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Chapitre – À quel prix la liberté ? - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Chapitre – À quel prix la liberté ?

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : La morale et la loi — Sous-Section II c) : Quelle morale choisir ? — Chapitre — À quel prix la liberté ?)

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— Une hésitation, et un doute

     Voilà (ci-haut décrits) les bienfaits potentiels d’un cadre légal, de mort volontaire, qui se fonderait sur la déclaration d’un droit universel. Mais il n’y en aurait pas que les seuls avantages. Car malheureusement, de solution parfaite, il ne peut y avoir.  

     En fait, à ce stade de l’analyse, notre tâche s’apparente à celle du clown qui crée des sculptures de ballons pour le délice des enfants : à chaque fois que celui-ci comprime son ballon dans un endroit, elle-gonflera davantage ailleurs. Et devant la pratique de l’euthanasie (une fois admise pour quelque raison que ce soit) nous éprouvons les mêmes difficultés : car avec toute tentative de mater des problèmes spécifiques, nous en aggravons inévitablement d’autres.

     Alors, oui (aux avantages théoriques de la liberté pure du choix subjectif) !  Mais encore, à quel prix ?

— La rupture de notre relation sociale, protectrice, vis-à-vis du suicide et de sa prévention

     Principalement, un tel droit de mort, explicitement accordé, changerait la relation sociale au suicide de manière radicale. Il exigerait l’articulation de nombreuses conditions. Il rendrait difficile le travail d’information requis pour éviter la malheureuse conclusion que le suicide soit un « bien », en soi, ou à tout le moins un phénomène neutre. Il compliquerait énormément le travail de prévention du suicide. En particulier, il provoquerait une crise au sein de la communauté psychothérapeutique, qui annoncerait un débat âpre et approfondi.

     Par contre, s’il y a un lieu approprié pour la confrontation d’idées autour du phénomène suicidaire, ce serait bien au sein des sciences psychologiques, car ce serait seulement à l’intérieur de ces disciplines que les définitions de « capacité » et de « compétence » — requises pour faire les choix envisagés — peut se discuter avec la rigueur voulue, traduite par des protocoles cliniques fondés dans la compétition scientifique.

     (Ces discussions, d’ailleurs, se trouvent fortement engagées, déjà, devant l’instauration — largement attendue au Canada et déjà opérante en Bénélux – de l’euthanasie volontaire comme « solution » pour diverses maladies mentales.)

     Mais l’objection première, à l’instauration du droit subjectif de choisir le moment et la manière de sa mort — pour tout le monde et sans condition aucune — n’est ni théorique, ni scientifique, ni professionnelle. Elle surgit, plutôt, de l’expérience viscérale de chacun en relation avec les êtres qui lui sont les plus chers. Elle se résume, plus crument, dans cette exclamation tant entendue, instinctive, et presqu’involontaire devant l’hypothèse tragique de toutes ces morts précoces et possiblement évitables : « Oui, mais nous ne pouvions pas simplement permettre à n’importe qui de se suicider ! » 

     Or, devant l’intensité et la sincérité de ces sentiments exprimés, efforçons-nous, enfin, d’examiner les véritables implications de tels propos. Quelles sont les pertes que nous craignons, devant un tel droit universel ?

— Un fond d’effroi, devant l’octroi d’un droit universel : la perte des êtres chers ; le suicide de nos enfants

     De quelles pertes s’agit-il ?  De la perte des êtres chers, bien sûr : de nos frères, de nos sœurs, de nos épouses et de nos époux! Mais au bout du compte, pour tous ceux qui aient eu le bonheur de connaitre les joies de la vie en famille, il s’agit, surtout, de la perte tant redoutée de nos enfants ; de ce sacrifice suprême qui dépasse, pour plusieurs, l’anéantissement de soi : car devant toutes les manifestations récentes de la progression des libertés personnelles – de la sexualité élargie, des rapports sociaux complexes, de la consommation de l’alcool et des psychotropes – l’inquiétude sociale et l’opposition personnelle, se sont toujours articulées, principalement, et en premier lieu, autour des effets de cette liberté auprès de ceux que nous craignons, avec une trépidation instinctive, ne pas être – encore — en possession d’une maturité suffisante pour s’y exposer sans danger, c’est-à-dire : de nos enfants.

     Ainsi, derrière chaque itération de cette évocation poignante du suicide de « n’importe qui » peut se dessiner l’image précise d’un jeune homme ou d’une jeune femme qui ait pu tragiquement perdre la vie – inutilement surtout — dans les crises nécessaires de la jeunesse. Car, tous, nous savons, que l’adolescence normale peut fort bien engendrer des suicides lamentables sans autre indication aucune. Décidément, alors, personne de parmi nous ne désirerait abandonner cette jeunesse devant une nouvelle indifférence collective. Pourtant, si préalablement, il ne fallait craindre que le suicide simple : de nos jours, faudrait-il aussi redouter la mort « assistée » ; pratiquée sous le manteau rassurant des professions médicales, et avec l’approbation de l’État.

— Le désir d’établir des limites protectrices

     Ainsi surgit-il un désir naturel de limiter la portée de cette liberté mortelle, en favorisant une réaffirmation de l’interdit général, assoupli uniquement par des exceptions étroites, accompagnées de conditions qualifiantes, soigneusement circonscrites. Nous aurions voulu (pour puiser de nouveau dans notre corps de sagesse ancestrale), « avoir le beurre, et l’argent du beurre ». Nous voulions, peut-être, reconnaitre le droit de mourir dans l’abstrait ; mais nous aurions voulu, également, restreindre son exercice aux seuls gens dont la perte ne nous dérangerait que peu : à ceux qui sont tellement vieux déjà — ou malades, ou abimés — que leur mort ne nous causent pas de regret (où certainement pas à ce degré extrême, provoqué par la perte d’un frère — ou d’un enfant – en santé).

     Dans d’autres mots, et pour dédramatiser le tout : une démarcation nette serait tirée entre le « nous » majoritaire (viable), et « l’autre », marginalisé dans sa dépendance morbide.

     Et avec l’identification crue de cette manœuvre de cordon sanitaire, il devient facile, enfin, d’expliquer l’inexplicable, c’est-à-dire, le refus (ou l’incapacité) illogique, mais habituellement impénétrable — de tant de personnes bien-portants — d’admettre (ou même de comprendre) que le moindre danger spécifique puisse en résulter de l’octroi sélectif de ce droit ; que le fait d’être désigné en sujet approprié pour cette intervention médicale meurtrière ne peut jamais être séparé, entièrement, du risque de son accomplissement. Car si, au contraire, risque inacceptable il n’y en avait point, pourquoi la majorité craindrait-elle, instinctivement, d’en partager l’éligibilité ?

     (Ou, comme je l’ai souvent demandé auprès de mes interlocuteurs perspicaces et bien-intentionnés : Si vous vouliez fournir une assistance au suicide pour les personnes exactement comme moi, pourquoi refuseriez-vous une telle option pour les personnes exactement comme vous ? Question à laquelle je peux affirmer n’avoir jamais reçu une réponse satisfaisante.)

     Ou encore, pour reconstituer cet argument en image-miroir : Si le suicide était « bien » pour les « souffrants », de quel droit refuserions-nous ce bien aux souffrants bien-portants ?   Pourquoi pratiquer de la discrimination au désavantage de ceux-ci ?

     Décidément, ce serait inutile de prétendre qu’une minorité des gens en santé ne ressent pas de motivations suicidaires ; elle en ressent. Inutile, aussi, de prétendre qu’une majorité des gens malades et handicapés désire accélérer la mort ; elle ne le désire aucunement. Alors, quelle différence réelle en aurait-il ? Pourquoi la permission — et les moyens pratiques — accordés aux uns mais refusés aux autres ?

     À la fin, je crois, la réponse à ces énigmes ne se cache à peine sous la formulation originale de la proposition dans laquelle elles trouvent leur naissance : « Nous ne pouvions pas permettre à n’importe qui …. »

     Ne devient-il pas évident — malgré les rationalisations, et malgré les astuces rassurantes dans le langage – qu’il n’y a aucune perception du suicide en « bien » ? Qu’au contraire : il provoque toujours un instinct de recul involontaire parmi les personnes « normales » (voir typiques), que ces personnes soient malades, ou non ? Tout au plus ces morts seraient accueillis en mal nécessaire — et rendu nécessaire, seulement, par les désirs subjectifs d’une petite minorité disséminée capricieusement à travers l’ensemble de la population. Ne parait-il pas à la fois naïf et abusif (quoique parfaitement naturel et d’une grande commodité) que de déclarer les désirs suicidaires de cette minorité justifiés — mais seulement quand ces désirs se manifestent parmi une sous-classe plus restreinte de gens que nous pouvions plus facilement décréter hors normes ?

— Une différence de perception des plus significative

     Peut-être sommes-nous tous sensibles à cet idéal de « normalité » et aux préjugés qui en soient engendrés. Cependant, il existe un élément très important qui différencie la perception des malades chroniques, et des handicapés, de celle des autres. Et cette différence réside dans un entendement divergeant de la notion même de ce qui soit « normal » : car dans son vécu immédiat, dans son quotidien, dans son image propre, dans son désir primitif de vivre, et de survivre– la personne handicapée et/ou le malade chronique, envisage son existence, à lui aussi, dans les teints de la normalité !

     Même, au risque de personnaliser le discours au-delà des limites que je me suis habituellement fixé, je peux affirmer, au lecteur, que les éléments les plus dérangeants de ma condition actuelle sont devenus, pour moi, tout ce qu’il peut y avoir de plus banal ; et quand toutes ces questions de suicide et d’euthanasie sont regardées à partir de la perspective de la personne handicapée non-suicidaire : le fait d’accorder ce droit mortel aux membres de sa catégorie spécifique (à ses semblables, à ses relations, à ses amis) constitue déjà l’octroi d’un droit de suicide à n’importe qui !

     Or, le fait de refuser ce « droit de mourir », aux membres de la majorité bien-portant, relève d’un réflexe auto-protecteur au bénéfice de ces derniers qui se pratique de manière visiblement injuste et discriminatoire à l’égard des malades et des handicapés.

– Un refus sélectif d’accès à la bouée de sauvetage

     Imaginez, par exemple, que nous étions assises ensembles dans un embarcation de plaisance, chacun muni d’un gilet de sauvetage au cas où celui-ci se trouverait accidentellement projeté à l’eau.

     Quelle serait la signification d’une décision collective de retirer ces gilets à toutes les membres d’un groupe minoritaire spécifique, mais à eux seulement ?

     Pouvions-nous raisonnablement prétendre que ce procédé ne soit pas imbu d’intention discriminatoire ? Ne serait-il pas absurde de prétendre que le danger décrié par les victimes désignées n’existe pas? Que la manœuvre serait sécuritaire grâce aux « sauvegardes » établies ?

     Voyons donc ! Les gilets SONT la sauvegarde ! Et si de danger il n’y en avait point, pourquoi en porterions-nous toujours tous ?

     Franchement, il n’y a pas de réponse logique à ces questions. Et de toute évidence, l’incapacité des gens dits « normaux », de saisir instinctivement, et immédiatement, le danger (ainsi que la nature discriminatoire du danger) imposé aux malades et aux handicapés — de par cette retraite sélective de l’interdiction juridique (de l’assistance au suicide) qui nous protégeait tous naguère — ne représente que le reflet fidèle des préjugés ataviques avec lequel nous avons, trop souvent encore, l’habitude malheureuse de regarder nos voisins.

— Une conclusion catégorique

     Logiquement, cependant, (en adoptant le ton modéré d’un membre impartial de la collectivité) : si nous voulions imposer le fardeau d’un libre choix de mort (à ce groupe spécifique qui sont les malades et les handicapés) faudrait-il toujours que nous acceptions, aussi, pour nous et pour les nôtres, un même droit, assorti des mêmes dangers.

    Et logiquement, encore (en adoptant le ton de récrimination qui soit tant naturel, dans cette matière, à la majorité non-suicidaire des personnes de ma communauté d’appartenance particulière) : les risques que vous imposez maintenant à l’égard de moi et des miens — vous n’en possédez aucunement le droit éthique de vous en soustraire, vous et les vôtres.

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