Deprecated: Le crochet jetpack_pre_connection_prompt_helpers est obsolète depuis la version jetpack-13.2.0, sans aucune alternative disponible. in /hermes/bosnacweb01/bosnacweb01an/b2067/nf.euthanasiediscussion/public_html/euthanasiediscussion/wp-includes/functions.php on line 6078
- L’ethos du nomade et du noble - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— L’ethos du nomade et du noble

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Prohibition IV : La perception populaire des évènements, et le nouveau paradigme de permissivité sociale — L’ethos du nomade et du noble)

.

« Le moissonneur » ; Jean-François Millet (1814 – 1875) ; Hiroshima Museum of Art)

.

    Dans la vision populaire de notre passé pastoral, dans cette idylle — romantique et artificielle — du plaisir dans la permissivité de la misère, il se dégage une image de l’homme de classe populaire, heureux dans son ignorance et dans sa pauvreté ; une image qui le représente en être naturel, essentiellement irresponsable ; bon ou méchant selon les caprices du sort ; et — du point de vue moral — à peine différencié de la bête des champs.

     Mais ironiquement, ce sont précisément les vertus du paysan — de patience et de travail, de planification et de conservation minutieuse des moindres ressources — qui seraient ainsi dénaturées. Car le paysan, et surtout le paysan libre, est un homme particulièrement prudent, particulièrement sérieux ; et si l’absence de responsabilité personnelle, élevé en valeur morale par le poète moderne, fut parfois une qualité de l’esclave, ou du serf, elle n’aurait jamais pu l’être, chez le paysan propriétaire, ou à loyer.

     En fait, l’ethos du libertin trace ses origines plutôt dans les habitudes, de jeu et de débauche, affichées auparavant chez les aristocrates, c’est-à-dire chez ces professionnels de la violence devenus « nobles », et exploiteurs fiers du travail des tiers ;  affichés chez les soldats, aussi, qui soutenaient cette classe aristocratique et qui imitaient leur code de paresse et d’honneur ; et en dernier lieu, chez les artistes qui s’arrangeaient pour partager la fête des classes supérieures, c’est-à-dire : pour divertir, pour amuser, pour flatter, et surtout, pour fournir l’intelligence, la beauté et la jeunesse accommodante, qui sont les ingrédients essentiels du divertissement mondain.

     C’est une moralité de « facilement gagné, facilement perdu », dans laquelle l’indigence serait la condition par défaut, et aussi, l’aboutissement inévitable. L’opulence, elle (si jamais elle fut atteinte), ne serait qu’un simple interlude duquel il faudrait profiter en passant, sans retenu. L’idée d’une discipline qui puisse prolonger et même garantir la prospérité, est entièrement étrangère à cette mœurs commun aux nomades et aux nobles.

     En contrepartie, non seulement le gaspillage insouciant n’est pas une caractéristique des paysans, il en serait l’anathème. Et rien ne pourrait qualifier le mépris dont serait teinte la peur du cultivateur, étouffée stoiquement devant l’approche dévastatrice des hordes vagabondes.

— La montée des villes

.

Pendant le Moyen Âge, même en temps de paix, les grands princes devaient entretenir leurs cours en mouvement perpétuel.

Il y avait, des avantages, certes, à « se faire voir » dans les régions éloignées, à montrer une présence politique et militaire (rassurante ou intimidante, selon les besoins), et de rendre justice sur place. En même temps, dans une société sans grande monétisation, et avec des transports très primitifs, c’était difficile aussi (voire impossible), d’entretenir longtemps, dans un seul endroit, les besoins d’une cour importante. En plus, les redevances aux seigneurs se payaient (habituellement) nature, souvent en denrées périssables.

Alors les rois trouvaient le moyen de combler ces intérêts divers avec un système « d’itinérance », par lequel ils se rendait, avec leur entourage, consommer les redevances sur place, à raison de deux ou trois nuitées par endroit. Le faste royal se maintenait, ainsi, dans une mesure d’extravagance impossible pour les habitants sédentaires, dans la poursuite d’un itinéraire toujours renouvelé, avec la consommation de tout sur son passage.

Illustration d’un wagon royal ; « Psautier de Luttrell » ; circa. 1340

.

     Dans l’Europe médiévale, l’opulence dans la consommation fut le propre de l’entourage des grands chefs seulement, qui consistait des gens armés de la suite personnelle, ainsi que d’un nombre équivalent de femmes et de pourvoyeurs commerciaux que l’on nommait des « suiveurs de camp ». Ces derniers se transformèrent, au gré des emplacements permanentes, de garnisons et de châteaux, dans de petits attroupements civils sédentaires atténuants, extérieur à l’ordre militaire, mais néanmoins tolérés du pouvoir, dévoués à l’entretien d’une économie de nécessité, et de luxe, à l’intention des conquérantes. Certaines villes, aussi, du fait de leur emplacement géographique (et de leur histoire précédente), assumaient une importance commerciale plus large, parfois même indépendante. Et dans ces cas, la fonction de pourvoyeur de luxe au pouvoir s’orientait vers la satisfaction de l’élite de la ville elle-même, c’est à dire : les grands bourgeois dirigeants.

     Or, avec l’extinction progressive des résidences princières et des grands monastères, la vie de consommation de luxe se trouva concentrée dans l’ensemble de ces emplacements citadins, grands et petits, qui contenait — encore dans l’année 1800 — seulement 12% de la population en Europe, et 5% aux États Unis. Car jusqu’à cette époque, presque tout la production manufacturière (toujours de nature artisanale), se dirigeait vers le marché des riches. Et puisque ce fut un très petit marché de par sa nature, presque tout le monde se trouvait obligés de rester encore sur les terres, engagés dans un pratique agricole de subsistance.

     Pourtant, avec la science et l’industrialisation (incluant l’industrialisation de la production et la conservation des boissons alcoolisés), la satisfaction manufacturière de véritables marchés de masse favorisait un influx massif de travailleurs (et d’aventuriers) de sorte que la population urbaine de l’Europe passa à 36% du total (pour l’année 1910) et jusqu’à 41 % aux États Unis. De plus, tel que les récits contemporains nous enseignent, l’industrie du vice s’est également démocratisée de sorte qu’elle prodiguait maintenant ses services, non seulement aux nobles, aux soldats et à la bourgeoisie, mais aussi aux nouveaux travailleurs salariés. Dans les villes capitales, les quelques « maisons publiques » (« pubs ») se transformèrent dans des quartiers entiers, dévoués au commerce de plaisir. Ce fut, sans contredire, et jusqu’à nos jours, la transformation civilisationnelle la plus rapide et la plus significative jamais connue.

     Nous pouvons constater, alors, que la problématique humaine qui soit propre à l’urbanisation demeurait, somme toute, assez restreinte au début du dix-neuvième siècle ; mais que ce fut précisément cette période subséquente (comprenant cent ans de croissance inouïe dans le nombre de personnes touchées par la vie et par les vices urbains) qui aboutissait vers 1870 dans le mouvement de Tempérance, et cinquante ans plus tard, dans la Prohibition. Car pour répéter notre conclusion précédente : la Tempérance volontaire, et la Prohibition, ne furent pas des mouvements de suppression des mœurs ancestrales ; ce furent, au contraire, des réactions contre de fléaux sociaux très actuels, anciens dans leur nature, peut-être, mais nouveaux, aussi, dans leur forme, et dans leur étendue.

     Or, quelle fut l’importance de ces maux ?

     Précisions seulement, qu’au sein des grandes villes, tant en Europe qu’en Amérique, le taux de croissance naturelle (sans l’apport des nouveaux arrivants) fut toujours en deca du taux de remplacement minimal, c’est à dire : à travers toute l’histoire jusqu’au moment de la Prohibition (et encore de nos jours), les grandes villes furent des consommatrices nettes d’êtres humains ; ou pour se permettre une image plus colorée : ces villes furent, objectivement, des mangeuses de monde.

.

« Gin Lane » (La ruelle du gin), 1751, William Hogarth (1697–1764) ; Une illustration moralisante au sujet du commerce d’eau-de-vie, à Londres, dessinée dans la période moderne, préindustrielle

.

— Une fable instructive à l’intention des jeunes personnes

     Dans leur quête d’une littérature et d’un folklore européen authentique, les frères Grimm, Jacob (1785–1863) et Wilhelm (1786–1859), préservèrent un conte populaire qui encapsule très bien, comme détail en passant, la sagesse médiévale face aux dangers de la fête immodérée :

     Dans cette histoire, un notable local envoie le premier de ces trois fils à la chasse d’un oiseau miraculeux.

     Rendu aux abords d’une « ville », il se trouve obligé à choisir entre une auberge modeste, de mine terne, et une autre qui était joyeusement éclairée, source de musique et de chant. De manière peu surprenante, le jeune homme entre dans la deuxième (malgré les conseils d’un renard magique rencontré en chemin). Il s’y fait très bien accueillir ; mange à sa faim ; boit à sa soif ; et s’amuse à son gout.

     En ce faisant, cependant, il oublie entièrement, aussi, son père et sa quête de l’oiseau rare. Au contraire de son intention originale, il reste à l’auberge, dans la gaieté de cette fête perpétuelle, jusqu’à ce qu’il eût dépensé tout son argent ; qu’il eut vendu son cheval, ses armures, ses accoutrements et ses beaux vêtements ; jusqu’à ce, enfin, qu’il soit descendu du statut d’un homme estimable, patron flatté de la compagnie, à celui d’un serviteur dépendant, maigre et affamé ; qui tache toujours, pourtant, à prolonger du mieux son idylle, en rendant des services suspects et en buvant dans les coupes des autres.

     Une année passe ainsi ; et le père, demeuré sans nouvelles, envoie son deuxième fils à la recherche du premier. Or, rendu à la ville, confronté au même choix (et en dépit des mêmes conseils provenant de la même source enchantée), le deuxième fils se tourne, aussi, vers l’auberge joyeuse. Par chance, il y aperçoit son frère ainé, dans une fenêtre, et ce dernier (circonstance très significative dans la narration) lui fait signe de s’approcher. Car nous sommes invités, ici, à prendre conscience de l’une des caractéristiques les plus fondamentales du véritable libertin : qu’en dépit d’une connaissance intime, des causes et de l’aboutissement de son état malheureux, il n’hésite pas à y attirer, et à y initier, d’autres personnes à leur perte — incluant ses relations les plus chers — (parfaitement ignorants, ceux-ci, du danger encouru), et ce, dans le seul but d’accaparer leurs ressources pour continuer la débauche.

     Car de toutes les entreprises pyramidales, le vice serait la plus ancienne et la plus cruelle.

     Pour satisfaire, maintenant, à la curiosité concernant la suite du conte : une autre année s’écoule ; le troisième fils se rend au même endroit ; prend conscience de ses deux frères dépravés dans l’auberge éclairée ; mais étant un garçon plus humble, il ne s’y aventure pas ; il suit, plutôt, le conseil de son guide enchanté, et s’abrite dans l’auberge terne. Là il se repose bien et part, le lendemain, vers une conclusion réussie de sa poursuite de l’Oiseau d’or.

     Voilà, donc, la leçon jugée essentielle (à l’égard de la ville et du vice), apprise inconsciemment par chaque enfant, jadis, au coin du feu, pendant les longues soirées d’hiver ; un avertissement prodigué des années avant le besoin, avec l’espoir qu’un jour, rendu personnellement devant les « deux auberges », il saurait écouter le conseil sage de ses souvenirs primitifs, et faire le bon choix dont dépendrait, si souvent (comme nous le pouvions sans risque affirmer) — sa survie éventuelle.

.

L’Oiseau d’or (Der goldene Vogel) ; les frères Grimm ; Contes de l’enfance et du foyer (Kinder- und Hausmärchen), 1812 ; illustration par Walter Crane (1845 – 1915) tirée d’une édition en traduction anglaise, 1882. « Maintenant, dit le renard, que me donnerez-vous pour ma récompense ? »

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix : Partie C : l’euthanasie et la médecine : Section III : Une société en rupture : Chapitre : La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo)

Laisser un commentaire