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Chapitre : L’individu perçu en fraction de l’ensemble : l’âme collective - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Chapitre : L’individu perçu en fraction de l’ensemble : l’âme collective

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Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770 – 1831), prophète idéaliste de la conscience collective, portrait de Jakob Schlesinger (1792 – 1855)

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(Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : L’individu perçu en fraction de l’ensemble : l’âme collective)

— Le Darwinisme appliqué à la compétition nationale

     À ce stade, du récit, nous ne pouvions plus limiter notre compréhension de cette maxime moralement aveugle (de « la survie du plus fort »), au seul cadre de l’ambition personnelle. Car fatalement, dans cette fin de siècle magnifique, du dix-neuvième, fallait-il aussi comprendre l’attrait de cette idée appliquée à la lutte des Nations, c’est à dire, à la lutte des peuples : une lutte préexistante ; une lutte universellement acceptée ; une lutte apparemment inévitable et perpétuelle.

    Mais il y avait toujours cette différence extraordinaire avec le passé : qu’auparavant, les unités démographiques essentiellement tribales — d’un « pays » ou d’une « province » — restaient toujours distinctes (et leurs habitants de petit nombre) et ce, même quand leurs capitaines se rangèrent, avec leurs suites armées, à l’intérieur des levées d’un royaume plus large. Les Bretons, les Provençaux, les Normands, les Bourguignons, par exemple — sortis de leurs terres — ne se comprenaient à peine et se battaient aussi facilement entre eux que de concert. Et tel fut, également, le cas de leurs adversaires héréditaires, outre-manche, et outre-mer, les Gallois, les Anglais, les Irlandais et les Écossais, ainsi que leurs voisins Latins au Sud, et Teutons, au Nord, et à l’Est. Il y avait, donc (et surtout à l’intérieur des moyens technologiques plus primitifs) des limites naturelles à la destruction qu’ils pouvaient provoquer.

     Sous la pression des transports et des communications modernes, cependant, les unités démographiques, et les loyautés collectives, devinrent plus grands, pour inclure éventuellement des dizaines de millions de personnes. Et quand nos aïeuls eurent ajouté à cela les possibilités industrielles des forces destructrices scientifiquement développées, il serait évident que la guerre des « nations » deviendrait infiniment plus dangereuse.

     Et c’est, ici, enfin, que nous nous devions d’introduire, de nouveau, la pièce maitresse des innovations philosophiques de notre époque — celle qui prenait la place centrale dans toutes les luttes idéologiques du vingtième siècle (incluant aussi notre question de l’euthanasie), c’est à dire : le « Collectivisme » (compris celui-ci, non principalement dans son seul sens économique, mais surtout, dans son aspect spirituel, voir psychologique) ; un principe (une fois conjugué avec l’impératif darwinien) qui eut semblé justifier tous les débordements, non seulement du nationalisme, mais des marxistes, et des fascistes également, avec son corollaire éthique essentiel : l’assujettissement utilitaire des intérêts individuels, à celles d’une unité vitale postulée — de beaucoup plus vaste — de nation ou de classe).

— La conscience collective

     Le point de départ de cette trame idéologique est souvent associé avec le nom de Georg Wilhelm Friedrich Hegel, philosophe allemand, qui vivait de 1770 à 1831, ce qui lui plaça parfaitement, avec Menzel et Wagner, dans la génération qui travailla, en premier, à la construction de ce nouveau nationalisme pan-germanique que nous avions mentionné plus haut. Et en particulier, Hegel postula l’existence d’une véritable « conscience nationale », ou « volksgeist », c’est-à-dire l’existence, en quelque sorte, d’une esprit supérieur qui posséderait ses propres aspirations, mémoire et autres attributs conscients-collectifs.

     Admettons que ce soit une idée très séduisante pour quiconque chercherait une raison d’être dans l’appartenance, et dans le partage, d’un destin plus large que le sien propre. Et parmi tous les proto-nationalistes de cette période, en Allemagne comme ailleurs, on  imaginait trouver dans cette idée la promesse que les limites et les déceptions de la vie personnelle, incluant même la limite finale de la mortalité, aient pu être dépassé dans l’inclusion, dans une expérience consciente plus grande — la vie consciente de « la nation » — à  laquelle les êtres individuels participeraient tous dans le rôle de parties constituantes inférieures, un peu à la façon des cellules dans le corps humain.

     Je ne prétends pas traduire fidèlement ici (je me précipite à le préciser), la pensée de Georg Hegel. J’essaye seulement à donner un sens des effets de cette pensée, une fois percolée à travers les couches successives d’une société plus ou moins informée, jusqu’à se déposer dans la conscience des disciples issus spontanément de la masse, c’est à dire : de ceux qui furent les acteurs véritables dans tous les mouvements qui secoueraient bientôt l’évolution du monde.

— La relation de l’individu à la nation

     Pour apprécier pleinement les chemins poursuivis par les adeptes de cette idée, et pour élucider plus directement la relation qu’ils y imaginèrent entre l’individu et l’ensemble, je pointerais ici à la définition célèbre de « l’individu » épousée, plus tard, par certains des disciples de Karl Marx : affirmant que la collectivité n’est pas formée de l’addition de particularités (de toutes les individus qui le constituent), mais tout au contraire, que l’individu lui-même ne soit que la quantité résultante de cette opération mathématique impersonnelle : une foule d’un million… divisée par un million.

     Dans d’autres mots, toute la spécificité (la subjectivité) de l’individu humain serait ignorée et trivialisée dans sa relation objective à la collectivité.

     Fait très important, toujours, cette notion permettait (et permet toujours) à des personnes imbues des convictions matérialistes, de retrouver les mêmes ressources de dépassement de soi et d’autosacrifice qui furent, jadis, l’apanage de la religion. Même que dans cette période (notamment pendant la Révolution-Empire français, la Révolution Bolchéviste, et le Troisième Reich allemande), il y avait un rapprochement savamment orchestré, de ces deux motivations, dans un rappel cérémonial aux vertus confondues, de patriotisme et de vénération divine, qui aient pu être caractéristiques de la vie publique des Romans.

     Pour des raisons facilement compréhensibles, d’ailleurs, cette spéculation d’Hegel jouait aussi fortement dans le développement du Fascisme que du Marxisme. Et tel que l’histoire nous ait démontré par la suite : ce cadre philosophique stimulait les adeptes des deux grandes souches collectivistes aux plus sublimes efforts — et aux plus grands sacrifices — dans la poursuite des destins glorieux qui furent projetés pour leurs collectivités respectives.

     Cependant, comme nous le savons tous aujourd’hui, beaucoup de ces rêves se sont transformés en cauchemars, personnels et collectifs. Car parfois, selon l’enthousiasme des adeptes, le matérialisme et le darwinisme social ont pu sembler indiquer — en bien nécessaire — des outrages humains parmi les pires imaginables, tels l’asservissement des individus et des peuples « inferieurs » ainsi que le meurtre, même, des premiers, et le génocide des secondes. Ne cherchaient pas, non-plus, les chefs responsables de ces atrocités, de fuir les charges d’inhumanité résultantes, car au contraire : ils se complaisaient dans la conviction illuminée que les tourments psychiques, mêmes, qu’ils ressentirent personnellement (devant l’accomplissement de leurs propres gestes) en faisaient partie du prix exigé dans la poursuite vertueuse du bien collectif.

     (Il en fut ainsi — d’exemple frappant — dans l’explication fournie auprès des troupes affectées au fonctionnement des camps de travail et d’extermination Nazis (des années dix-neuf-cent-trente et quarante) au sujet de la nature nécessairement secrète de ceux-ci : que ces troupes dussent prendre pour eux seuls, non seulement l’opprobre des gestes inhumains accomplis, mais aussi, en sacrifice suprême –  en intention finale d’abnégation humble sans retenue : la connaissance solitaire des faits, et la compréhension solennelle qu’aucun souvenir de cette immense contribution civilisationnelle ne puisse survivre pour troubler la conscience des générations futures.

     Seraient parfaites, alors, la noblesse et la générosité du don de soi exigé, puisque ce don passerait à jamais inaperçu ; sa perfidie incombant uniquement à eux ; un sacrifice resté éternellement secret, sans récompense, ni signalement.)

     Pour l’instant, cependant, les aboutissements horribles de ces avancées philosophiques restaient cachés dans les voiles du futur ; ce qui laissait le champ libre pour les intellectuels audacieux — s’épanouissant allègrement dans la liberté de la nouvelle tendance — à les épouser avec vigueur ; et à les promouvoir, avec joie.

— La fin d’un siècle qui fut destinée à se transformer en fin d’époque

     Quelle moment tumultueux et enivrant de l’histoire aux autours de l’an 1900 !

      C’était un moment où les Nationalistes Pangermaniques imaginaient bientôt jouir de la force unifiée de leur race entière, capable enfin de se tailler l’espace vital (psychologique autant que géographique) dont ils se croyaient les possédants désignés de droit naturel — cette fameuse « place au soleil » — et dont ils se proposaient de s’agrandir, aux dépens de leurs voisins Européens et Asiatiques ;

     Où les Français juraient prendre leur revanche pour la défaite humiliante de Napoléon III aux mains de ces mêmes Allemands (1870) et de reprendre ainsi, non seulement la terre sacrée du Patrie — les provinces perdues d’Alsace et de Lorraine — mais aussi leur place dominante en Europe ;

     Où les petites populations Slaves dispersés dans la Péninsule Balkanique — Serbes, Bulgares et autres — rêvaient au morcellement des Empires Turc et Austro-Hongroise, et à la possibilité de vivre enfin, librement, chacune leur destin national ;

     Où, cependant, les Russes — en image-miroir de l’idéal allemand — rêvaient à l’unification, de force ou de gré, de toute la grande famille Slave ; dans un seul Empire Russe qui s’étendrait de l’Océan Arctique jusqu’à Constantinople (quitte à disputer — avec leurs puissants voisins — tous les états et provinces mitoyens dans lesquels les populations Slave, Teuton et Turc se trouvaient toujours incestueusement entremêlées) ;

     Où, encore, les Britanniques (imbus d’un sens de mission civilisatrice dans la colonisation mondiale) géraient déjà le plus grand empire maritime jamais connue, et annoncèrent catégoriquement leur intention de risquer tout — aux fortunes de la guerre — plutôt que de partager l’Haute Mer avec les navires de quelque flotte rivale que ce soit ;

     Où s’agitaient déjà les Marxistes — à Berlin, à Londres, à San Francisco, à Paris, à Vienne et à Moscou — ces Révolutionnaires Internationalistes qui imaginaient la victoire « inévitable » des classes laborieuses, et l’instauration d’une dictature universelle ;

     Où les États-Unis d’Amérique, encore récemment sortis de la plus importante guerre de l’humanité moderne (qui fut leur propre Guerre Civile de 1861 -1865) se sentaient sereinement confiants, désormais, dans la réalisation de leur « Destinée Manifeste » (1845), et intraitable dans leur insistance sur la « Doctrine Munroe » (1823) par laquelle toute ingérence dans l’Hémisphère Occidental (d’une Puissance quelconque de l’Ancien Continent), serait qualifiée d’acte « hostile » à leur égard ;

     Où enfin, et pour tout dire : tel un wagon des montagnes russes qui monte lentement vers la première descente infernale — avec ce claquement mesuré et alarmant d’un engrenage inéluctable — la planète entière se trouva réellement prête à se lancer dans une série de catastrophes, presque apocalyptiques, précipitées précisément par l’entrechoquement de toutes ces ambitions grandioses et contradictoires.

     Quel moment enivrant en effet !

— Et l’euthanasie là-dedans…

     Matérialisme, Darwinisme, Nationalisme, Collectivisme — augmentés, de surcroit, par la poésie teutonique de Siegfried et d’Artur, cet appel franc à la seule justification de la force naturelle, où les portes du paradis ne s’ouvriraient qu’aux braves combattants.

     Voilà, enfin, une description minimale (lamentablement simplifiée, certes, mais peut-être toujours adéquate pour nos besoins) de la soupe socioculturelle, Euro-américaine, qui mijotait tranquillement sur l’arrière ronde de la poêle de notre histoire, quand tout ce train civilisationnel arriva subitement, à la fin du dix-neuvième siècle, sur le précipice extrême des catastrophes imminentes qui furent les deux grandes guerres mondiales, ainsi que les deux grandes révolutions qui furent précipitées, par celles-ci, à leur tour.

     Époque joyeuse et enivrante ! Certes. D’une joie tant éphémère et destinée à disparaitre de manière si brutale ! Ou, comme le sentiment et l’histoire me furent communiqués un demi-siècle plus tard par un grand-père qui y avait échangé, personnellement, la liberté de la jeunesse pour les tranchées de la guerre : « Ce fut un temps extraordinaire ! Vraiment… Quel bel été heureux, celui de 1913 ! »

     Bien sûr, ce petit détail qui nous concerne (c’est à dire le statut légal et l’opinion publique au sujet de la pratique de l’euthanasie), ne constituait qu’une petite note en marge de la page de l’histoire. Cependant, ce fut dans ce contexte précis — culturel, idéologique et historique — que les gens savants, et les personnalités actives, aient originalement traité de la question (avec un intérêt proprement modern) ; et ce contexte demeure indissociable des conclusions retenues.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Deuxième : Sous l’ombre de l’euthanasie — Partie C : L’euthanasie et l’idéologie — Section II : Une description des sources idéologiques de l’euthanasie en Occident — Chapitre : Des compagnons de route naturels : L’euthanasia et l’Eugénie)

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