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"Adieu à Berlin", "Cabaret", Christopher Isherwood, et Jean Ross: enfants d'élite au cœur d'une mode multi-générationnelle - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

“Adieu à Berlin”, “Cabaret”, Christopher Isherwood, et Jean Ross: enfants d’élite au cœur d’une mode multi-générationnelle

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre: “Adieu à Berlin”, “Cabaret”, Christopher Isherwood, et Jean Ross: enfants d’élite au cœur d’une mode multi-générationnelle)

Boite de Nuit, Berlin, vers 1930

–La tendance échappiste de l’Entre-deux-guerres

L’échappisme (en anglais: “escapism”) est un phénomène étroitement associé à la période des crises de l’Entre-deux-guerres, et est souvent évoqué dans sa description. Deux éléments, en particulier, tendent à distinguer l’expression de l’échappisme, à ce moment précis, des formes plus normales (et même bénéfiques), de l’idéation imaginaire.

Premièrement, l’échappisme des années vingt, et trente, tendait rapidement vers l’extrême. La lecture, par exemple, est louée de tout temps comme un véhicule d’expérience, et donc d’éducation, qui permet un dépassement de soi qui est autrement impossible pour l’individu particulier (quelque soit ses moyens financiers). Il est compris que l’accès imaginaire, ainsi gagné, permet non seulement le déplacement psychique (autant dans le temps que dans l’espace), mais permet, également, un partage des expériences psychologiques, des personnages présentés, ainsi que de leurs auteurs. Conçue et vécue, donc, comme un ajout à l’expérience réelle, l’exploration littéraire –même franchement fantastique– fournit une expansion très importante de la sagesse personnelle. Et les mêmes commentaires s’appliquent, au cinéma, et aux autres arts. Passer trop de temps dans le royaume imaginaire, par contre, cesse d’être un exercice d’éducation (où même d’évasion récréative salutaire) pour devenir une fuite devant la réalité et ses responsabilités. Les moyens employés pour échapper, aussi, peuvent devenir plus extrêmes, passant de la littérature, et de la spéculation consciemment imaginaire, vers la recherche d’une véritable vie alternative, souvent fondée dans la consommation de produits psychotropes, tel l’alcool.

Mais la deuxième particularité de l’échappisme de l’Entre-deux-guerres, et la plus importante, résidait dans sa généralisation. Car l’évasion, pendant cette période –incluant l’évasion extrême et pathologique– se présentait en phénomène non plus uniquement personnel, mais collectif, de sort que la société, au complète, semblait vouloir s’échapper à elle-même.

L’Allemagne au cours de la république de Weimar (1918 – 1933)

— Les boites de nuit, comme point focal et métaphore d’évasion: Christopher Isherwood, “Adieu à Berlin”, “Cabaret”

Le point de référence littéraire, avec lequel la description de ce phénomène fut léguée aux générations subséquentes, ainsi que le point d’entrée initiatique par où passèrent tant de nouveaux adeptes de cette mode d’évasion, se situa dans les fameuses “boites de nuit” de l’époque –des plus fastes aux plus minables– caractérisées en Amérique par les débits de boisson interdits de la Prohibition (les “speakeasy”), et en Europe, par le “théâtre magique” de Hermann Hesse (voire: l’Ange Bleu de Heinrich Mann).

En 1939 un roman fut publié à ce sujet par Christopher Isherwood (1904 – 1986), qui décrit les expériences de l’auteur dans le monde de plaisir parallèle qu’il découvrit à Berlin (1929 – 1932). Ce livre (“Adieu à Berlin”) servit d’inspiration pour un pièce sur Broadway (1951) et un film (1955) intitulés “Je suis une camera” (I Am a Camera), (titre qui souligne l’intention de l’auteur de s’offrir en témoin, naturel et passif, devant les faits observés); et pour une production musicale de Broadway, “Cabaret” (1966), qui aboutit dans le film de grand succès, paru en 1972.

Le récit change, certes, au cours de cette évolution. Le premier rôle masculin, est tantôt américain, tantôt britannique, et pour la vedette de cabaret, Sally Bowles, ce serait l’inverse: britannique d’abord et américaine par la suite. L’homosexualité d’Isherwood, aussi (et en conséquence la perspective détachée de l’histoire), sont partiellement compromises par l’intrigue romantique homme-femme avancée dans “Je suis une camera” (et avec un peu plus de nuance dans “Cabaret”). Pourtant, l’essentiel du livre est conservé à travers le tout, c’est à dire: la fascination d’Isherwood, en bohème marginal –intellectuel et auteur– devant les artistes (et habitués) qui animent cette société de plaisir, dont il habite familièrement les chambres, et partage les débauches.

Nous nous y trouvons en continuité (mais en rupture à la fois) –dans l’esprit, et dans le ton– avec les regrets exprimés par les chroniqueurs Parisiens du siècle précédent. Car Isherwood, comparativement, ne regrette rien. La nature fondamentalement tragique du monde dépeint est embrouillée, pour lui, dans un doux sentiment de chagrin nostalgique, exprimée avec simplicité dans le premier titre: “Àdieu à Berlin”; une nostalgie ressentie devant l’éloignement personnel d’Isherwood, bien sûr, mais aussi devant la suppression générale de toute cette société d’exception, dans la sévérité morale des Fascistes triomphaux, à partir de 1933.

Christopher Isherwood 1904 – 1986

Avec une subjectivité de jeunesse totale, alors, comme un enfant qui ferment les yeux: Isherwood fait disparaître le tout –personnes et lieux– en dirigeant sa “camera” ailleurs. Pourtant, le souvenir collectif de cet épisode culturel –aussi bref que influent– reste profondément marqué par les impressions de cet auteur.

— Cabaret et L’Ange Bleu

Outre l’évolution conceptuelle du film Cabaret (à partir du roman de jeunesse de Christopher Isherwood), il existe, aussi, une ligne de filiation cinématographique, très évidente, qui lie ce film à l’Ange Bleu.

Cabaret, film, 1972

Toute personne ayant visionné les deux films ne pourrait que faire ce rapprochement, je crois, car tout dans les caractères secondaires, et dans le décor du Kit Kat Club (Cabaret), semblent relever d’une réédition des elements de l’Ange Bleu. Les femmes pochées et désabusées de l’orchestre, par exemple, ainsi que le Maître de Cérémonie (et la vedette chanteuse elle-même), portent des costumes inspirés du film précédent. La même atmosphère de glamour décrépite habite les deux, et la même présentation sardonique des réalités crues (“even the orchestra is Bea-u-ti-ful!”).

Pour plusieurs, le véritable caractère fétiche du deuxième film (Cabaret) n’est pas celui de la chanteuse Sally Bowles (Liza Minnelli), mais plutôt celui du Maître de Cérémonie (Joel Grey). Ce personnage reflète, dans son autorité, le caractère précédent de Kiepert (magicien, directeur de troupe et gérant de Lola Lola); mais dans sa perversité complice, il s’approche aussi au clown –muet, fatigué, se déplaçant au ralenti, et probablement drogué– qui hante les premiers scènes de L’Ange Bleu. Dans cet amalgame, le M.C. se présente à la fois en diable (dirigeant la misère de ses collaborateurs) et en damné (la proie et le produit, lui-même, de ce milieu).

Dés le premier chanson du film (“Willkommen”), ce caractère complexe présente directement le phénomène d’évasion qui attire son clientèle. Il loue la nature échappatoire du Cabaret: où des personnes, riches ou pauvres, désespérées devant le sort, ruinées par la guerre (ou par la crise), parfois objectivement trop pauvre, même, pour vivre, viennent toujours dépenser leur argent, dans le faux espoir d’échapper aux détresses réelles. Il évoque fidèlement, ainsi, une industrie frauduleuse où des travailleurs encore plus misérables (prostituées, artistes, barmans, et videurs) exploitent cyniquement la clientèle (leurs “patients”), mais qui sont déchus, eux-mêmes, de la liberté et de la dignité, en ce faisant.

Il y a, donc, une continuité évidente (entre l’Ange Bleu et Cabaret), dans la matière et dans les lieux. Dans le ton, cependant, et dans les sympathies excités parmi les auditeurs, il s’est produit un changement énorme pendant les trente années qui séparent ces ouvrages. Car de par une étrange alchimie affective, et sans que la nature des phénomènes décrits ne soit changée, les sentiments de mépris et de dégoût délibérément sollicités par Heinrich Mann se sont transformés dans une pulsion d’attirance positive! Et ce qui se présentait, jadis, en faits sordides, se recommande en détails caractéristiques, presque charmants!

Joel Grey (1932 – ); le “Maître de Cérémonie”, Cabaret, 1972

Or, toutes les contradictions internes de Cabaret, ainsi qui ses différences à l’égard de l’Ange Bleu, sont distillées dans le rôle de Sally Bowles, peint d’après une personne tout à fait réelle, et bien connue de Christopher Isherwood, l’enfant terrible britannique: Jean Ross (1911 – 1973).

— La réalité des personnages: Christopher Isherwood et Jean Ross

Isherwood et Ross étaient tous deux issus de l’élite luxueuse du Royaume Uni Impérial de l’Avant-Guerre: ils étaient tous deux surdoués, et tous deux chassés d’écoles prestigieuses.

Toute jeune, Jean Ross suivait un chemin artistique, provocant et amoral, d’actrice, de modèle, de chanteuse et (éventuellement) de critique. Un peu plus tard (après sa période “Cabaret” en Allemagne), elle s’est transformée, à l’âge de 25 ans, en Marxiste Stalinienne, écrivaine de propagande en Espagne pendant la Guerre Civile (1936 – 1939). Apparemment, la politique révolutionnaire lui fournit une vocation durable. Car par la suite, ce fut le Communisme (et non l’Art) qui constitua sa passion principale.

Christopher Isherwood, aussi, se trouvait profondément aliéné face aux valeurs de ses origines. Car si Isherwood, père, avait été aristocrate, soldat professionnel, et mourut dans la Première Guerre, son fils Christopher (Marxiste et Anti-Impérialiste) évita complètement le service militaire au cours de la Deuxième, s’exilant, en Amérique, pour ce faire. Or, au moment des événements romancés, sa vie d’écrivain hédoniste l’avait amené à Berlin (1929). Et c’est alors qu’il embrassa, avec enthousiasme, la vie nocturne dans cet environnement extraordinaire, devenant camarade de chambre (et complice homosexuel), de l’artiste féminine, agressivement aventurière, qui fut, à cette époque, Jean Ross: elle à vingt ans, lui à vingt-six.

Jean Ross 1911 – 1973

En essence, donc, tous deux étaient des jeunes exilés, touristes culturels, de la classe élite.

–Où la misère licencieuse devient un but idéel

Traditionnellement, c’étaient uniquement les clients (des mauvais lieux) qui cherchaient (de manière volontaire) l’illusion de liberté dans la débauche. Les travailleurs de l’industrie du vice, eux, y accédaient surtout, par voie d’obligation et de contrainte.

Charles Baudelaire (1821 – 1867), par exemple, ne se serait jamais volontairement identifié au personnel servant, tandis que sa maîtresse attitrée, Jeanne Duval (1820 – 186x) en faisait partie d’emblée, par l’obligation du sort (assortie, bien sûr, de talents particuliers). En type littéraire, donc, le caractère vicieux de Lola Lola en est un manifestement imposé par le destin; un produit organique de la débauche commercialement systématisée. Et c’est pour cette raison que son personnage, même prédateur et cruel, excite toujours notre sympathie, dans la mesure qu’elle ait pu surmonter, ainsi, la tyrannie des circonstances.

Mais que peut-on dire du nouveau désir à la mode (de ces enfants d’élite), de quitter le statut privilégié de client et de patron –d’homme ou de femme “du monde”– pour vouloir reproduire la vie (à la manière de Jean Ross) des personnes normalement affectées à la satisfaction de leurs désirs et à l’alimentation de leurs fantasmes ?

Liza Minnelli (1946 – ) dans le rôle de Sally Bowles, Cabaret, 1972

Manifestement, le personnage mi-fictif, Sally Bowles, n’est aucunement adaptée à son milieu d’adoption (et cela en opposition évidente avec ses prétentions, tant vives, au cynisme sophistiqué). Car elle est essentiellement naïve, bon enfant, et spontanément généreuse — autant de son caractère que de sa personne: “aussi fatale” (d’après le portrait complice mais lucide de Christopher Isherwood), “qu’une pastille de menthe après le souper”. Nous sommes très loin, alors, des personnages plus natifs: de Lola Lola, de Giepert, du Clown, et du Maître de Cérémonie! À la fin, le caractère de Sally Bowles (peint en imitation de Mlle. Ross) se révèle autant mystifié, à l’intérieur de ce système d’illusion commerciale, qu’en était la clientèle payante.

— Un idéal esthétique, et un enthousiasme futur, qui échappèrent à la compréhension, et aux intentions, de ses créateurs

Toutes ces contradictions furent bien connues des créateurs du film Cabaret. Elles étaient, d’ailleurs, parfaitement comprises de Christopher Isherwood, lui-même. Et il ne manquait pas, à l’un comme aux autres, de réflexes artistiques pour en tirer les leçons. L’illusion de pouvoir, par exemple, dont Sally Bowles se vante si vigoureusement en remémorant ses aventures casuels, se révèle d’une sordidité pénible, aussi, à l’occasion d’un avortement dangereux et éprouvant. De la mème maniéré, l’amoralité flexible de l’échappatoire Cabaret est rondement critiquée dans une dernière scène où le Maître de Cérémonie incorpore, dans son costume, les emblèmes du Parti Nazi.

Mais de la mème façon que les leçons morales de l’Ange Bleu furent occultées devant l’enthousiasme engendré par la puissance sexuelle de Marlène Deitrich, les réflexions critiques soulevées par “Adieu à Berlin” et “Cabaret” furent vite oubliées dans l’attrait d’une évasion dans la décadence (et pour l’élite d’une évasion dans la misère volontaire) suscité par les exemples de Christopher Isherwood, de Jean Ross, et (quarante ans plus tard), par celui de Liza Minnelli.

Or, ce fut cette mode échappiste (de nostalgie dans la décadence et dans la misère de l’Entre-deux-guerres) qui était ainsi léguée aux générations futures –aux adolescents presque religieusement émulatrices– de la Contre-Culture du deuxième moité du vingtième siècle.

Le club “Eldorado”; fermé en 1933, et converti en locale Nazi

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