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L’épisode « Hofsess » : un rejet, sans plus, des volontés de la personne, infirme ou dépendante, et la substitution du jugement exécutif du bien-portant/accompagnateur/soignant - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

L’épisode « Hofsess » : un rejet, sans plus, des volontés de la personne, infirme ou dépendante, et la substitution du jugement exécutif du bien-portant/accompagnateur/soignant

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Rodriguez III : Les leçons apprises d’une conteste mal engagée — L’épisode « Hofsess » : un rejet, sans plus, des volontés de la personne, infirme ou dépendante, et la substitution du jugement exécutif du bien-portant/accompagnateur/soignant)

Le Dr. George Scott Wallace (1929 – 2011) : Médecin de famille, Membre de l’Assemblée Législative de la Colombie Britannique (1969 – 1977), Chef du Parti Conservateur de cette province (1973 -1977), mécène et philanthrope, le Dr. Wallace agit également en conseilleur médical auprès de la Société « droit de mourir » du Canada (Right to Die Society of Canada) fondée en 1991 par l’écrivain John Hoffsess.

Le 18 février 1993, dans une entrevue accordée au journal « Globe and Mail » de Toronto, le Dr. Wallace affirma qu’il réfléchirait très sérieusement à l’idée d’assister Sue Rodriguez dans son projet de suicide, au cas où la Cour Supreme se prononcerait contre elle. Cependant, ce ne fut pas lui, de toute évidence, qui ait joué ce rôle auprès de Mme. Rodriguez, car les liens furent déjà rompus entre elle et la société de Hofsess au moment de son décès, une supposition qui fut confirmée par l’investigation policière.

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    Cette provision d’une loi d’exception autorisant l’homicide médical — nonobstant et malgré l’opposition des victimes désignées — illustre, je soumets, une divergence d’opinion qui se révèle beaucoup plus substantielle qu’une simple ironie de passage. Car nous y retrouvions, en fait, le fruit empoisonné du plus nocif des préjugés obstinément entretenus par les bien-portants à l’égard des personnes handicapées, soit : la certitude inébranlable que les personnes bien-portantes savent plus long, sur le bien de celles-ci, qu’elles n’en sauraient sur elles-mêmes ; et que les bien-portants auraient, ainsi, non seulement le droit, mais aussi le devoir, de penser et de parler à la place de leurs « charges ».

     Ironiquement, Sue Rodriguez elle-même, aurait subi un épisode quelque peu désagréable, au cours de son procès, qui illustrerait admirablement cette dynamique déplorable, et qui plaça le rôle politique de Mme Rodriguez — de personnage iconique, instrument du mouvement — en opposition directe avec son identité (et avec sa dignité) de personne distincte.

     L’occasion de cet imbroglio s’est présentée dans le fait que parmi les personnes et les organisations qui refusèrent de s’aligner avec Sue Rodriguez, se trouva – événement assez pénible — la Société ALS, représentant les intérêts des personnes affligées des mêmes maux que Sue. Dans ces circonstances, John Hofsess, collaborateur de de Mme Rodriguez depuis la première heure, eut cru bon de souligner (dans sa campagne de messaging) l’amertume — qu’il voyait ou qu’il imaginait — dans le désappointement ressenti personnellement par Mme. Rodriguez devant cette opposition décevante. Ce fut, peut-être, un bon instinct de communicateur, mais il s’agissait, aussi, d’un dépassement regrettable de rôles, car Mme Rodriguez, elle, avait délibérément choisi de réagir plus posément (et avec un sincère respect) à l’endroit des personnes, malades et handicapées, qui lui manifestaient leur désaccord. Passant outre aux sentiments de Sue, cependant, M. Hofsess s’est obstiné dans son intention.

— L’arrogance extraordinaire (mais toujours typique) de John Hofsess ; habilitée par l’inconscience (banale) d’Anne Mullens

     Hofsess aurait accompli son dessin avec la soumission d’une lettre ouverte au Vancouver Sun ; lettre qui servit de base, subséquemment, pour un article également publié dans ce journal. Et si, jusqu’à là, tout s’explique, il resterait toujours ce dernier détail impardonnable, que M. Hofsess ait soumis cette lettre : à l’insu de Mme. Rodriguez ; dans son nom à elle ; et incluant même la forgerie de sa signature !

     Dans d’autres mots, John Hofssess aurait pris sur lui l’initiative d’entreprendre une polémique — accusatrice et publique — auprès d’un organisme représentatif de la première importance : sous le nom d’une autre personne (qui fut potentiellement membre de cette organisation), et qui jouissait, dans le moment, d’une célébrité et d’une influence extraordinaire. Toutes ces qualités exceptionnelles (les qualités qui revenaient de droit à Sue Rodriguez), M. Hofsess s’est accaparé pour lui-même : en se présentant comme un intervenant de première expérience (et de première importance) ; mais sans légitimité aucune.

     Il y avait, donc, faute grave d’éthique de la part de l’agent Hofsess, mais aussi de celle de la journaliste du Sun, Anne Mullens. Car cette dernière aurait facilité et exacerbé cette démarche fautive en se contentant, elle, d’écrire son article en s’informant uniquement auprès de John Hofsess, sans jamais tenter de communiquer directement avec Sue Rodriguez.

     Dans les deux cas, ce furent des délits de professionnalisme presqu’impensables (sinon impossibles) dans des circonstances normales ; et la seule explication offerte (comme nous le verrons) se confondit dans les préjugés d’usage entourant les attributs particuliers de Sue Rodriguez.

— Une arrogance, pourtant, très familière aux personnes handicapées

     L’arrogance sous-entendue dans de tels faits en est époustouflante. Mais aucune personne handicapée, je soumets, n’en serait étonnée. Car la tendance des tierces personnes — autant des proches que des parfaites inconnues — à se croire mandatées, tout naturellement, à parler dans le nom de l’autre, est trop bien connue, à la fois dans les situations les plus banales que dans celles de grande importance. Et pour expliquer (mais pas pour justifier) les gestes de Mme Mullens : encore plus rares sont les personnes, une fois adressées par ces tiers, qui penseraient utile de vérifier, directement, les vœux des premiers concernés.

— La réaction admirable de Sue Rodriguez devant les présomptions importunes de John Hofsess

     Beaucoup de personnes dépendantes acceptent (faudrait-il bien l’avouer) de se faire encadrer dans cette dynamique indigne et amoindrissante — soit par lassitude, soit face à l’intimidation, subtile ou autre, des soignants autoritaires. Cependant, tout à son honneur, Sue Rodriguez n’en fut aucunement l’une de celles-là. Car Sue Rodriguez décria, immédiatement, elle-même, la faute commise ; et elle en demanda satisfaction.

     Pris ainsi, sur les faits, John Hofsess, s’est excusé pour sa forgerie non éthique (et potentiellement criminelle) ; mais sans véritable conviction ; selon les formules pâles d’usage ; dans les termes suivants : Il avait déjà préparé des déclarations émises par Mme Rodriguez ; il avait cru agir dans les meilleurs intérêts de celle-ci ; et surtout (selon l’opinion suffisante et tant typique de M. Hofsess) cette dernière, « (sic) … n’étant plus capable de se nourrir seule, fut rendue au stade qu’il fallait parler pour elle. »

     Et voilà, encapsulé dans une seule phrase : le préjugé grossier, inconscient (et apparemment irrémédiable), au cœur de ses actions.

     Pourtant, Sue Rodriguez s’est révélée, soudainement, libre et conséquente d’une manière qui surprendrait plus d’un « soignant » confortablement assuré de son statut de pouvoir auprès d’une personne dépendante (mais qui lui en fournit dans les faits — comme Sue Rodriguez auprès de M. Hofsess — sa seule importance contextuelle).

     Mais quelle surprise en aurait-il, réellement (outre les stéréotypes alimentés par l’apparence de Sue), dans le fait qu’un tel personnage principal ait pu réprimer un collaborateur accessoire ?  En fait, elle ne faisait que manifester les qualités personnelles auxquelles il faudrait rationnellement s’attendre de la part de celle qui en ait pu entreprendre une telle lutte sociale et judicaire.

     Dans un instant de vérité et d’éclair, alors, Sue Rodriguez nous faisaient la démonstration saisissante qu’elle avait bel et bien les capacités requises : et pour trouver les moyens de dialoguer directement avec le monde extérieur ; et pour rectifier les faits ; et pour faire ses excuses publiques auprès de la Société ALS ; et surtout, pour couper ses liens avec cette personne, qui, j’en suis totalement persuadé, se serait imaginé jusqu’à là — en toute naïveté — le véritable maitre d’œuvre du phénomène Rodriguez.

     Délicieusement, alors, dans cette instance, John Hofsess (et par association : tous les esprits ambitieux et impertinents dans des situations semblables) s’est trouvé dans la déconfiture complète. L’effet fut magnifique. C’était comme si l’imprésario d’un cirque, jadis, fut subitement interrompu par son ours performant, ou par sa gracieuse éléphante dansante, qui se serait subitement insistée, elle-même, à prendre la parole et à corriger son maitre ! Décidément, c’est une circonstance particulière du récit dans laquelle mon admiration se situe, sans qualification, du côté de Mme Rodriguez.

     Et souvenons-nous, aussi, devant ces faits, des propos tant ressentis de cette manifestante, intubée et ventilée, prenant la parole à l’intention de Mme. Rodriguez devant le palais de justice de la Cour Supreme : « Nous avons tant besoin de toi. Nous avons besoin de ta force extraordinaire ! ».

— Un constat sombre de fait : la dominance manifeste de la vision bien-portante

    Dans l’épisode Rodriguez, quand regardée de la perspective de la majorité non-suicidaire des personnes malades et handicapé, les élites de la culture et de la contre-culture — écrivains, cinéastes, journalistes – et ceux de la communauté homosexuelle menacés directement par le fléau du SIDA – jeunes, fières et autonomes – c’est à dire la grande majorité  de ceux qui se ralliaient au soutien de Mme Rodriguez (ainsi que cette dernière elle-même, au moins au départ), furent tous, essentiellement, des bien-portants agissant sous l’impression — agissant sous la peur d’une image – d’une souffrance intolérable, ou plus précisément d’une dépérissement de soi que l’orgueil ne pourrait (toujours dans le royaume de l’imaginaire) pas admettre. Mais les gens plus humbles, plus ordinaires, possédant habituellement une expérience plus étendue des maux tant décriés : ces gens abjuraient catégoriquement cette motivation ; craignant plutôt pour la sécurité des leurs.

     À la fin, pourtant, ce fut la vision de la majorité bien-portant — aussi divorcée de la réalité qu’elle en ait pu l’être — qui remporta la victoire. Les membres de la majorité indemne auraient substitué, ainsi, leurs propres fantaisies pour les désirs clairement exprimés de leurs frères et sœurs abimés.

— Une confession (et une conclusion) de nature personnelle

    En terminant ce chapitre, j’aimerais signaler (au lecteur toujours complaisant), qu’il existe une réticence toute naturelle dans l’esprit des personnes handicapées, une tendance d’éviter toute affirmation qui puisse les exposer aux charges d’une exercice malsaine d’imaginations anormales, voire paranoïaques. Et j’en suis moi-même, pour la plupart, très susceptible aux limites expressives suggérées par la crainte de telles perceptions extérieures. Cependant, dans ce cas précis, et devant les indices ci-haut exposés, je dois avouer mon incapacité d’expliquer ces faits troublants, sans admettre que le réflexe de recul, si naturellement ressenti devant les afflictions d’autrui, puisse s’accompagner,aussi, d’une certaine indifférence à l’égard des affligés.

     Car comment pouvions-nous interpréter plus généreusement — dans cette matière tant significative de vie et de mort — que le monde indemne ait pu se permettre d’imposer, avec tant d’autorité sommaire, son phantasme (de vie invivable et de compassion bienveillante), aboutissant si étrangement dans l’homicide de l’object de sa sollicitude ?

     Aussi, serait-il très difficile d’attribuer ces faits à la simple ignorance bien intentionnée. Car les personnes en question — malades, infirmes, et j’en passe — auraient clairement pris la parole mainte et mainte fois pour signaler leur vérité : et devant la cour ; et dans des articles savants ; et avec des livres comme le présent ; et, enfin, dans tous les véhicules de débat, sociaux et médiatiques.

     Soyons, alors, limpide dans l’expression de cette évidence : c’est un mensonge (sauf exception) que les malades et les handicapés désirent mourir. C’est un mensonge que la maladie, ou le handicap, conduisent naturellement vers la motivation suicidaire.

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John Hofsess (1938 – 2016) se plaignait, à la fin, d’être un stratège visionnaire mal servi par un diva capricieuse ; mis de côté par Sue (« un vieil homme congédié de sa vie ») en faveur d’autres compagnons « chics » (Chris Considine et Svend Robinson). Son plan, en admettant une défaite devant la Cour Supreme, fut d’utiliser George Scott Wallace (ou un autre médecin au besoin) pour défier publiquement la loi, en assistant au suicide de Mme. Rodriguez. Il eut été possible, d’après cette inspiration ambitieuse, d’enchainer une deuxième cause célèbre immédiatement avec la première (du médecin, cette fois, alléguant une compassion plus juste que la loi) ; de bâtir, ainsi, sur la sympathie Rodriguez ; et très possiblement, d’emporter cette bataille épique sur le champ. Car ce que regrettait le plus amèrement John Hofsess (déception succinctement plainte dans une dernière missive précédant sa propre mort volontaire en Suisse) fut d’avoir perdu cette « opportunité unique », « gaspillée » par des personnes « incapables (sic) de penser plus loin qu’au seul sort de Sue Rodriguez ».

Or le coup de force contemplé, par John Hofsess, ne fut pas possible dans l’occurrence ; car son étoile s’était déjà fatalement effacée auprès de Sue suite au scandale de fausse représentation impliquant le « Sun » de Vancouver. Pourtant, dans un esprit de justice, et pour réhabiliter même son blason (un tant soit peu), faudrait-il toujours se souvenir que le célèbre plaidoyer de Sue, celui qui aurait très possiblement gagné cette cause médiatique, tout en la perdant formellement (« À qui ce corps ? Qui est-ce, le propriétaire de ma vie ? ») en faisait partie, aussi, du legs de la plume Hofsess.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Le suicide assisté et le paysage social après Rodriguez)

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