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- Vivre dans la dignité : la force et la générosité du feu Gerald Godin - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

– Vivre dans la dignité : la force et la générosité du feu Gerald Godin

Gerald Godin, 13 Novembre 1938 – 12 Octobre 1994

     À partir de ce moment — de son diagnostic de cancer et de sa chirurgie crânienne — nous pouvions délaisser le récit des contributions de Gerald Godin au grand jeu politique (toujours très substantielles, pourtant, dans sa promotion d’une ligne de parti plus « dure » ; du retour de l’intégriste Jacques Parizeau pour balayer le réalisme vacillant du chef Pierre Marc Johnson ; et de la tenue accélérée d’une deuxième referendum décisif). Aussi, il n’y avait plus question de grandes portefeuilles Ministérielles, ni d’ascension vers le pinacle du pouvoir. Pour l’histoire et pour la politique ordinaire, c’est ainsi que finit la carrière de Gerald Godin ; mais pour nous, soucieux de comprendre la psychologie de survie chez les malades chroniques et les handicapés lourds, c’est plutôt à cette époque que l’histoire véritable commença.

     Et c’est aussi ici, je crois, que la grandeur de l’homme s’est démarquée de la manière la plus exceptionnelle. Car il ne s’est pas insurgé contre la maladie à la manière héroïque d’un Terry fox, dont la révolte des âmes similaires, revêtit toujours un fond tragique du fait que cette révolte, inévitablement, soit voué à l’échec. Non. Gerald Godin ne luttait pas pour vaincre ; mais il ne s’est pas abandonné pour autant ; et de ce fait … il ne fut pas vaincue.

    Il refusait calmement cette lutte inégale ; il ne faisait que continuer, tranquillement, à vivre ; il s’appliquait, seulement, à surmonter les pires effets de sa maladie — tel sa difficulté d’expression ; avec pondération et retenu (ponctuée naturellement avec des excès de colère et de frustration) il aborda chaque obstacle, et composa en réaliste avec les résultats obtenus. Jamais, il n’en est venu à penser que la vie consciente puisse perdre sa valeur transcendante dans la déroute progressive de ses fonctions accessoires.

     Or, il y avait une vaste maturité d’esprit qui s’est ainsi révélé, et une maturité parfois difficile à saisir pour les non-initiés. Car auprès des personnes bien-portants, l’intuition craintif semblerait indiquer que la maladie ou la déficience sévère, ne peuvent s’accueillir autrement que dans la résistance ou la désespoir : par la lutte à mort, ou par l’abandon à la mort, tout simplement.

    Pourtant, cette troisième voie — qui consiste à survivre, même avec des facultés amoindries dans une dynamique de perte progressive — est l’accommodement naturellement choisi par la majorité des gens devant le vieillissement. Et même si plusieurs voudraient rejeter cette sagesse d’emblée, pour la plupart – et assez rapidement —  elle devient tout aussi normale chez la personne contrainte de faire connaissance avec la dépérissement de la maladie, ou avec la rupture des accidents traumatiques. Oui, quelques-uns abandonnent tout de suite ; et d’autres, en adoptant le genre héroïque, ne luttent qu’un temps, et devant la force irrésistible de l’adversaire, abandonne, aussi, par la suite ; mais la majorité, fidèles aux pulsions profondes, une fois les deux premières reflexes passées, ne font qu’endurer, le plus souvent dans une vie de retrait, à l’écart du monde.

     La société conspire instinctivement, d’ailleurs, dans cet reflexe de recule, pour la perpétuer — voir l’imposer — bien au-delà de la saine mesure, au nom de la protection, bien sûr, mais aussi au service de l’efficacité utilitaire et de la propreté esthétique, assurant, ainsi, un monde fonctionnel qui soit libre des contraints (et des sensations troublants) de l’infirmité humaine.

      Ce qui fait la force supérieure de l’exemple légué par Gerald Godin, par contre, réside dans le fait qu’il avait, à la fois, l’audace, et la générosité, de vivre sa vie amoindrie dans la sphère du regard publique.

– Le précédent dont nous en héritons les fruits

     Pendant dix années encore il fréquentait la chambre des députés : réélu en 1985, et de nouveau en 1989, Gerald Godin resta Député jusqu’à la toute fin de sa vie ; ne fut remplacé comme candidat du Parti Québécois dans la circonscription de Mercier qu’aux élections du 26 Septembre, 1994 ; et s’est éteint le mois suivant, soit le 12 Octobre, 1994. Tel que raconté par Simon Beaulieu réalisateur du documentaire « Godin »  (au cours d’un entretien avec Catherine Lalonde, Le Devoir, 26 février 2011) «Sa façon de vivre sa maladie, de la vivre dans sa chair comme un désordre, comme l’absurdité même du monde, est une inspiration.» et plus loin de la même source « Il y a des images qu’on a choisi de ne pas mettre. À l’Assemblée, vers la fin, sa cravate croche, il cherche ses mots, parle comme un bébé. On n’a pas voulu aller là.».

    Mais loin de la gêne devant ces faits, j’y ressent, plutôt, une fierté par association, et je regrette, seulement, que le Cinéaste bien-pensant ait cru bien faire en nous cachant ce que le premier concerné, lui, aurait consenti sciemment à nous révéler.

     Au niveau artistique, j’y retrouve le caractère fondamentalement non-conformiste, et le refus des conventions qui fut propre à cet homme. J’y retrouve le même esprit dans ces poèmes de jeunesse délibérément vulgaire qu’il lisait, non pour choquer, mais pour s’affirmer. Car il ne cherchait pas (dans le style provocateur facile) à bousculer l’autre — d’une certaine façon il s’en foutait de l’autre — ; ce qu’il cherchait c’était de s’exprimer fidèlement ; et il avait la générosité d’exposer cette expression publiquement.

     De la même façon, alors, à travers sa décomposition progressive, il ne faisait qu’insister sur son droit de vivre, et de survivre ; de piétiner la terre avec autant d’assurance que n’importe qui. Et ce que d’autres pouvaient qualifier de circonstances tristes et même gênantes, lui acceptait comme les attributs crus de sa vie, et en fait, de toute vie humaine. Il ne consentit pas, alors, à la manière des caractères plus faibles (ou plus orgueilleux), de se tuer, ou de s’isoler dans son désarroi. Comme les textes de ses poèmes, il était prêt à imposer les signes visibles de sa maladie : sur son entourage, sur le publique, et sur le monde entier. Seulement de cette façon pouvait il vivre honnêtement, sachant et affirmant que la franchise d’une vie pleine, ne sied pas avec la peur et la dissimulation.

     Voilà, alors, l’inspiration inestimable qui nous soit léguée à l’intention des personnes dépérissant — malades et handicapées — par les rares individus de la trempe de Gerald Godin : que nous pouvons nous permettre de vivre, tout simplement, sans gêne, sans honte, sans fausse pudeur devant les réalités organiques ; et aussi, à l’égard des personnes non encore touchées à la première personne par ces épreuves physiques : d’embrasser les exigences de la vie civilisée, de soutenir, d’accepter et de côtoyer les gens plus abimés : sans ostraciser, sans limiter, sans infantiliser, sans instrumentaliser.

     Car on peut bien souffrir de la maladie, comme nous enseigne l’Imperator/Philosophe Marc Aurelle, mais il n’y a pas lieu de souffrir du fait d’être malade, étant donné qu’il n’y a rien d’immoral ni de déshonorant dans ce fait.

     En somme, Gerald Godin nous présente l’exemple d’un malade qui eut l’audace de vivre. Et Honni Soit Qui Mal y Pense !

Gerald Godin à domicile, 1993

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