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- L’instrumentalisation malavisée de la profession médicale - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— L’instrumentalisation malavisée de la profession médicale

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section VI : L’avis des médecins — Chapitre : La crise effective des médecins : Voulez-vous entrez dans mon Salon, Madame (dit l’Araignée à la Mouche) ? — L’instrumentalisation malavisée de la profession médicale)

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Szylok i Jessyka (1876), Maurycy Gottlieb (1856–1879) Ce tableau figure comme entrée au catalogue des peintures enlevées de la Pologne, pendant les années 1939 – 1945, par les autorités de l’occupation allemande ; Ministère de la culture et de l’art, Varsovie.

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     Devant la volonté politique, arrêtée, d’offrir au peuple un nouveau service de mise à mort institutionnel, nos décideurs n’ont pas eu cette heureuse réflexion : qu’une telle innovation impliquerait, aussi, de nouvelles responsabilités, de nouvelles tâches, de nouvelles structures, bref, de nouveaux travailleurs, de nouveaux budgets et un nouveau cadre de travail. Non. L’étrange présomption fut acceptée, dès le départ, que ce fardeau ait pu être imposé, sans ménagement ni précaution, aux corps médicaux existants, en sus de l’accomplissement de leur mission première, et au détriment de celle-ci.

     Décidément, la profession médicale fut instrumentalisée, fortuitement peut-être, mais pas moins fatalement : par le juriste et par le législateur ; pour faciliter la normalisation de la mort assistée ; malgré les multiples dangers qui se présentent dans cette démarche.

     Premièrement, avec un faux appel à la compétence scientifique : car la motivation suicidaire (et sa justification) ne relèvent pas de facteurs objectivement quantifiables ; les critères d’admissibilité sont nécessairement flous ; le consensus professionnel n’existe pas ; les préférences exprimées restent subjectives, autant pour le médecin que pour le patient ; de la science il n’en reste, alors, que l’invocation creuse.

     Deuxièmement, avec un appel — mi naïf, mi cynique — à la mystique occulte du médecin : Est-ce que la définition d’un régime objectif nous échappe ? Peu importe. Le médecin est là, en Sage Supérieur, pour trancher chaque cas avec une parfaite justice sur le fait. Existe-il des inquiétudes au sujet de la psychologie du tueur ? De sa sélection ? De son suivie ? Des séquelles à craindre pour l’individu ou pour la collectivité ? Heureusement que non ! La supériorité magique du médecin – de tout médecin — rendra ces questionnements inutiles. 

     Mais quelles que soient les motivations politiques qui aient pu militer pour l’instrumentalisation du manteau médical — à l’abstrait et collectivement — le poids de tout ce procédé se porte, dans l’immédiat et sur le terrain, par le médecin individuel : celui qui doit souffrir les blessures psychologiques indissociables du mandat homicide ; celui qui doit en porter la responsabilité intime ; celui qui doit s’exposer aux effets deshumanisants d’une participation à la mise à mort institutionnelle ; celui qui doit accepter l’opprobre de l’ostracisation qui frappe toute personne associée aux métiers de la mort.

— L’illusion du volontariat, et l’inefficacité du recours à la « conscience »

     La profession médicale se trouve chargée, dans son ensemble, du mandat homicide de l’euthanasie. Chaque médecin partage, formellement, le poids du devoir collectif. Comme seule porte de sortie, pour l’individu dissident, il ne serait restée que la « liberté de conscience » : ce droit qui garantisse, ostensiblement, la liberté de refus ; mais dont le propriétaire se trouve fortement entravé dans l’exercice :

     Par un discours théorique : qui exagère la pratique volontaire et qui minimise les contraintes.

     Par une mainmise politique : qui redéfinit la pratique médicale à l’encontre des avis médicaux majoritaires ; qui ignore l’opposition scientifique et professionnel ; qui réduit l’opposition admissible aux seules objections religieuses ; qui réduit la religion à l’irrationnelle ; qui réduit le sens moral inné de l’homme à la subjectivité inconséquente.

     Par une implémentation institutionnelle : qui se veuille universelle ; qui traduise la contrainte collective en contrainte personnelle ; qui empêche la formation d’équipes ou d’institutions vouées à la recherche de modèles thérapeutiques dont l’euthanasie serait exclue ; qui empêche, ainsi, la compétition scientifique et professionnelle ; qui empêche, même — de manière très important — la possibilité de pratiquer la médecine autrement, même en cabinet privé ; qui limite les options d’avancement pour ceux qui en ferait toujours l’essai ; qui éliminerait progressivement la présence des médecins hippocratiques aux paliers politiques supérieurs ; qui extirperait même cette tendance de la culture d’apprentissage médicale.

— L’épreuve inhumaine imposée aux médecins actuels (et aux médecins en devenir)

     Or, quel obstacle monstrueux se dresse, ainsi, devant celui qui désire toujours pratiquer une médecine dirigée sans ambiguïté vers la protection de la vie ? Celui qui ne veut pas devancer le sort ; celui qui ne veut pas permettre à ses propres doutes, ou à ses faiblesses personnelles, d’hypothéquer la relation thérapeutique de confiance, entretenue avec tant d’assiduité, jadis, face au patient ; celui qui veut permettre, aux clients et aux familles, ce répit nécessaire qui consiste à se fier, malgré leur désarroi naturel, aux compétences du médecin, confiantes et sûres. Celui qui informe honnêtement mais qui ne réprime jamais l’invocation de l’espoir. Celui dont les moindres gestes expriment une certitude, qu’il existe un sens et une valeur inaltérables à la vie, aussi difficile ou courte soit-elle.

     Celui qui peut possiblement provoquer, même, ce miracle subséquent : de transmettre au patient une confiance qui peut devenir la source d’un volonté renouvelée ; celui, enfin, qui puisse parfois solliciter un désir suffisant pour pencher la balance inscrutable du sort vers la vie prolongée ; celui qui est, pourtant, invité de nos jours — non, que dis-je, celui qui est officiellement contraint (en considération de l’option létale) —  à adopter une mine ambivalente et resignée, qu’il saurait être fatalement communicable à l’endroit du patient.

     Quel fardeau fortuit, encore (pour celui qui se consacre avec tant d’ardeur à la protection de la vie), que de se voir accorder, aussi (au moment de la certification professionnelle), un mandat homicide ! Sans ni le demander, ni le désirer ! Celui qui doit redouter la possibilité d’être interpellé ainsi (en fonction de ce mandat empoisonné), à n’importe quel moment, par n’importe quel patient ; celui qui craindrait la nécessité du choix ; celui qui sait intuitivement que le refus puisse s’avérer aussi traumatisant que le consentement ; celui qui ne sera pas protégé : ni par une sélection appropriée ; ni par un suivi conséquent ; ni par une intervention ponctuelle au besoin.

— Une réponse auto-protectrice du médecin type, nettement insuffisante, mais toujours compréhensible

     Bien sûr, la majorité objectent toujours, ils analysent ; ils multiplient les arguments désintéressés et les hypothèses inquiétantes ; ils présentent les évidences certaines de torts importants, dans un style lucide et impeccable ; ils résistent systématiquement, même, en sourdine. Mais par contre, ils n’affichent pas ce qui soit le seul comportement réellement approprié dans tel malheur ; c’est-à-dire le comportement naturel auquel nous nous attendrions de toute autre personne dans des circonstances semblables (et le comportement auquel, eux les premiers s’attendraient de tout patient interrogé en phase diagnostique) … Ils (les médecins) ne hurlent pas de douleur !

     Serait-ce une expression trop extrême ?  Imaginez, seulement un instant, que nous eussions demandé une telle obéissance morbide aux membres de n’importe quel autre corps de métier — de n’importe quelle autre communauté professionnelle. J’ose croire que la société entière eût été immédiatement mobilisée : avec les cris retentissants de détresse ; avec les manifestations orchestrées de colère ; et avec la violence du refus.

     En fait, dans cette circonstance tant extraordinaire, j’aimerais entendre les médecins admettre franchement leurs limites (et leur refus), devant l’octroi de ce mandat insupportable ; de ne réclamer, en tout simplicité, qu’un respect et une considération qui soient équivalents à ceux que nous accorderions, d’emblée, à tout autre être humain. J’aimerais, pour tout dire, les entendre exploser à la manière du Poète dans sa vision avant-garde de l’universalité humaine :

« …Nourris de la même nourriture, blessés des mêmes armes, sujets aux mêmes maladies, guéris par les mêmes moyens, échauffés et refroidis par le même été et par le même hiver …  Si vous nous piquez, est-ce que nous ne saignons pas ? » (Wm. Shakespeare 1564 – 1616, Le marchand de Venise : Acte III, scène 1)

     Mais c’est impossible. Les conditions particulières de ce métier (et les exigences particulières de ses praticiens) : la tradition; l’éducation; l’expérience; l’orgueil et le devoir — tous ces facteurs réels et mythiques — l’empêchent, absolument.

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Une représentation moderne du « Marchand de Venise », dont l’image peut nous servir de métaphore douloureuse pour souligner la position, peu enviable, qui soit occupée de nos jours par les professionnels médicaux, face au mandat de l’euthanasie, et devant l’autorité de l’État.

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À suivre …

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