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Le suicide assisté et le paysage social après Rodriguez - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Le suicide assisté et le paysage social après Rodriguez

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Le suicide assisté et le paysage social après Rodriguez)

— Un procès perdu ; une cause gagnante

     Mais quelles sont-elles, au juste, les conclusions utiles que nous pouvions tirer de cette histoire, vielle de trente ans, du feu Sue Rodriguez ?

     De prime abord, je soumettrais, nous sommes appelés à constater l’écart important qui séparait, déjà à ce moment, la théorie légale de la réalité vécue. Car le jugement fut bien rendu contre les aspirations de la plaignante ; mais le décès, assisté, aurait également eu lieu.

     Appuyés massivement, par la tradition légale et par la meilleure opinion des éthiciens d’antan, les juges de la Cour Supreme du Canada affirmèrent que les menaces sociétales d’un jugement positif (particulièrement à l’endroit des personnes vulnérables, malades et handicapées) seraient de beaucoup plus graves que les préjudices possiblement subis personnellement, devant un refus, par Mme Rodriguez. La société refusa, ainsi, de cautionner les gestes de suicide assisté, médicalisé ou autre. Et en particulier : elle défendit à toute personne d’accomplir de tels gestes ou de fournir une telle assistance, sous peine de l’application des prévisions sévères d’un code criminel effectivement réaffirmé.

     Pourtant, le décès de Mme. Rodriguez, ouvertement provoqué à l’encontre de la loi (et largement célébré auprès du public) ne déboucha pas sur la moindre peine, ni même sur une arrestation ; et cela, en dépit du fait que les circonstances de ce décès aient pu paraitre si délibérément calculées pour provoquer la justice.

— Hofsess, Robinson et Considine : À quelques détails de stratégie près : une invitation au litige, déclinée par le pouvoir 

     Imaginons seulement un peu : la mort de Sue Rodriguez fut assistée par un médecin sur place (quoique toujours officiellement non-identifié) ; elle fut accomplie dans la présence d’un membre du parlement canadien ; et le récit détaillé en fut immédiatement fourni aux médias… Sans réponse juridique !

     C’était presqu’exactement le scenario imaginé par l’ancien favori (maintenant exclu) qui fut John Hofsess, avec cette unique exception : que le nom du médecin en fut supprimé. Car le coup de théâtre caressé par Hofsess demanda, finalement, la participation agressivement publique d’un médecin qui eut été personnellement désireux de provoquer une nouvelle « cause célèbre », issue directement de la première. Et il serait même possible (quoique non certain) que l’invalidation du code criminel, tant convoitée, ait pu se faire attendre pendant trente années de plus, grâce à cette dérogation au scenario projeté.

     Mais les différences réelles en sont, pourtant, assez maigres. Tout au plus, pouvions-nous identifier,  à l’image de plusieurs (incluant Hofsess lui-même), une différence d’attitude vis à vis de Sue Rodriguez la personne, et de Sue Rodriguez la symbole, par laquelle certains acteurs à ce drame (vraisemblablement Chris Considine et Sven Robinson) auraient désiré favoriser une interprétation plus personnelle et moins politisée (de la femme qui fut Sue Rodriguez), tandis que d’autres (comme Hofsess) auraient voulu l’instrumentaliser plus franchement dans la lutte engagée.

    Mais bien que le premier group (et Sue, elle-même, apparemment), ne partageaient pas cette idée puriste, (voulant que l’importance primaire de sa mort ait pu résider uniquement dans son utilité politique), il ne faut pas conclure qu’ils fuyaient, pour autant, les opportunités de litige ainsi présentées. Au contraire, Il est indéniable, qu’avec leur assistance au suicide de Sue Rodriguez, c’est à dire, en s’exposant savamment aux risques de poursuite évidentes, que le « médecin mystère » (et l’ensemble des autres conspirateurs également) se montraient parfaitement prêts à entreprendre cette épreuve. Seulement, ils ne l’exigeaient pas positivement.

     Dans l’occurrence, alors, ils laissaient aux autorités le choix final ; et celles-ci (probablement due à leur perception de la faiblesse, populaire, de la position officielle) refusèrent la conteste ; refusèrent, dirai-je, de mordre à cet hameçon — offert si effrontément avec une provocation tant étudiée — préférant, de toute évidence, continuer avec la seule illusion d’un interdit.

— Entre la fiction et la réalité : un gouffre qui s’expose : la triste victoire pratique des suicides et, surtout, de leurs complices

     Manifestement, les actions impunies de Sven Robinson, et de son médecin complice, nous offre un indice puissant concernant l’existence déjà établie d’une pratique clandestine de suicide assisté qui fut massivement élargie, aussi, autour des souffrants du Sida, précisément dans cette période d’apocalypse culminante, de l’épidémie : si bien que le décès volontaire, réédité en mode communautaire, eut devenu tellement répandu, qu’à peu près tout le monde associé à la sous-culture homosexuelle — protagonistes, amis et familles – s’en trouva touché, d’une manière ou d’une autre.

     Surtout, ces gestes ne furent pas principalement le fait d’individus isolés, utilisant les moyens de fortune typique du suicide. Au contraire. Il y avait de nombreux suicides pratiqués avec des produits pharmaceutiques, de provenance illicite peut-être, mais d’origine absolument institutionnelle. C’est à dire, qu’il existait un grand nombre de conspirateurs aux niveaux médicaux et pharmacologiques qui utilisaient leurs privilèges professionnels pour écrire et pour remplir des prescriptions factices, souvent prodiguées pour des fins et pour des individus sans rapport avec l’intention réelle, mais dont l’usage homicide fut délibérément planifié au départ. Dans un mot, : il y avait une implication communautaire : de manière technique et morale, le suicide était assisté.

     Il faudrait, aussi (à mon avis), hésiter ici un instant, pour considérer la véritable identité des « gagnants » de ce bataille. Peut-on vraiment dire que Sue Rodriguez sortit victorieuse ? Si oui, ce fut, très évidemment, une victoire dont elle n’en pouvait pas jouir, étant morte. Aussi, l’engagement du litige juridique ne concernait pas directement les droits de Sue, toute paradoxale que cette affirmation puisse paraitre, car l’enjeu convoité fut la décriminalisation, non du suicide (fait déjà atteint depuis vingt ans) mais de l’homicide (dans certaines circonstances médicales). Et les véritables gagnants, alors, étaient, non les personnes suicidaires, mais bien les assistants aux suicides ; et en particulier, cette petite faction parmi les médecins, qui croyait voir, dans l’homicide, une pratique médicale.

     Ces personnes n’avaient pas, peut-être, gagné ouvertement leur cause, mais ils avaient, à tout le moins, fait la démonstration de pouvoir agir, dans les faits, avec une certaine impunité. Et chose possiblement plus significative encore, ils avaient définitivement réussi à coucher le débat en termes médicaux, à savoir, non plus s’il existe des vies qui demanderaient rationnellement la mort en délivrance, mais plutôt, de quelles vies il s’agit : définies en fonction de critères médicaux. (Ce qui représente précisément l’interprétation rejetée, par le COPOH, au nom des personnes handicapées).

     Il s’est ouvert, donc, à travers ce prétexte du suicide assisté, une voie future clairement indiquée vers la pratique, pure, de l’euthanasie médicalement justifiée ; cette euthanasie, elle, qui avait demeuré l’objectif véritable de cette minorité médicale depuis plus de cent ans déjà. Car pour répondre à notre question précédente : Les vrais gagnants de la cause perdue de Mme Rodriguez furent les euthanasistes en devenir, dont les plus osés entrevoyaient déjà la possibilité d’une pratique poursuivie à la vue de tous ; et qui, à l’opposé de Sue Rodriguez, demeuraient bien vivants pour savourer leur victoire, et donc bien capables de s’en avantager.

— La voie devant : littéraire et politique

     En fait, ces pratiques devenaient tant usitées à cette époque, que les pratiquants, étant fermement imbus d’un sens de la rectitude de leurs gestes, en étaient venus, non seulement à désirer la légitimité légale, mais à la réclamer activement ; à croire, même, qu’un simple travail d’information mené avec détermination dusse produire, inévitablement, le résultat voulu. Et tel avait été, en grande partie, l’espoir logé dans la cause Rodriguez : un désir d’exposer au regard public la considération d’un phénomène encore radical, certes, mais devenu déjà normal à leurs yeux

     Bien avant de passer aux actes, cependant, les révolutionnaires commencent, d’habitude, avec des actions au plan culturel, en proposant par exemple, des représentations fictives destinées à préparer l’imagination collective pour des innovations futures.  Or, le véhicule médiatique, par excellence, des dernières décennies du vingtième siècle, se trouvait dans les productions cinématographiques. Et ce fut, alors, vers celles-ci que soient tournés les idéalistes (et les idéologues) de la mort volontaire : avec des idéalisations romanesques d’abord, mais ensuite par une représentation plus directe de la réalité souterraine qu’ils confectionnaient, sous forme documentaire.

Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section III : La « Pente Glissante » — Chapitre : Le suicide assisté et le paysage social après Rodriguez — Un cinéma de la mort volontaire, proposée en affirmation ultime de la liberté personnelle : « Whose Life is it Anyway » (1981))

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