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L’avortement II : Comment la digue traditionnelle fut subitement éventrée par le progrès technologique - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

L’avortement II : Comment la digue traditionnelle fut subitement éventrée par le progrès technologique

(Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : L’euthanasie et la médecine : Section IV : Hippocrate bis : L’avortement — Chapitre : L’avortement II : Comment la digue traditionnelle fut subitement éventrée par le progrès technologique)

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Une manifestation pour l’avortement libre, à l’époque où nos parents disaient ne pas pouvoir différencier les garçons des filles

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— Une affirmation de la liberté personnelle, face au destin biologique, qui s’exerça aux dépens de la morale catégorique

     La décriminalisation de l’avortement (suivi de sa normalisation, et finalement par son instauration comme service courant à la portée de chaque femme), s’est accompagnée — et s’accompagne toujours — de passions extrêmes, manifestées des deux côtés de cette lutte idéologique, épique, et de la division profonde qu’elle ait su provoquer au sein de notre société.

     L’enjeu essentiel, faut-il se le rappeler, ne serait rien de moins que la libération de la femme (c’est-à-dire la libération potentielle de chaque femme, selon sa préférence) de cette fatalité de l’enfantement, qui se fût présentée jusqu’alors en destin inéluctable ; une conséquence des circonstances évolutionnaires de notre espèce, et des formes sociétales qui eussent développé pour accommoder celles-ci.

     Il existe aussi, bien sûr, une interprétation plus politisée des faits, qui mettrait toute la responsabilité au compte des formes sociétales perverses dites « patriarcales » et qui postulerait l’existence mythique d’une condition humaine « naturelle » au sein de laquelle les femmes, de l’obscurité lointaine, aient pu exercer un choix parfait au sujet de la reproductivité. Selon cette thèse l’avortement serait devenu nécessaire, de nos jours, pour rectifier l’injustice produite par la perte de cette liberté idyllique.

     Mais si je peux me permettre de manifester un certain scepticisme, nous vivons aujourd’hui dans une société qui reconnait explicitement l’égalité et l’indépendance de la femme ; une société qui fournit, de surcroit, un large éventail de méthodes contraceptives très efficaces. Logiquement, alors, si une femme ne désirait pas enfanter, de nos jours (et je ne dis pas, bien sûr, toutes les femmes, ni partout, ni toujours), elle serait habituellement en mesure d’éviter la grossesse ; et en conséquence l’avortement ne devrait être qu’une mesure d’exception, un phénomène de société marginal. Et c’est ainsi, d’ailleurs, que la pratique fut originalement représentée devant la conscience publique : en option « Légale et rare »

     Pourtant, nous constatons, au contraire, un très grand recours à l’avortement, selon l’endroit. Au Canada, par exemple le nombre d’avortements pratiqués varient entre 28 avortements contre cent naissances (pour l’ensemble du pays) et 38 vs 100 (au Québec). Ce ne sont pas, convenons-nous-en, des chiffres indicatifs d’un phénomène « rare », ni une éventualité très efficacement évitée en utilisant les moyens disponibles.

     Or, les avortements vécus sont habituellement décrits, par les femmes concernées, comme des événements significatifs ; des évènements, pour y insister, que l’individu ait intérêt à tenter d’éviter avec assidument. Il semblerait, donc, que dans ce phénomène d’enfantement, le choix féminin (en fait le choix humain tout court) soit plus complexe que nous ne l’admettions ; et en particulier, qu’il soit possiblement teint de pulsions profondes émanant d’un impératif de survie, non seulement personnelle, mais d’espèce — des pulsions, enfin, non seulement de simple expression sexuelle, mais de reproduction, que nous sommes difficilement capables de contrôler.

     Alors voilà l’importance critique de l’avortement : c’est une opération qui permet d’établir, rétroactivement, la primauté de la volonté consciente au dam de l’instinct brut ; il est aussi une opération d’une moralité très contestable, du fait qu’il porte atteinte à la vie. Ce sont là, deux attributs qui auraient garanti, à la fois, l’ascendance observée de l’avortement, et l’opposition, farouche et constante, que suscite sa pratique.

— L’avortement : un fruit inattendu de la maitrise technologique

     J’aimerais remarquer, ici, un fait crucial pour notre compréhension du vingtième siècle : que certaines des changements constatés, dont la montée de l’avortement décrite ici, se sont principalement produits à cette époque, non parce qu’ils aient été moralement supérieurs, ni mêmes nécessaires, mais surtout, du simple fait qu’ils fussent devenus possibles. Ce qui nous rappelle la réponse souvent offerte par des condamnés juridiques, devant la question essentielle « Pourquoi aurais-tu agi ainsi ? » (et surtout suite aux abus commis par les plus forts aux dépens des plus faibles) : « Parce que je le pouvais ».

     En fait, ce qui démarque surtout ce moment de crise dans le cheminement humain — ce vingtième siècle auteur de tant de bouleversements — et ce qui le différencie aussi nettement de tant d’autres soulèvements spectaculaires précédents (mais restés sans influence majeure), réside dans l’énormité du changement technologique qui s’est produit dans ce court laps de temps ; un changement technologique, d’ailleurs, que d’aucuns tiendraient responsable pour le tout : du cheval à l’automobile, de l’automobile à l’avion, de l’avion  à la fusée ; du télégraphe à la téléphone, de la téléphone à la radio, de la radio au satellite ; et dans le domaine qui nous intéresse, c’est à dire la pratique médicale : nous étions passés subitement, au terme d’une génération à peine, d’un monde plus que cruel, où un homme, une femme, ou un enfant, bien portant un jour, serait enterré une semaine ou deux plus tard — victime d’une infection banale — dans une réalité nouvelle, radicalement différente, où les antibiotiques placaient les gens à l’abri de tels caprices morbides du destin.

     Pour la première fois de l’histoire, il en fut résulté un sens de sécurité personnelle qui démentit, au moins en partie, les certitudes philosophiques à la base de la résignation individuelle — et du sacrifice collectif demandé de reproduction maximale. De tels changements, bien sûr, servaient à faciliter l’adoption d’idées individualistes plutôt radicales, non peut-être entièrement neuves, mais présentées, pour la première fois, sous un aspect de possibilité pratique.

     Et dans l’ombre, palpable et partout visible des ruines de la société passée ; dans la réprimande civilisationnelle rudement assenée par l’avènement des deux Guerres Mondiales — dans cette nouvelle confrontation idéologique (apparemment d’une dualité exclusive et manichéenne), entre la lutte nationale à l’outrance (symbolisée par l’arme nucléaire), et la satisfaction sans-gêne des aspirations personnelles (symbolisée par l’avortement et le refus du service militaire), il est plus que compréhensible, je soumets, que les nouvelles générations aient été séduites par cette dernière.

     Telle fut, donc, la toile du fond, quand pour la première fois, sous l’effet des nouvelles techniques chirurgicales, et des antibiotiques récemment découverts, l’avortement chirurgical fut devenu une option acceptablement fiable et sécuritaire ; suffisamment, au moins, pour en généraliser sa pratique.

— La réponse des médecins individuels

    Jusqu’à lors, la vaste majorité des médecins refusaient d’entreprendre des avortements chirurgicaux, prétextant, bien sûr, l’illégalité sinon l’immoralité du geste ; mais il y avait toujours une autre raison, également très puissante, qui demeurait derrière ces protestations de vertu, coriace et intraitable : l’avortement chirurgical était simplement trop dangereux ; le taux de décès suite aux infections secondaires étaient tel que, dans peu de temps, la suite inévitable de cadavres auraient amené les autorités chez le médecin, et alors… le médecin à la potence ! 

     Même chez les femmes les plus riches et puissantes — celles capables de s’offrir les meilleurs soins — la prudence et la peur bien fondées, favorisaient, plus souvent, une stratégie de grossesse dissimulée ; et chez les plus pauvres, les enfants superflus étaient simplement remis à la parenté environnante (par les jeunes filles assez chanceuses pour en avoir), ou encore, abandonnés à l’église (par celles qui n’en avaient pas). Mais avec l’apparition soudaine des mêmes substances et techniques qui eussent sauvé tant de vies parmi les soldats des Grandes Guerres, la possibilité est apparue, aussi, pour les femmes de survivre aux avortements chirurgicaux.

     Pour certains médecins, alors, la question ne se posait plus en termes purement théoriques de morale idéelle, mais plutôt en termes pratiques ; et pour les femmes de la classe supérieure, la question se résumait uniquement à trouver un médecin prêt à agir dans l’illégalité ; ce qui serait toujours possible là où la récompense attendue était jugée égale au risque couru. Bref, les avortements commençaient à se faire de plus en plus nombreux ; les expériences, les anecdotes, et les cas célèbres se multipliaient ; les arguments moraux et sociaux se raffinaient de part et d’autre ; et l’enchainement de changements légaux s’est enclenché énergiquement vers le résultat que nous connaissions aujourd’hui.

     Voilà une description plutôt pragmatique de ce phénomène, qui demeure assez pauvre en nuances. Pourtant, notre sujet ici n’est pas principalement la grande narration de la légalisation de l’avortement, mais plutôt les seuls effets subis, en passant, par l’ensemble des médecins ; et surtout : le défi présenté à la tradition éthique de ceux-ci, alignés sous la bannière du serment hippocratique.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… (Tome Premier : L’euthanasie et le choix — Partie C : l’euthanasie et la médecine — Section IV : Hippocrate bis : l’avortement — Chapitre : L’avortement III : Son intégration dans l’éthique médicale)

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