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- Le cinéma spéculatif se transforme en documentaire : l’épidémie Sida-suicide des années quatre-vingt-dix - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— Le cinéma spéculatif se transforme en documentaire : l’épidémie Sida-suicide des années quatre-vingt-dix

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Le suicide assisté et le paysage social après Rodriguez — Le cinéma spéculatif se transforme en documentaire : l’épidémie Sida-suicide des années quatre-vingt-dix)

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« C’est ma fête » (1996) demeure le film (commercial) définitif au sujet de la solidarité face à la la mort volontaire

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     La sortie du film « Whose Life is it Anyway ? » (tel que décrit précédemment) coïncida avec la parution en 1980 du premier livre consacré aux connaissances techniques germaines à la réalisation du suicide : « How to Die With Dignity » (« Comment mourir dans la dignité ») de George Brown Mair (1914 – ?). La publication de ce livre fut réalisée (malgré un ordre judicaire prononcé, 1979, contre la Société d’euthanasie volontaire en Angleterre) par une faction sécessionniste de la Société située en Écosse, pays qui se veut plus radical encore que ses partenaires Britanniques (à la même manière que le Québec se présent au Canada). Et cette stratégie agressive semblait bien porter des fruits, car dans les faits, la seule annonce préalable de la publication de « Comment Mourir dans la dignité » permit à la Société d’élargir considérablement (voir quadrupler) sa base d’adhérents.

     Mais plus pertinemment encore – et tout à fait par hasard – l’apparition de ce livre en 1980 (et le film déjà décrit, un an plus tard) fut parfaitement synchronisée, aussi, avec l’arrivée de l’épidémie du Sida en phénomène formellement identifié. Et de ce fait, les questions de suicide et de « suicide-assisté » (vocabulaire qui remplaça tactiquement, à cette époque, le terme plus contentieux « d’euthanasie »), s’apprêtaient à quitter, bientôt, le royaume des spéculations périphériques, pour devenir des enjeux sociaux de première importance.

— Un rappel des conditions, jadis, de la vie homosexuelle

     Aujourd’hui, avec la pureté politique, intense, que nous témoignions devant toute question de discrimination, d’égalité ou de droits civils, il devient difficile de créditer les conditions — psychologiques, légales et sociales — qui prévalaient, il y quarante ans, parmi les membres de la communauté homosexuelle, et ce, même pour ceux qui s’en souviennent de première expérience. Rappelons seulement que les pratiques sexuelles propres à l’homosexualité masculine étaient toujours criminalisées, au Canada, jusqu’en 1969 (c’est à dire, dix ans à peine avant la période décrite ici) ; et que l’American Psychiatric Association ne modifia sa définition de l’homosexualité (comme maladie mentale) qu’en 1973.

     Et alors, dans cette ambiance complexe de changements fondamentaux bien engagés (mais loin de leur aboutissement) ; dans une sphère politique peuplée de militants progressistes et d’adversaires traditionnalistes ; là où la tolérance de la contre-culture rencontrait la défense instinctive de l’ordre existant : fut soudainement arrivée l’épidémie terrifiante du Sida — apparemment tant spécifique à la communauté homosexuelle — qui attirât, tout d’un coup, une attention générale à l’endroit de personnes, et de phénomènes, dont l’existence avait été, jusqu’là, largement évitée dans le discours public.

— Une nouvelle littérature et cinématographie de la mort volontaire

     L’effet et l’importance, pour la mythologie et pour la narration identitaire des homosexuelles, fut, certes, extraordinaire. Car selon cette culture distincte, issue d’une collectivité forcement minoritaire et mal comprise ; rencontrée, le plus souvent, avec hostilité par la majorité hétérosexuelle ; et imbue, ainsi, d’un sens profond d’injustice sociale : il existait, déjà, une forte attraction vers la représentation tragique ; parfois cynique et résignée, parfois rebelle et insoumise — et les deux tendances souvent coexistant dans les mêmes esprits (voir, Le journal du voleur, 1949, de Jean Genet, 1910 – 1986).

     Le risque de suicide, pour être précis — déjà un danger important pour tout jeune homme — était de tout temps plus redoutable chez les homosexuels. Or, avec l’arrivée du Sida, cette dynamique fut appréciablement augmentée ; et face à cette violence apparemment intransigeante du sort, une perception, romantique et tragique, s’est aigrement dégagée parmi plusieurs, à l’effet que seulement le choix des conditions, entourant sa mort inévitable, demeura la prérogative inaliénable de l’héros encerclé.  

     Naturellement, il en résulta de cette confluence de facteurs, politiques et personnels, un fort intérêt parmi l’ensemble de l’intelligentsia, qui releva avec enthousiasme la tâche de représenter, avec sympathie, la réalité de l’expérience et de la souffrance « gaie », particulièrement face à l’épidémie ; et à travers cette œuvre s’est produite une image médiatique, du rejet idéalisé de la vie imparfaite, qui atteignit un niveau à la fois nouveau, et en tout point unique.

     Dans ces circonstances, aussi, certaines personnes plus charismatiques, saisies d’un gout d’exhibitionnisme artistique ou politique, offrirent même leurs décès en spectacles de célébration engagée, réunissant dans certains cas, des centaines de personnes. (D’ailleurs, même le besoin ressentit par Sue Rodriguez, d’offrir son désir publiquement en spectacle judiciaire, pouvait se décrire utilement à la lumière de cette tendance.)  

     Inévitablement, aussi, Il en est née toute une littérature, et un cinéma, qui incluaient (en plus des vrais témoignages documentaires undergrounds) des films commerciaux, dont notamment « It’s My Party (C’est ma fête) » (1996), un compte-rendu romancé du décès, en 1992, de Harry Stein (feu partenaire du réalisateur, Randal Kleiser (1946 – ), qui examina plusieurs aspects de l’expérience homosexuelle à travers la question du décès volontaire.

     Une dimension du discours, en particulier, pouvait nous intéresser dans ce film, au sujet du lien nébuleux (où dirais-je, plutôt franchement factice) entre la médecine et le « droit de mourir », car à l’image du feu Sue Rodriguez, Harry Stein n’était pas présenté dans un état de dépérissement qui ait pu évoquer ni la « souffrance insoutenable » ni la mort imminente. Au contraire, le sens de la décision du protagoniste était de terminer sa vie avant d’être « rendu là ». Et puisque la perception de chaque individu soit subjectivement unique, face à la valeur de sa vie, il s’ensuit qu’aucune justification « médicale » ne soit requise, ni aucun jugement médical recevable (au cas où ce jugement soit contraire au désir suicidaire exprimé).

     Parmi d’autres films dans ce genre, apparus plus tard, il figura aussi « The Event (L’événement) » (Canada, 2003, Thom Fitzgerald 1968 – ), film qui considéra plus directement la responsabilité, et l’engagement, des tiers personnes, car il représenta les invités à la « fête » comme des participants rituels au geste. En particulier, à la fin du récit, quand il fut devenu apparent que le corps du jeune homme rejetait les médicaments ; qu’il les en revomit involontairement ; et que – bien qu’inconscient – il fut destiné à survivre … La mère du protagoniste prend à sa charge l’initiative d’étouffer son fils, pour ainsi garantir un aboutissement net et final. Nous voyions alors, dans ce film, une porte conceptuelle qui s’ouvrait vers une vision plus large de la mort « assistée » ; vision qui reflète, fidèlement, la progression aujourd’hui observée, du « suicide-assisté » vers l’euthanasie simple.

— L’importance de ce phénomène culturel pour le « droit de mourir »

     Dans ces circonstances extraordinaires, alors, de souffrance partagée et de fleuraison poétique, il s’est dégagée une unanimité quasi-parfaite au sein de la communauté homosexuelle, incluant aussi les amis, les parents, et éventuellement, presque toutes les personnes de penchant progressiste (et surtout parmi les classes instruites) à l’effet que les souffrants du Sida (et par extension tous les souffrants) dussent posséder un choix libre, du moment, et de la manière, de leur mort. En particulier, de nombreux médecins, infirmières et pharmaciens, affectivement alliés à la communauté homosexuelle, se sentaient fortement interpellés pour soutenir de tels désirs suicidaires, et leur participation créa rapidement un bassin souterrain de professionnels médicaux, nouvellement prêts (et capables), d’avancer cette vision.

     En somme, il serait, je soumets, impossible de surestimer l’effet de ce concours de circonstances qui réunissait la force intrinsèque (bien que peu appréciée à l’époque) de la communauté homosexuelle élargie (au niveau politique et culturel), avec une sympathie populaire des plus étendue, issue des témoignages à la souffrance engendrée par l’épidémie du Sida. De manière concrète, surtout, ces personnes garantissaient pendant plusieurs années (voir des décennies), que le suicide assisté ne fut pas une question uniquement théorique, mais bien une pratique réelle, partout évidente.

     Décidément, de par ces faits, l’idéologie « dure », de l’euthanasie et de la mort sur demande (tel qu’elle fut articulée précédemment par la Société d’euthanasie volontaire en Grande Bretagne), avait grandement mûri, et avancé, d’une façon difficilement imaginable dans d’autres circonstances ; au point, connu de nos jours, où cette tendance soit clairement dominante dans la place publique (et institutionnellement dans l’industrie médicale), bien que les préoccupations au sujet du Sida — grâce aux recherches dernièrement tant réussies – sont largement dépassées, maintenant, dans le discours.

— Encore une observation quantitative : le nombre, objectivement marginal, des morts par suicide, parmi les personnes atteintes du Sida

     Un thème récurrent dans ces pages concerne la discordance quantitative qui existe : entre la place énorme actuellement consentie à la mort volontaire au sein de notre culture médicale ; et la faible proportion de personnes éligibles qui la demande. Manifestement, il n’y a aucune correspondance réelle entre les deux. Et à ce chef, il paraitrait que les suicidaires du Sida n’en font pas exception.

  De l’année 1988, à 1995, le taux de suicide chez les souffrants du Sida fut de 13 fois plus élevé que le normal (chez les hommes) et diminua ensuite (après l’introduction des thérapies antirétrovirales) à 3 fois la norme. Nous nous en apercevons donc, d’un nombre de suicides très important, certes, parmi les séropositifs en général, et particulièrement, dans la période antérieure à 1996.  Notre intérêt, cependant, ne concerne pas les nombres absolus, ni même les déviations du taux normal, car cet intérêt se résume, uniquement, à savoir quelle proportion des personnes atteintes de Sida se sont montrées suicidaires, et quelle proportion, au contraire, choisit de persévérer.

Calculs faits, alors, nous constatons que même au cours des années noires, avant l’introduction des traitements antirétrovirales, c’est à dire au moment de la plus forte conflagration de l’épidémie, il n’y avait que 4 suicides annuellement, parmi 1000 personnes atteintes ; et encore bien moins (environ, 1 par millier) au cours des années 1996 et subséquentes.

Or, il deviendrait difficile, je soumets, devant ces évidences, de créditer la rationalité de ce vaste culte de mort volontaire, répandu mondialement parmi les classes progressistes et artistiques — au point de marginaliser toute dissidence — quand 996 sur 1000 personnes (directement concernées) n’y participèrent pas, dans les faits.

S’en dégage, également, un deuxième constat intéressant, soit : que le véritable apogée de la glorification de la mort volontaire, symbolisé par l’arrivée du film « C’est ma fête » (1996) s’est manifesté après l’introduction des thérapies antirétrovirales. Car pour répéter ce fait étonnant : dans la période entre 1996 et la sortie du film Canadien « L’évènement » (2003), cette mode tragi-romantique fut rejetée (dans chaque année) par pas moins de 999 sur 1000 (99.9 %) des patients séropositifs dont elle tirait, ostensiblement, ses origines et sa légitimité.

     Et c’est ainsi que la disparité monstrueuse qui soit évidente, entre la présentation narrative et la réalité vécue, me pousse à suggérer une explication toute autre.

— Une autre source, possible, de l’idéologie suicidaire

     Au lieu de créditer, sans critique, la thèse du souffrant qui demande la mort, la réalité serait beaucoup mieux servie, je crois, par une reconnaissance franche de l’origine de ce désir mortel, non chez les mourants, mais chez ceux qui les entourent.

     Quoi de plus naturel, en fait, que de vouloir s’en débarrasser de la souffrance d’autrui – personnellement et collectivement – en s’en débarrassant des souffrants ? Et quoi de plus rassurant, que de vouloir croire, que les exemples statistiquement atypiques (quoique toujours nombreux d’observation anecdotique) aient pu nous fournir une justification crédible, pour promouvoir cette vision de normalité dans la mort volontaire ; une normalité, pourtant, qui fut rejetée dans les circonstances décrites, par au-delà de 95% de ceux dont la volonté vitale se trouvait, ainsi, exposée aux questionnements grossiers !

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« L’événement » (2003)

Nous retrouvons, dans la publicité de ce film, les mêmes motifs festifs invoqués par le titre du film précédent « C’est ma fête » (1996). Pourtant, d’inspiration plus sombre, les scènes finales nous placent devant l’image d’une mère qui croit bien faire en étouffant son fils.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Au-delà du cadre médical : la mort assistée en phénomène de mode populaire)

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