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L’avortement III : Son intégration dans l’éthique médicale - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

L’avortement III : Son intégration dans l’éthique médicale

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV : Hippocrate bis : l’avortement — Chapitre : L’avortement III : Son intégration dans l’éthique médicale)

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— Un passage radical, en temps accéléré, entre deux régimes de loi

     Il y a de cela, maintenant, un demi-siècle (au début des années dix-neuf-cent-soixante-dix), des autobus nolisés se chargeaient routinièrement de femmes, le matin au Canada, pour les amener dans des cliniques ambulatoires aux États Unis ; là où elles pouvaient subir des avortements discrétionnaires (de première trimestre), et rentrer au pays dans la journée même.

     À cette époque, l’avortement était encore illégal au Canada (avec certaines exceptions — en cas de danger potentiel à la santé de la mère – qui eurent été autorisées depuis 1969 seulement). À partir de 1988, cependant, le Canada se démarquait comme la seule nation, au monde, où l’avortement se pratiquaient sans restriction légale aucune.

     Dans l’espace de 20 ans, alors, la profession (et l’industrie) médicales, étaient contraintes à s’ajuster : d’un état d’interdiction totale, vers une permission qui le fut tout autant.

-Une obligation d’accommodation institutionnelle : globale, rapide et largement involontaire

     D’une certaine façon, je serais tenté de décrire la situation de la profession médicale, dans cette période, comme celle d’une victime innocente : prise au milieu d’une fusillade idéologique, dont elle s’en serait volontairement passée si cela eut été le moindrement possible.

     D’un côté, se trouvait un système moral, monolithique et ancestral, appuyé instinctivement par la quasi-totalité de la société (et jouissant, en outre, de tout le poids de la machine judiciaire) ; de l’autre, se rangeait une toute petite faction intellectuelle : agissant au service d’une notion révolutionnaire idéalisée ; identifiant la liberté de l’avortement aux tendances en vogue — individualistes ou collectivistes — au gré des circonstances ; cherchant, à travers cette improvisation tactique, n’importe quel point solide pour poser le pied de l’argument polémique.

     Mais en dépit de l’inégalité apparente des forces en présence, les champions de la révolution reproductrice bénéficiaient d’un atout inestimable : il y avait maintenant (grâce aux nouvelles conditions chirurgicales sécuritaires), une provision littéralement inépuisable de femmes, qui étaient toujours opposées –collectivement — aux pratique de l’avortement, mais qui (confrontées individuellement à la réalité d’une grossesse non-voulue) se montraient de plus en plus enclines à recourir à cette option.

     En partant, donc, la profession médicale se trouvait en opposition, comme presque tout le monde, à ce nouveau phénomène de société ; aussi, la vaste majorité des médecins ne pratiquèrent jamais d’avortement. Mais, en plus des partisans de la cause comme telle, l’appât, de ce marché en expansion, en attirait quand-même plusieurs ; et ceux-là, inévitablement arrêtés et traduits devant les tribunaux, offraient dans leur défense une nouvelle vision de l’avortement en intervention légitime.

     Or, de ce fait, bon gré, mal gré, l’ensemble des médecins — ainsi que les organismes qui les représentaient—se voyaient obligés, de procès en procès : à débattre publiquement sur la nature idéale de leur métier ; et d’opiner sur le bienfondé éthique des gestes posés.

— La santé de la mère et les avortements « thérapeutiques »

      Le plus puissant argument chez les défenseurs de l’avortement — celui qui engageait le plus favorablement l’opinion publique en partant (et celui, je crois, qui eut garanti son acceptation éventuelle) — concernait la « santé » de la mère.

     Dans sa forme la plus convaincante, cet argument nous enjoindrait à considérer la situation d’une femme qui mourrait certainement (sans avortement) suite aux complications de sa grossesse, et ce, sans même pouvoir mener cette grossesse à terme (de sorte qu’il n’y aurait aucune chance que cette femme accouche d’un bébé vivant).

     Dans cette hypothèse-limite, l’avortement se présentait comme une intervention médicale nécessaire dont l’omission résulterait dans la perte inutile de deux vies, plutôt que d’une seule. Et devant la présentation des faits sous cet aspect, presque tout le monde était d’accord pour autoriser les médecins à agir ainsi.

     Évidemment, cet argument ne servait qu’à percer une première brèche dans l’interdit catégorique. Et il s’ensuivit toute une série d’hypothèses et de jugements subséquents, au sujet des maux potentiellement portés à l’endroit de l’une ou l’autre (mère ou bébé), et les actions appropriées dans chaque cas. Pourtant, sans entrer dans les détails de ces discussions ultérieures, nous pouvions tout de suite constater que l’acceptation de l’avortement dans cette seule circonstance rarissime exigea que la théorie éthique de la médecine trouve un espace, malgré elle, pour ce phénomène d’avortement thérapeutique (tout comme l’acceptation populaire de la mort assistée — pour ce patient hypothétique, à l’article de la mort,  pleinement volontaire, torturé de maux insupportables et sans possibilité de soulagement — nous eut apparemment imposé une exigence théorique, similaire, une génération plus tard).

— Hippocrate et l’avortement thérapeutique

     Tristement, pourtant, cet exercice secondaire (qui consiste à définir le rapport optimal entre l’avortement et la tradition hippocratique), n’a pas reçu l’attention qui eut été son dû. Car ces nuances furent largement oubliées dans la foulé du débat surexcité sur le statut, éthique, de l’avortement (libre) perçu dans une perspective absolue. Sereinement regardé, cependant, ce ne serait pas du tout évident qu’un recours extraordinaire à l’avortement thérapeutique soit en contradiction irréconciliable avec l’essence hippocratique.  

     Il y aurait ici, peut-être, une contradiction apparente face à la lettre du Serment, certes ; mais nous pouvions aussi prétendre que l’esprit, au moins, du mandat hippocratique, eut été respecté dans de tels cas. Car il réside une différence importante dans l’écart technologique qui sépare ces deux périodes de l’histoire : d’une part les contemporains d’Hippocrate ne pouvaient pas diagnostiquer, à l’avance, les conditions de grossesse qui présenteraient des risques pour la vie de la mère ; et d’autre part, les dangers de l’avortement sans stérilisation et sans antibiotiques auraient nullifié, à cette époque, tout bénéfice attendu.

     De plus, à ce stade-là du débat, il n’était aucunement (encore) question de légaliser l’avortement discrétionnaire ; et vu que l’interdit hippocratique des drogues avorteuses suggère surtout une telle intention, il n’y avait en réalité, que très peu de contradiction entre les nouvelles autorisations contemplées, et la forme originale du Serment.

     Aussi, pouvions-nous considérer, ainsi, cette autorisation exceptionnelle (d’avortement pratiqué pour protéger la vie de la mère) non comme une négation de la médecine d’Hippocrate, mais plutôt comme une révision rendue nécessaire, devant de nouvelles possibilités thérapeutiques et diagnostiques.

— D’autres tentatives de justification « objective » qui n’invoquerent pas (tout à fait) la liberté simple

     Malheureusement, cependant, les choses n’en sont pas restées ainsi. Car face à l’expansion phénoménale de ce nouveau marché illicite (et lucratif), toutes sortes de caractères, plus ou moins salubres, furent naturellement attirés par les profits escomptés — à pratiquer des avortements chirurgicaux dans des endroits inadéquats ; souvent sans une formation à la hauteur du geste ; et parfois sans formation du tout. Or, le résultat, comme nous pourrions nous en douter : passait par l’apparition routinière — dans les salles d’hôpital, et dans les bureaux de médecins réputés– de séquelles moins réussies, voir fatales, de ces improvisations.

     Par conséquent, on voyait apparaitre une nouvelle défense, parmi les médecins (plus compétents) qui se faisaient prendre par la justice :  l’affirmation qu’ils eurent voulu agir en philanthropes désintéressés, dont la seule motivation eut été le souhait de sauver leurs patients, des soins malsaines et dangereux des malfaiteurs prédateurs.

     C’est vrai, cependant, que ce raisonnement n’a jamais tout à fait triomphé, car elle renferme en elle un principe des plus douteux : que nous pouvions nous trouver contraints à poser des gestes (possiblement repréhensibles) grâce à la seule volonté d’une autre personne. Mais en revanche, cette motivation jouait fortement dans la décision de certains médecins, et même de très haute réputation, de pratiquer occasionnellement des avortements illégaux, surtout, quand il s’agissait de personnes chères : des patients de longue date, par exemple ; ou encore des membres des familles de leurs collègues ; des personnes, en somme, qu’ils n’eurent pas voulu abandonner aux soins incompétents des avorteurs d’usage.

     Ultimement, ces deux principes se sont réunis dans la pratique : les avocats de l’avortement devinrent de plus en plus créatifs dans la justification des avortements en fonction du « bien » de la mère ; tandis que les praticiens de l’avortement se sont progressivement persuadés que tout avortement compétent représente une vie sauvée (du moment que l’alternative eût été contemplée). Et c’est ainsi que nous en sommes arrivés à un dénouement qui ne peut que sembler agaçant pour les puristes de la tradition hippocratique (sans parler des moralistes de souche traditionnelle), car, contrairement à la lettre et à l’esprit du Serment : l’avortement discrétionnaire se trouva, malgré eux, fermement identifié comme l’affaire des médecins.

— La répudiation apparente de l’interdiction Hippocratique

     Ce fut dommage du point de vue strictement logique, certes, mais dans le contexte pratique de l’époque décrite, il nous paraitrait inévitable, aussi, que le petit nombre d’avortements proprement hippocratiques eût servi de justification pour le traitement médical du nombre beaucoup plus élevé d’avortements discrétionnaires.

    Toujours est-il cependant (faut-il se le rappeler, aujourd’hui, comme il y avait deux milles ans) : que l’engagement hippocratique se présente en choix ; qu’aucun médecin n’est obligé de prodiguer des avortements ; et qu’il existe, toujours, un fort avantage clinique à gagner auprès de la cliente-type, dans une communication du sérieux avec lequel le médecin en devoir (c’est à dire : son médecin), considère non seulement son bien-être à elle, mais encore … celui de son bébé.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV : Hippocrate bis : l’avortement — Chapitre : À défaut d’un consensus moral, la cohabitation pragmatique : comment la médecine hippocratique accommoda l’avortement discrétionnaire ; les leçons pour l’euthanasie)

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