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À défaut d’un consensus moral, la cohabitation pragmatique : comment la médecine hippocratique accommoda l’avortement discrétionnaire ; les leçons pour l’euthanasie - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

À défaut d’un consensus moral, la cohabitation pragmatique : comment la médecine hippocratique accommoda l’avortement discrétionnaire ; les leçons pour l’euthanasie

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV : Hippocrate bis : l’avortement — Chapitre : À défaut d’un consensus moral, la cohabitation pragmatique : comment la médecine hippocratique accommoda l’avortement discrétionnaire ; les leçons pour l’euthanasie)

— La liberté favorisée aux dépens de la répression : un paradigme politique inconnu ailleurs

Décidément, le manque d’un jugement et d’un consensus clairs, sur la moralité de l’avortement, s’est fait durement ressentir.

Avec le recul historique, et devant le récit des autres grands ajustements du vingtième siècle, nous constatons que la décriminalisation de l’avortement s’est réalisée, justement, en esquivant ce jugement, et en renonçant à ce consensus. En continuité directe avec la désobéissance de la Prohibition, du Flower Power, de Woodstock et de Kent State, la légalisation de l’avortement s’est imposée, plutôt, comme un fait accompli d’ordre pratique.

Cette légalisation fut acceptée, ainsi, pour éviter les frais sociaux d’une répression judiciaire devenue, selon plusieurs, considérablement plus nocive que la pratique réprimée. Face à l’avortement, comme dans tous les autres cas cités, l’État démocratique n’a tout bonnement pas voulu manifester suffisamment de cruauté dans la résolve ; le pouvoir aurait hésité ; et renoncé, finalement, à utiliser le volume de répression nécessaire pour forcer les individus à plier devant les intérêts (présumés) de la collectivité ; et dans cette circonstance particulière : à forcer les femmes à enfanter contre leur gré.

Mais aussi évident que ce dénouement puisse nous paraitre aujourd’hui, il faudrait toujours signaler, en passant, la nouveauté et de la rareté de politiques sociales semblables ! Car pour faire une comparaison directe avec les politiques épousées à la même époque en Chine totalitaire : les femmes de ce pays furent effectivement contraintes à ne pas enfanter, avec recours, au besoin, à l’imposition d’avortements forcés. Car ayant identifié le ralentissement démographique comme un but désirable, ce régime (devenu aujourd’hui le principal concurrent évolutionnaire au notre) n’hésita aucunement à poursuivre l’intérêt collectif par la force coercitive, aussi intimement agressante fut-elle.

L’état démocratique et libéral, par contre — même insatisfait des ambivalences morales de l’avortement discrétionnaire — hésita d’abord (et recula ensuite) devant la désobéissance complice, des nombreuses femmes qui désiraient cette solution chirurgicale, et de la minorité des médecins qui acceptèrent de les servir.

Dans l’un cas, le bien fut identifié et imposé aux dépens des récalcitrants ; dans l’autre, une ambivalence officielle fut adoptée face aux affirmations morales contradictoires.

Ce serait, sans doute, un indice important de la nature franchement révolutionnaire de notre société actuelle. Pourtant, il ne faudrait pas se montrer surpris, en conséquence, si une grande partie de la population, des deux côtés des différends exposés, n’aurait aucunement pu se réconcilier avec de telles incertitudes morales.

— Une lutte morale vigoureusement engagée, mais sans issue, et dépassée dans les faits

D’abord, la majorité traditionnelle ne comprenait pas, n’acceptait pas –et n’accepte toujours pas — que leur démonstration de l’immoralité de l’avortement (fondée, celle-ci, sur un appel irréfutable au premier principe de la vie en société « tu ne tueras point ») ait pu se voir ainsi ignorée dans les textes de loi.

Et peut-être tout aussi aigue fut la déception des défenseurs du « choix » : que la moralité de l’avortement (rigoureusement différenciée, celle-ci, de l’utilité, de la commodité, et même parfois de la nécessité) n’ait jamais su s’imposer en consensus social.

Pour les traditionalistes, le fœtus serait une vie humaine, vulnérable et sacrée, qui demande impérativement la protection de tous.

Pour leurs adversaires, ce même fœtus (non-désiré) serait plutôt un parasite qui s’approprie des ressources de la mère –vitales, affectives, sociales et économiques – et que sa destruction, en conséquence, serait un acte d’auto-défense légitime.

Il se peut que l’une de ces propositions soit vraie, et que l’autre soit fausse ; il se peut également que l’application du principe dépende du contexte. Mais dans chaque cas, absolu ou particulier, quelqu’un doit inévitablement trancher. Le véritable changement, alors, dans la moralité occidentale tout au long du vingtième siècle, ne concerna pas les jugements comme tels, mais plutôt : la question cruciale de qui en serait juge. Et de plus en plus souvent, dans ce dernier siècle charnière, cette responsabilité fut accordée à l’individu.

Mais (au moins en théorie), la société n’accorda pas nécessairement, avec ça, son approbation.

Alors, autant le choix de l’avortement fut devenu la prérogative personnelle de chaque femme ; autant le droit de jugement moral, devant ces faits, resta la prérogative propre à chaque témoin. Et si les uns furent privés de leur droit, collectif, de contraindre les comportements de leurs voisins ; les autres, tout en se prévalant du droit convoité, n’ont pas pu gagner un assentiment général voulant qu’ils (elles) aient eu raison en ce faisant.

— La nature émotive des différends moraux, et la difficulté (voire : l’impossibilité) d’en faire abstraction

Ce fut (et ça demeure encore) un denouement palpablement insatisfaisant pour plusieurs. Et ce fut une conclusion largement non admise de surcroit. Car, nonobstant l’évolution philosophique ici décrite, il semblerait que le besoin (ou au moins le désir résiduel), d’une morale objective, reste toujours aussi important pour la stabilité psychologique de l’être humain ; et aussi utiles qu’elles puissent paraitre dans les calculs pratiques de la complexité moderne, les nouvelles distinctions subtiles qui prétendraient différencier ce qui est « bien » de ce qui soit « légal » semblent, encore, intuitivement inadéquates pour satisfaire aux instincts moraux de l’homme.

Or, de ces réalités en découlent les faits observés : que nonobstant le caractère plutôt amoral de notre système de justice actuel, les grands changements socio-légaux sont toujours débattus, passionnément, et en premier lieu, sur les questions morales sous-entendues ; que l’inefficacité légale – voire, en maint cas : l’inutilité pure (de ces arguments) — résulterait souvent dans le ton encore plus inflexible avec lequel ils sont présentés ; et que cette impossibilité, pour les parties de trouver une véritable satisfaction dans les jugements tranchés, expliquerait, aussi, la férocité du combat.

Car, si l’on ne peut jamais vaincre l’adversaire franchement sur ce terrain de discours objectif ; et si l’on demeure, tout de même, moralement invaincu ; les tentations et les occasions se trouverons toujours bonnes pour s’attaquer encore et sans cesse : non pas dans un but immédiat de vaincre ; mais simplement pour nuire, pour blesser ; pour affaiblir.

— Les emportements punitifs, suscités par la question « avortement »

Et c’est ainsi que la bataille de l’avortement ait dégénéré dans une opposition personnelle d’une intensité singulièrement hargneuse. Les personnalités devinrent identifiées avec les causes qu’elles défendaient ; et les défauts de l’une furent crédités à la charge de l’autre. La déclaration — dans un article ou dans un discours — que tel ou tel individu défendait une position immorale — voir criminelle — se confondit naturellement dans l’esprit de l’auditeur avec la notion plus simple que cette personne fût, elle-même, de caractère immoral et criminel. D’ailleurs, le plus souvent, les combattants ne se contentaient pas de se fier à cet effet facile d’association fortuite : ils n’hésitaient pas à noircir délibérément, et directement, le caractère et l’honneur de leurs adversaires. Et dans ces cas, des paroles furent proférées pour lesquelles ni le remords, ni le temps, ne pouvaient suffire pour en effacer l’affront.

Or, pour reprendre le discours direct au sujet des répercussions produites, par les batailles de l’avortement, dans nos discussions subséquentes de l’euthanasie : tel fut aussi, très malheureusement, le sort réservé pour notre pauvre ami Hippocrate.

— Hippocrate : présenté en effigie du passé ; et brulé comme telle

Qu’importe si la signification de l’inspiration hippocratique fut manifestement mal traduite par les deux cotés ? Qu’importe si la résolution du différend moral ne fut nullement affectée ?

Avec la même haine invétérée et implacable qui fut témoignée par les « mouillés » dans les années vingt (à l’intention des « secs ») ; avec le même dédain témoigné par les « hips » à l’égard des « straights » (une génération plus tard, dans la « contre-culture » des années soixante) ; avec cette rancune née dans le sentiment d’être les victimes innocentes d’une persécution, générale, pratiquée par la société à leur égard ; avec cette haine, enfin, exprimée partout et dans toutes les époques par l’élément délinquant envers les gens dits « biens » : les défenseurs de l’avortement discrétionnaire se sont tournés vers ce vieux Grec « poussiéreux », issu d’une société qu’ils qualifiaient d’archaïque, de vétuste, de militariste, colonialiste, impérialiste et surtout : de sexiste.

Bref, autant le camp traditionnel se referait à cette Vénérable Autorité, autant le camp adverse répliquait avec une campagne globale de dénigrement, et de délégitimation. Dans la même mesure, encore, ou le respect partout témoigné pour la tradition hippocratique ait pu servir à retarder la décriminalisation de l’avortement, les militants de cette cause s’attaquèrent à la base de ce respect : en maniant, entre autres, l’arme du ridicule ; une arme qu’ils aient si bien su employer que de nos jours — et de manière générale — le Serment d’Hippocrate soit perçu, presqu’uniquement, en curiosité historique : précurseur archaïque des codes déontologiques de la médecine moderne, peut-être, mais sans plus. Et de ce fait, le génie proprement révolutionnaire du mouvement hippocratique fut sérieusement atteint.

En fait, il semblerait que le vandalisme, philosophique et culturel, produit au sein de la communauté médicale au cours de cet épisode, fut la séquelle corollaire d’une lutte sociale beaucoup plus large et autrement plus coriace ; que puisque les promoteurs de l’avortement se voyaient incapables d’ébranler, directement, l’autorité première de la religion chrétienne (du fait des nombreux fidèles, totalement indifférents aux arguments employés), ils se sont tournés, par dépit (mais avec beaucoup plus de succès), vers cette moindre représentation de l’autorité du passé — beaucoup moins vigoureusement défendue — qui fut la tradition classique d’Hippocrate. Et à défaut de pouvoir sérieusement écorcher l’un, ils se seraient quand-même acharnés, avec une vigueur étonnante et vénéneuse, pour saccager brutalement, l’autre.

— Le débat « euthanasie » hypothéqué en conséquence

Malheureusement, pour l’euthanasie, les implications furent graves. Car ayant porté atteinte à l’image d’Hippocrate dans l’esprit populaire (gratuitement, j’affirmerais toujours, mais pas moins significativement) ; et surtout, ayant réussi à libérer les médecins, activistes, des provisions d’un code criminel qui eut couru en parallèle, jusqu’alors, avec l’abjuration hippocratique de l’avortement : il s’est produit une forte présomption (factice mais naturelle) que les autres éléments du Serment fussent devenus également désuets dans le monde moderne (et ce, même s’il y aurait faute logique évidente à rejeter, ainsi, tous les éléments d’un ensemble, simplement parce que nous eussions cru bon d’en modifier l’un de parmi eux).

Loin d’être appréciés sur leurs mérites propres, alors, les termes du Serment d’Hippocrate furent considérés, seulement, comme des éléments d’appui secondaires d’un argument moral auquel ils furent largement étrangers (par leur filiation païenne et classique). Et si le juriste et le législateur avaient trouvé bon, ainsi, de modifier le code légal sans trancher la question morale du fond, pourquoi, se demanda-t-on, ne pourrait-on pas faire fi, tout autant, de l’autorité hippocratique ? Aussi, dans ce cas, ne pouvait-on pas y voir, en fait, la limite finale de l’influence projetée à travers tant d’histoire, par notre vénérable Grec ?

— Un constat plus encourageant

Heureusement que non (comme je suis très content de pouvoir l’affirmer, ici, sans réserve) ! Car telle conclusion ferait fi, aussi, de la troisième distinction déjà répertoriée (et celle qui opère véritablement à la base de la réussite hippocratique) : qu’après le « bien », et après le « légal », nous avons toujours l’obligation de tenir compte de ce qui soit « commercialement désirable » (c’est-à-dire, de ce qui est réclamé par la clientèle). Et, visiblement, une grande majorité de la clientèle désire toujours (pour eux-mêmes) un « service » médical de nature hippocratique (et cela, bien qu’ils puissent en ignorer tout de ce dernier).

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