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- Un cinéma de la mort volontaire, proposée en affirmation ultime de la liberté personnelle : « Whose Life is it Anyway » (1981) - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— Un cinéma de la mort volontaire, proposée en affirmation ultime de la liberté personnelle : « Whose Life is it Anyway » (1981)

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Le suicide assisté et le paysage social après Rodriguez — Un cinéma de la mort volontaire, proposée en affirmation ultime de la liberté personnelle : « Whose Life is it Anyway » (1981))

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« Whose Life Is It Anyway? » (MGM, 1981). Richard Dreyfus dans le rôle d’un quadriplégique suicidaire.

Pourquoi un homme, si beau, si talentueux, si engageant, voulait-il mourir suite à des blessures que la grande majorité des gens parviennent à assimiler ?


La clé pour comprendre ce mystère intriguant demeure dans le fait qu’il s’agit, au fond, d’un œuvre de fiction dont les seules balises se trouvent dans le caprice de l’auteur. Le message idéologique du film exigeait l’existence d’un tel personnage ; et le britannique Brian Clark le fabriqua en conséquence.

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      Des 1972, un télé-drame de Brian Clark (1932 -) est apparu intitulé « Whose Life is it Anyway » (À qui, donc, appartient-elle cette vie ?), une pièce subséquemment montée pour la scène (Londres 1978, Broadway 1979), et finalement produite en film Hollywoodien, ayant comme vedette le comédien humoristique Richard Dreyfuss (1947-). Or, « Whose Life is it Anyway »  (étant à bien d’égards une répétition imaginaire, et même un plan technique proposé pour la poursuite de causes à venir) est un ouvrage qui présente les arguments classiques du droit de mourir, tels qu’ils furent muris, en Grande Bretagne, au sein de la Société d’euthanasie volontaire (fondée 1935).

     Cette société, pour rappeler des faits aujourd’hui quelque peu oubliés, sortait elle-même d’une tradition plus franchement utilitaire, de l’euthanasie et de l’eugénique, qui était populaire en Amérique et en Angleterre au début du vingtième siècle, mais qui fut largement abandonnée, ensuite, devant l’exemple des débordements inhumains de la Première Guerre. Sa fondation, d’ailleurs, ne faisait que souligner l’ascendance réaffirmée dont jouissait de telles notions « réalistes », en 1935, dans l’enthousiasme général qui accompagnait la montée du Troisième Reich Allemande. Et subséquent à la défaite de celle-ci, en 1945, (et suite à la déconfiture, au sein des pays vainqueurs, de la vision éthique qui soutenait le nazisme et le bolchevisme) la Société d’euthanasie volontaire entra dans un période difficile, de division et de marginalité, qui dura presque trente ans.

     Ayant temporairement répudié, en conséquence, l’idée plus direct de l’euthanasie, la Société s’est lancée dans la question plus modeste du droit au patient de se retirer volontairement des « soins » nécessaires au soutien de la vie, c’est à dire : non de se faire tuer, mais seulement de se laisser mourir. L’apparition originale de « Whose Life is it Anyway ? » (1972) refléta, donc, la première sortie culturelle d’une nouvelle distillation idéologique autour de la liberté personnelle, qui évolua tranquillement par des étapes logiques vers la possibilité de se faire assister dans l’acte de suicide, et ultimement, de mourir passivement par « l’assistance médicale ».

La Société elle-même s’est rééditée (2006), avec le nouveau nom « Dying with Dignity » (Mourir dans la dignité), et sous la devise « Votre vie, Votre choix ». Toujours infructueuse dans ses tentatives de légaliser l’euthanasie dans son pays d’origine, elle a tout de même joué d’une influence importante ailleurs, en Europe et en Amérique.

— Une opposition personnelle au film des MM. Clark et Dreyfuss

     Par coïncidence, « Whose Life Is It Anyway? » est apparu seulement deux ans après que je me suis trouvé, personnellement, dans une situation très semblable à celle du protagoniste. De la même manière, alors, que je me sentais rebuté, dix ans plus tard, par les sentiments de Sue Rodriguez (face à sa maternité), je m’offusquais, de manière toute aussi intense et intime devant les prétentions de l’auteur de cette pièce (validé par le jeu sympathique de l’acteur), que la vie paralysée ne mérite pas de vivre. En fait, les mots me manquent, toujours, pour décrire la colère que je ressentais à l’idée que cet auteur prétentieux ait pu s’offrir la fantaisie suffisante d’insinuer ses préjugés, mal informés, dans l’environnement informationnelle des personnes, comme moi, qui se trouvaient véritablement aux prises avec cette réalité accablante ! Comment, enfin, si peu redouter l’assaut psychologique imposé sur des personnes réellement atteintes de ces malheurs, dans leur moment de faiblesse existentielle ?

     Surtout, j’étais outré par la présentation du caractère principal comme un homme resplendissant de vie, possédant une morale et un sens d’humeur inébranlables — un idéel digne d’émulation par l’homme ordinaire — mais qui fut, tout de même, inexplicablement orienté vers la mort. Pourquoi ? Comment expliquer cette discordance, importante, entre la légèreté avec laquelle ce héros semblait accueillir ses blessures catastrophiques, et l’urgence avec laquelle l’auteur (véritable maitre d’œuvre) lui eut déterminé d’exprimer son désir mortel ? Car s’il fut capable d’assimiler sa novelle condition avec tant de sérénité, pourquoi, à la fin, voudrait-il si ardemment disparaitre ? Décidemment, ce comportement imaginaire se trouve en contradiction avec le caractère lui-même, mais aussi (et peut-être plus pertinemment) aux antipodes de la réalité observée.

— Un portrait plus fidèle au vécu

     Typiquement, les grands blessés partent avec un désir instinctif de survit, et s’ensuit une lutte entre leurs capacités d’assimilation positives, et les séquelles psychologiques, profondément déroutantes, d’une condition que je prétendrais inconcevable (à l’image du deuil ou de l’enfantement), sans expérience directement vécue. Au plus simple, alors, les grands blessés souffrent énormément des pertes spécifiques, mais ils parviennent néanmoins (typiquement), à passer outre, dans une découverte approfondie de l’étendue illimitée de ce mystère qui soit la vie consciente.

     En chiffres crus : les personnes qui subissent des blessures médullaires (à l’image de celles évoquées par Brian Clark) se trouve à risque élevé de suicide au cours des cinq premières années suivant la blessure. Pendant cette période 1 % de ces personnes se donneront la mort (ce qui représente vingt fois la probabilité normale). Cependant, il n’en demeure pas moins que 99% se réconcilieront à la vie.

     Décidemment, Il se transmet, ainsi, une fausse représentation de la réaction typique des grands blessés ; mais aussi : une représentation fausse des conditions de leur vie. Car à aucun moment au cours de ce film, ai-je senti la véritable profondeur de pathos que je connais (à la première personne) comme étant inséparable du fait d’être (vraiment) paralysé. Il y manque, alors, à la fois une description adéquate du désarroi ressenti, et (toute aussi importante) de la robustesse des capacités d’ajustement qui sont déployées en conséquence.

     Et pour préciser ce point, permettez-moi d’aborder ici un exemple toujours présent à l’esprit des curieux : la perte de sensation et de fonctionnalité sexuelle.

— Un exemple de la superficialité du portrait proposé : la dysfonction sexuelle

     Dans le film « Whose Life is it Anyway » Clark (par la bouche de Dreyfuss) prétend connaitre la différence entre l’amour sensuel et l’amour idéel. Il affirme, aussi, qu’il n’en veut pas (ou du moins, ne veut pas s’en contenter) de ce dernier ; et par extension, il prétend ne pas en vouloir, non plus, de la vie.

     Pourtant, il existe aussi, comme nous le savons, une prétention de la part de certains mystiques, que l’amour transcendantal soit de tellement supérieur à l’amour sensuel qu’ils (elles) s’en réjouissent, sans remords, d’avoir sacrifié l’un, pour en approfondir l’expérience de l’autre.

     Or, pour ma part, j’épouse une conclusion plus ordinaire, et plus typique : que rien ne peut apaiser la peine psychique de la perte de la sensation et de la potence sexuelle ; mais que telle perte ne mérite pas la mort en remède. Et pour ce qu’il y a de cet amour pur, qui nous relie à tout, et à tous, — autant à l’égard de nos époux et de nos enfants, que dans la grandeur de l’éternelle — au-delà de l’espace et du temps :  voilà la propriété essentielle de toute vie consciente ; ce qui nous empêche (pour la plupart) de renoncer volontairement à la vie, quelles que soit les conditions particulières.

     Alors je peux imaginer des personnes qui puissent vouloir mourir parce que leurs organes génitaux ne fonctionnent plus ; tout comme je peux imaginer un homme dynamique et prospère, subitement enlevé de son rôle de puissance ; ou un bucheron privé de sa force joyeuse ; ou encore une femme dont le statut favorisé dépend seulement de sa beauté. (Et j’affirme que j’en ai connu, dans chacun de ces catégories, des personnes accablées des pires angoisses suites aux blessures catastrophiques). Mais toujours est-il que presque toutes ces personnes parviennent à surmonter leurs pertes, éventuellement, avec une jouissance retrouvée dans la simple expérience de vivre.

     Et c’est ainsi que je peux honnêtement affirmer la nature extraordinaire et aberrante de cette histoire fictive de Brian Clark. Car le seul indice de la paralysie ne suffit aucunement pour expliquer les faits suicidaires. Ce n’est pas créable qu’un tel homme, de talents apparemment tant supérieurs — de la trempe de celui imaginé par M. Clark — n’ait pu se révéler capable de naviguer cette transition de vie, somme toute assez commune.

     Et devant ces constats, il me semble que nous sommes plus qu’en droit de nous demander pourquoi la représentation d’une mort suicidaire — qui ne soit propre qu’à un pourcent (environ) de la clientèle –, fut immortalisée avec tant d’enthousiasme dans cette pièce de théâtre, montée à répétition autour du monde, et ultimement produite en film Hollywoodien, et considérée comme l’ouvrage définitif dans son genre.

     Car si elle ne répond pas aux aspirations de la clientèle décrite, aux aspirations de qui répond-elle ?

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Fondée en 1935, précurseur de « Dying with Dignity » la Société de l’euthanasie volontaire tenait, des le début, un discours de justification subjective à l’égard du droit de mourir.

Comme membre fondateur, le Dr. C. Killick Millard déclara, dans une lettre au Journal médical britannique (British Medical Journal), que la décision de mourir ne relève pas de la médecine, et exprima le souhait que L’association médicale britannique (British Medical Association) n’en prenne pas position face à l’euthanasie.

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— Une représentation qui répond aux besoins idéologiques du cinéaste : à l’appui des praticiens de l’euthanasie

  Voilà, enfin, la véritable clé pour comprendre ce film et ses semblables : ce n’est pas un film qui expose la situation ou la perspective de la personne handicapée ; il sert, plutôt, pour solliciter l’adhérence du public à un certain regard extérieur sur le sujet. Ce n’est pas un film de souffrant ; c’est un film de témoignage à la souffrance. Ce n’est pas un film qui nous apprendrait à « comprendre » la souffrance. Au contraire, c’est un film qui cherche à valider une réaction à la souffrance : réaction qui aboutirait (au mieux, selon l’auteur polémiste) dans la mort du souffrant.

— Un débat qui se poursuivait, en vérité, non entre malades et médecins, mais entre médecins de tendances opposées

     Voilà ce qui explique, aussi, la véritable structure didactique du film. Car si, en apparence, le conflit intellectuel se joue entre les intérêts de la personne paralysée (qui désire mourir), et la doctrine intransigeante des médecins traditionnalistes (qui désirent le forcer à vivre), en réalité, le caractère handicapé (Dreyfuss) ne sert que de conduite, pour véhiculer les arguments des médecins utilitaires qui croyaient posséder un mandat supérieur pour tuer (libérer) leurs patients souffrants. La dispute exposée en serait un, donc, qui ne concerne que les médecins seuls ; ou de la manière dont on comprenait ces choses auparavant : elle serait une dispute à l’intérieure de la communauté médicale. Pourtant, il y avait cela de nouveau dans l’instrumentalisation de ce film, que la faction minoritaire, composée des euthanasistes existants et potentiels, s’en soit servie des sensibilités du public pour renforcir leur position. Et voilà qui trahit, dramatiquement, la cadre traditionnelle du différend.

— L’installation malheureuse d’une fausse perception qui demeure largement incontestée

      Le public, à son tour, se compose surtout de bonnes personnes, qui peuvent ignorer les subtilités des arguments médicaux, mais qui vibrent, tout de même, d’un désir sincère de répondre aux besoins des souffrants, et cela en conformité aux volontés de ces derniers. Or, « Whose Life is it Anyway » n’est qu’une oeuvre de fiction. Le caractère de Dreyfuss n’est qu’une invention arbitraire. La véritable raison d’être, et la seule signification de ce caractère, se trouve dans sa capacité de fournir un véhicule pour exprimer le souhait de mourir. Car seulement cette expression, de la part du souffrant imaginaire, pouvait suffire pour déclencher la réaction de sympathie que l’on eut désiré exciter parmi l’assistance.

     Est-ce que la véritable proportion de suicidaires, et de survivants, en soit ainsi invertie ? Tant pis ! C’est la prérogative stricte de tout auteur de fiction.

     Est-ce que l’on peut porter blâme au public ? Aucunement. Car ce public fut affecté, autant, par le récit véritable de Terry Fox que par la fiction de Clark. Son seul défaut, à la fin, se trouve dans son désir, sincère, de créditer toujours la véracité des paroles, et des sympathies, de l’autre.

     Alors, si faute grave il y en a quand-même, cette faute serait surtout le fait de ceux (moi-même inclus) qui n’aurait pas trouvé, à cette époque charnière, les énergies nécessaires pour produire les quatre-vingt-dix-neuf autre films (ayant des protagonistes survivants) qui eussent été requis pour présenter, loyalement, le portrait quantitatif des désirs vitaux parmi les grands blessés. Car seulement ainsi, le public, eut-il pu disposer des informations nécessaires pour en faire une juste opinion.

— Un argument futur bien préparé

     Or, il serait inutile, peut-être, de spéculer sur la vraie importance de ce film — de ses créateurs et de leurs adhérents idéologiques — dans le développement subséquent de la mode suicidaire des années quatre-vingt-dix ; il suffirait simplement de dire que tous les arguments nécessaires à l’essor de celle-ci se trouvait, maintenant, tout-prêt, à portée de la main pour qui en voulait.

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Formé d’aristocrates, d’hommes d’église, de médecins et d’avocats, le Comité de la « Voluntary Euthanasia Legalisation Society », croyaient fermement que certains individus (dont la définition variait selon la conjoncture politique) dussent bénéficier d’un droit de mourir par voie d’euthanasie.

Un seul élément manquait (et manque toujours) dans la justification de ce principe, soit : une demande réelle de la part de la clientèle visée.


En bas, à gauche, le Dr. C Killick Millard

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