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L’avis des médecins - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

L’avis des médecins

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins)

Chapitre : La mentalité « dure » des médecins ; et comment ils méritent, en effet, leur réputation

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Comme des parents, soucieux de rassurer leurs enfants, les médecins apprennent à minimiser leurs doutes personnels et à projeter un visage de confiance vers l’extérieure : Une stratégie puissante, mais potentiellement à double tranchant.

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— Pourquoi n’entendons-nous que si peu de plaintes, personnelles, de la part des médecins ?

     Mais –diraient peut-être certaines (à la lecture des derniers chapitres) — qu’en est-il de l’opinion « experte » ? Qu’en est-il de l’opinion des premier(e)s concerné(e)s ? Qu’en est-il des médecins et des infirmières ?

     Car s’il nous attendait de séquelles tellement dommageables à leur égard : comment se peut-il que ces personnes, si articulées d’habitude, aient pu accepter un tel fait accompli avec tant de passivité ?  À quoi attribuer l’absence d’un plaidoyer plus pressant, fondé sur l’appréhension de détresses prévisibles et attendues ? Un plaidoyer qui soit issu de leurs propres craintes intérieures et réserves intimes ? Dans un mot : Pourquoi ne s’objectaient-elles pas de manière plus urgente ?

     Et c’est ici, qu’avec tout le respect, et avec toute la délicatesse, qui me seraient imposés par les rapports intimes dont je m’en suis réjoui avec tant de membres –parents, bienfaiteurs, et amis– issus de cette classe très particulière de personnes impliquées si directement dans la poursuite du bien-être collectif : je dois enfin articuler une certaine critique à l’égard des professionnels (et des professionnelles) de la médecine.

— une discipline de soi qui approche la rigidité spartiate ; un standard professionnel fière et intransigeant ; un risque, aussi, d’isolement

     Étant déjà sujet à de détresses très importantes qui découlent de la pratique normale de leur profession, beaucoup de médecins auraient cultivé, dans mon expérience, une tendance à minimiser l’ampleur de ces problèmes devant eux-mêmes, et surtout, à dissimuler ceux-ci devant les tiers. Il en résulte, très souvent, que ces professionnels puisse projeter une façade étudiée de force et de compétence, autant devant leurs patients que devant leurs familles ; une façade, cependant, qui trahit parfois de blessures intérieures inévitables, et presque impossibles à partager avec des personnes dont la trame de vie se serait évoluée à l’intérieur de balises plus réconfortantes — exactement à l’image des soldats que nous avons considéré dans un chapitre précédent.

     Et cette dissimulation, si nécessaire pour maintenir des rapports simples avec autrui, les rendraient — aussi très souvent — incapables, ou simplement récalcitrants, à se plaindre adéquatement des épreuves qui leur soient imposées, même — comme au cas présent — quand cela serait légitime, nécessaire, et possible.

     Au fond, aussi néfaste que cela puissent paraitre — pour la plupart et encore de nos jours — ces professionnels souscrivent à un sort d’éthique collective voulant essentiellement qu’un individu incapable de vivre — dans les heures solitaires de fréquentes nuits blanches — avec les séquelles personnelles de décisions impérativement prises, et avec de questionnements persistantes (voir avec le constat lucide d’erreurs sécrètes commises) : n’aurait jamais le caractère d’être ; ne serait pas apte à devenir ; enfin, n’est tout simplement pas de l’étoffe, d’un vrai médecin.

     De nos jours, avec la modernité, avec la spécialisation, et peut-être partiellement, aussi, grâce à la féminisation de la profession, cette éthique farouche aurait quelque peu évolué. Je peux même offrir en exemple, la réaction récente d’un radiologiste de la nouvelle génération, confortablement installé dans une pratique de clinique externe, loin des urgences, là où il bénéficierait d’un horaire stable, raisonnable et facilitateur d’une vie familiale harmonieuse :  « Je ne souffre pas de cette maladie » disait-il, un peu brusquement, quand confronté avec les paroles, quelque peu provocatrices, qui lui furent rapportées au chef d’un confrère anesthésiste « qu’à moins (sic) de manquer une ou deux nuits de sommeil par semaine (…ce dernier) n’aurait même pas l’impression de pratiquer la médecine ! »

     Alors, oui, les habitudes ont changé, surtout parce qu’il existe maintenant des choix, d’orientation de carrière, tel l’exemple du radiologiste décrit, qui permettrait une réconciliation meilleure de la vie normale avec la pratique de la médecine.  Pourtant, il existe encore beaucoup de médecins, surtout en pratique rurale, mais aussi dans certaines spécialités exigeantes dans les grands centres, pour lesquelles le téléphone peut sonner à n’importe quel moment, et pour lesquels les devoirs ainsi imposés peuvent continuer pendant une durée indéterminée.

     Jusqu’à très récemment cette réalité était universellement reconnue parmi le corps médical ; son éthos particulier fut affirmé ouvertement avec fierté ; et son apprentissage comprenait des éléments délibérément calculés pour mettre à l’épreuve, à la fois, le dévouement des postulants novices à l’idéal proposé, et la résistance physique, brute, qu’ils pouvaient prodiguer dans son accomplissement.

     Tel par exemple, était l’explication des tours de garde de 24 heures consécutives imposés sur les Résidents, ainsi que les 60 heures qui étaient habituellement passés à l’hôpital, chaque semaine, par l’Interne. La garde de 24 heures, en particulier, était continuée longtemps, nonobstant l’évidence anecdotique (et plus tard rigoureuse), à l’effet que des erreurs en résulteraient inévitablement. Car erreurs ou non, il persistait une croyance fermement partagée, que 24 heures consécutives (et à répétition) représenta une barre minimale d’endurance que tout médecin devrait être prêt (et capable) de franchir.

     Oui, il y aurait peut-être ceux pour dire, ici, que toute cela fait simplement partie de cet ensemble, culturellement flou, de réalités devenues maintenant invraisemblables, consignées au passé prémoderne — voir préhistorique — et donc sans autre signification dans le présent. Cependant, permettez-moi cette occasion de m’efforcer respectueusement à détromper certains lecteurs de ce que je crains être une illusion trop facile, et aussi potentiellement très dangereuse pour toute personne qui entreprendrait la voie médicale.

— Une anecdote personnelle qui témoigne de la profondeur potentielle des sacrifices demandés

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Une toile du peintre Canadien Tiko Kerr (1953 – ), survivant du SIDA, : « A Knife Called Defiance »

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     En été, 1979, j’étais hospitalisé dans la Ville de Québec, enraciné involontairement dans cette routine particulière de l’ennuie et de la guérison tranquille, quand s’est soudainement installé un nouveau patient, mystérieux, dans la chambre située juste de l’autre côté du couloir : avec discrétion, rapidité, et avec les plus grandes précautions. De petites affiches rouges faisaient immédiatement leur apparition sur la porte, toujours fermée ; et malgré le professionnalisme issu de leur familiarité avec toutes les sortes de contagion, la nervosité trahie par les divers soignants, dans leur rituel d’habillement et de déshabillage préventif, étaient évidente, même pour moi.

     À ce moment, le Sida n’avait pas encore de nom (1983) n’avait même pas été officiellement documenté en phénomène distinct (CDC, Los Angeles, 1981). On était loin d’avoir reconnu l’agent viral HIV et ses propriétés. Pourtant des patients arrivaient (et arrivaient depuis quelques années déjà), affligés par des symptômes atroces pour lesquelles les remèdes habituels ne fonctionnaient pas. Tout au plus, les professionnels responsables avaient commencé à soupçonner que quelque chose d’inconnue et d’horrible, aux paramètres incertains, faisait tranquillement éruption dans leurs établissements, et cela, avec une cadence qui allait en s’accélérant. Est-ce que ce fut le SIDA dans ce cas ? Question songeuse, à quarante ans d’intervalle ! Mais sur le coup, aux symptômes observés, les médecins savaient, seulement, qu’ils n’en savaient rien ; et sagement, ils ne prenaient pas de chance.

     Moi, bien sûr, je n’y comprenais rien du tout ; et au cours d’une conversation oisive, entretenue avec un médecin d’expérience, j’ai fait la remarque innocente et sans façon, que, de toute évidence, quelque chose de particulière se passait de l’autre côté. Et bien, oh combien j’étais frappé par le sérieux de sa réponse, tout fraiche dans ma mémoire aujourd’hui :  « Remarques bien », disait-il, « comment les infirmières passent cette porte en traversant de l’autre côté du couloir. Et j’avoue que je fais inconsciemment la même chose ! »

     « …Si j’avais », continuait-il, « le devoir de soigner ce patient… Bien sûr, j’y irais ! Mais en autant que ce n’est pas mon devoir, je préfère rester le plus loin possible … ».

     Voilà, donc, la profondeur de l’engagement médical bien compris : non seulement le vrai professionnel serait prêt à affronter les risques réels et connus des maladies répertoriés, mais au besoin, et dans le respect strict de son devoir, il soignerait aussi ce patient, hors normes, dont les risques présentés sont inconnus et potentiellement illimités ; et ce, malgré le fait que ce professionnel ressentirait exactement les mêmes peurs instinctives que n’importe qui (et à vrai dire bien plus) : car il connaitrait, d’expérience rapprochée et d’une manière plus immédiate que personne d’autre, la gravité possible des risques encourus.

     Précisons aussi, en passant, que le médecin dans cette histoire eut personnellement été hospitalisé pendant un an en sanatorium (1946 – 1947), pour soigner une infection à la tuberculose, contractée dans la décharge de ses devoirs professionnels.

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Les risques du métier : le Docteur American Kent Brantly (1987 – ) se donne aux soins d’un patient atteint d’Ébola (Liberia, 2012). Atteint de la même maladie (2015) le Dr. Brantly survécu et retourna en Afrique (2019) pour reprendre ses fonctions.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C: l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : La mentalité « dure » des médecins ; et comment ils méritent, en effet, leur réputation — À défaut de contagion ou de conflit extraordinaire, demeure toujours le stress routinier, du quotidien médical)

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