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"L'Ange bleu" de Heinrich Mann, Joseph Sternberg et Marlene Dietrich - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

“L’Ange bleu” de Heinrich Mann, Joseph Sternberg et Marlene Dietrich

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : “L’Ange bleu” de Heinrich Mann, Joseph Sternberg et Marlene Dietrich)

Introduite au cinéma international avec “L’Ange Bleu”, Marlene Dietrich (1901 – 1992) commence, ainsi, une série de sept films avec réalisateur Josef Von Sternberg (tous dans des rôles de femmes fatales), dont son favori personnelle était “Le diable est une femme” (The Devil is a Woman, 1935). Quoique activement sollicitée par le Regime Nazi, Dietrich choisit le camp Allié par conviction politique; prend, la citoyenneté américaine; et participe extensivement dans le divertissement des troupes, au cours de la Deuxième Guerre Mondiale: en Amérique, en Afrique, en Europe.

— “L’Ange bleu” en miroir social

Le film “L’Ange bleu” (Der blaue Engel) est apparu en 1930, étant la première grande production allemande du cinema parlant (et mettant en vedette l’incomparable Marlene Dietrich, 1901 – 1992). Ce film occupe une place de choix dans l’histoire cinématographique. Son intérêt, ici, cependant, découle de sa préoccupation philosophique avec la frontière entre le monde “bien” et le monde “mal”; signalant, surtout, la facilité avec laquelle les habitants du premier peuvent subitement tomber sous l’influence du second (un thème littéraire des plus populaires depuis Ulysse et les Lotophages). Et puisque la perception populaire des frontières morales reflet si étroitement la nature réelle de la société (et détermine même les formes de cette dernière), il en résulte que l’évolution dans le traitement de ce thème, au cours du vingtième siècle, nous fournisse des indices précieux pour comprendre les transformations sociétales, énormes, qui auraient abouti, aussi, de nos jours, dans une légitimation de la mort volontaire.

— Heinrich Mann et le “Professeur Unrat”

L’Ange bleu est dérivé d’un roman quelque peu plus ancien, “Professeur Unrat” (littéralement: Professeur Ordure), publié en 1905 par Heinrich Mann (1871- 1950). Ce serait, donc, le livre, et non le film qui fournit notre point de départ. Or, le “Professeur Unrat”, concerne la caractère d’un fonctionnaire respectable, nommé Raat (Unrat/ordure étant le sobriquet accordé par ses étudiants). Herr Raat est un homme d’age plus que mur, divorcé et père aliéné, exposé à des tentations pour lui inusitées, qui fréquente d’abord, et marie par la suite, une danseuse de cabaret. L’opprobre social exige sa destitution professionnelle. Le mariage s’avère des plus malheureux. Le professeur échange, ainsi, une position d’autorité dans l’ancien système Prusse d’éducation supérieure, pour celle d’un véritable esclave cocu, financièrement ruiné, quasi-proxénète, et ultimement emprisonné (selon le livre); ou encore: clown de vaudeville, fou jaloux, et mort de rage suicidaire (selon le film). Les thèmes abordés dans ce livre comprennent toute la gamme (des mythes grecs à la déchéance moderne), mais en premier, il s’y trouve l’idée chrétienne d’une nature humaine imparfaite, rarement avouée, mais toujours prête à s’affirmer; prêt à précipiter la perte des personnes, même, les plus agressivement moralistes (et possiblement de celles-ci en premier).

La perspective est cynique. Le protagoniste (Professeur Raat) n’est pas pris en affection, mais conspué, plutôt, en moraliste hypocrite:

“[…] … Comme son nom était Raat, toute l’école l’appelait Unrat (ordures, fumier, immondices, chose nauséabonde). Rien de plus simple ni de plus naturel.

“… Nul banquier, nul monarque n’était plus fortement sollicité par le pouvoir, plus intéressé par la conservation de l’ordre établi que Unrat. Il voulait que les fondements soient forts : un clergé influent, un sabre solide, une obéissance stricte et des mœurs rigides.” — Professeur Unrat, 1905

La chute de cet homme n’est pas regrettée, mais célébrée, au contraire. Et pourtant, les balises éthiques sont parfaitement traditionnelles. Il n’y a aucune prétention que les habitués de l’Ange bleu (ni Lola elle-même) ne soient des personnes moralement exemplaires. Tout au contraire: ces caractères sont ridiculisées autant que celle du Professeur. Seulement, comme l’auteur nous le fait si bien sentir: Raat (malgré sa position sociale, malgré ses prétentions auprès des autres, et malgré, surtout, ses illusions simplettes à son propre égard) se révèle aucunement meilleur qu’eux. Cependant, outre cette sophistication dans la perspective et dans le ton, “Professeur Unrat” s’agit, toujours, d’un conte allégorique, de précaution, à la fois complexe et simple, sur les faiblesses potentielles qui nous guettent tous.

Au premier niveau, alors, et mème si il fut apparu en 1930, le film servait toujours de véhicule pour une vision morale (et sociale) d’Avant-guerre, qui ignorait entièrement les crises engendrées par les récentes catastrophes. Je pense, aussi, que telle fut l’intention originale des producteurs; une intention, d’ailleurs, qui s’accorda avec une grande partie de l’opinion publique, en Allemagne comme ailleurs; une opinion qui eut voulu toujours croire qu’un retour aux certitudes (et aux discours) du passé, demeurait encore possible. Pourtant, cette idée de continuité aurait semblé raisonnable, surtout, parmi les personnes ayant entamé la vie adulte bien avant la guerre –comme Heinrich Mann, lui-même– et beaucoup moins parmi la génération nouvelle, incluant, très pertinemment, le réalisateur choisi pour ce projet: Josef von Sternberg (1894 – 1969). En conséquence, Il y aurait des importantes différences pour séparer “L’Ange bleu” du “Professeur Unrat”.

Heinrich Mann (1871 – 1950), auteur de “Professeur Unrat”, point de depart pour le film “L’Ange bleu”. Opposé, déjà, à la Première Guerre Mondiale (1914 – 1918), Heinrich Mann fut obligé à s’exiler de l’Allemagne Fasciste (1933), où son œuvre fut brûlée (dans la même année) comme étant “contre l’esprit allemand”

— Joseph von Sternberg et “L’Ange bleu”, 1930

Au départ, le projet fut monté autour de l’acteur Emil Jannings (1884 – 1950) avec l’intention que celui-ci soit le protagoniste dominant d’un drame interne du genre Faustien. Pourtant, il existe, aussi, une longue tradition de complaisance dans la littérature moraliste qui permet la satisfaction directe d’appétits moins élevés, surtout dans l’exposition “franche” de la matière nécessaire pour comprendre la thèse de l’œuvre. Il est arrivé, même, à cet instar, qu’un écrivain comme De Sade ait pu présenter les plus grotesques exemples de pornographie dans des écrits qu’il prétendait, toujours, des contes édifiants pour l’éducation de la jeunesse ! Dans le cas de “L’Ange bleu”, aussi, cette occasion se présenta tout naturellement, car la première cause, de la chute du professeur, en fut une de passion. Il s’agissait, donc, pour les producteurs, de balancer le rôle vedette masculin avec une caractère féminine qui ait pu ajouter, à l’intérêt du film (et à sa réussite populaire), un cachet accessoire.

–La contribution extraordinaire de Marlene Dietrich

Or, dans l’occurrence, ces messieurs ont réussi cet exploit au delà de toute attente. Car la puissance sensuelle de la séductrice Lola Lola (Marlène Dietrich) se projeta à merveille dans le medium cinématographique, tandis qu’il en fut tout autrement pour les subtilités conceptuelles du livre, ou des qualités cérébrales du professeur !Dans une mesure tout à fait surprenante (et possiblement tout autant pour les responsables), l’histoire projetée –d’un homme autant fort que détestable, détruit par ses propres faiblesses, en interaction avec un simple objet de désire (maléfique de destin, certes, mais trivial en soi)– fut remplacée par une toute autre: d’un homme faible (même pathétique), qui fut sciemment manipulé et exploité (voir entièrement consommé), par une caractère plutôt sympathique de femme dominante. Et la preuve de ce tour de force (au moins partiellement accidentel, je crois), s’affirme dans l’oubli, relatif, qui entoure aujourd’hui le nom de la vedette consacrée du film, Emil Jannings (jadis tant célèbre, et premier lauréat masculin du prix Oscar), face à celui de Marlène Dietrich (inconnue alors, mais subséquemment devenue le personnage fétiche d’un culte toujours actif et régulièrement renouvelé).

Pourtant, la transformation, tant radicale, de ce conte psychologique (aux ramifications sociales étendues), n’était pas uniquement due à l’apport verbal nécessairement limité du cinéma, ni aux seules qualités théâtrales de Mme Dietrich. Il faut également tenir compte des nouvelles conditions sociales de l’Entre-deux-guerres, ainsi que de la participation américaine dans la production de ce film. Car le réalisateur Josef von Sternberg (né Jonas Sternberg) avait été formé dans les studios UA, MGM, et Paramount, et travaillait toujours pour ce dernier. Or, par cette voie, tout un bagage culturel de l’ère prohibitionniste américaine fut injecté dans la réalisation de “L’Ange bleu”.

— La leçon morale des gangsters et des courtisanes

Plus spécifiquement, Sternberg était étroitement associé avec les débuts du genre “Gangster”, où les studios de Hollywood avait largement repris le traitement traditionnel du héros insoumis –tragiquement contraint à la vie criminelle (selon les exemples de Jean Valjean ou de Robin des Bois)– et avait poussé cette convention narrative vers une nouvelle célébration ouverte du malfaiteur, transformé en objet positif d’émulation populaire. Il n’y aurait rien de plus naturel, je soumets, que le transfert de ce principe pour embrasser la caractère prédatrice de Lola Lola, et par extension, toute une classe “exotique” de la gent féminine. Or, avec la complicité du réalisateur Sternberg, la sexualité toujours explicite, et toujours volontaire de Marlene Dietrich, fut brillamment employée à cette fin.

De plus, le tout s’est passé en temps réel, du fait que Marlene Dietrich n’était pas seulement une vedette pour Josef Sternberg. Pas du tout. Au cours de ce tournage elle avait également séduit celui-ci aussi complètement que Lola ait séduit le Professeur Raat (fournissant, même, la cause publique du divorce du réalisateur).

Selon la théorie artistique “d’émergence”, alors, il semblerait que les tendances ambiantes de l’Entre-deux-guerres –aidées par les personnalités particulières de Sternberg et de Dietrich– aient conspiré, en cette instance unique, pour éclore spontanément dans la production du film; pour transformer celui-ci dans un aperçu, avant-coureur, des tendances à venir. Car la veille fable tragique, de chute humaine devant la tentation, fut presque occultée dans L’Ange bleu, par un discours parallèle de délinquance, volontaire et triomphale. Et la leçon allégorique de Heinrich Mann, ostensiblement présentée pour exhorter l’évitement du destin tragique de Professeur Raat, fut largement occulter, à son tour, par une forte invitation implicite d’émuler la puissance amorale de Lola (dans le film) et de Marlene (dans la vie).

Oubliée, donc, fut la chute terne de Raat; éclipsée par la montée éclatante de Lola! Et Emil Jannings, pour sa part, a bien pu faire des crises de vedette histrioniques (allant jusqu’aux menaces de se retirer du projet) mais la dominance manifeste, de Marlene auprès de Josef, assura que l’Hero désigné du film (Jannings) ait été définitivement remplacé par son Héroïne (Dietrich);

Josef Von Sternberg (1894 – 1969) avait une enfance partagée entre Vienne et New York. Pendant la Première Guerre, au sein des forces Americaines il travaillait à la production de films d’entraînement. Ses œuvres artistiques traversent, à la fois, les périodes de films muets, et parlants. Sa collaboration avec Marlene Dietrich occupe une place particulièrement importante dans sa carrière. Globalement, Sternberg fut un réalisateur plus affectionné par les connaisseurs du film, que par la grande publique.

— La signification générale de ces circonstances: la prétendue “délinquance de nécessité”, remplacée peu à peu, par une délinquance de choix

Avant la Première Guerre, tout le monde s’accordait pour lamenter les fléaux de la délinquance et du vice. Les explications (voire les excuses) pour ces écarts de conduite, procédèrent de deux perceptions différentes des faits.

La première, de souche religieuse, s’articule en termes de responsabilité personnelle, d’âme éternelle, de nature humaine imparfaite, de tentation, de péché, de chute et (possiblement): de salut trouvé dans le repentir et la grâce divine. Un exemple excellent du traitement littéraire de ce paradigme se trouve dans “Crime et Châtiment” de Feodor Dostoïevski (1821 – 1881). Le professeur Unrat, aussi, s’inscrit explicitement dans cette tradition (même si le salut d’Unrat n’y figure point).

La deuxième perspective, par contre, relève d’une inspiration purement sociale, voulant que la délinquance trouve presque invariablement ses sources dans la nécessité. Parmi ce dernier groupe, il existait, aussi, un plus petit nombre, adhérents d’une proposition formulée de manière positive: que dans l’incapacité de vivre décemment, mieux valait embrasser franchement la vie délinquante (voire criminelle).

Or, dans l’alchimie culturelle du vingtième siècle, qui combina les effets de la guerre, de la prospérité “folle”, de la prohibition, de la crise, ainsi que l’avènement des media de masse (dont surtout le cinéma, la radio, et la chanson enregistrée) il fut progressivement né un principe autrement plus radical : que la délinquance (crime ou péché) ne fut ni un phénomène à expliquer, ni à excuser, ni à justifier, mais plutôt: un bien en soi.

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