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Illuminer notre devoir de choix philosophique : L’essai empirique des critères limitatifs d’éligibilité (dits « sauvegardes ») - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

Illuminer notre devoir de choix philosophique : L’essai empirique des critères limitatifs d’éligibilité (dits « sauvegardes »)

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie B : l’euthanasie et la clientèle — Section II : la morale et la loi — Sous-Section II c) : Quelle morale choisir ? — Chapitre : Illuminer notre devoir de choix philosophique : L’essai empirique des critères limitatifs d’éligibilité (dits « sauvegardes »))

– Un choix difficile : les deux (ou trois) façons de faire, et la distribution des torts

     Un peu plus tôt nous avions catalogué deux cadres philosophiques pour définir la nouvelle relation sociale – officiellement permissive — avec le suicide et l’euthanasie : soit, la liberté subjective (assortie de conditions) ; soit, l’interdit catégorique (percé d’exceptions). En réalité, pourtant, il y en aurait toujours trois, car rien n’empêche (en admettant la volonté politique requise), de rebrousser franchement chemin, et de rétablir l’interdit intégral de toute mort « assistée ».

— Rétablir l’interdit inconditionnel de l’homicide

     Cette option, toujours soutenue par la communauté médicale internationale, ainsi que par les intellectuels handicapés (et par une bonne partie des adhérents au modèle moral de tendance traditionnelle) fournirait un maximum de protection, auprès des personnes handicapées, et malades chroniques, de la majorité non-suicidaire. En conséquence, si notre but pouvait se réduire à minimiser le nombre de personnes à risque dans cette population, ce statut quo antérieur serait toujours supérieur à la situation actuelle ; optimal, aussi, pour la qualité de la médecine offerte au non-suicidaires, et pour la paix psychologique (et morale) d’une majorité des médecins.

     Par contre, il y a des principes idéels en jeux dans cette controverse, qui ne se plieront pas facilement devant les arguments de torts contextuels. Car il existe, aussi, une minorité suicidaire qui se plaignait, auparavant, d’une injustice spécifique sous l’ancien régime. Et pour la majorité des gens qui se félicitent, aujourd’hui, d’appuyer la thèse pure du choix subjectif dans les décisions de moralité intime, cette revendication serait concluante : dans aucun cas pouvions-nous approuver, dirait-on, un refus du choix minoritaire. Un point, c’est tout !

     (Car au-delà des circonstances immédiates, l’exemple d’un tel refus pouvait prodiguer son influence, aussi, face à d’autres libertés minoritaires proprement « sacrées » de notre société post-moderne.)

     De toute évidence, alors, cette option serait déjà dépassée dans notre trame sociale. Cependant, vu qu’elle nous ait fourni le point de départ pour notre démarche actuelle, je la mentionne toujours en première place, comme stratégie possible : la restauration du statu quo ante.

— Une véritable liberté universelle : le droit de mourir

     Les particularités contextuelles de ce débat nous auraient accoutumé à y voir, invariablement, un phénomène médical. Pourtant, l’homicide n’est pas si évidement l’affaire des médecins. Et plus encore : le suicide n’est aucunement l’affaire des seuls malades et handicapés, ni même de manière prépondérante.

     Logiquement, d’ailleurs, tous les arguments en faveur, d’un droit à mourir parmi ce groupe, sont également valables au sujet des personnes suicidaires bien-portants. Et apparaitrait, alors, une deuxième possibilité de politique face à l’euthanasie et au suicide assisté ; une politique qui s’impose de par sa rigueur théorique (mais qui effraie toujours de par sa nature crue) : soit, un droit de mourir, général, franc et universel, tel qu’il ait été souvent demandé — avec clarté et insistance — par les penseurs et les activistes à la base de sa réussite partielle.

     Clairement, l’attrait de ce modèle ne réside pas dans une réduction espérée dans le nombre appréhendé de tragédies suicidaires ; il réside plutôt, dans le fait que tout risque réel soit endossé, à part entière — et partagé, d manière égalitaire — par tous les membres non-suicidaires de la collectivité élargie, sans autre critère discriminatoire, de race, sexe, orientations, habilité ou état de santé.

     Voilà, enfin, une idée audacieuse dont la simplicité peut facilement inspirer l’admiration (sinon l’adhésion). Pourtant, son intransigeance suscite aussi des craintes profondes devant l’ampleur devinée des tragédies potentielles.

— Un faux espoir de solution dans le compromis : des exceptions médicales à l’interdit

     Et c’est ainsi que nous aurions finalement tombé dans ce piège facile de compromis, essayant de bénéficier, à la fois du souffle enivrant de la liberté subjective, et de la certitude réconfortante des limites fixées par des critères objectifs et médicaux. Nous aurions voulu, ainsi, ouvrir cette liberté uniquement aux personnes malades ou handicapées (et ce, à l’origine, seulement pour celles parmi elles qui se trouvèrent véritablement en fin de vie).

     Mais en permettant certaines personnes d’assouvir leur désire de mort selon les critères d’exception, nous condamnions aussi, à des torts appréciables, toute autre personne fortuitement identifiée par cette association ! Et de cette manière, loin d’avoir tenu notre promesse originale, de redresser les injustices minoritaires, nous n’aurions réussi qu’à imposer un nouveau risque, existentiel et discriminatoire, auprès d’un groupe spécifique encore plus important, c’est-à-dire à l’ensemble des malades et des handicapés non-suicidaires.

     Décidément, une analyse objective et conséquente, des torts et des bénéfices, ne pourra jamais soutenir une telle conclusion. Cependant, c’est bel bien ainsi que se présente notre situation actuelle. Et alors, devons-nous faire l’étrange constat que la population (ou ses dirigeants) ait choisi de s’accrocher mordicus après la rigueur apparente du modèle juridico-moral objectif ; mais cela, pour des raisons qui ne peuvent, à l’examen non-complaisant, se qualifier autrement qu’en espoir factice : irrationnel, certes, et intéressé, très probablement !

     Toujours faudrait-il, cependant, demeurer généreux dans nos jugements des motivations d’autrui. Car pour répéter l’essentiel : de solution facile, il n’y en aura point.

— Même pour les subjectivistes : point de repos

     Dans une section précédente, il en fut largement question de la commodité du standard de jugement subjectif qui nous permettrait de prétendre au statut moral, tout en consultant, uniquement, nos intérêts et nos préjugés propres.

     Ce ne serait pas, cependant, toutes les personnes qui pourront s’échapper, ainsi, aux tourmentes déchirantes du doute et du remords. Car des intérêts distincts et irréconciliables peuvent surgir tout aussi bien à l’intérieur de notre subjectivité personnelle, qu’au cours des conflits caractéristiques des discussions « objectives » entre paires. Et la liberté subjective de choix ne fournit pas, alors, une panacée miracle pour la conscience inquiète.

      Permettez-moi, à ce sujet, de signaler mes propres divisions internes pour illustrer ce point dans la discussion actuelle.

— Des loyautés personnelles durement divisées

     À la fin du dernier chapitre, j’exposa clairement l’intérêt égalitaire de toute personne malade ou handicapée (moi-même inclus) : que le fardeau du choix mortel, implicite dans le droit de mourir, doive être une charge uniformément portée par tous — ou encore,  que ce choix soit universellement proscrit.

         Mais cela étant dit, je me trouve également en proie à des loyautés fortement divisées. Car je me révolte, certes, à ce que la société semble vouloir ignorer le danger qui me guette personnellement (moi et mes semblables) ; mais dans mon cœur de père, je suis très sensible, aussi, à l’argument du danger capricieux qui nous guette dans la normalisation universelle du droit de mourir. Je crains, ainsi, la perte probable de personnes innocentes ; et surtout, je crains la perte de ces êtres, tant irremplaçables, tant précieux, tant vigoureux, mais aussi tant vulnérables ; des êtres que nous avons amené dans ce monde — par optimisme ou par inconscience, délibérément ou par hasard — des êtres envers desquels nous porterons aujourd’hui, et à tout jamais, une obligation sans bornes, c’est à dire : nos enfants.     

     Alors, sans les conditions particulières de mon existence et de mon expérience de personne handicapée – abimée et dépendante — j’aurais sans doute acquiescé, dans cette stratégie de limites médicales (d’exceptions objectives à l’interdit d’homicide), à la manière de la majorité actuelle des médecins, et du grand public. Même plus, dans mon cœur de père et d’handicapé (et pleinement conscient des ramifications de mon choix), j’aurais toujours l’orgueil et l’égoïsme de vouloir sacrifier, non seulement mes propres intérêts, mais ceux, également, de mes semblables (handicapés et malades), à la seule possibilité – probablement illusoire – de pouvoir protéger mes propres enfants.

     Mais toujours là, dans ce dernier recoin de la motivation humaine, il reste encore une tournante ultime dans la spirale d’ironies qui pénètre successivement les couches superposées d’intérêts personnels et de tragédies particulières : car si ce ne sont pas tous les parents qui soient handicapés ; ce ne sont pas, non plus, tous les enfants qui sont bien-portants.

— L’adolescence handicapée : un danger spécifique, totalement ignoré dans la logique existante d’euthanasie volontaire

     Or, qu’en est-il de ces parents dont les enfants ne sont pas bien-portants ? Qu’en est-il de ces cœurs, des pères et des mères, dont les enfants sont handicapés ou malades ? Comment nous justifier le fait que ces enfants (et ces enfants seuls) en proie aux mêmes crises que toute autre jeunesse – autant naturelles que existentielles — soient non seulement pas protégés (et signalés pour les efforts extrêmes de prévention existants), mais au contraire, seront positivement précipités vers le suicide médicalisé ?

     Décidément, nous nous trouvons maintenant dans la situation du clown/sculpteur métaphorique qui manipule un segment de son œuvre où l’air ne pourra plus se comprimer sans exploser le ballon au complet. Car au sein de la classe sacrificielle désignée — pour la plus grande sécurité de la majorité — il existe une sous-classe, particulière, dont le sacrifice serait, de toute évidence, encore plus extrême : une minorité de la population déjà caractérisée par la plus grande vulnérabilité de toutes ; une minorité dont l’abandon se distingue, à mon sens, par la répudiation infame de nos principes de justice modernes les plus chers (et donc de la partie humaine à l’intérieur de nous qui s’en nourrisse) … les enfants malades et handicapés.

     Est-ce réellement de cette façon que nous voulions procéder ?

— Franchement accueilli devant la difficulté du choix : existerait-t-il un dernier espoir dans l’essai empirique des « sauvegardes » ?

     Alors, que faire ? Le sentier de la liberté serait, apparemment, trop franchement engagé, à présente, pour reculer sur le principe. Mais il n’y a pas, non plus — au moins pour l’instant — aucun empressement collectif pour renverser définitivement l’ancien paradigme (d’interdiction de l’homicide et de prévention du suicide). Et dans ce dilemme, nous nous tenons, instinctivement, aux critères d’admissibilité médicaux, dans l’espoir qu’ils puissent nous protéger contre les fruits de notre propre témérité.  

     D’une certaine manière, alors, nous pouvions considérer les malades et les handicapés non-suicidaires, collectivement (et les enfants handicapés en particulier), comme une sorte d’offrande sacrificielle : déposée devant l’autel de l’autonomie personnelle, dans l’espoir non-avoué (et difficilement avouable) que cette propitiation puisse suffire – puisse nous permettre la satisfaction de nous ranger (apparemment) du coté de la liberté — tout en nous épargnant les pertes humaines, plus vastes et douloureuses qui en serait le véritable prix.

     Mais qu’en serait-il des chances réelles que les critères médicaux puissent s’acquitter efficacement de cette fonction limitative ? Quel sera l’aboutissement de ces espoirs ? Est-ce que, par exemple, ces critères pourront vraiment résister à l’élan constant qui nous pousse vers l’élargissement post-moderne de la liberté subjective ? Est-ce que nos espoirs de sécurité dans cette stratégie s’avèreront justifiés ?

     Ou au contraire, est-ce que nous ne faisons pas, actuellement, une erreur monstrueuse — chambardant et polluant la mission médicale ; exposant aux pires dangers discriminatoires les handicapés et malades — sans pouvoir éventuellement éviter l’éclosion de cette liberté générale, tant idéalisée, dont nous craignons toujours les fruits ?

      Est-ce que, pour être précis, nous ne nous engageons pas, présentement, dans une voie de vandalisme, institutionnel et social, dont les effets seront profonds et de longue durée — imprévisible dans la libération destructrice des préjugés ataviques à l’égard de la dépendance — sans pour autant nous épargner les suites prévisibles de nos innovations philosophiques franchement engagées ? Quel sera, enfin, la robustesse réelle de nos critères-sauvegardes objectifs ?

     Chose certaine : en société collective, nous serons ultimement obligés à choisir — que ce soit franchement, ou par défaut ;  et nous serons condamnés, aussi, à vivre avec les suites de nos choix.

     Voilà, enfin, la matière qui nous attend dans la prochaine section de ce texte : « La Pente Glissante »

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