Deprecated: Le crochet jetpack_pre_connection_prompt_helpers est obsolète depuis la version jetpack-13.2.0, sans aucune alternative disponible. in /hermes/bosnacweb01/bosnacweb01an/b2067/nf.euthanasiediscussion/public_html/euthanasiediscussion/wp-includes/functions.php on line 6078
- La proposition gagnante : « Il n’y a rien de mal ... » - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— La proposition gagnante : « Il n’y a rien de mal … »

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Prohibition IV : La perception populaire des évènements, et le nouveau paradigme de permissivité sociale — La proposition gagnante : « Il n’y a rien de mal … »)

.

« Le vin est moqueur… » (1663), Jan Steen (1626 -1679) : Un commentaire sur certaines éventualités traitres qui attendent les peu méfiants

.

     Mais quel était, au juste, la proposition morale qui sortait, gagnante, de l’épreuve prolongée de la Prohibition ? Personne (ou à peu près), ne pouvait sérieusement prétendre que le fait de boire des intoxicants (au-delà de certaines limites très restreintes), ait pu être une bonne chose, absolument et en principe. Les statistiques sont simplement trop limpides à ce sujet : Ceux qui ne s’adonnent pas à l’usage des stupéfiants (tels l’alcool) rapportent une plus grande satisfaction dans la vie ; forment des relations plus stables ; et jouissent, plus souvent, des conforts matériaux de la prospérité. Bref, ce sont habituellement ces gens qui payent leurs taxes, nourrissent leurs enfants, et meurent paisiblement dans leurs lits.

     Pourtant, cette vérité sociale, longtemps admise, banale dans son évidence – et qui servit de justification objective pour ce qui fut, possiblement, la plus vaste expérience de modification des comportements humains jamais entreprise — fut subitement éclipsée, suite à la défaite de la prohibition (1933), par un slogan, plutôt triste, auquel personne n’y croyait réellement, soit : « Il n’y a rien de mal là-dedans ».

     Or, telle avait été la prétention peu convaincante des « mouillés » dans toute cette période, lancée avec légèreté et à peine défendue, même par ses adhérentes fidèles. Décidément, elle ne masquait que superficiellement une désinvolture totale devant la perception publique de la moralité des faits ; une désinvolture qui fut, à son tour, le reflet d’une volonté résolument subjective. Mais les gagnants auraient toujours raison, n’est-ce pas ? Alors, tout d’un coup, avec la victoire décisive aux dépens des « secs », cette prétention gagna une crédibilité publique inattendue, qui semblait remettre en question tous les consensus, emmènent des préjugés reçus.

     Selon cette version des faits : la boisson n’était pas le fléau social dénoncé par les prohibitionnistes ; au contraire, sa consommation ne serait qu’un petit plaisir traditionnel, d’usage ancestrale, parfaitement bénin.

     De manière possiblement surprenante, par contre, et telle que nous la décrirons dans la suite : force serait de constater que la boisson dans ses formes modernes, ainsi que la facilité actuelle de son abus, se présentent en phénomènes nouveaux, à l’image de la nature, et de l’étendue, des substances psychotropes en générale (des phénomènes, aussi, largement inconnus du passé, au moins quant à la pureté, et à l’échelle de pénétration sociale, que nous les connaissions actuellement).

— L’universalité du gout humain pour l’usage des psychotropes

     Apparemment, toutes les sociétés humaines auraient fait appel aux vertus des substances psychotropes (en autant, seulement, qu’elles en aient eux accès). Et en Occident le psychotrope de choix, depuis toujours, eut été l’alcool. Il peut nous arriver, aussi, de trouver significatif ce fait : que l’usage de l’alcool ne s’est jamais vue condamnée (ou à peu près) qu’aux temps modernes, et de manière plus intense : qu’aux approches du vingtième siècle. Au contraire, des poèmes, des rites, et même des cultes entiers de l’antiquité y furent consacrés. Même que les produits de la distillation se nomme en anglais « spirits » (les esprits) et en français « l’eau de vie ». Pourquoi, alors, remettre en cause cette révérence ancestrale ?

     Simplement, je soumets, parce que le phénomène de consommation des boissons alcoolisées est entièrement diffèrent, de nos jours, à ce qu’il aurait été de par le passé.

— Les limites intrinsèques à l’usage préindustrielle de la boisson

     Pour l’homme ordinaire, avant l’arrivée de la modernité industrielle, les chances de consommer suffisamment de l’alcool pour en souffrir des effets, était, pour être précis sur ce point : assez mince. Il est vrai que l’alcool soit très facile à trouver, car presque tout, en se dégradant, entre en phase de fermentation. Alors nos ancêtres en trouvaient un peu partout : dans les aliments comme le pain, dans le lait, dans les fruits, dans le miel ; et l’habitude de favoriser la fermentation dans des préparations, parfois agréables et parfois nauséabondes, fut universelle.

     Par contre, la bière et le vin n’était pas encore des produits de consommation en vente dans des dépanneurs du coin. Au cours du Moyen Age, par exemple, outre les monastères, les châteaux et les « maisons publiques » qui apparaissaient organiquement dans les villes, toute la production de bière fut strictement domestique, l’affaire de chaque paysan. Et les boissons produites ainsi, ne pouvait l’être qu’en petite quantité — et en très faible teneur d’alcool — périssables après quelques jours à peine : car les moyens techniques, disponibles au paysan-brasseur, furent très limités.

     En particulier, la production et la conservation de la bière (ou du vin) dépendent de contenants.  Mais ces ustensiles, de bois, de terre, ou de peau, étaient habituellement très primitifs, peu étanches (pour contenir un liquide en fermentation pour plusieurs jours), et de petite taille ; tandis qu’un vrai chaudron, en cuivre par exemple, serait un véritable trésor familial.

     De plus, la production de la bière primitive requérait beaucoup de céréale brut (à peu près 1 litre de grain pour 1 litre de bière) tandis que les céréales qui auraient servi à la fermentation, ne pouvaient plus être ni mangées, ni plantées en semence l’année suivante. Ou autrement dit : la consommation domestique de la bière dépendait d’un surplus dans la production agricole, très variable d’une année à l’autre. Alors, fréquemment en dèche face à la nourriture, les paysans du Moyen Age l’auraient été, encore plus souvent, face à la boisson.

     Évidemment, toutes ces circonstances furent autres dans les villes émergentes, là où les artisans salariés pouvaient consommer de la bière produite par d’autres. Et les descriptions de vie urbaine servent souvent pour caractériser la vie médiévale. À notre propos, d’ailleurs, Il serait souvent affirmé que l’eau fut insalubre (en ville) et que ces bons bourgeois, aient pu boire jusqu’à quatre litres de bière par jour, chacun, adulte et enfant (Soit l’équivalent, en volume, de 12 bouteilles de format modern, quoiqu’à taux d’alcool beaucoup moindre). Mais il existe, toujours, plus de documentation sur les mœurs des riches, que sur celles des pauvres. Et en réalité, au quatorzième siècle, les gages totales d’un ouvrier typique n’auraient suffi à peine pour payer ces quatre litres. Une estimation beaucoup plus juste, donc, serait d’un seul litre par jour, équivalent en teneur alcoolique à un demi-litre de bière moderne, et alors, très loin du seuil de l’alcoolisme.

     Pourtant, toute cette discussion, de salaires et de prix, servirait seulement pour annoncer la nature de la vie urbaine à venir (quand les ouvriers pouvaient réellement consommer une boisson de production industriel, bien au-delà des limites de la prudence). Pour l’instant, cependant, nous n’y retrouvons guère un reflet fidèle de la vie d’époque, car à ce moment, environ 90% de la population vivaient toujours sur les terres, des fruits d’une agriculture de subsistance.

     Or, au taux d’un litre de bière maigre par tête, et par jour, un ménage de six personnes ne consommerait pas moins de quarante litres à chaque semaine.

     Il serait très difficile, je soumets, de brasser à ce rythme dans les conditions décrites. Est-ce vraiment possible après tout (outre les fantasmes romantiques de la vie médiévale) ? de penser que des paysans préindustriels — vivant déjà dans un état de précarité alimentaire — aient pu produire, à domicile : au-dessus de 2,000 litres de bière par année ; tirés, en volume équivalent, des maigres réserves de céréale réservées pour la semence de l’année prochaine ; brassés et entreposés dans des contenants primitifs de volume modestes ? dans une routine de production qui recommence à tous les quatre jours ? Vivant à six (ou plus) dans une hutte minuscule ?

     Dans un mot : Non. Ce ne fut pas possible.

     Pour les gens ordinaires du monde d’antan, alors, l’alcoolisme fut largement une impossibilité pratique. Et encore, car même les rois grecs, dépeint par Homer, avait l’habitude (voir la nécessité) de diluer leur vin avec de l’eau (une pratique qui continuait, tout au long du Moyen Âge, avec une proportion de quatre, ou même de cinq mesures d’eau, pour une seule mesure de vin, ce qui résulta dans une boisson aussi faible que la bière maigre décrite ci-haut).

     Est-ce possible que ces gens parvenaient à produire assez d’alcool pour s’enivrer périodiquement, selon le rythme des travaux et des récoltes ?  Bien sûr, cela ce pouvait : mais moins souvent, et avec moins d’abandon que nos imaginations modernes peuvent nous le suggérer.  Et en lisant les descriptions contemporaines de populations entières en état d’intoxication, à l’occasion des bacchanales (au sud), et de l’Oktoberfeste (au nord), faudrait-il toujours s’en rappeler que cela se pouvaient, uniquement en saison, et uniquement dans les années de surplus suffisamment forts pour permettre de telles extravagances.

     Surtout, il ne faudrait pas confondre la déchéance aristocratique des Douze Jours de Noel, avec l’expérience des paysans, qui se présentèrent, eux, en chantant, à l’extérieur des châteaux, dans l’espoir de quêter une bouchée de nourriture, ou une goutte de bon vin, bière, cidre, ou hydromel.

.

« Los Borrachos » (Les buveurs) 1628, Diego Velazquez (1599–1660). Museo del Prado, Madrid : Typiquement, les gens buvaient à chaque occasion qui se présentait, mais rares furent ceux qui buvaient à leur soif.

.

— Une protection naturelle contre l’abus du plaisir

     Il existe un proverbe, plus récent, qui dit à ce sujet : « Même quand il n’y en a plus, il y en a encore ! ». Car telle serait l’abondance de notre monde moderne.

     Mais au contraire, de par le passé, quand tous les pots furent vidés : il n’en restait vraiment plus. Du tout.

     Et voilà qui explique l’enthousiasme exalté qui ressort des textes anciens à l’égard de la boisson. Car il semblerait que le bon peuple, jadis, n’en trouvait jamais assez pour s’en regretter ; qu’il profita, sans retenu, de chaque occasion qui ait pu se présenter pour boire (ou au moins pour gouter) aux préparations alcoolisées ; et qu’il ait pu faire cela, en toute franchise, sans encourir les mêmes risques qui guettent l’homme moderne.

     (Quoique des morts en demandent toujours des morts, la jalousie en demande sa revanche, et le souvenir de l’injure perdure, longtemps, aux profondeurs de l’esprit offensé …).

      Or, si les dangers immédiats de l’alcool — les disputes violentes, les copulations illicites, les chutes désastreuses, et autres accidents divers — sévissaient, sans doute, à ces occasions : toujours est-il, qu’ils sévissaient, aussi, uniquement au cours de celles-ci. Et à tout le moins (mais très heureusement) : il semblerait que l’homme type des siècles prémodernes fut largement épargné des fléaux de l’alcoolisme proprement dit.

— L’inévitable exigence, du choix personnel

     Notre leçon, ici, en est une de changement, matériel, dans la vie des gens. Il n’existe, donc, que peu de comparaison, entre les contraintes du passé et l’accès illimité auquel nous nous exposons aujourd’hui – partout, et à très bas prix : aux bières ; aux vins ; aux boissons distillées. Et perçue de cette perspective, la Prohibition, elle-même, n’apparait plus comme une innovation radicale, capricieusement inventée pour bousculer les comportements ancestraux, mais plutôt : comme une tentative ponctuelle, d’affronter un danger nouveau ; un danger qui ait surgit seulement de la transition moderne.

     Voilà, enfin, une dynamique similaire à celle qui régit nos gouts inassouvis pour le sel et le sucre : ce sont des bonnes choses, mais assez rares dans la nature. Or, afin que nous ne perdrions jamais l’occasion de nous en profiter, l’évolution se serait chargée, aussi, de nous en léguer un très fort gout. Pourtant, de nos jours, le sel et le sucre se trouvent partout. Le danger en vient, alors, non de la privation, mais bien de son contraire : que le diabète (ou l’hypertension) en accompagne un recours excessif ; et surtout : que ces dangers soient contrôlables (ou non), uniquement en fonction de décisions volontaires.

     Et ainsi serait-il avec l’alcool également : quand nous n’avons nul besoin (pour boire) d’entretenir personnellement la fermentation domiciliaire de petits chaudrons plein de substances suspectes en décomposition ; quand (au contraire) chaque coin de rue abrite un débit de boisson commercial ; quand chaque épicerie vend du vin ; quand le gouvernement, lui-même, s’en charge de vendre le « fort », et de nous en faire la promotion.

     « Rien de mal ». En effet.

.

Le site, possiblement, d’une brasserie préhistorique veille de 13,000 ans : la grotte de Raqefet, en Israël. Des mortiers de 40 à 60 centimètres de profondeur, furent creusés dans la roche poreuse pour contenir des céréales en fermentation. En furent produites, ainsi, de petites quantités d’une sorte de soupe épaisse à faible teneur d’alcool. De toute évidence, ce n’était pas la volonté qui manquait !

.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C (T1-C) : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Prohibition IV : La perception populaire des évènements, et le nouveau paradigme de permissivité sociale — L’ethos du nomade et du noble)

Laisser un commentaire