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Chapitre : Rodriguez II : Un regard d’handicapé sur le phénomène Sue Rodriguez - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Chapitre : Rodriguez II : Un regard d’handicapé sur le phénomène Sue Rodriguez

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Rodriguez II : Un regard d’handicapé sur le phénomène Rodriguez)

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— Mme Rodriguez : la force humaine derrière les faits observés

     La personnalité dominante de cette histoire, bien sûr, fut Sue Rodriguez elle-même.

     Le plus bref examen des archives vidéo révèle immédiatement le charisme, la beauté, l’intelligence et la volonté de cette femme. À mes yeux, cependant, cela semble révéler, aussi, une profonde solitude.

     Quant à ses motivations, il serait toujours impossible de franchir le gouffre des mobiles opposés et des subjectivités contraires. Pourtant, il serait possiblement utile de comparer les siens, telles qu’elle les ait décrites, vis-à-vis de celles éprouvées par d’autres dans des circonstances quelque peu similaires. Et pour ce faire, j’abandonnerais ici le style formel pour entamer un récit direct à la première personne.

— Une concordance fortuite, dans la nature et dans le temps, des expériences de l’auteur et celles de Mme Rodriguez

     La plus marquante des impressions produites sur moi dans cette affaire, trouvait ses origines dans les déclarations de Sue Rodriguez à l’effet qu’elle ne voulait pas se voir dépérir, et surtout, qu’elle ne voulait pas que son enfant la voie dépérissant. Or, outre le mépris premier qui s’y trahisse à l’intention de tout être imparfait, je trouve toujours ces paroles spécialement choquantes, car je suis moi-même parent, et je suis moi-même physiquement déficient ; mais sur le coup (faut-il préciser) je me sentais encore plus singulièrement touché, puisque le drame Rodriguez coïncida, exactement, avec l’attente, et l’arrivée, de notre premier enfant.

     Dans les circonstances décrites, il va sans dire que cette question de perception, et des « compétences » parentales, se soit posée à répétition (et de manière particulièrement pressante) : à l’intérieur de moi ; entre moi et mon épouse ; face à nos familles respectives ; et enfin, face aux autorités responsables des adoptions, ici, et à l’étranger.

     Il y avait même un moment quand la première adoption eut été déjà acceptée — avec toutes les formalités passées ; après des évaluations exhaustives ; et avec le jugement formellement rendu — ou un juge supérieur muni de larges pouvoirs discrétionnaires, aurait subitement ressenti le besoin de demander — auprès de moi personnellement — des précisions supplémentaires au sujet de mes capacités de fonctionner comme parent.

     En conséquence, je me suis trouvé devant l’exigence de produire ce qui fut, pour moi, le plaidoyer d’une vie.  Et un plaidoyer en quelque sort malhonnête aussi, car je n’abordai aucunement l’analyse franche de mes faiblesses, et encore moins de mes craintes intérieures. Je m’efforçai, seulement, à insister longuement sur mes capacités résiduelles — relativement fortes à l’époque — dans un ton de confiance sans nuance. J’adoptais, ainsi, ce discours incohérent, mais tant populaire, voulant que l’être handicapé, en vérité, ne le soit pas !

— Incohérence essentielle de cette vision populaire, d’inclusion sociale, qui soit postulé sur un fonctionnement normal chez la personne handicapée

     Il s’agirait, certes, d’un discours nécessaire. Un discours qu’il faut, si souvent, afficher pour justifier l’octroi d’une responsabilité de travail, ou d’un permis de conduire ; mais un discours, aussi, qui ne respecte pas toujours la solidarité avec nos confrères. Car ce discours ne dispute pas l’existence d’une ligne magique qui sépare les personnes handicapées de leurs vis-à-vis bien-portants. Il ne dispute pas la notion qu’il existe une masse humaine irrécupérable, effectivement en deca de notre attention. Tout au plus : en utilisant cette logique nous ne faisons que disputer la place exacte ou cette ligne devrait se situer.

     Nous proclamons, de ce fait, que l’individu handicapé peut « surmonter » sa déficience et fournir un rendement fonctionnellement équivalent à la « normale ». Soit. Il s’en trouve, sans doute, quelques-uns qui accompliront ce miracle. Et les préjugés naïfs des bien-portants se trouveront confortablement validés ainsi.

     Mais cette affirmation paradoxale (que l’handicapé idéel ne serait pas handicapé en fait) porte un corollaire terrible. Car la personne qui demeure trop abimée pour franchir la barre fonctionnelle proposée, se trouve reléguée vers une exclusion encore plus étroite. Et cette barre, il faut le souligner, s’est fixée excessivement haute dans l’imagination populaire, grâce aux exploites inimitables de certains êtres réellement extraordinaires. Il s’en dégage, alors, les contours d’un système ou la population peut se féliciter d’accueillir positivement la personne handicapée (en autant que celle-ci puisse fonctionner au niveau Olympien quand jugée selon ses capacités relatives). Pourtant ce même system sert (paradoxe cruel) à justifier l’exclusion de tous ceux qui ne peuvent aucunement « dépasser » leurs déficiences ; c’est-à-dire, la vaste majorité, composée de véritables handicapés — définitivement, et à tout jamais.

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Madone et enfant, 1508, Tiziano Vecellio (Titian) (1488 – 1576)

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— Une vision conséquente de l’inclusion : une perception plus généreuse de la déficience parentale

     Un véritable idéel de dignité et d’inclusion de l’être humain accepterait la réalité de la déficience, de quelque nature que ce soit.  Un tel idéel se devrait d’affirmer que ligne démarquant, il ne peut y en avoir aucune ; que la véritable infirmité ne soit aucunement une justification d’exclusion sociale ; que la gradation des capacités soit uniforme et continue ; et que chaque personne, dans sa place sur ce spectre imaginaire, ne vaille ni plus, ni moins, que la personne qui se trouve à sa droite ou à sa gauche. Car parmi les nombreux besoins ressentis par la personne handicapée des temps modernes, le tout premier concernerait la simple possibilité de participer, visiblement et telle qu’elle est, à la vie de société.

     Bien-sûr, nous pouvions établir des minimums de compétences pour les tâches complexes et dangereuses, telle la conduit automobile. Et je reconnais volontiers que les responsables des adoptions aient le droit d’en établir à leur tour. Seulement, ces exigences peuvent s’avérer trompeuses à l’usage. Nombreux sont les parents bien-portants qui se trouveront abimés, ou décédés, par la suite. Nombreux aussi, sont ceux qui ne seront pas capables de rencontrer, adéquatement, les devoirs de parent, en dépit d’une capacité apparemment parfaite. Comme tout dans la vie : les débuts peuvent sembler certains, mais les aboutissements restent obscurs.

      Aussi, dirait-on peut-être, que les déficiences dont je souffrais furent triviales en comparaison avec les séquelles d’ALS tant redoutées par Sue Rodriguez. Elle s’inquiétait, par exemple, devant les évidences qu’elle ne serait bientôt plus capable de tenir son enfant. Mais là, encore, refusons de nous prêter à ce jeu indigne qui consiste à comparer les malheurs de l’un et de l’autre. Il suffit seulement à remarquer que beaucoup de parents — aimants et aimés — sont incapables de tenir leurs enfants ; de parler convenablement ; de respirer tout seuls. Au-delà de tels faits, l’expérience nous enseigne que l’enfant ressent un besoin urgent d’amour et de sécurité, qui n’a rien à voir avec les capacités physiques : que sans amour humain elle se blottira contre un chat ou un chien ; et à défaut de tels compagnons, contre un animal en peluche ; et encore au besoin — contre un pitoyable coin de loque sale, jalousement gardé en idole-fétiche affective.

     C’est dit enfin, que l’enfant, comme certaines parmi les chiens, ne quittera même pas le cadavre de son protecteur sans l’application de main fort. Car telle est la profondeur de son besoin, et la force de son attache.

     À la fin, les enfants restent avec leurs aidants naturels ; ou ils sont pris en chargent par l’état ; ou ils sont abandonnés tout simplement dans la nature. L’état ne possèdent pas les moyens pour prendre en charge tous les enfants en besoin. Des histoires parfois déplaisantes démontrent clairement que la sécurité des foyers d’accueil se trouve déjà compromis, de multiples façons, devant l’ampleur de la demande. Et en considération de ces faits, je prétendrais que l’expérience des enfants pris en charge par d’individus de bonne volonté, bien que plus que modérément incapacités, serait toujours préférables aux expériences des mêmes enfants en institution ou dans la rue.

     L’acquiescence pratique à ce principe se confirme, d’ailleurs, dans les politiques épousées à l’heure actuelle. Car celles-ci consistent, d’abord, à favoriser le maintien de l’enfant dans son milieu naturel — autant que ce soit possible, et même au risque de dangers importants observés. Or, tous les choix comportent des risques, et devant le besoin pressant de l’enfant abandonné, nous n’avons pas toujours le loisir d’insister sur une solution parfaite.

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La Chasse aux poux,1653, Gerard ter Borch (Néerlandais, 1617 – 1681)

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