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La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix : Partie C : l’euthanasie et la médecine : Section III : Une société en rupture : Chapitre : La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo)

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L’absinthe, poétiquement nommée « la fée verte », était longtemps la boisson distillée caractéristique de la France. Apparue en 1792 comme recette artisanale d’élixir médical, elle ne cessa d’agrandir sa part de marché des boissons fortes, particulièrement sous la marque de commerce « Pernod et fils ».

Grace à une perception négative, cependant, concernant la violence et la dépravation observées parmi certaines de ses adeptes (rendus célèbres à cet égard), l’absinthe fut bannie de plusieurs pays, incluant la France, circa 1915. Cette virulence d’opposition à l’usage de l’absinthe fut le résultat d’une conviction générale voulant que certaines traces d’ingrédients psychotropes en faisaient une préparation particulièrement dangereuse. Or, Selon une pétition en faveur de la Tempérance (1907) :

« L’absinthe rend fou et criminel, provoque l’épilepsie et la tuberculose, et a tué des milliers de Français. Elle transforme l’homme en bête féroce, la femme en martyre, et l’enfant en dégénéré. Elle désorganise et ruine la famille, et menace le futur de la patrie. »

Toujours est-il, que l’absinthe fut de nouveau légalisée de notre époque (la France 1988, la Suisse 2005, les États Unis 2007), car selon le jugement contemporain : « les propriétés psychotropes de l’absinthe furent exagérées (outre celles de l’alcool). »

Ce qui peut, dans le contexte du récit en cours, se passer de commentaire.

Photo : Distillerie industrielle de l’absinthe, en France, circa 1905

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— l’industrialisation du « plaisir »

     Qui dit modernité, dit surtout : technologie. Qui dit technologie, dit surtout : pouvoir… le pouvoir, par exemple, d’une machine sous l’impulsion d’un cheval, qui pouvait nettoyer 50 livres de coton dans une journée, là où un esclave, auparavant, n’aurait pu nettoyer qu’une seule livre, à la main. Tel fut l’apport immédiat du célèbre « coton gin » de Eli Whitney (1765 – 1825) ; et l’effet bien sûr, en conjugaison avec l’arrivée du tissage industriel, au métier à vapeur, fut une diminution dans le prix des textiles qui mettaient celles-ci, désormais, à la disposition de presque tout le monde.

     L’industrialisation du brassage, de la fermentation, de la distillation et de la conservation des boissons alcoolisées, comme nous l’avions remarqué précédemment, produisit un phénomène similaire de démocratisation : de la demande, et de la satisfaction de celle-ci.

     Or, l’industrie du plaisir avait plusieurs constituants (et en a toujours), dont : la boisson, la prostitution, le jeu, les spectacles, et les « sports » (combats et courses). Et puisque la boisson était le carburant principal qui favorisait, à cette époque, l’impulsivité caractéristique de la satisfaction des appétits charnels, l’accessibilité accrue de la boisson augmenta nécessairement la demande pour tous les autres services de divertissement, également. Et bien que cela impliquait la création de nouvelles opportunités commerciales (et culturelles), ainsi que de nombreux emplois de service et de sécurité, elle favorisa, aussi, une fort agrandissement du secteur criminel (notamment l’industrie du prêt usurier) ; et finalement, elle imposa (avec une parfaite prévisibilité économique) le besoin de trouver toute cette chair humaine (une véritable entreprise d’esclavage dont nous nous en souffrons toujours) qui fut nécessaire pour alimenter les spectacles, les combats, et les bordels (pour ne pas nommer, aussi, les syndicats de coupe-bourses juvéniles et les « filles » dans la rue).

     Essentiellement, donc, on peut concevoir l’industrialisation de la production de l’alcool, comme la cause d’une démocratisation de l’industrie du plaisir qui généralisa les vices préalablement associés avec l’aristocratie : aux bourgeois (et même à une bonne partie de la classe ouvrière), accompagnée d’une augmentation importante de la classe criminelle, et de l’exploitation humaine.

     Ce n’est pas dit, par contre, que l’appétit de la violence en spectacle, des jeux de chance, ou des relations illicites, était plus fort à cette époque qu’auparavant ; seulement — pour la première fois — la satisfaction de ces appétits devenait économiquement rationnalisée et industrialisée à l’image du temps.

     Or, les effets sociaux qui en résultèrent, furent — pour le moins dire — profonds ; et les réflexions des intellectuels contemporains de l’époque nous seront, décidément, de la plus grande assistance dans notre quête de comprendre la signification de ces influences, dont les échos réverbèrent, toujours, dans notre vie présente.

— Les reflets contemporains de la révolution moderne des mœurs, dans la littérature et dans les sympathies instruites : L’Angleterre pudique ; la France introspective

     De manière générale, la nation anglaise (et cela même si les effets de la révolution industrielle progressaient plus rapidement dans ce pays), se conformait largement, dans une auto-censure littéraire qui cachait délibérément les réalités courantes de ce dix-neuvième siècle charnière, dans un but d’en isoler la domesticité idéalisée des classes bourgeoises. Alors, même si le discours politique — avec les rapports des journaux, et les mobilisations sociales — ne laissaient aucun doute sur le développement dans ce pays des pires séquelles de l’industrialisation, c’est en France que l’exploration psychologique du phénomène « moderne » s’est pratiquée avec le plus de candeur. Et le fruit de cet examen fut, malheureusement, loin de fournir un portrait positif.

     Il s’en dégageait, en fait, un air de sophistication et d’urbanité devant la réalité omniprésente du vice, qui se veut généralement philosophique, mais qui témoigne aussi, d’une tristesse certaine, teinte au moins d’inquiétude, sinon de dégout. Et dans le cas de certaines voix iconiques du temps, nous y retrouvions un véritable cri de détresse, sociale et politique, d’une clairvoyance extraordinaire.

    Considérons, à ce titre, Alfred de Musset (1810 – 1857) et son œuvre maitresse, « La confession d’un enfant du siècle » (1834).

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Alfred Louis Charles de Musset-Pathay

— Alfred Musset : La voix d’une première « génération perdue »

     La notion de « génération perdue » fut articulée, d’abord, pour nommer la jeunesse devenue adulte au cours de la Première Guerre Mondial et qui n’en revenait tout simplement pas de cette expérience. Mais les cohortes de la Dépression et de la Contre-culture des années soixante peuvent aussi affirmer leurs droits à ce titre, et par la suite, chaque génération s’est plainte à son tour, d’une nouvelle rupture affective, plus ou moins radicale, avec la trame historique de notre civilisation.

     On pourrait même en conclure que la conviction intime d’un statut spécial — et d’une aliénation essentielle — soit le propre de la jeunesse depuis toujours ; et telle est, réellement, la tendance universelle de l’adolescence, au niveau personnel. Mais normalement, cependant, les jeunes de toute période se fussent ralliés (collectivement) à la tradition ambiante, qui reflétait, elle, une stabilité apparemment immuable. Car à la différence des temps modernes, la vie humaine ne changea que très peu pendant des millénaires entiers.

     Tout dernièrement, pourtant, la vie s’est transformée radicalement, et cela au rythme visiblement accélérant depuis au moins deux cents ans, de sorte que les jeunes contingents successifs se soient trouvés objectivement dénués des certitudes de leurs pères. Et quoique le classement relatif de ces expériences se relève d’une opération arbitraire, je soumettrais que la génération française, du début du dix-neuvième, peut raisonnablement prétendre au titre de « première » dans cette suite de « générations perdues » ; et que « La confession d’un enfant du siècle », D’Alfred Musset, puisse prétendre (tout aussi raisonnablement) en représenter l’expression authentique.

— la crise centrale « d’un enfant du siècle »

     Ce livre commence avec de longs passages psychologiques qui veuillent expliquer une perte des balises identitaires chez la génération française qui succéda aux transports enivrants de la Révolution, de la République, et de l’Empire. Encore tout dernièrement hégémon du continent européen, à la fine pointe de l’histoire, voilà que la France (circa 1820) se trouva réduite à la condition d’une moindre puissance, et sa population subitement déboussolée par un constat glacial d’impuissance, démentant cruellement la symbologie grandiose, architecturale et institutionnelle, dans laquelle elle se baignait toujours.

     « Nées pour la gloire (sic)… les enfants du siècle … avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides » ; puis arrivés à l’âge actif ils se trouvèrent, au contraire, contraints à la médiocrité, condamnés aux limites « des clochers paroissiaux ».

     Musset, pour sa part, en ressent un vaste malaise personnel, qu’il prétend partager dans une transcendance générationnelle. C’est la plainte d’un jeune homme conscient de posséder des talents exceptionnels, mais dont l’application lui semble inutile, et même impossible, devant une société dont il se sent fatalement divorcé, ou peut-être, dans le vocabulaire du siècle suivant : dont il se sent « aliéné ».

     Or, à l’âge tendre de vingt-quatre ans, il entreprend la tâche monumentale de parler pour sa génération, et d’en expliquer franchement le désarroi :

« Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris. »

Nous retrouvons, ici, beaucoup de sentiments, certes, qui nous soient familiers ; et qui accablent le monde, encore deux cents ans plus tard. Mais il y avait toujours cette différence : que l’œuvre de Musset fut imbue d’un espoir supérieur ; qu’elle se trouvait imbue, même, d’une confiance envers « l’immense horizon » de « l’avenir ». Nous sommes loin donc, du refus global qui apparut dans le vingtième siècle, avec sa répudiation intégrale de toute la narrative historique de l’Occident.

Musset se voulait, ainsi, la voix d’une génération perdue (mais non d’une civilisation entière). Et si nous y trouvions une appréciation (et une inquiétude) étonnamment prescientes devant les changements technologiques et économiques déjà en cours (la « navire soufflant une lourde vapeur ») nous ne devons pas nous surprendre à ce qu’il favorisait toujours, en 1834 (où la transformation technologique, en France, se fit encore à peine visible), une description essentiellement politique.

« Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution. »

     Fidèle à son impulsion première, Musset mourut à l’âge de 46 ans, encore jeune, mais déjà vieux, grâce aux effets conjugués de son alcoolisme et d’une faiblesse du cœur. Il fut, pourtant, déjà célébré de son vivant en membre de l’Académie ; et âpres sa mort, en écrivain majeur de la période romantique, dont son roman autobiographique en était devenu le récit consacré.

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Immortalisé à vingt-et-un ans : Médaillon en bronze d’Alfred de Musset (1831) ; par David d’Angers (1788–1856) ; Bibliothèque nationale de France

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