours de cet exercice, tragique mais nécessaire, la victime vicieuse fut franchement évacuée avec le crime : les affamés furent pendus en « voleurs » ; les jeunes filles abusées (ou simplement moins chanceuses) furent répudiées en « vicieuses » ; et les enfants même, entièrement innocents, furent répudiés en « bâtards ».

     Tel fut la nature de notre société auparavant, et tel serait la nature, encore aujourd’hui, de la plupart des sociétés qui se disputent, toujours, le grand prix évolutionnaire.

    Chose certaine, il y aurait — manifestement — discordance importante entre cette tradition de répression sans réserve — toujours pleinement opérante dans la société occidentale au moment de ces faits — et l’irrésolution témoignée par les architectes de la Prohibition. Comment expliquer cette situation, tant extraordinaire ? Comment expliquer le fait qu’une autorité légitime, appuyée par une majorité si imposante, ait pu manquer à ce point de fortitude ?

     Où se trouve, enfin, l’explication de ces faits ?

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Bottes de blé canadien circa 1930 : fauché à la faucheuse (tirée par machine ou par cheval) et ramassé à la main ; En arrière-plan : le chemin de fer qui amènerait ce surplus de richesse au port, pour embarcation vers l’étranger

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : l’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine –section III : Société en rupture — Chapitre : Prohibition III : Les suites et la signification — Une explication partielle : Le choc singulier produit par la Première Guerre Mondiale)

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