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- L’avortement : un exemple particulièrement instructif pour comprendre l’évolution future de l’euthanasie - Euthanasie : De la discussion jaillit la lumière

— L’avortement : un exemple particulièrement instructif pour comprendre l’évolution future de l’euthanasie

(Tome premier – ­ Partie B – Section III : Pente Glissante – Chapitre : Souffle d’une mouvance multi-centenaire vers l’émancipation individuelle : le divorce, l’homosexualité et l’avortement)

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     Sans vouloir aborder, ici, le fond de ce débat central de notre époque, il existe dans le phénomène et dans l’accommodement social accordé à la pratique de l’avortement — autant dans les similitudes que dans les différences — plusieurs leçons utiles qui puissent illuminer notre étude de l’euthanasia.

     D’abord, tout comme le suicide, l’avortement est un phénomène qui comprend la mort ; et le traitement social de sa pratique touche, ainsi — de très près — notre conscience collective à l’égard de la valeur de la vie humaine, ainsi que notre volonté collective de protéger celle-ci. Encore, tout comme l’euthanasie, ce sont les médecins qui furent appelés à poser les gestes moralement controversés des interventions avorteuses ; et par conséquent, c’était chez grand nombre de ces derniers que les plus vives inquiétudes se soient manifestées face à l’avortement, exactement comme ce fut le cas devant l’euthanasie volontaire, cinquante ans plus tard.

     En somme, le débat sur la légalisation de l’avortement se présenta, à ses débuts, dans de termes très similaires — et avec plusieurs intervenants presque identiques — à ce que nous aurions connu, dernièrement, dans nos délibérations face à la mort volontaire médicalisée. Manifestement, l’avortement et l’euthanasie sont intimément liés dans l’esprit social, et se trouvent de plus près encore dans la culture médicale. Rien, alors, ne serait plus raisonnable que de prévoir que l’évolution subséquente du suicide assisté suivra la voie que l’on ait connu avec l’avortement.

     Or, l’avortement, quoiqu’expressément exclu de la pratique médicale par les successeurs d’Hippocrate (et catégoriquement défendu en mal par la morale – et par la loi — traditionnelle), fut éventuellement légalisé, partiellement, au Canada (1969) suivant une logique médicale de protection de la vie de la mère.

     Selon la nouvelle loi, chaque avortement dite “thérapeutique” — pour le distinguer de l’avortement purement discrétionnaire (toujours formellement interdit) — fut autorisé par un « comité thérapeutique » comportant trois médecins qui devaient attester solennellement que la santé de la mère serait gravement hypothéquée à moins de terminer la grossesse par une intervention avorteuse.

     On ne pourrait trouver mieux, je soumets, comme parallèle aux formalités attachées à la pratique actuelle de l’euthanasie volontaire. Car, tout comme les étapes décisionnelles imposées sur les praticiens de l’euthanasie (l’exigence de consultation et d’opinion collaboratrice obtenue auprès d’autres médecins), les comités thérapeutiques d’antan prétendaient fournir un cadre objectif pour évaluer la légitimité médicale des interventions demandées.

     Mais dans les faits, et presque dès le départ, ces décisions furent plutôt rendues selon les caprices discrétionnaires des médecins en présence : tantôt plus restrictifs — tantôt plus libéraux — dépendant seulement des penchants, traditionalistes ou progressistes, des comités dans chaque endroit. Car, les médecins, dans certaines parties du pays, se tenant à une interprétation très stricte de leur mandat,  n’autorisaient que très rarement les avortements thérapeutiques, tandis que dans d’autres endroits, les médecins activistes rivalisaient entre eux sur le terrain de la créativité, en interprétant la “santé” de la mère dans ses dimensions les plus larges, soit : physiques, psychologiques, et même sociales — ce qui aboutit rapidement, dans certains centres, à l’acceptation quasi-automatique de toute demande reçue.

     Alors, en quête d’objectivité dans notre assimilation de l’euthanasie volontaire (avec l’application de critères médicaux et devant le flou des critères retenus) — tout comme au premier temps de la légalisation de l’avortement — nous ne faisons que remplacer le caprice subjectif de celui qui en fait la demande, par le caprice subjectif de celui qui doit en faire l’évaluation. Pourtant, confronté avec un tel choix, ne serait-ce pas, logiquement, le jugement du premier concerné que nous nous devions de retentir ? Et dans le cas du suicide, et dans le cas de l’avortement ?

     Dans tout cas, on ne peut que s’apitoyer sur le vécu des médecins plus naïfs à l’époque (dont j’aurais eu le privilège d’en connaitre intimément), qui se prêtaient de bonne foi à cet exercice, et qui agonisaient consciencieusement sur le sens profond de chaque décision fatale. Car encore une fois, la fameuse santé maternelle n’a jamais reflété le vraie mobile politique derrière la légalisation de l’avortement, qui lui, s’exprimait dans un langage, on ne peut plus clair, affiché sur les pancartes de chaque manifestation, soit :  « L’avortement gratuit sur demande ! »

     Alors, pour l’avortement, comme pour le divorce ou l’orientation sexuelle – et tout comme aujourd’hui dans le cas du suicide assisté — le principe philosophique qui animaient les militants en fut un de liberté individuelle totale dans l’expression de la volonté subjective, sans nul besoin de se justifier auprès des tiers. Et c’est ainsi que – inévitablement — les exceptions du départ n’eurent rien eu en commun avec les aboutissements.

     Aussi, l’avortement nous aurait fait cette démonstration avec encore plus d’éclat que le divorce, car, tandis que les statuts qui régissent cette dernière action retiennent toujours certains éléments de l’interdit originale — dans la forme et dans l’intention — la pratique de l’avortement aurait, littéralement, cassé la moule légale qui la contenait auparavant.

     Ce fut, d’ailleurs, encore une similitude très frappante entre l’avortement et l’euthanasie volontaire : que la fin des restrictions sur l’avortement fut le résultat d’un jugement de la Cour Supreme du Canada (Morgentaler, 1988) qui délégitima la loi existante et qui enjoignit les élus législateurs de la remplacer avec d’autre chose (une circonstance identique à l’effet de la décision Carter (2015) au sujet du suicide médicalisé).  Mais, à cette joncture, la profondeur de la division sociale autour de l’avortement fut pleinement révélée dans ce fait qu’il n’y était guère possible de garnir une majorité de députés autour d’aucun des textes de loi présentés.

     Il y avait, certes, une proposition centriste avancée, à l’image de ce qui se fait de nos jours en Angleterre, en Scandinavie, et dans la plupart des États-Unis ou le critère de la « santé » de la mère fut abandonné en faveur d’un système fondé dans l’étape de grossesse atteinte (soit un liberté complète au premier trimestre, un accès conditionnel au deuxième, et un interdit quasi-total au troisième) ; mais même cette proposition récolta des voix insuffisantes, car départagée également, des deux côtés extrêmes du débat, se trouva une majorité, constituée dans leur combinaison extraordinaire, des traditionalistes et des progressistes irréductibles, dont les uns exigeaient un interdit intégral, mais les autres, un accès illimité.

     Or, cette incapacité, canadienne, de remplacer la loi existante, aboutit dans une absence de loi complète au sujet de l’avortement — absence qui dure maintenant depuis plus de trente ans dans ce pays. Et je ne pense pas, d’ailleurs, que ce soit trop fantaisiste d’imaginer, éventuellement, un dénouement semblable pour les pratiques d’euthanasie.

     Mais quel qu’il en deviendrait des détails, l’évolution (en fait l’abandon effectif) des trois exemples d’interdits traditionnels cités — c’est à dire la contrainte de la liberté d’expression sexuelle, ainsi que le divorce et l’avortement – présage clairement un élargissement du droit-de-mourir — bien au-delà des bornes limitatives qui furent initialement proposées — pour accommoder progressivement la vraie liberté subjective qui soit, de fait, réclamée.

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Poursuivre la lecture du texte en séquence linéaire… Chapitre : La dynamique de contestation progressive des limites d’admissibilité à l’aide médicale à mourir

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