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L’esprit confiant du progrès moderne : enfin trouvé, mais perdu de nouveau - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

L’esprit confiant du progrès moderne : enfin trouvé, mais perdu de nouveau

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture : Chapitre : L’esprit confiant du progrès moderne : enfin trouvé, mais perdu de nouveau)

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Alexandre Dumas (1802 – 1870), dit Dumas père (lui-même fils d’un soldat Royaliste, mulâtre de noblesse coloniale, devenu rapidement général Révolutionnaire et ensuite Bonapartiste) était un écrivain des plus renommé, et des plus prolifiques. Ses romans d’inspiration historique, telles « Les Trois Mousquetaires » sont universellement connues. Dumas se trouve treizième en rang dans la liste mondiale des auteurs les plus traduits dans les langues étrangères.

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— Dumas (père) et le « Progrès »

     Dans son roman « Joseph Balsamo » (publié dans le journal parisien « La Presse » entre 1846 et 1849) Alexandre Dumas, père (1802 – 1870) dépeigne une conversation imaginaire entre Jean-Paul Marat, 1743 – 1793 (dans son caractère prérévolutionnaire de chirurgien, athée matérialiste), et Giuseppe (Joseph) Balsamo, 1743 – 1795, dit Alessandro, comte de Cagliostro (aventurier, savant/guérisseur/charlatan/franc-maçon/occultiste) :

Balsamo : « Ce serait orgueilleux à moi de dire : « Je sais. » Je suis plus humble, monsieur, je dis : « Je crois. » »

Marat : « Eh bien, que croyez-vous ? »

Balsamo : « Je crois que la loi du monde, la première, la plus puissante de toutes, est celle du progrès.

Je crois que Dieu n’a rien créé que dans un but de bien-être ou de moralité. »

     Nous trouvons ici, je crois — dans ce credo de Dumas crédité à Balsamo — l’encapsulation parfait de l’esprit dominant de la fin du dix-huitième siècle, tant en Europe qu’en Amérique.

     Premièrement, c’était un énoncé révolutionnaire, puisque le changement y prenait la place principale. Et tel fut, décidément, le premier sentiment du siècle. Car après deux ou trois générations passées dans la défense (et dans la destruction acharnée) de tout ce qui pouvait représenter « l’ancien régime », tout le monde s’entendait, enfin, pout admettre cette évidence simple : que le monde vivait alors des transformations profondes auxquelles l’opposition d’une résistance catégorique ne serait qu’une futilité insensée.

     Mais il y avait aussi un sentiment conservateur, également important et beaucoup plus ancien. Car la réponse suscitée dans chacun devant ce constat de fait se fonda, surtout, dans une foi maintenant millénaire : que le monde demeurait l’objet d’une intention supérieure (divine ou « naturelle ») dont la source fut inconditionnellement bienveillante. Telle fut la foi Chrétienne qui avait servi comme support moral pendant les pires crises du passé ; et tel fut la posture adoptée, d’un réflexe commun à l’époque, par presque tout le monde – que l’on se voulût « croyant » ou non —   devant les épreuves présentes.

     Or, la coexistence de ces deux principes, révolutionnaire et conservatrice, s’est révélée parfaitement typique du temps. Elle explique la fluidité et la prestance exhibées par des hommes publics, comme Victor Hugo, dans l’adoption et dans les changements d’adhésions politiques. Elle explique la participation d’une bonne partie de l’aristocratie française dans la transformation nationale. Elle explique, aussi, la nécessité admise par les Jacobins de tenter l’instauration du « Culte de l’Être Supreme » dans l’an 1794 (pour remplacer le « Culte de la Raison », établi

1793), mais qui n’ait pas plus su, à son tour, satisfaire les besoins spirituels du peuple, suite à la persécution révolutionnaire de l’Église (catholique).

     Aristocrates révolutionnaires, alors, et révolutionnaires croyants, voilà l’amalgame social qui dominait ce siècle confus, ou des soulèvements populaires, des démocraties improvisées, des restitutions nostalgiques, et des coups d’état impériales, se succédaient dans une cadence accélérée ; largement incompréhensibles — autant pour les participants que pour les observateurs — pendant presque cent ans.

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Count Alessandro di Cagliostro (Joseph Balsamo, 1743 –1795) fut un aventurier Sicilien d’origine pauvre. Une carrière de « savant » qui lui en faisait le familier des cours européennes (y incluant celle de Marie-Antoinette) le rendit pleinement digne des attentions du célèbre auteur de fiction historique, Alexandre Dumas.

Au contraire du personnage créé par Dumas, cependant, le véritable Balsamo fut apparemment de très base caractère dont plusieurs des « exploits » se qualifieraient plus justement de crimes. Ses prétentions occultes lui méritèrent éventuellement l’hostilité de l’Église ; il fut arrêté par l’Inquisition, à Rome (1789) ; et mourut en captivité (1795) au Forte di San Leo (détail du bas).

Buste de Balsamo (1786) de Jean-Antoine Houdon (1741 – 1828)

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— La force extraordinaire de cette combinaison conceptuelle

     Combiner ces deux certitudes alors — du changement inéluctable et de la bonté divine au centre du monde en devenir — et voilà que la crainte du changement, dans un chaos terrifiant, se transforma (au sein des mystères propres à l’alchimie de l’esprit), dans une nouvelle conception idéalisée de l’évolution, fondamentalement positive : qui fut le « Progrès ».

     Et quoique la force personnelle requise pour affronter ce changement trouvait toujours ses racines plantées dans le passé lointain, cette doctrine ne stagna pas de par son attache à l’ancienne stabilité révolue, passive et fataliste dans sa résignation ; elle ne signifia pas un rejet du présent en transformation, ni encore du futur incertain.

     Au contraire, le génie de la doctrine du progrès résida dans sa capacité d’accueillir, et même de désirer, la nouveauté ; de mettre, ainsi, la foi stable du passé au service de l’assimilation du changement nécessaire à l’avenir.

     Tel fut, pour répéter l’essentiel, l’esprit dominant du temps décrit, même pour les désespérés comme Alfred de Musset, ou pour les réformateurs impatients comme Victor Hugo. Toutes les dévastations, de la Révolution et de l’Empire en Europe, ainsi que la Révolution et la Guerre des États en Amérique ; tous les fléaux humains de l’urbanisation subite ; de l’industrialisation ; du capitalisme dit « sauvage » ; des crises de déplacement démographiques subséquentes à la libération des serfs (en Europe), ou des esclaves (au Nouveau Monde) ; la démocratisation du vice aristocratique ; la production de l’alcool industriel à la bourse de tout le monde ; l’introduction des opiacés en consommation personnelle ; la flambée criminelle urbaine ; l’attaque sur les mœurs domestiques de la nouvelle petite bourgeoisie ; tout cela, sans exception, sembla acceptable. Sembla, même, potentiellement bénéfique ! Sembla, dans un mot : raisonnable comme prix d’ajustement moral dans l’accession vers un monde meilleur.

     Le changement devenu inévitable se trouva non-seulement accepté, alors, mais fut sincèrement embrassé, éventuellement, par le grand nombre ; et il fut même représenté, rétroactivement, comme un aboutissement depuis longtemps désiré.

     Voici ce qu’en dit à, ce sujet, le philosophe Dumas/Balsamo :

« Notre planète, au dire des Écritures, comptait soixante siècles, quand l’imprimerie est venue comme un vaste phare réfléchir le passé et éclairer l’avenir ; avec l’imprimerie, plus d’obscurité, plus d’oubli ; l’imprimerie, c’est la mémoire du monde.

Eh bien, Gutenberg a inventé l’imprimerie, et moi j’ai retrouvé la confiance. »

     Remémorons seulement, à cet effet, que le récit traditionnel de l’histoire identifie l’avènement de l’imprimerie comme étant, possiblement, la cause première de toute la série de transformations qui ait secoué le monde moderne. Il apparait, alors, que Dumas nous invite à partager une interprétation selon laquelle tous les déchirures et bouleversements vécus depuis le quinzième siècle — en commençant avec les luttes, sanglantes et persistantes, propres à la Reformation Protestante et à ses séquelles — dussent être accueillis patiemment en maux accessoires à ce qui demeura un bien transcendant !

     Décidément, le « Progrès » fut une doctrine qui permettait à ses partisans de survivre, moralement, à peu près n’importe quoi ! Et par l’acceptation optimiste du sort : de convertir tous les contre-coups en opportunités de changement positif. Ce fut une interprétation de la réalité capable de s’adapter à l’infini ; de fournir, à la fin, les conditions nécessaires pour une création réellement volontaire du futur humain.

     Ce fut, très évidemment, une formule gagnante ; et la dynamique heureuse d’un moment unique dans l’histoire ; mais ce moment fut, aussi, d’une brève durée.

— Une faiblesse insoupçonnée qui trahit le tout

     Toujours est-il, cependant, que cette dynamique optimiste dépendait d’une continuation robuste dans la foi — universellement partagée jadis — d’une intention de « bien » inséparable de l’existence de notre monde.

     Or, le lecteur aurait remarqué, possiblement, avec quelle aisance le mot « Dieu » apparut sur les lèvres de tous les penseurs et de tous les poètes dont les textes trouvent leur citation dans ces pages. Car malgré l’anticléricalisme, malgré l’apport rational des sciences, malgré l’athéisme même (dans le rejet originalement entendu par ce mot, d’une divinité personnelle) : l’existence de la bonté essentielle, de cette « Providence » universelle (qui ne crée « que dans un but de bien-être ou de moralité) ne fut — avec de très rares exceptions — jamais mise en doute avant le vingtième siècle bien engagé.

     Pourtant, là-dedans se trouva, tout de même, le talon d’Achille de la doctrine du Progrès providentiel. Et c’est pour cette raison que Dumas/Balsamo précise (dans son préambule devant le Marat matérialiste imaginaire) la différence tant significative entre la certitude « je sais », et la simple affirmation « je crois ». Car, si jamais cette foi fut atteinte, si jamais cette croyance fut perdue : la « confiance » située à la base du progrès s’évanouirait, aussi, sans trace.

     Et puis, comme du fait, cette foi précédemment inébranlable dans la nature positive de l’univers — et une bonne partie de l’élan social positif qui en fut la manifestation concrète — s’est perdue effectivement : s’est éteinte comme une chandelle, à l’avantage d’une nouvelle obscurité morale, enveloppant progressivement la conscience contemporaine !

     Du grand rêve de Progrès il n’en demeurait pas moins, certes, le volet « bien être » qui adresse les intérêts primitifs de tout être vivant ; mais le perfectionnement « moral » de l’homme, lui, se trouva largement abandonné. Car en doutant du bien universel, l’être humain en arriva, aussi, à douter de la réalité du bien à l’intérieur de lui-même ; et en reniant l’un, il en vint, également, à renier l’autre.

     Voilà, donc, le mystère de destitution morale qui nous obsède, nous, qui se trouve à peine cent ans plus tard, dans une société où même le suicide n’est plus universellement regretté !

     Voilà l’évidence d’une rupture philosophique, nette, dont l’histoire racontée se caractérise par l’apparition d’une séparation claire — entre l’avant et l’après — comme les couches de minerais, adjacentes mais parfaitement distinctes, qui marquent la succession des périodes géologiques.

     Car de toute évidence, le drame du vingtième siècle, en Occident, se situe précisément dans ce fait que les certitudes ancestrales (d’un ordre moral universel, de source et de nature bienveillantes), ces certitudes « humbles » (selon notre auteur) issues non du « savoir » mais de la « croyance », aient été subitement perdues – ni tout à fait, bien sûr, ni tout d’un coup – mais très significativement, et surtout à partir des années dix-neuf-cent-vingt.

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JJean-Paul Marat (1743 – 1793), médecin et physicien, était l’un des acteurs principaux aux débuts de la Révolution Française, et fut fortement associé avec l’avènement de la Terreur. Il fut assassiné dans son bain (1793), par Charlotte Corday qui lui rapprochait, surtout, les Massacres de septembre (1792). Elle disait vouloir, par la mort d’un seul homme, sauver les vies à 100,000 autres.

Après sa mort, et subséquemment aux apparitions successives des Cultes de la Raison, et de l’Être Supreme (instaurés pour combler le vide produit par la suppression du Christianisme), le buste de Marat lui représentait en quasi-saint dans plusieurs églises ainsi récupérées.

Tableau : « La Mort de Marat » (1793) de Jacques-Louis David (1748–1825)

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section III : Une société en rupture — Chapitre : Entre le fatalisme moral d’une société préindustrielle, de subsistance précaire et de stratification extrême ; à l’opulence du choix post-moderne : un passage d’à peine deux siècles)

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