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Chapitre : L’épisode Rodriguez - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Chapitre : L’épisode Rodriguez

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : L’épisode Rodriguez)

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Sue Rodriguez (1950 – 1994) : atteinte de la sclérose latérale amyotrophique et activiste/litigante de la cause célèbre « Rodriguez v. Colombie Britannique » ; éventuellement entendue par la Cour Supreme du Canada, qui refusa, à Mme. Rodriguez, le droit de terminer sa vie avec l’assistance de tiers

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— La montée récente du suicide assisté, observée sur fond historique de l’Après-Guerre

     Le recours au suicide assisté, comme toute mode sociale, connait des fluctuations importantes de volume selon les circonstances. Certes, il en existe un marché potentiel qui soit constant, mais la facilité (et peut-être la volonté) d’y recourir serait fortement influencée par le climat conceptuel environnent.

     À la fin de la Deuxième Guerre Mondiale (1945), les apôtres de l’euthanasie simple (en Grande-Bretagne et en Amérique) se trouverent totalement déroutés : avec le ressac écrasant d’opinion publique qui accompagnait la défaite de cette vaste puissance mondiale qui fut le Troisième Reich Allemand ; et avec la répudiation, fortement médiatisée, au cours des Procès de Nuremberg, des idéaux eugénistes et euthanasistes au cœur de sa politique sociale.

     Car devant les évidences de dérapages monstrueux dans l’application de ces théories de purification collective (populaire, jadis, à travers la diaspora Teuton et Anglo-Saxon), même l’euthanasie volontaire fut effectivement bannie de la discussion publique ; et une stratégie beaucoup plus modeste fut adoptée, axée seulement sur le droit des patients, compétents, de refuser les soins thérapeutiques.

— Un nouveau départ pour les euthanasistes

     La sagesse de cette approche plus douce s’est bien révélée par la suite, d’ailleurs, car une fois reconnu ce droit au patient (de se laisser mourir passivement selon sa seule volonté souveraine), un pont logique inévitable, fut établi, aussi, avec le droit au suicide, d’abord, et avec le suicide assisté, ensuite. Dans l’espace d’une trentaine d’années, alors, une nouvelle génération eut apparu pour laquelle les leçons du passé, si durement gagnées, furent déjà quelque peu escomptées. Certains médecins recommençaient, même, à se montrer plus ambivalents devant l’abjuration des gestes homicides : avec de plus en plus de visibilité face à l’avortement ; et avec un petit peu plus de circonspection, aussi, face au suicide assisté.

     Mais la véritable force qui précipita la reconstitution populaire du mouvement de mort rationnelle, ou « digne », fut le résultat — comme ce serait si souvent le cas dans les affaires humaines — d’une interjection soudaine, et catastrophique, de la puissance de la nature : cette fois, avec l’éclosion d’une épidémie de source inconnue, que l’on nommerait, plus tard, le Syndrome d’immunodéficience acquise, ou SIDA.

— L’importance pivotale de l’épidémie du SIDA

     Aujourd’hui, avec les progrès thérapeutiques récents, ainsi que les leçons gagnées dans une familiarité, forcée, et de longue date, avec ce terrible fléau, le phénomène SIDA a perdu une grande partie de sa visibilité, et de l’urgence sociale qui l’entourait, jadis ; mais au moment de la cause Rodriguez, le SIDA dominait carrément l’actualité, et la production culturelle, partout en Occident ; si bien, qu’en 1992 il fut déclaré, dans la consternation générale, que le SIDA était devenu la première cause de mortalité parmi les hommes américains, âgées de 25 à 44 ans. Aussi, la résonance mutuellement renforçatrice qui s’est établie entre la réaction populaire contre cette maladie, et le mouvement plus large vers la liberté homosexuelle, produisait l’effet accessoire d’une grande présence d’activistes homosexuels investis dans diverses causes politiques connexes, dont le suicide assisté en fournit un exemple particulièrement important.

— Le rôle dominant, des activistes homosexuels, dans l’avancement du « droit à mourir » 

     Cet intérêt soudain pour la mort volontaire, fut, d’ailleurs facilement compréhensible. Car au sein d’une sous-culture largement empreinte d’idéaux érotiques de la jeunesse et de la beauté ; ou précisément les plus jeunes et les plus beaux eurent semblé être devenus la proie d’une affliction de proportions proprement bibliques ; ou la mort — apparemment inévitable — associée à cette maladie, était accompagnée des plus affreuses marques de la souffrance dégénérescente ; et ou la conscience politique se coalesçait, déjà, autour d’une idéologie de libération ancrée dans une continuité de luttes récentes — de race et de gendre — vers une vision de droits civils, universels, qui garantirait, aussi, la liberté d’expression sexuel ; là, enfin, où le mot « liberté » se trouvait sur toutes les lèvres : il fut inévitable que ce droit ultime — de fixer le moment et la manière de sa propre mort — serait revendiqué avec une ardeur jamais vu auparavant, ni par la suite.

     La discussion de ces faits se complique, bien sûr, du fait que l’homosexualité soit entourée de tabous, des plus fortes, en ce qui concerne le discours, le vocabulaire, et les intervenants jugés politiquement acceptables dans sa discussion. Pourtant, la présence et l’influence des homosexuels (collectivement), dans l’évolution publique et culturelle de cette période, fut tellement importante qu’aucune histoire sérieuse ne pourrait l’ignorer ; et en conséquence, personne ne pourrait discuter sérieusement, de cette histoire, sans s’y référer.

     Alors, si je peux me permettre de m’aventurer, sans préjudice, sur ce terrain sensible, je crois pouvoir affirmer que l’influence des activistes homosexuels, dans la cause du « droit à mourir » (ainsi que la légalisation éventuelle de l’euthanasie), fut certainement critique, sinon déterminante.

— Le droit à mourir selon les victimes du SIDA

       L’idéologie des activistes homosexuels, à cet égard, tenait, dans le jargon médical, de « l’autonomie » du patient. Ce fut une justification subjective du suicide assisté, fermement plantée dans la lignée des idéologies libératrices de l’Après-Guerre, qui procédait directement de la même source – et partageait la même enthousiasme émotif — que le « free love » de la Contre-culture des Années Soixante, tant central dans l’accession des homosexuels à la libre expression identitaire.

     D’après cette logique, le patient eut récemment gagné le droit, de refuser les soins médicaux (incluant même les soins nécessaires au maintien vital), non en fonction de raisons objectives qui serait jugées admissibles par de tiers, mais simplement parce qu’il le voulait bien ; et l’on demandait l’extension de ce principe vers un droit de mort (assistée), accélérée et miséricorde.

— À la rencontre des personnalités : Svend Robinson

         La question se pose, naturellement, à savoir, si le désir suicidaire de Mme Rodriguez (exprimé aussi, par coïncidence parfaite, dans cette année charnière de 1992), se nourrissait seulement, ou encore, trouvait franchement ses racines, dans l’ouvrage d’information politisée et de sentiment populaire, qui paraissait en volume grandissant à ce moment au sein de la communauté homosexuelle. Bien sûr, cette question ne trouvera jamais une réponse claire (vu la relation complexe de renforcement mutuelle entre l’information, la suggestion, et l’action concret) ; mais je trouve le lien intuitivement inévitable.

     Ce que nous savions avec certitude, cependant, c’est qu’une alliance étroite, autant médiatique que personnelle, s’est rapidement établie entre Mme Rodriguez et l’âme engagée de la communauté homosexuelle, de par l’entremise, et dans la personne, de M. Svend Robinson, qui était, à cette époque, le premier — et aussi le seul — Membre du Parlement Canadien qui affichait, ouvertement, son orientation homosexuelle.

     Au plan personnel, à travers tout cet épisode, M. Robinson jouait un rôle, visiblement déterminant, de soutien moral auprès de Sue ; prêtant le poids considérable de son influence, comme militant engagé, et comme Membre de Parlement. Mme Rodriguez bénéficiait, immédiatement, alors, de la gravitas d’un appui politique substantiel ; de la garantie d’un suivi médiatique assidu ; et de la présence d’un ami, qui, de toute évidence, la validait fortement dans son droit de choisir.

     Mais ce n’est pas encore tout, car devant le refus de la Cour Supreme, d’acquiescer à la demande de Mme Rodriguez (1993), ce fut M. Robinson qui prodigua à Sue Rodriguez les services du médecin (toujours officiellement non-identifié) qui provoqua son décès. Et c’est ainsi que Svend Robinson fournit la preuve, non seulement de son sérieux politique, mais également de ses capacités d’intervenir réellement ; et de par le fait même : de souligner l’influence importante, de réflexion et d’action dans cette matière, qui émergeait, alors, de l’ensemble homosexuel-engagé dont il en fut le représentant de circonstance. Aussi, les appuis individuels offerts dans la cause Rodriguez, de personnalités homosexuelles influentes à l’image de M. Robinson, se sont transformés par la suite, à l’occasion de débats subséquents qui touchaient au « droit de mourir », dans de représentations formelles provenant de divers organismes associés aux questions du SIDA et de la libération sexuelle, une tradition qui se maintient toujours au moment d’écrire ces lignes.

— Une deuxième perspective : John Hofsess

    La toute première personne associée à Mme Rodriguez, cependant, fût un personnage issu, apparemment, d’une lignée idéologique plus traditionnelle, selon laquelle le suicide assisté (ou disons-le plus franchement : l’euthanasie) se justifiait, surtout, en fonction de la sévérité objective de la souffrance (ou de la déficience) du patient.  Il s’agissait de John Hofsess, (1938 – 2016) écrivain, cinéaste, et fondateur de la « Right to Die Society of Canada » ; un personnage connu, déjà, pour la controverse, et destiné à le devenir encore davantage.

     D’après le récit des événements : M. Hofsess eut promis son aide pour assister Sue Rodriguez, personnellement, dans l’accomplissement de son suicide (en dépit du fait que John Hofsess ne fut aucunement médecin). Ce fut lui aussi, le premier, qui aurait « découvert » Mme. Rodriguez ; qui l’eut écouté ; et qui avait réussi à transformer les désirs intimes de cette dame en cause célèbre.

    Alors, devant ces personnages, qui se trouvèrent au cœur de cette drame médico-légale, nous nous trouvions en présence, aussi, je crois, des deux tendances principales qui œuvraient à la promotion de l’euthanasie — à cette époque, et de nos jours.

— Les deux tendances à l’appui de l’aide médicale à mourir : exposées dans leur antagonisme essentiel ; et dans leur cohabitation de fait

     Ce sont, décidément, de différences théoriques d’une extrême importance : car l’un c’est un raisonnement intuitif, de cœur, et de liberté personnelle, qui ne pouvait jamais cautionner autre chose que les décès pleinement volontaires ; tandis que l’autre, c’est une raisonnement, froidement catégorique et autoritaire, qui présume juger de la validité des vies individuelles, et qui peut aussi servir à justifier (en fait : qui a déjà servi à justifier), non seulement la mort d’incompétents, mais également, la mise-à-mort de personnes capables, pratiquée contre leur gré.

     Pourtant, cette distinction se révèlent, aussi, très difficile à tirer sur le terrain (et même en ce qui concerne les personnes choisies, ici, pour la représenter) : car les autonomistes se servent souvent des évidences de la « souffrance » (objective) pour appuyer leurs désirs personnels ; tandis que les promoteurs de l’euthanasie objective, eux, se fient sur l’acceptation préalable de l’euthanasie volontaire, pour avancer, éventuellement, une pratique plus large.

     Néanmoins, ce serait toujours ma lecture personnelle des faits, que cette différence puisse utilement s’illustrer, ici, avec la suggestion que Svend Robinson penchait plus vers l’opinion que Sue Rodriguez avait droit au choix de mourir ; tandis que John Hofsess (et peut-être, dirai-je, Sue Rodriguez elle-même), penchait plus vers un sentiment catégorique que la condition de Mme. Rodriguez indiquait, objectivement, la rectitude de cette mort.

     Bien sûr, il y en aurait pour me reprocher, par principe, l’impertinence de vouloir faire de telles distinctions parmi les militants concernés ; mais de fait, tel fut précisément la plus grande réussite de Sue Rodriguez : d’avoir effacé ces différences (en grande partie) dans la perception populaire de sa propre personne ; et d’avoir pratiqué, ainsi, un trait d’union pragmatique, entre les différentes tendances du mouvement.

— L’effet unificatrice du phénomène « Sue Rodrigues »

     Premièrement, cette image, d’une femme « comme tout le monde » — mère, attachante, fragile, volontaire et sympathique — adoucissait beaucoup la perception, encore courante à l’époque, que le suicide assisté ait été un phénomène essentiellement limité à la sous-culture homosexuelle ; et les activistes de cette appartenance ont pu profiter, ainsi, d’une plus grande résonance dans la réception du message — immédiatement apparente — auprès du grand publique.

     Encore, les militants traditionnels, de la trempe de John Hofsess, furent soudainement capables de profiter, aussi, de l’enthousiasme et de l’organisation étendue — de l’expérience, et des moyens techniques, politiques et médiatiques – bâtis auparavant dans la lutte première de la libération homosexuelle, et qui devenaient de plus en plus franchement engagés dans la cause du « droit à mourir ».

    Et c’est ainsi que ces deux tendances théoriques (aussi antagonistes qu’elles puissent l’être dans l’abstrait) se trouvaient (et se trouvent toujours), inextricablement entremêlées, sur la place publique (et dans le discours des militantes de toute appartenance, où l’on s’en sert librement, de l’une ou l’autre, au gré, seulement, des besoins tactiques ponctuels).

     Or, l’influence pratique de cette alliance, cimentée dans la contradiction, ne cesse de se répercuter dans les débats fondamentaux de notre époque.

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Sue Rodriguez en compagnie de Svend Robinson (1952 – ): ami de confiance, allié politique, activiste homosexuel et Membre du Parlement Canadien (1979 – 2004)

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