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- Un changement de mentalité, violemment provoqué, à contrecœur - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— Un changement de mentalité, violemment provoqué, à contrecœur

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine – Section III : Société en rupture — Chapitre : Prohibition III : Une démission fonctionnelle de l’autorité répressive — Un changement de mentalité, violemment provoqué, et à contrecœur)

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Rime enfantine anonyme (16ieme siècle) qui dénombre les conditions usuelles de l’homme : Bricoleur, Tailleur, Soldat, Marin…

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     Pourtant, je me sens encore, à ce stade du récit, coupable du vice facile qui consiste à transposer, dans une période de transition plutôt obscure, la clarté avec laquelle nous apercevons, aujourd’hui, ce principe de transformation sociale dans la révolte personnelle.

     Il serait important, d’insister encore sur ce fait, que sur le coup et devant l’ampleur des changements en cours, cette dynamique révolutionnaire restait largement mal comprise parmi la population contemporaine, et même parmi les auteurs directs des évènements cités. Car ces derniers, les révoltés du moment, qui secouèrent instinctivement toute la bâtisse de la pensée ancestrale, étaient eux-mêmes complètement imbus des axiomes traditionnels de Moise, Platon, Jésus, Luther, Calvin ; des axiomes qui furent partagés, également, par les scientifiques comme Newton et Darwin (dont les conclusions matérialistes se révélèrent tant séditieuses par la suite) ; et par ce nombre de néo-prophètes, aussi, incluant même Karl Marx, dont « la nécessité historique » informait son athéisme d’une confiance qui rappelait la Providence de Voltaire. Aucun (ou si peu) de ces personnes n’entrevoyait le véritable visage du nihilisme pur qui s’apprêtait à s’abattre sur le paysage conceptuel.

     De manière très exacte, les intellectuels du début du vingtième siècle ressemblaient à cette caricature absurde de l’homme qui est occupé à scier une branche d’arbre sur laquelle il se trouve personnellement assis.

     Avec peu d’exceptions, alors, les citoyens (circa 1900) acceptaient, sans question, l’idée simple que l’individu doit se soumettre aux normes sociétales ; que la famille, le clan, la tribu, la congrégation religieuse et l’état, doivent assumer la responsabilité d’imposer les comportements individuels qu’ils jugent désirables ; qu’il existe, enfin, une relation réciproque de confiance entre la communauté et l’individu –symbolisée souvent par la relation filiale de l’enfant à ses parents –, dont le respect engagerait l’individu à obéir, et à privilégier, au besoin, les intérêts collectifs, même au point de se sacrifier à la défense de ces derniers.

     Devant la réalité de la Première Guerre Mondiale, par contre, les bases logiques de cette pensée — et de cette relation sociale — paraissaient absurde dans leur insuffisance, même dans la compréhension intuitive des personnes les moins instruites.

— Un changement radical, dans la perception de la place occupée par la guerre, dans la vie humaine

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Jusqu’au vingtième siècle il n’y avaient que très peu de personnes pour condamner la guerre en principe ; préfèrant, pour la plupart, chercher de justifications dans les résultats obtenus, ou simplement dans la nécessité, de ce qui semblaient être une constante inévitable de la vie humaine. Une exception notable se présenta dans la personne de Francisco José de Goya y Lucientes (1746 – 1828). « Los désastres de la guerra » est une série de 82 gravures, réalisées en Espagne entre 1810 et 1815. Reproduit ici : le numéro 18, « Enterrar Y Callar (Enterrer, et se taire) »

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     Quoique nous aurions insisté, assez longuement, sur l’échelle monstrueuse et sans précédente de sa dimension quantitative, ce qui démarqua vraiment la Grande Guerre, telle que révélée dans les écrits de son excellence Winston Churchill, se trouva dans sa nature qualitative — entièrement nouvelle — qui présageait clairement un danger mortel pour notre race.

     Car précédemment, la guerre ne fut qu’un désastre cyclique comme la peste ou la famine : un problème local et ponctuel, considéré comme inévitable et même bénin à l’instar de la destruction produite par les feux de forêt.  Pour vrai dire, la guerre existait dans la conscience collective comme l’une des institutions les plus nécessaires, et les plus constantes, de la vie humaine.

     Voici, pour illustrer cette interprétation, une petite rime enfantine de tradition anonyme qui énumérait les états communs de l’homme au début du temps moderne. Ce poème primitif se dit ainsi :

Bricoleur, Tailleur, Soldat, Marin,

Riche, Pauvre, Gueux, Voleur

(Tinker, Tailor, Soldier, Sailor, Rich Man, Poor Man, Beggar Man, Thief).

     Nous apercevons, ainsi, du statut clairement primaire du métier d’armes à cette époque. Mais n’arrêtons-nous pas là ! Dans la période féodale, les degrés sociaux du Roi au Seigneur, et du Seigneur au Serf, furent définis, d’abord, par des obligations de service martial. À l’antiquité, les Grecques définissaient la guerre comme l’état de relations normal entre villes voisins ; et le citoyen Athénien, d’après la loi du temps, fut celui qui se présenta sur le champ d’entrainement, correctement équipé, à chaque semaine. Et encore, chez l’homme primitif le statut premier d’appartenance à la collectivité réside dans sa qualité de « guerrier ». Alors, sachant en plus, que la guerre se pratique aussi chez nos plus proches cousins (qui sont les chimpanzés), force serait de conclure qu’aucune description anthropologique, c’est-à-dire, aucune description de l’homme en tant qu’espèce animale, ne pourrait se construire sans mentionner la guerre en comportement natif.

     Voilà alors, la signification de « la Guerre pour en finir avec toutes les guerres » : Désormais, pour survivre, faudrait-il trouver le moyen de répudier et de délaisser cette chose (le conflit armé) qui serait, apparemment, prédéterminée en nous, au niveau génétique.

     (Et quelque chose, en passant, qui eut été intimement liée à l’évolution d’autres caractéristiques humaines, qui nous demeurent parmi les plus chers, soient : le courage, la franchise et le sacrifice de soi).

     Maintenant, avec ces quelques précisions présentes à l’esprit, revenons au temps modernes. Pour les pauvres : le service d’armes permettait d’échapper à la famine. Pour les criminels : d’échapper aux prisons. Pour les fils cadets : d’échapper à la pénurie humiliante de la primogéniture. Pour les nobles : de se démarquer auprès des rois. Et pour les rois : d’augmenter (ou de préserver) leurs domaines.

     Il s’ensuivait que la guerre ne finissait à peu près jamais ; mais, paradoxalement, elle n’avait, aussi, que peu d’impact pour les personnes ordinaires, mise à part les impôts et les exactions spéciaux — d’hommes, de matériaux, d’argent et de bêtes — ou encore, (véritable calvaire pour les civils) les épisodes ou des éléments des forces armées (amis ou adversaires) se trouveraient directement cantonnés chez soi : pour une nuit, pour une semaine, ou pour un hiver au complet. Voir : vol, violence, rapine ; capricieux, et personnel.

     Or, avec la Grand Guerre, tout ça, et même les pires anecdotes documentées dans leur barbarie infame, par un Francisco Goya, fut dépassé et presque banalisé. Dorénavant, la guerre serait une menace finale.

     Pour nous, cependant, cette urgence pouvait sembler quelque peu naïve et lointaine. Car les générations nées sous la menace constante de l’extinction nucléaire possédaient toujours cet avantage : qu’elles furent nées, aussi, avec la confiance et la résilience d’enfants, qui n’aurait rien connu d’autre. En conséquence, pour les générations subséquentes, la peur se serait progressivement estompée dans l’ennuie de l’attente, et s’est finalement désintégrée carrément dans l’oubli et dans l’ignorance. Car, pour notre survie psychologique, cette peur se serait transformée, le plus souvent, dans un simple détachement, bête et impuissant, devant l’absurdité perçue de la vie post-moderne.

     Mais désabusons-nous : nous vivons toujours sous la même menace, et d’une menace encore plus importante ; car elle serait devenue moins comprise et moins crainte, certes, mais aussi plus répandue et plus destructrice. Suffirait à dire, alors : que ce danger existe ; et que ce danger soit terrifiant.

     Comment apprécier à sa pleine valeur, alors, le traumatisme psychique des gens de cette génération, qui auraient vu arriver cette réalité pour la première fois, soudainement, avec l’effet dramatique d’une toile qui se déchire pour révéler une vision nue du destin humain, une vision qui en fut une d’épouvante ?

     Comment comprendre la psychologie des hommes d’état, initiés à la guerre comme une entreprise normale de politique nationale, à la fois rationnelle et limitée ; une constante, tragique certes, mais circonscrite, et nécessaire dans l’histoire des peuples ?

     Comment comprendre, enfin, la pensée des hommes ordinaires, habitués ceux-ci, à répondre avec résignation, et parfois même avec enthousiasme, devant l’appelle aux armes. Qu’en était-il pour eux, d’apprendre de première expérience, que dorénavant cela signifierait une lutte totale : apparemment sans fin pour le soldat individuel, autre que l’infirmité, ou la mort ?

     Aussi, tel qu’intimé par M. Churchill, l’éducation, et la transmission globale de l’information, faisaient en sorte que le monde entier ait pu partager les impressions recueillies au front ; que les analyses et les réflexions qui y furent tirées seraient partagées à leur tour, universellement ; et que la leçon désespérante, ainsi retenue, soient évidente pour tous : cette habitude, cette pratique, cette entreprise, cette activité, cette méthode, ce principe d’organisation sociale, cette voie d’avancement personnelle, ce vecteur de l’évolution nationale — cette constante qui fut le conflit armée – devait absolument cesser !

     Pourtant, comme comprenaient d’emblée les plus perspicaces : cette urgence impérative frapperait non seulement à l’identité des hommes et des femmes existants, mais plus profondément dans la nature biologique et dans le comportement inné de l’espèce. Alors, comment faire cesser la guerre sans éliminer, du même coup, la vie de l’homme ? Que faire ? Se transformer ou mourir…

     Voilà, le véritable coup de massue qui fut assené aux supports fondamentaux de notre société.

 — l’effet socio-psychologique immédiat : un lien de parenté rompu entre l’état et le citoyen

     Pour la toute première fois, dirais-je, le citoyen-patriote entrevoyait clairement la possibilité que le jeu de pouvoir traditionnel, cette bataille évolutionnaire sans fin, — des tribus, des nations, des peuples humains – ne  fût plus rationnellement justifiable ; que tout la logique de sacrifice personnel des citoyens-soldats (les « enfants de la Patrie ») puisse aboutir – et aboutirait inévitablement d’après certaines — dans de conflits dont il n’y aurait non seulement pas de vainqueurs (et donc, aucun espoir rationnel de vaincre) mais qui pourraient résulter dans une destruction complète de la civilisation, et possiblement l’extinction, non de nations particulières, mais de toute la race humaine.

     Seulement en comprenant ceci, je crois, pouvions-nous comprendre pourquoi, et comment, ces personnes solidement ancrées, de façon primale et organique, dans une tradition de pensée millénaire — et dont ils ne doutèrent pas un instant de la véracité — eurent pu subitement tout chavirer dans l’espace de deux ou trois générations.

     Car nos grands-parents, il me semble, ne se sont pas vraiment livrés, soudainement et avec enthousiasme, dans une démarche de libération et d’auto-réalisation volontaire — à la saveur du récit et de la légende plus récente — ou du moins, certainement pas au commencement. Ils ne s’y seront pas arrivés, non plus, selon la méthode que j’emploie ici, d’une enquête spéculative d’idées abstraites. Au contraire, ils s’y sont fait entrainés par la force des choses, avec la violence de l’amertume et du désespoir, contre leurs instincts et contre leur gré ; puisqu’ils ne pouvaient plus s’échapper au sentiment que le lien de confiance, mentionné dans un paragraphe précédent, s’était fait rompre : non pas par eux, mais par la société qui prétendait les protéger.

     Et tel fut, encore, l’effet psychique tant terrible de la Grande Guerre : un sentiment que le citoyen-enfant pouvait être franchement trahi par la nation-parent.

— Une poussée implicite vers la désobéissance générale

     Tel était l’origine, à mon avis, de l’urgence, et de l’instabilité — émotifs et intellectuels — qui amenaient le grand peuple, non à réaliser, mais plutôt à soupçonner de manière vague et inquiétante, que seulement la désobéissance massive pouvait garantir le futur ; que les certitudes du passé, aussi chères furent-elles, devaient être abandonnées ; qu’il fallait à tout prix dérailler ce « train d’enfer ».

     Et dans ces circonstances –sous l’effet de ces pensées — la désaffection publique débordait des lignes normales du conflit politique, pour se manifester de manière encore plus organique (et particulièrement intense), dans la sphère des convictions intimes, confondant pêle-mêle les partisanes de gauche et de droit, qui se trouvaient, ainsi, distribués des deux bords suivant une logique qui s’échappa aux divisions d’usage.

     Tel fut, d’après ma lecture des évènements, la force brute derrière le refus de la prohibition ; et tel fut, aussi, dans une myriade de détails — incluant le droit d’ordonner les conditions de sa mort —  le mobil derrière toute la suite de révoltes subséquentes que nous en sommes convenus à nommer, plus tard,  les « Guerres de Culture » du vingtième siècle.

     Car la société ne fut pas seulement dressée contre elle-même dans le sens qu’il y avait des partis qui se soient opposés, mais plus fondamentalement, l’ensemble du monde se trouvait potentiellement opposé aux structures mêmes qui furent les fruits de notre évolution, qui formèrent la base non seulement de notre société, mais aussi de notre psychologie. L’humanité, alors, dans son désir de s’affranchir de ses propres limites, se trouva en conflit intime avec elle-même, non seulement entre les individus, mais surtout, à l’intérieure de ceux-ci.

     Peut-on s’étonner, donc, à ce que ces personnes, ainsi embataillées au-dedans, aient pu reculer devant la tache de répression confiante et autoritaire qui fut demandé par la Prohibition ?

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Deux ouvrages iconiques de l’année 1929 : « Goodbye to All That (Adieu à tout ça) » Robert Graves (1895 – 1985) et « A Farewell to Arms (Un adieu aux armes) » Ernest Hemingway (1899 – 1961), dépeignent un désabusement personnel, typique du vingtième siècle. Le premier est une autobiographie, le deuxième est un roman informé par l’expérience. Les deux auteurs servirent pendant la Grand Guerre ; les deux furent gravement blessé ; chacun de sa façon répudie la mystique et l’attrait terrible de la guerre.

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