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- Gustave Flaubert : Réaliste, et Pessimiste moqueur - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— Gustave Flaubert : Réaliste, et Pessimiste moqueur

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo — Gustave Flaubert : Réaliste, et Pessimiste moqueur)

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Gustave Flaubert circa 1865, photographié par Gaspard-Félix Tournachon (1820 – 1910, pseudonyme « Nadar »)

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     Plusieurs, de nos jours, considèrent Gustave Flaubert (1821 – 1880) comme celui qui nous aurait légué le portrait le plus fidèle de la société française, dans ce siècle unique de transition, technologique, politique, et cultural, qui sépara la Révolution-Empire de la Première Guerre Mondiale. Mais même si le « Réalisme » fut le premier souci de l’auteur, ses sentiments propres transpercent limpidement à la vue du lecteur. Ce sont, en fait, ces jugements de l’auteur, face à son époque, qui nous concerne ici.

     Il en ressort une sophistication désabusée dont l’amertume se couche dans une raillerie peu satisfaisante.

— « L’éducation sentimentale »

     Au début de ce roman vaguement autobiographique (publié1869) nous faisons la rencontre d’une jeune variation de M. Flaubert qui exhibe une ambition certaine, assortie d’une opinion personnelle assez suffisante. Au moins devions-nous avouer que l’auteur savait, aussi, s’amuser à ses propres dépens :

 « M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier … pensait … au plan d’un drame, à des sujets de tableau, à des passions futures. Il trouvait que le bonheur mérité par l’excellence de son âme tardait à venir… ».

     D’entrée en matière, Frederic fait la connaissance d’un homme mûr, Jacques Arnoux, dont il connaît déjà le nom, l’œuvre et la réputation stellaire de personnage publique. Bref, Arnoux symbolise tout ce qui peut incarner la vie de succès à laquelle aspire Frederic.

 « Il était républicain ; il avait voyagé, il connaissait l’intérieur des théâtres, des restaurants, des journaux, et tous les artistes célèbres, qu’il appelait familièrement par leurs prénoms ; Frédéric lui confia bientôt ses projets ; il les encouragea. »

     En plus, l’épouse d’Arnoux, Sophie, fournit pour le jeune Frederic la première impression, idéale et indélébile, de l’attraction féminine :

« Ce fut comme une apparition : Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. »

     Suivant, alors, son désir de s’approcher de ces gens — qui lui semble tant supérieurs (et bien accueilli à son tour) — Frederic s’insinue dans la vie domestique et professionnel du couple au point, non seulement de gagner la confiance de tous les associés d’Arnoux, mais de déplacer, et même de devenir Arnoux, à maints égards.

     Ainsi, Il séduit (secrètement) non Sophie, la femme de Jacques Arnoux, mais bien Rosanette, sa maitresse, dont Frederic prend ouvertement la charge une fois que les déconfitures financières d’Arnoux lui rendent incapable de pallier plus longtemps à de telles fantaisies.

     Bien sûr, Sophie cède, également, devant les avances de Frederic. Mais, ni l’une, ni l’autre de ces relations ne lui suffit. Car dans le cas de Sophie, les sincères affections suscitées, chez elle, par les emportements littéraires de cet amant idéal, sont impossible de satisfaction dans la réalité ; et quant à Rosanette, le plaisir de posséder l’une des courtisanes les plus estimée de l’époque ne pouvait résister à ses propres impressions intimes :

« Elle avait un mauvais goût irrémédiable, une incompréhensible paresse, une ignorance de sauvage … »

     Et telles que furent les déceptions ressenties dans les intrigues romantiques, tout autant se révélèrent décevantes celles des manigances financières et politiques.

     Or, en ce qui concerne un jugement global sur l’époque, il faut seulement en retenir ce dernier détail : Que l’unique personnage du livre qui jouit d’une description entièrement élogieuse, de la part de l’auteur, s’agit d’un jeune homme issu de la classe populaire, talentueux, courageux, et surtout généreux – du nom de Dussardier – qui meurt dans un élan impétueux (et parfaitement inutile) de bravoure populaire, sur l’épée d’un Sergent de Ville, agent de répression, tel que décrit :

« Un des agents qui marchait en tête, le tricorne sur les yeux, le menaça de son épée. L’autre alors, s’avançant d’un pas, se mit à crier :

— « Vive la République ! »

Il tomba sur le dos, les bras en croix ».

     Voilà, alors, dans « L’éducation Sentimentale » une forte condamnation de la futilité de la poursuit élevée des idéaux humains, tous sans exception — amoureux, artistiques, politiques. Mais quoique Flaubert habite la même ville, en même temps qu’Alfred Musset ; connait la même société ; fréquente les mêmes lieux, « bons » et « mauvais » ; et en éprouve tour par tour les mêmes répugnances : la déception et le désespoir de Musset ne trouvent aucunement leur complément chez Flaubert. Car ce dernier semble suffire à lui-même et tirait, apparemment, une satisfaction compensatoire dans la possession et dans l’exercice de ses capacités propres.

     Musset, donc, se désespérait pour le monde, et pour l’époque. Tout pour lui était personnel ; Pour Flaubert… non.

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Flaubert, plus jeune

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— « Bouvard et Pécuchet »

     Cette attitude de détachement supérieur à la condition humaine s’affirme, d’ailleurs, avec la plus grande clarté, dans le ton d’amusement qui soit apparent dans le dernier roman de Gustave Flaubert, « Bouvard et Pécuchet » (publication posthume, 1881).

     Dans ce livre, un couple d’hommes mûrs, sans attaches, et sans besoin pécunier, s’exilent dans une petite ferme, et s’y donne à l’exploration libre des connaissances, des découvertes et des modes de leur époque. Absolument tout y passe au rythme du caprice de leurs intérêts : l’art, la littérature, la philosophie, la psychologie, l’électricité, l’agriculture moderne, la collection des roches et des cailloux, les antiquités, la médicine, la production dramaturge, etc. etc. Et ce faisant, Flaubert (qui était, très évidemment, bien renseigné au chef de chaque sujet abordé) trouve le moyen de se moquer de toutes les grandeurs passées de l’humanité, et plus encore, de toutes les nouveautés tant étonnantes de son vivant, ainsi que de tout le monde qui s’y intéressaient avec tant de passion. Car le message sous-entendu de ce livre en est une d’une humanité, très imparfaite, qui apparemment, ni changera, ni s’améliora, jamais.

     Cette conclusion se confirme, d’ailleurs au départ, dans un petit conte sans propos, qui se distribue dans quelques phrases courtes reparties à travers la première partie du livre.

— La feuille de route d’une « bonne » de campagne

 (Une introduction à la vie campagnarde)

« Une petite fille, les pieds nus dans des savates, et dont le corps se montrait par les déchirures de sa robe, donnait à boire aux femmes, en versant du cidre d’un broc qu’elle appuyait contre sa hanche. Le comte demanda d’où venait cette enfant ; on n’en savait rien. Les faneuses l’avaient recueillie pour les servir pendant la moisson. Il haussa les épaules et, tout en s’éloignant, proféra quelques plaintes sur l’immoralité de nos campagnes. »

 (Bouvard et Pécuchet apprennent à gérer le personnel sur leur ferme)

« De graves désordres eurent lieu. La fille de basse-cour devint enceinte. Ils prirent des gens mariés… »

 (À l’occasion d’une visite chez le voisin ; la bonne recyclée)

« Pourquoi leur bonne semblait-elle en avoir peur ?

Ils la questionnèrent, et elle conta qu’elle avait servi dans sa ferme. C’était cette petite fille qui versait à boire aux moissonneurs quand ils étaient venus, deux ans plus tôt. On l’avait prise comme aide au château et renvoyée « par suite de faux rapports ».

     Voilà en capsule la vie populaire telle qu’elle fut conçue par Flaubert. Et pour plus de sureté dans les conclusions, la fin du livre (tel qu’il existe dans son état inachevé) s’occupe des expériences d’éducation « moderne » entreprises à l’endroit d’un pair de jeunes enfants orphelins, adoptés officieusement à cette fin, par Bouvard et Pécuchet.

— L’éducation en projet d’amélioration sociale

 (Une première tentative de discipline)

« La correction n’avait point corrigé Victor. Il refusait d’apprendre son catéchisme, et Victorine proférait des mots sales. Bref, le garçon irait aux Jeunes Détenus, la petite fille dans un couvent. »

(À propos d’un chat dans une chaudiere)

« C’était Victor qui avait commis cette atrocité, et les deux bonshommes se reculèrent, pâles de stupéfaction et d’horreur. »

 (Le début d’un doute)

« Le sang paternel se manifestait. Que faire ? …

— La sœur ne vaut pas mieux, dit Bouvard.

Puis, cherchant à excuser Victor, il allégua l’opinion de Rousseau : « L’enfant n’a pas de responsabilité, ne peut être moral ou immoral. »

(Victorine et le colporteur)

« C’était un de ces tailleurs qui vont dans les fermes raccommoder les habits … le soir, s’épargnant les frais d’auberge, allait coucher dans le fournil.

Or, un matin, de très bonne heure, Bouvard ayant froid, vint y prendre des copeaux pour allumer son feu.

Un spectacle le pétrifia.

Derrière les débris du bahut, sur une paillasse, Romiche et Victorine dormaient ensemble. »

(Victor et le vol)

« Marcel les conduisit … dans la chambre de Victor et leur montra au fond de sa commode une pièce de vingt francs.

D’où provenait-elle ? D’un vol, bien sûr ! »

(Une conclusion tardive mais inévitable : la philosophie cède aux résolutions pratiques)

« — Peut-être ont-ils manqué d’une famille, des soins d’une mère.

— J’en étais une ! objecta Bouvard.

— Hélas ! reprit Pécuchet. Mais il y a des natures dénuées de sens moral, et l’éducation n’y peut rien.

Comme les orphelins ne savaient aucun métier, on leur chercherait deux places de domestiques ; et puis, à la grâce de Dieu ! ils ne s’en mêleraient plus. »

     Convenons-nous-en : C’est très drôle en lecture oisive ! Pourtant, c’est d’une drôlerie quelque peu amère qui trahisse les regrets de Flaubert, : mort sans famille ; habitué des « boites » et des bordels ; égaré, tout comme Musset, entre les jeunes espoirs d’un bonheur idéalisé — partagé librement entre âmes purs — et la réalité d’un monde apparemment vicieux en profondeur, peuplé de personnes dont les gestes sont contraints, soit par l’ambition, soit par la nature, soit par la misère. De bonheur simple, alors, on n’en trouve que très peu, ni chez l’un, ni chez l’autre.

     Toujours est-il qu’un fait significatif les sépare cependant : que Flaubert se complait dans la convention confortable et millénaire d’une humanité perdue, et immuable, dont le triste destin se répète éternellement ; tandis que Musset, lui, comprend d’une intuition et d’une sensibilité étonnante, que le monde eut été réellement en train de se transformer de son vivant.

     Musset se perdit carrément, ainsi, dans le déboussolage du dix-neuvième siècle. Flaubert préféra, au contraire, s’en moquer avec détachement.

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Élisa Schlésinger (1810 – 1888) fut l’amour déterminant de la vie de Gustave Flaubert, et l’inspiration pour « Sophie Arnoux ». Quand ils se sont rencontrés pour la première fois, Flaubert n’avait que quinze ans, Schlésinger, 26.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : La démocratisation du vice au dix-neuvième siècle, un regard littéraire : Musset ; Flaubert ; Hugo — Victor Hugo : un puissant apôtre de la réforme sociale)

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